Nino s'approcha doucement d'Abel sous la pluie battante. Le temps semblait s'être arrêté, lui-même avait le sentiment de marcher au ralenti.

-Que fais-tu dehors à cette heure ?demanda-t-il lorsqu'il fut près de lui.

-Je pourrais te poser la même question.

Le ton d'Abel était dur. Surpris, Nino le regarda : le visage du jeune homme était fermé, son regard était sombre.

-Je...Je n'arrivais pas à dormir...J'avais besoin de prendre l'air, balbutia Nino. De marcher.

Il vit le visage d'Abel se radoucir brusquement.

-Pardonne-moi, Nino. Je viens de me disputer avec mon frère et...cette dispute me touche beaucoup, tu sais. Je tiens énormément à lui, même s'il se prend pour mon grand frère. Je n'aime pas que l'on se dispute.

Nino hocha la tête.

-Je comprends.

-Non, lui dit doucement Abel. Non, tu ne comprends pas. Tu ne comprendras jamais. Personne ne comprendra jamais. Personne ne peut comprendre.

-Alors, explique-moi.

-Je ne peux pas.

Il y eut un silence. Nino poussa un profond soupir et se détourna pour reprendre sa marche, mais il sentit soudain une main le retenir par le poignet. Celle d'Abel.

-Je déteste l'idée que tu m'en veuilles, Nino. Tu as été mon seul ami, jusqu'à présent, mais...nous nous connaissons à peine. Je préfèrerais attendre avant de te dire quoi que ce soit.

-Je ne t'en veux pas, répondit Nino. J'aurais simplement préféré que tu me fasses confiance, même si nous nous connaissons peu. Tu avais besoin d'un ami, comme moi. Mais il t'est visiblement impossible de faire confiance à quiconque.

Il se dégagea doucement de l'emprise d'Abel et s'éloigna. Cette fois-ci, il ne sentit aucune résistance.

Les propos d'Abel l'avaient blessé plus qu'il n'osait se l'avouer. Tu ne comprends pas. Tu ne comprendras jamais. Pourquoi le jeune homme refusait-il de lui laisser une chance ? Il n'avait pas même eu le temps de comprendre quoi que ce soit.

-Laisse-lui du temps.

Nino sursauta : la voix de Samuel venait de résonner près de lui.

-Samuel ? Que fais-tu là ?

-Je viens quand tu ne te montres pas sérieux ou que tu as besoin de moi. Or, là, je sens que tu as besoin de quelqu'un.

-Je pouvais très bien me débrouiller seul, merci.

-Nino ?

Nino sursauta : Abel s'était approché de lui.

-A qui parles-tu ?

Oh non...

-A personne, je...je réfléchissais à voix haute.

-Mais tu as prononcé le nom d'un certain Samuel.

Réfléchis, Nino, réfléchis !

Rien ne lui venait. Et il sentit soudain son univers s'écrouler. Jusqu'à présent, Abel avait été son unique ami. Or, la mention du nom de Samuel allait définitivement briser leur amitié. Et Nino se retrouverait seul, une fois de plus.

Devait-il lui dire la vérité ? Mais si Abel le prenait pour un fou ? S'il se moquait de lui, comme les autres ne cessaient de le faire ?

-Mettons-nous à l'abri, dit-il finalement. Je vais essayer de t'expliquer...

Il sentit la main d'Abel prendre la sienne et l'entraîner sous le rideau d'un bar. Lorsqu'il lâcha sa main, Nino eut un brusque sentiment de vide. Il le regarda droit dans les yeux.

-Tu vas me prendre pour un fou, déclara-t-il.

-Non, Nino, jamais.

Nino baissa les yeux et se mordilla la lèvre, embarrassé. Par où commencer ?

-Dis-moi, murmura Abel. Je te promets que je ne me moquerai pas de toi, ni que je te prendrai pour un fou. Je te défends contre les autres, fais-moi confiance.

Nino prit une profonde inspiration et leva à nouveau les yeux vers le jeune homme.

-Il y a trois ans, mon meilleur ami, Samuel, est mort dans un accident de voiture. Nous étions très proches, nous ne cessions de nous voir, de nous parler, il n'y avait pas un seul moment où nous n'étions pas ensemble. Après sa mort...tout a changé. Ma vie est devenue plus sombre, j'ai cessé de voir nos amis communs, je sortais de moins en moins. Peu à peu, je me suis coupé du monde, ne sortant que pour aller en cours. Mais un jour...

Il s'interrompit, hésitant. Le regard d'Abel était doux, il ne le brusquait pas, ne le forçait pas à continuer, il se contentait d'attendre. Cette douceur redonna confiance à Nino.

-Un jour, reprit-il, j'ai entendu sa voix.

-Tu as entendu sa voix ?répéta Abel, visiblement perplexe.

Nino hocha la tête.

-Samuel m'a parlé. Je ne le voyais pas, mais j'entendais sa voix. Et elle n'a cessé de m'accompagner depuis.

Il sentit la main d'Abel se poser doucement sur la sienne.

-Alors, c'est qu'il est toujours là. Dans ton cœur et ton âme. Il t'accompagne, où que tu sois. Et que tu continues de lui parler est normal, c'est même nécessaire. Cela montre que tu ne l'oublies pas.

Nino leva les yeux vers lui et lui sourit. La douceur et la compréhension d'Abel le touchaient plus qu'il n'osait se l'avouer.

-Merci, murmura-t-il. Tu es le premier qui me comprends.

Soudain, leur moment idyllique fut déchiré par un cri résonnant dans la nuit.

-Abel !