D - Darling
Greg lâcha un ronronnement satisfait et roula sur le dos, emportant la couette dans son sillage. Il ferma les yeux et soupira, heureux, à la fois plein d'allégresse et si léger qu'il avait l'impression d'être sur le point de s'envoler.
Il tourna la tête vers son amant, caressant du regard chaque ligne de son visage, constant, à sa plus grande joie, qu'il arborait le même air satisfait.
-Mycroft, darling, c'était formidable...
Mycorft fronça les sourcils et s'assit.
-Darling ? Répéta-t-il, un air de désapprobation sévère inscrit sur tous ses traits.
-Euh... oui... répondit le policier, confus. Je suppose que tu n'apprécies pas ?
Mycroft lâcha un soupir d'exaspération et pinça l'arête de son nez entre ses deux doigts. Il savait que ça allait arriver, mais tout de même, c'était un peu plus tôt qu'il l'avait prévu.
Lorsque ce policier qui le déshabillait du regard depuis des années lui avait proposé en bégayant de sortir avec lui, son premier instinct avait été de refuser. Puis la curiosité avait pris le pas, ainsi que l'envie de rapport charnel régulier. Il avait pris garde à ne jamais faire un geste qui puisse être interprété comme de l'affection ou du sentiment, mais il se doutait bien que l'inspecteur était un peu trop limité pour comprendre que les attachements sentimentaux n'étaient pas un avantage, mais une faiblesse à éradiquer.
Il se leva, se saisit de ses vêtements, soigneusement plié et posés sur une chaise, et se rhabilla tranquillement, sans prendre garde au poids du regard qu'il sentait peser sur sa nuque.
Enfin, il ajusta son col, passa un dernier coup de peigne dans ses cheveux parfaits et, du bout de son parapluie, souleva le tas de vêtements – de très mauvais goût – qui traînait sur le tapis.
-Rentre chez toi, Gregory, dit-il, le regard rivé sur son téléphone, déjà passé à autre chose. Tu t'es trompé de personnes.
Et il quitta la pièce.
Greg regarda la pénombre du couloir avaler la silhouette de Mycroft. Lui qui se sentait si léger, un instant plutôt, était maintenant incroyablement pesant. Son cœur surtout pesait lourd, si lourd, comme s'il était emplit d'un kilo de plomb chaud qui lui brûlait lentement la peau. La douleur irradiait de l'intérieur de sa poitrine à tout son corps. Une douleur sourde, diffuse, lancinante.
Il sortit du lit sans frémir lorsque l'air froid mordit sa peau nue et se rhabilla machinalement, comme un automate.
Un instant plus tard, il était dehors. Il marchait. Il voulait se retourner, dans l'espoir de capturer sa silhouette, une dernière réminiscence, quelque chose de lui, mais il n'en avait pas le courage.
Il laissa ses jambes le ramener chez lui, en traînant dans son sillage un cœur brisé. Encore une fois.
~
Mycroft le regarda s'éloigner, et constata, un peu surpris, qu'il était contrarié. Certainement parce que la stupidité des sentiments le privait de rapports érotiques des plus agréables. Pourquoi les gens ressentaient-ils toujours le besoin de s'attacher ? C'était pénible, à la longue.
Et il retourna sur son portable.
~
Deux jours plus tard, il était encore contrarié. C'était vendredi. Il avait plus ou moins pris l'habitude – autant qu'on puisse appeler une habitude quelque chose qui ne s'était produite que trois fois – d'envoyer son chauffeur chercher l'inspecteur à la sortit du commissariat, ce jour-là. Devoir annuler le mettait de mauvaise humeur.
Il envisagea un instant de se trouver quelqu'un d'autre avec qui passer la nuit, mais il renonça, lassé à l'idée de devoir tout lui apprendre depuis le début. Au moins, Gregory avait vite comprit comment le satisfaire. Sur ce point-là, il n'y avait rien à redire.
Devant les sollicitations d'Anthea, il se replongea dans le travail.
~
Une semaine après cette rupture, Sherlock déboula au club Diogène à propos d'une enquête en cours, que Mycroft aurait soi-disant perturbé. Son petit frère était exaspérant. En fait, en ce moment, le monde entier était exaspérant.
Lorsqu'il réussit enfin à se débarrasser de lui, il se leva machinalement de son bureau pour le regarder sortir par la fenêtre. Il ressentit comme un coup dans la poitrine.
Gregory était là, devant le bâtiment, en train de plaisanter avec John en attendant le détective.
Au moins, songea-t-il avec une amertume qui le surpris, la cessation de notre relation ne l'a pas trop attristé. Puis il se reprit. Qu'est-ce qui lui prenait ? Il s'en fichait comme d'une guigne, des états d'esprit de l'inspecteur Lestrade. Totalement.
~
Une semaine après ça, il rentra chez lui et, dans un geste d'irritation qui ne lui ressemblait pas du tout, claqua la porte de sa chambre. Il posa son regard sur le lit, et grimaça. Il n'avait pas envie de rentrer dedans pour dormir seul, entre ses draps trop larges. Mais il ne voulait pas non plus se procurer de la compagnie.
C'était ridicule. Ce lit ne lui avait jamais semblé trop grand, auparavant.
En désespoir de cause, il prit ses draps et dormit sur le canapé. Il n'avait pas de chambre d'ami, bien entendu. Il n'avait pas d'ami. Il n'avait personne.
C'était la première fois depuis longtemps, très longtemps, que Mycroft osait s'avouer à lui-même qu'il se sentait terriblement seul.
~
Trois semaines et deux jours maintenant depuis qu'il avait jeté Gregory hors de chez lui comme un parapluie usagé.
Il était à son bureau, mais il ne travaillait pas. Depuis quelque temps, il n'avait plus l'esprit aux problèmes de la nation, et les bêtises à répétition des politiciens l'ennuyaient. Il regardait dehors. La neige était en train de tomber.
Et, bien malgré lui, il se demandait ce que Gregory pouvait faire, en ce moment. Est-ce qu'il riait ? Et-ce qu'il voyait quelqu'un ? Est-ce qu'il serrait un autre dans ses bras, est-ce qu'il lui faisait l'amour ? Est-ce qu'il l'attendait le soir comme il l'avait attendu lui, et ce qu'il lui adressait le même regard, est-ce qu'il dînait ensemble ? Est-ce qu'il l'embrassait ? Est-ce qu'il avait trouvé un homme ou une femme qui l'appelait « darling » ?
Ces pensées lui étaient intolérables. Pourquoi ? Pourquoi ? Ce n'était qu'un inspecteur de pacotille, certes beau comme un dieu, mais rien de plus qu'un énergumène parmi tant d'autre, un être négligeable, une aventure de passage...
Mais c'était quoi, ce trou dans son cœur, cette blessure qui lui faisait mal, à lui, lui qui prenait si soin de dresser une armure entre son âme et le monde ?
Et pourquoi, soudainement, il avait envie qu'on l'enlace ? Pas pour coucher avec lui, mais par simple tendresse.
Quelque chose bloquait sa gorge.
Il avait ouvert la porte qu'il s'était toujours juré de laisser fermer, cette dont seule sa famille, jusque la, avait la clef. Il se souciait de Gregory. Oh, oui. Il se demandait ce qu'il avait pu ressentir, lorsqu'il l'avait jeté dehors, cette nuit-là. Est-ce qu'il l'avait haï ? Est-ce qu'il le haïssait encore ?
Mycroft se leva, attrapa son parapluie, et sortit de la pièce d'un pas décidé.
Il n'était utile à personne, dans cet état-là, et ne pouvait pas faire son travail correctement. Il fallait donc qu'il règle cette histoire.
Oui, voilà, se dit-il. C'est pour retrouver mon efficacité.
Et il prit le chemin de la maison de l'inspecteur. On était dimanche. Il était forcément chez lui. Il devait être chez lui.
~
Greg sortit de la douche à regret, laissant derrière lui le nuage de vapeur qui avait envahi la salle de bain. Soudain, il entendit quelqu'un frapper à la porte.
Merde ! Depuis combien de temps la personne attendait-elle ?
Il attrapa un peignoir à la vas-vite et l'enfila en dévalant les marches de l'escalier.
-Désolé ! Lança-t-il en ouvrant la porte, j'étais sous la dou...
Sa phrase mourut dans sa gorge.
C'était lui. Devant sa porte.
Il devait barricader son cœur. Vite. Il ne pouvait pas se faire avoir une deuxième fois.
-Mycroft, dit-il d'une voix horriblement détachée. J'ai oublié quelque chose chez toi ? Remarque, ça m'étonnerait. Je n'y suis pas resté bien longtemps.
Il crut voir une ombre passer sur le visage de son ancien amant, mais se persuada aussitôt qu'il avait rêvé. Rien ne pouvait blesser l'homme de glace.
Un courant d'air le fit frissonner. Mycroft, qui n'avait pas l'habitude de poireauter sur les trottoirs, entra d'autorité et ferma la porte dans son dos en essayant de ne pas déglutir. Il avait frappé tant de fois qu'il avait cru qu'il n'y avait personne, et soudain, voilà que Gregory lui ouvrait en peignoir ! En peignoir ! Le fourbe ! Tant de peau exposée, et encore mouillée par la douche, lui faisait légèrement perdre ses moyens.
-Mycroft, dit doucement l'inspecteur. Qu'est-ce que tu viens faire ici ?
-Je manque d'efficacité dans mon travail.
Greg lui jet un regard perdu.
-Hein ? Quel rapport avec moi ?
-Il se trouve qu'il y a un rapport...
Il inspira un grand coup avant de continuer :
-Darling.
Il ne pouvait pas faire mieux. Il ne savait pas s'excuser, dire de belles choses, et tout ce que les personnes normales font habituellement. Il ferma les yeux malgré lui, adressant une prière à un ciel qu'il savait vide pour que Gregory le comprenne.
Le policier hésita, le cœur renversé par l'intensité de ses sentiments. Tout son être lui criait de se jeter sur le politicien et de l'embrasser. Mais pouvait-il pardonner aussi facilement d'avoir été jeté comme une vieille chaussette, sans un mot, sans rien ?
-Mycroft Holmes, si tu penses que tu peux me briser le cœur, me laisser sans nouvelle et te repointer trois semaines plus tard en espérant que je te pardonne...
Mycroft se crispa, comme un boxeur s'apprêtant à recevoir un coup.
-Et merde, souffla Greg.
Il attrapa son visage entre ses mains et l'embrassa passionnément.
Mycroft referma ses mains autour de l'inspecteur. Il était perdu. Il était tombé dans le piège des sentiments.
Il sourit. Il venait de se rendre compte qu'il s'en fichait complètement.
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