Nino ne regrettait nullement son geste. Il aimait Abel, il en était sûr désormais. Ce qui venait de se passer n'avait fait que confirmer ses sentiments. Et ceux-ci n'étaient pas prêts de s'étioler.

Son portable se mit soudain à vibrer. Il regarda l'écran : c'était sa mère. En poussant un profond soupir, il décrocha et quitta la chambre pour ne pas réveiller son ami.

-Quoi ?demanda-t-il sans préambule.

-Je n'ai pas prévenu la police.

Nino écarquilla les yeux.

-Maman, il est quatre heures du matin, je n'ai pas les idées claires. Pourrais-tu préciser ta pensée, s'il-te-plaît ?

-Pour ta fugue, Nino. Je n'ai rien dit à la police. Mais je veux savoir si tu es en sécurité. Si tu vas bien. J'ai besoin d'être rassurée.

-Tu me demandes si je vais bien, alors que tu me crois fou et que tu m'as chassé de la maison ? J'espère que tu plaisantes.

-Je suis désolée, Nino. Pour t'avoir chassé, pour tout. Je ne te forcerai pas à rentrer à la maison si ce n'est pas ce que tu veux. Mais j'ai besoin de te savoir en sécurité.

-Eh bien, je suis en sécurité. Merci de ne pas avoir prévenu la police.

Il raccrocha sans un mot de plus.

-Tu es dur avec elle, Nino...

Nino leva les yeux au ciel en entendant la voix de Samuel.

-Parce que tu crois qu'elle n'est pas dure avec moi ?s'exclama-t-il. Au cas où tu l'aurais oublié, elle m'a chassé de chez elle !

-Nino ?

Le jeune homme sursauta : Abel venait de le rejoindre dans le couloir.

-Tu parlais à Samuel, comprit son ami.

Nino acquiesça. Il savait qu'Abel le comprenait mieux que personne. Il savait qu'il pourrait toujours tout lui confier sans craindre d'en subir les conséquences. C'était pour cette raison qu'il avait tant besoin de lui.

-Ma mère m'a appelé et...je me suis énervé contre elle, avoua-t-il.

Il sentit la main de son petit ami prendre la sienne.

-A-t-elle formulé le désir de te voir rentrer ?

-Non. Elle voulait juste savoir si j'allais bien et me dire qu'elle n'avait pas prévenu la police.

-Tu n'as pas envie de la voir...

Ce n'était pas une question. Nino secoua la tête.

-Non, répéta-t-il. Ni maintenant ni jamais.

-Peut-être que plus tard tu accepteras de revenir vers elle. Laisse-toi du temps.

-Abel, je...

Il vit Abel lever une main pour l'interrompre.

-Entends-moi bien. Je ne te dis pas de revenir maintenant. Je te dis seulement d'y penser et de ne pas l'oublier.

Nino finit par acquiescer.

-Que t'a dit Samuel ? Enfin, si ce n'est pas indiscret...

-Que j'étais dur avec elle. Il ne comprend pas. Il ne me comprend pas. C'est la première fois. Jusqu'à présent, nous nous étions toujours compris, toujours bien entendus. Or, tout à l'heure, c'était comme s'il n'y avait plus rien entre nous.

Il sentit Abel le prendre dans ses bras.

-Je ne pense pas qu'il t'en voudra longtemps. Les amis ne sont jamais rancuniers.

-Si, il m'en veut. Il ne me pardonnera jamais ce que j'ai dit à ma mère. Et je n'aurais jamais dû lui parler ainsi. Je suis mauvais. Je deviens pire que les élèves qui me font du tort. D'ailleurs, ils ont raison de m'en faire. Je suis mauvais. Je ne mérite pas ton amour, ni même ton amitié. Je ne mérite que la haine. Je ne suis rien, rien...

Les bras d'Abel le serrèrent plus fort.

-Ne dis pas ça, Nino, je t'en supplie. T'entendre prononcer ces mots me brise le cœur. Je ne supporte pas de te voir souffrir ainsi.

-C'est la vérité, sanglota Nino. C'est la vérité. Je fais souffrir tous ceux que j'aime. C'est comme si tous ceux qui m'approchaient subissaient quelque chose de mauvais. J'étais ami avec Samuel et il est mort. J'ai fait souffrir ma mère.

-Et moi alors ? Je suis là, avec toi, et tu ne me fais pas souffrir.

-Tu es une exception...

Nino sentit les doigts d'Abel venir délicatement sécher ses larmes.

-Souris, s'il-te-plaît. Je déteste te voir si mal.

Il se força à sourire, mais le cœur n'y était pas. Les lèvres d'Abel se posèrent furtivement sur les siennes.

-Mieux que ça, Nino, ordonna-t-il.

Cette fois-ci, Nino n'y tint plus : son visage se fendit d'un sourire lumineux.

-C'est ça que j'aime chez toi, Abel : tu sais toujours trouver les mots qui me ramènent à la vie.