Depuis le cours d’art où je m’étais pris la tête avec Irwin j’avais décidé de dessiner dehors, dans la cour se trouvaient souvent des couples ou des gens assoupis contre les arbres. Je m’assois sur un banc et dessine le portrait d’une fille endormie sur les genoux de son copain. A quand remontait ma dernière relation ? Avec les cours à l’école je n’avais pas eût le temps de m’occuper d’un petit ami mais aujourd’hui j’étais libre de reprendre une vie normale. Mais en avais-je vraiment envie ? Quand on est quelqu’un avec aussi peu de confiance en soi que moi, les histoires d’amour sont souvent vouées à l’échec. ‘En tout cas ce n’est pas ici que je vais me trouver un copain’ me dis-je. Je fais le tour du bâtiment, à la recherche de gens à dessiner et me pose sur un autre banc. Celui-ci est situé sous ma classe d’art, tant mieux, au moins la prof aura la certitude que je travaille. Je dessine deux jeunes gens en train de s’embrasser, puis je pose mon bloc, les mains légèrement rougies par le froid du matin. Je les frotte l’une contre l’autre et les passe sous mes aisselles pour pouvoir recommencer à dessiner. Alors que je regarde le ciel bleu sans nuages j’entends une fenêtre s’ouvrir au-dessus de moi et quelque chose me tombe sur la tête. Quelque chose de léger qui rebondit avant d’atterrir à mes pieds. Une boule de papier. Ça c’est signé Hemmings, bien que je m’attendais à quelque chose de plus gore qu’un bout de papier. Je l’ouvre malgré tout et reste bouche-bée. Sur ce bout de papier, quelqu’un a dessiné mon portrait. Ce n’est non pas une chimère repoussante mais mon visage palot, rehaussée par la couleur de mes cheveux. Le tout au crayon de couleur. Le trait est maladroit mais j’apprécie ce geste. De qui ça peut venir ? Je lève la tête mais ne vois personne. Ce n’est sûrement pas la bande d’Hemmings, mais alors qui est-ce ?

*

Depuis mon arrivée à Sydney j’avais passé tout mes week-ends dans le parc du Campus avec Aurore et les autres, force était de constater qu’à l’inverse des italiens et des allemands, nous autre les français n’avions toujours pas réussi à nous intégrer. Je suis allongée dans l’herbe avec Aurore, profitant d’un beau soleil pour bronzer un peu.

« - Il doit bien y avoir des plages – Soupire-t-elle-

-Sûrement, on devrait se renseigner ou chercher sur internet.

- Non parce que le parc c’est cool, mais ça va bientôt faire un mois qu’on y va tous les week-ends.

- Même si on va à la plage on en aura vite fais le tour aussi tu sais ?

-Oh Alouette je t’en prie, tu ne peux pas être optimiste au moins une fois ? – Elle me regarde et glousse- toi tu vas chopper des coups de soleil !

-Bah non j’ai mis un peu de crème – Je me redresse pour observer mes cuisses, toujours aussi pâles- j’aurai peut-être pas dû en mettre d’ailleurs, je suis toujours aussi noire de peau. – Elle rit et je me rallonge-

- Au fait ça va mieux avec les garçons ?

- Comment ça ? – Je demande-

- Bah ça fait un moment que je n’ai pas vu Hemmings et sa bande s’en prendre à toi.

- Ah eux – Je pourrais lui dire qu’ils m’ont emmerdé pas plus tard que cette semaine mais je préfère hocher la tête en mentir- en effet ils m’ont laissé tranquille. Du moins j’espère que ça va durer.

- Je l’espère pour toi – Un long silence prend place- dis Alouette… - Sa voix se fait hésitante, me forçant à me retourner pour voir ce qu’elle a-

- Quoi ?

- Tu crois que… Mh… Non plutôt, qu’est-ce que tu penses de Calum ?- Je tombe des nues et je sais que ça se lit sur mon visage car elle se met à rigoler-

- Calum… Hood ? Le pote d’Hemmings ?

- Oui oui…

- Bah c’est un connard comme les trois autres ! – Dis-je en croisant les bras sur ma poitrine-

- Et si on enlève cette histoire d’Hemmings ?

- Où tu veux en venir ?

- Tu ne trouves pas qu’il est différent quand il est seul ?

- Si si – Je réfléchis aux cours de sport et d’art où Calum n’est pas avec ses potes- oui c’est vrai qu’il est sympa, il a un bon fond. Mais ça reste le pote d’Hemmings donc ça fait de lui un abruti de suceur de…

- Tiens Peacock ! – Je sursaute et me redresse pour voir Michael et Irwin, tous les deux en débardeur, bermudas et … Oh non j’aime pas ça… en tongs- et sa complice.

- Elle s’appelle Aurore –Dis-je en serrant les dents-

-Tu essayes d’avoir l’air moins malade Camden ? – Souris Irwin à mon attention- Non parce qu’avec ta pâleur cadavérique.

- Ma quoi ? – Je n’ai pas compris ce qu’il a dit-

- Oh c’est vrai que tu ne piges pas grand-chose à l’anglais. Je disais juste que tu ressembles à un zombie.

- C’est cool les zombies – S’enquit Michael-

- Bon et sinon vous n’alliez pas quelque part avant de venir nous voir ? – Demande Aurore-

- Vous devriez être au boulot –dis-je avant de me mettre sur le ventre, dos à eux-

- Nous avons eût un jour de congé alors on va au lac – souris Michael-

- Oh c’est où !? – Demande Aurore avec envie-

- Il y a un bus qui nous y amène, vous voulez-venir ? – Demande Michael-

- Carrément ! – Se réjouis Aurore- on y va Alouette ?

- Vas-y sans moi –dis-je en français, la tête dans mes bras-

- Quoi ? Oh allez ça sera toujours mieux que de rester allongées là !

- Pas avec eux… - J’enfouis un peu plus ma tête dans mes bras lorsque je reçois une tape sur les fesses, la surprise –plus que la douleur- me fait me retourner rapidement pour voir Irwin à côté de moi, sa tong à la main- C’est toi qui… - Dis-je en sentant la colère monter-

- Tu vas bouger ton gros cul oui ? – Me dit-il en ricanant-

- C’est hors de question ! – Dis-je énervée-

- Luke ne sera pas là – Assure Michael, je lève la tête et le regarde droit dans les yeux-

- Je m’en fiche d’Hemmings.

- Alors tu viens ! – Irwin se lève et me tire par le bras avant que j’ai pu faire quoi que ce soit. C’est quoi cette force ?- Putain c’est que t’es plus lourde que tu en as l’air !

-Vous avez des maillots de bain ? – Intervient Michael avant que je ne mette un coup de boule au bouclé-

-Oh oui oui je vais aller le chercher ! – Aurore prend ses affaires et nous la suivons jusqu’à son logement où elle part chercher son maillot de bain. Pour ma part je ne bouge pas-

- Et toi Peacock, t’es naturiste ? – Me demande Michael en esquissant un large sourire-

- Ça ne doit pas être beau à voir – Soupire Irwin-

- J’ai autre chose à faire que de me mettre en maillot devant vous.

- Bonne nouvelle, comme ça tu garderas nos affaires ! – Se réjouis Irwin-"

*

      La vue est magnifique, le lac est d’une transparence étonnante et s’étend sur des kilomètres. A peine Aurore a-t-elle posée sa serviette qu’elle retire ses fringues et cours se jeter dans l’eau. Je dispose ma serviette à côté de la sienne et rapproche ses affaires de mon sac. A côté les garçons font de même et retirent leurs fringues. Existe-t-il quelque chose de plus difficile à ignorer pour une fille qu’un garçon qui se déshabille ? Alors que mon visage est tourné vers Aurore, je les regarde en coin, derrière mes lunettes. Irwin est –il faut se l’avouer- vraiment beau, sa peau bronzée, ses muscles saillants, j’avais appris récemment qu’il faisait partie du club de handball de l’Université et rien que son corps le confirmait, des cuisses pleines. Ca c’est le mythe du bel Australien et je le déteste encore plus pour ça. A côté Michael semble aussi pâle que moi, bien que lui aussi ait une carrure solide et des abdos bien dessinés. Les poils blonds sur son torse jurent un peu avec ses cheveux verts. Heureusement pour lui que ses poils ne sont pas de la même couleur que sa tignasse. En imaginant cela je glousse discrètement et baisse la tête sur ma serviette.

« - T’es schizophrène Camden ? – Soupire Irwin-

- Peut-être bien –Dis-je-

- Ca expliquerait beaucoup de choses. Bon du coup on peut te faire confiance pour garder nos sacs ?

- Tu crois que je ne sais pas surveiller des affaires crétin ?

- Je suis sûr que tu es le genre de nouille à s’endormir sur sa serviette pendant qu’un pickpocket se remplis les poches. »

        Pour seule réponse je lève mon majeur dans sa direction et j’approche leurs sacs de ma serviette. Tous les deux partent en courant et se jettent dans l’eau où les attendait Aurore. Je les regarde s’amuser tandis que moi je suis seule sur ma serviette, je m’étale un peu de crème, m’allonge et me redresse sur mes coudes pour les observer de temps à autre. En France j’avais l’habitude d’aller à la plage avec Mélina, on amenait nos affaires pour pique-niquer et on mettait nos pieds dans l’eau. Jamais on ne se baignait entièrement, car elle avait peur de l’eau et moi j’étais complexée. Alors que je suis perdue dans mes pensées un homme d’une trentaine d’année vient se poser sur la serviette d’Aurore. Il se prend pour qui ?

« - Tu n’es pas d’ici j’ai raison ? –Me demande-t-til avec un fort accent australien-

- Non en effet.

- Tu viens d’où ?

- De France.

-Je l’aurai parié, tu es l’incarnation de la beauté française – Tiens ce pervers devrait donner des leçons à la bande d’Hemmings- comment tu t’appelles ma jolie ?

- Euh je ne pense pas qu’on se connaisse assez, vous et moi, pour que vous m’appeliez ‘ma jolie’

-Oh je ne voulais pas te froisser. C’est juste que tu es vraiment très belle. – Il sourit, laissant apparaitre ses dents blanches- j’organise une soirée ce soir, si ça te dit de venir – Il me tend un flyer vers lequel j’avance ma main avant qu’il ne soit intercepté et broyé par… Irwin ?-

- T’es sur ma serviette mec ! – Grogne-t-il-

- C’est celle d’Au –Il m’écrase le bout du pied, me faisant réprimer un gémissement de douleur-

- Oh très bien alors je vais me mettre sur l’autre serviette – Dit-il tout sourire en se levant, passant une main dans mon dos, je trésaille de dégout-

- Et puis quoi encore ! T’as cru que c’était la fête ? »

        Il s’assoit sur la serviette d’Aurore et enroule un bras musclé et humide autour de mes épaules. Qu’est-ce qu’il lui arrive à lui ? Je le regarde en biais pour voir son visage durcit par la colère. Woh j’espère que jamais il ne me regardera de la sorte. ‘ Elle est avec moi c’est clair ? Va embobiner une autre meuf’. Après quelques insultes échangées l’homme s’en va et Irwin se retire de contre moi, le regard mauvais.

« - T’es vraiment conne toi !

- Pardon ? J’ai rien fait !

- Le mec il sort de nulle part, il t’invite à un truc foireux et toi tu dis oui !

- J’ai jamais dit oui Irwin ! –Je me rallonge sur la serviette à plat ventre afin de ne plus voir sa tête et remonte un peu mon haut pour bronzer- c’est bon retourne te baigner !

- Et comment ! »

        Avant qu’il ne parte ce dernier se place au-dessus de moi et essort le bas de son maillot de bain au-dessus de mon dos. Je me redresse brusquement en sentant les épaisses goutes gelées tomber sur ma peau sèche. Je vais le tuer, je le course sur le rebord du lac avant de me prendre le torse de Michael de plein fouet. Celui-ci attrape mes poignets, maintient mes jambes avant de me lancer habillée dans l’eau, un sourire vainqueur aux lèvres tandis qu’Irwin rigole et plonge à son tour. Je les hais.

*

De tout le voyage retour je ne leur ai pas adressé la parole. Non pas que sans ça j’en aurai eût l’envie de toute façon. Mes affaires sont encore trempées et je suis obligée de garder la serviette d’Aurore autour de moi pour ne pas mouiller les sièges. Vraiment quelle connerie d’avoir accepté.

« - Oh allez Alouette c’était pour rire – Me réconforte Aurore alors que je ne détache pas mon regard de la route-

- Je l’aurais volontiers cru s’ils ne s’acharnaient pas à m’emmerder depuis un mois.

- Ashton était inquiet tu sais, apparemment il y a souvent des mecs chelou qui trainent autour du lac.

- Bah tiens, je pense plutôt qu’il regrette de ne pas avoir laissé le pervers m’emporter ! »

Je remonte la serviette jusqu’à mon visage et m’y réfugie. Je ne veux parler à personne, j’en ai marre de me faire humilier à chaque fois que je suis avec eux. Tout ça parce qu’un mois auparavant j’avais refusé de laisser mon siège à Irwin.

 *

Une fois arrivés sur le campus je rends sa serviette à Aurore et me précipite jusqu’à mon logement sans rien dire à personne. ‘ Eh et au revoir c’est pour les cons Peacock ?’ me lance Michael au loin. Non justement c’est pas pour les cons sinon je vous aurais dit au revoir. Je m’enferme chez moi et me change tout de suite. S’ils n’étaient pas aussi stupides j’aurais pu apprécier la blague, mais là, c’était juste un moyen de me faire payer mon attitude envers eux. Alors que je range mon sac quelqu’un frappe à ma porte. Ce doit être Michael, je n’ouvre pas. ‘Alouette c’est Aurore. Je voulais juste te dire que les garçons s’excusent… Voilà bonne soirée poulette.’ Et elle s’en va. Et bah, c’est bien la première fois qu’ils s’excusent.