X - Xérès (partie 1/2)
Le xérès est l'ancien nom du sherry, un alcool fort apprécié de nos amis anglais.
Ce qui va suivre n'a absolument aucune cohérence historique, mais je pense que ce n'est pas vraiment l'intérêt principal de l'histoire ;)
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Le pavillon noir claquait furieusement, énervé par le vent, qui cherchait visiblement à l'arracher au mat.
Sur le pont avant, deux silhouette se tenaient droites, immobiles, silencieuses. Un homme grand et fin, vêtu d'un long manteau noir, un large tricorne posé sur ses cheveux bouclés. Son voisin était bien plus petit, et la veste beige qu'il portait (que son compagnon jugeait affreuse) aurait pu le faire paraître inoffensif, si trois mousquets n'étaient pas glissés dans sa ceinture.
Ils se taisaient, à cet instant, comme tout l'équipage. Le fier Deux cent vingt-et-un, un magnifique trois mats amélioré par la capitaine lui-même, venait d'arriver sur les lieux du sinistre. Juste à temps pour voir le vaisseau amiral de la flotte d'Angleterre sombrer définitivement, en crachotant quelques débris de bois au milieu des cadavres.
-Que s'est-il passé ? souffla le petit homme blond.
-Tu ne vois pas, John ? Répondit le capitaine en lui désignant les planches noircis qui flottaient tristement. Il y a eut un incendie.
Tout l'équipage frissonna à ces mots, car les incendies se trouvaient en bonne place dans les cauchemars de marins, tout pirate soient-ils (juste après les lapins).
-Quelque chose a explosé, continua Sherlock en rajustant son tricorne. Regarde, les planches ont été arrachées par une force violente, là où elles sont le plus noircis.
-Un accident ?
Le capitaine fit non de la tête.
-Un sabotage, soit par un individu extérieur, soit à cause d'une mutinerie. Tu n'as pas remarqué que les cadavres de marins qui flottent encore portent pour la plupart des blessures dues à des armes ?
John leva les yeux au ciel.
-Peut-être étais-je trop occupé à me sentir désolé devant un tel carnage ?
-Un sentiment bien inutile, et...
Un bruit incongru l'interrompit. Une toux rauque, difficile, au bord du vomissement. Sherlock se pencha par-dessus bord, imité par son compagnon.
-Il reste un survivant ! s'exclama John en montrant du doigt l'homme qui s'accrochait désespérément à un débris en train de couler. Vite, lancez-lui une corde !
Sherlock ouvrit la bouche pour dire quelque chose... Et s'aperçut que John était déjà au milieu du pont, en train d'aider les hommes qui remontaient le presque noyé. Vexé de ne plus être au centre de l'attention de son blond partenaire, il marcha vers lui à grand pas, une moue boudeuse sur la face.
-Il vivra, dit John en aidant le survivant à cracher ce qu'il restait d'eau au fond de sa gorge. Mais il est épuisé. C'est un miracle qu'il ait tenu jusqu'à ce que nous arrivions.
-Nous sommes des pirates, grommela Sherlock. Pas des infirmiers. Cet individu n'avait qu'à...
À cet instant, il se pencha par-dessus l'épaule de John, qui allongeait l'homme évanouit sur le dos.
-Lestrade ! s'exclamèrent-ils en même temps.
John arbora un air soucieux. Lestrade était un corsaire des plus tenaces, qui s'était mis en tête d'arrêter personnellement Sherlock Holmes, le pirate qui faisait trembler ce côté-ci du globe. Sherlock avait beau le déprécier à loisir, comme le reste des corsaires, il lui fallait avouer que c'était le plus intelligent – enfin, le moins bête – de tous ses adversaires, et, surtout, le moins cruel. Il n'avait jamais torturé personne pour avoir des informations, et s'opposait même ouvertement à la pendaison des équipages pirates entier, en prêchant la prison seulement pour ceux qui n'avaient pas tué.
Les hommes et les femmes, autour des deux hommes, commencèrent à montrer des signes d'inquiétudes.
-Faut le rejeter à la mer, lança quelqu'un.
-Anderson, répliqua Sherlock, taisez-vous, vous faites baisser le niveau d'intelligence de tout le bateau. Nous ne le tuerons pas, mais nous ne pouvons pas le relâcher non plus.
-Alors quoi ? Demanda plaintivement une femme aux cheveux frisés.
-Nous l'amenons au roi, répondit John.
~
Gregory Lestrade reprit conscience dans une position des plus inconfortables. Il avait froid. Il avait le corps raide et douloureux. Les poignets immobilisés par une corde rêche. Et quelque chose qui appuyait à répétition contre son ventre.
Au fur et à mesure qu'il s'éveillait, il se rendit compte qu'il avait la tête en bas. En fait, il se trouvait jeté en travers d'une épaule, comme un vulgaire sac de patate.
Difficilement, il ouvrit les yeux. Le monde, d'abord, se résuma à un ensemble flou de formes et de lumières. Puis sa vue se stabilisa. Il se tordit le cou pour regarder autour de lui.
Il se trouvait dans une pièce extrêmement large... Non, une grotte, dont les murs étaient recouverts de somptueuses tapisseries. Des hommes et des femmes à la mine patibulaire riaient et discutaient, assis à des tables, des chopes à la main. La plupart tournaient la tête en le voyant passer, et adoptaient fugitivement un air grave. Soudain, une silhouette connue entra dans son champ de vision.
Sherlock Holmes.
Il avait été sauvé par les pirates qu'il poursuivait depuis des mois. Formidable.
Son « porteur » s'arrêta un instant pour parler avec quelqu'un, laissant Greg analyser rapidement sa situation. À sa connaissance, Sherlock et son équipage ne commettaient jamais de meurtre. Ils se contentaient de voler des objets imprenables, avec à chaque fois des plans plus extraordinaires, pour les abandonner ensuite à des œuvres charitables, ou humilier publiquement les truands que la loi n'atteignait pas. Il avait peut-être une chance de survie...
À cet instant, il entendit le bruit d'une porte qu'on ouvre lourdement, et son porteur se remit en marche, accentuant son inconfort. Il aurait certainement une belle série de bleues sur le ventre. Quoique ce sera certainement le moindre de mes soucis si je me fais trancher la gorge...
Soudain, sans prévenir, son porteur le lâcha. Le pauvre Greg s'écrasa sur le sol, ses mains liées dans son dos l'empêchant de freiner sa chute.
-Aïeuh, commenta-t-il en disant mentalement adieu à sa dignité.
La porte claqua de nouveau.
Il n'y avait plus d'autre bruit que sa respiration.
La chair sciée par l'emprise des cordes sur ses poignets, le corsaire s'assit difficilement pour observer les alentours.
Il se trouvait dans une pièce au décor luxueux, quoique sobre, éclairée par une dizaine de chandeliers.
Et contrairement à ce qu'il avait cru, il n'y était pas seul.
Au fond de la pièce se trouvait un bureau massif en bois sculpté. Derrière ce bureau, dans un fauteuil majestueux qui ressemblait fort à un trône, un homme était assit, et le dévisageait froidement.
Le sang se glaça dans les veines du corsaire. C'était forcément le Roi. Le Roi des pirates. Un individu mystérieux, qui avait fait son apparition en même temps que Sherlock Holmes. En quelques années seulement, il avait soumis à son emprise tous les équipages pirates des côtes de Grande-Bretagne, de France et d'Espagne. Ceux qui avaient refusé sont commandements avaient tous mystérieusement disparus, ou avaient été retrouvé pieds et poings liés sur la place publique.
Personne n'avait jamais pu en donner un signalement, ou même un nom. Parce que tous ceux qui avaient vu son visage étaient morts.
Le Roi se leva lentement. Il était vêtu avec goût, d'un simple veston sombre sur une chemise blanche. Il n'avait ni cape ni couronne, ni même d'armes apparentes, pourtant, il se dégageait de sa personne une aura de pouvoir fascinante.
L'homme prit une bouteille sur un petit meuble, et versa quelques gouttes du liquide rubis qu'elle recelait dans un verre de cristal.
-Un doigt de xérès ? Demanda-t-il distraitement.
-Non, merci, répondit sèchement Lestrade qui, avec les mains liées, auraient bien été en peine de boire quoi que ce soit. C'est contraire à mon éthique, ajouta-t-il pour sauver l'honneur.
Le Roi leva un sourcil amusé.
-Vote éthique vous interdit de boire du xérès ?
-Mon éthique m'interdit de boire avec des brigands.
-Il est étonnant que vous ne soyez pas mort de déshydratation, railla Mycroft en trempant ses lèvres dans son verre.
Sans lâcher son xérès, il s'appuya contre son bureau, en face du prisonnier.
-Gregory Lestrade, lâcha-t-il. En mission spéciale pour Sa Majesté. Vous voilà bien loin de chez vous.
-Cessez ces simagrées ! Rétorqua le corsaire. Que me voulez-vous ?
-Des informations, bien sûr.
-Quoi que vous vouliez savoir, je ne dirais rien.
Le Roi reposa son verre sur la table et s'approcha de son prisonnier à genoux.
-Je sais être extrêmement persuasif, le corrigea-t-il. Le mois dernier, vous avez accueilli sur votre navire un passager du nom de Moriaty.
-Un drôle de type, acquiesça Lestrade, qui ne voyait pas vraiment l'intérêt de nier ce que l'autre savait déjà. Il disait qu'il était professeur de mathématiques, mais je ne l'ai jamais cru. Aucun professeur n'a besoin d'un garde du corps comme le sien.
-Moriarty est la raison pour laquelle Sherlock vous suivait, reprit tranquillement le pirate.
Sherlock ? Il l'appelle par son prénom ?
-Il s'est mis en tête de mettre fin aux actions de ce personnage au sein du gouvernement anglais.
-Hein ?
-Dieu, que vous êtes long à la détente ! Soupira le Roi. Moriarty a développé un réseau du crime à la puissance jusqu'ici inégalée, qui a infiltré chaque section du gouvernement.
Si je m'étais lancé dans la politique, songea-t-il in petto, ça ne serait jamais arrivé... Mais évidemment, il a fallu que Sherlock décide d'être pirate.
-Bref, finit le Roi. Je veux connaître ses plans. Dites-moi tout ce qui s'est passé à bord de votre vaisseau avant l'accident.
-Je ne vous crois pas, répondit Lestrade. La police aurait fini par le démasquer.
-Que vous êtes naïf ! La police de notre époque est corrompu jusqu'à la moelle. Le seul moyen d'aider l'Angleterre, aujourd'hui, est d'être hors-la-loi.
-Une façon de justifier vos crimes !
-Quels crimes ? Aucun équipage sous mon commandement n'a jamais tué personne sciemment. Les bateaux adverses sont pris par ruses. Les objets volés restitués aux plus démunis. Les personnalités les plus fourbes exposées aux yeux de tous. Mais ça, Gregory Lestrade, vous le savez déjà. Vous ne voulez pas l'admettre, mais vous l'avez déjà compris. C'est pour ça que vous avez fait laissé fuir Sherlock, l'année dernière, alors qu'il venait de mettre hors d'état de nuire Magnussen. Racontez-moi ce qui s'est passé sur ce bateau. J'ai besoin de connaître les plans de Moriarty.
Pour protéger Sherlock.
-Je... commença Gregory avant de s'interrompre.
La porte du bureau venait de s'ouvrir de façon fracassante, laissant la place à un Sherlock visiblement alarmé.
-Mycroft ! s'exclama-t-il.
-Sherlock, le réprimanda l'autre, agacé, je t'ai déjà dit de ne pas utiliser mon nom...
-Moriarty a trouvé notre repaire ! Deux bateaux foncent sur l'île !
-Et les trois quarts des hommes sont partis... Une distraction. J'aurais dû m'en douter !
-C'est pour cela que Moriarty a coulé le vaisseau amiral, reprit son cadet. Il a laissé Lestrade en vie, sachant que nous allions l'amener au repaire pour l'interroger...
-Et il vous a suivis, finit Mycroft.
À cet instant, un bruit d'explosion retentit dans la grotte, amplifié par l'échos.
-SHERLOCK ! Appela une voix lointaine.
-JOHN ! Répondit le pirate en faisant volte face pour se précipiter au secours de son compagnon.
Mycroft eut l'impulsion de le suivre, mais se rendit compte qu'il était totalement désarmé. En fait, il ne savait même pas se battre...
Paniqué, il regarda autour de lui, à la recherche d'une idée. La clameur venant de la pièce principale trahissait une bataille enragé. Les ennemis n'allaient pas tarder à débarquer...
-Délivrez-moi ! s'exclama Lestrade.
Mycroft lui jeta un regard soupçonneux.
-Vous n'avez pas le choix ! Et puis, les ennemis de vos ennemis sont vos amis...
-Je n'ai pas « d'amis », répliqua Mycroft par réflexe en se penchant pour délivrer le corsaire.
Aussitôt qu'il fut sur pieds, Lestrade se rua sur le mur, où était accroché un lourd sabre d'abordage. Il s'en saisit au moment où le premier ennemi entrait dans la pièce.
Avec une dextérité qui coupa le souffle à Mycroft, Gregory se jeta à corps perdu dans le combat, parant et attaquant avec une grâce et une souplesse indéniable.
Son premier adversaire s'effondra au sol.
Une seconde, peut-être deux, le corsaire se tint droit sur ses jambes, un sabre dans la main, son long manteau taché de sang, ses lèvres légèrement entrouvertes sous le coup de l'essoufflement, et la lumière de la grande salle se réfléchissant doucement sur ses cheveux d'argent, en bataille.
Mycroft déglutit.
-Finissez votre xérès, envoya le corsaire au pirate en se retournant pour contrer l'attaque d'un nouvel arrivant. Je m'occupe du ménage.
Et Mycroft Holmes, dont l'ombre était redoutée sur toute cette partie du globe, au nom à peine chuchoté dans les équipages pirates lors des veillées les plus sombres, Mycroft Holmes rougie comme un adolescent.
Il est beau, songea-t-il. La réflexion le surprit si fort qu'il faillit en renverser son xérès. Depuis quand jugeait-il de la beauté des gens ? C'était totalement insignifiant.
Oui, mais il est beau... songea-t-il à nouveau en retournant son attention sur le corsaire qui virevoltait à droite et à gauche, laissant dans son sillage une traînée de blessés et de morts.
Le dernier retomba avec un bruit mat. Essoufflé, Lestrade s'appuya contre le mur, sa main encore serrée contre son sabre.
-Blessé ? s'inquiéta Mycroft en s'approchant.
L'autre lui envoya un sourire éblouissant. Il était fier comme un gamin d'avoir réussit à provoquer une expression d'admiration sur le visage de cet homme si incroyable.
-Non, répondit-il.
-Alors allons aider Sherlock, embraya aussitôt Mycroft en sortant de la pièce.
-Eh ! Attendez-moi !
La grande salle était le théâtre d'un véritable carnage. Des corps étaient affalés un peu partout, blessés par une lame ou un mousquet. Certains gémissaient encore. D'autres ne le feraient jamais plus.
De l'autre côté de cette salle, Sherlock leur tournait le dos. Il faisait face à trois personne.
John Watson. Jim Moriarty. Et Sebastian Moran, qui tenait sur la gorge du médecin une lame courte.
Mycroft et Lestrade vinrent lentement se placer derrière Sherlock, qui n'osait plus respirer.
-Eh bien, eh bien, lança Moriarty. Voici toute la petite famille réunie !
-Que voulez-vous ? cracha Sherlock, le regard plongé dans celui de John, qui tentait de paraître calme.
-Me débarrasser de la concurrence, bien sûr, rétorqua l'autre. Et, accessoirement, prendre le trône des pirates.
-Vous ne vous...
Sebastian accentua la pression sur sa lame, et une goutte de sang perla sur la peau de John. Sherlock pâlit et se tint coi.
-Relâchez-le, souffla-t-il. Il ne vous intéresse pas.
-Oh, on est attaché à son animal de compagnie ? Ricana Moriarty en tapotant la tête de John. Moi aussi, j'aime bien le mien, continua-t-il en pinçant la joue d'un Sebastian complètement imperturbable. Vous allez donc sagement vous rendre, et Mycroft va me livrer le code de tous ses coffres.
-Non, répliqua l'intéressé.
-Pour l'amour du ciel, Mycroft ! Hurla presque Sherlock. Fait ce qu'il dit !
-On dirait que si vous ne voulez pas perdre votre petit frère, ricana Moriarty, vous allez devoir collaborer... Sebastian, ficelle-moi ces deux tourtereaux.
Sans un mot, Sebastian rangea sa lame, et poussa John en avant, dans les bras que Sherlock venait d'ouvrir pour lui. Le capitaine des pirates serra le blond contre son cœur, la tête enfouie dans le creux de son cou.
Sebastian lui arracha John des bras, et attacha promptement ensemble les poignets et les chevilles du médecin, avant de répéter le processus pour Sherlock. Puis, pour plus de tranquillité, il les bâillonna tous les deux.
-Et le corsaire, chef ? Demanda-t-il en pointant de sa lame Lestrade, qui se tenait immobile, derrière Mycroft.
Moriarty sourit.
-Embarque-moi ces deux imbéciles en même temps. Le petit Greg peut toujours nous servir...
Mycroft vit Sebastian approcher. Il entendit Sherlock essayer de crier quelque chose, et reçut un formidable coup sur la mâchoire. Le reste sombra dans le néant.
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