Chào các bạn! Vì nhiều lý do từ nay Truyen2U chính thức đổi tên là Truyen247.Pro. Mong các bạn tiếp tục ủng hộ truy cập tên miền mới này nhé! Mãi yêu... ♥

Troisième partie

A Whiter Shade of Pale

Troisième partie

La maison de Yoongi n'était pas située dans le bourg même mais quelques kilomètres plus loin, sur un petit plateau surplombant les gorges de granite. La vieille chaumière était accoudée à deux autres maisonnées dont l'une était fermée dix mois sur douze dans l'année. Il y soufflait toujours un vent terrible qui faisait gronder la cheminée. Dès lors qu'une voiture s'engouffrait sur le chemin, les chiens du voisin accourraient en aboyant, mécontents et les poules se jetaient sous les roues du véhicule, en proie à la panique. Quand Jimin était arrivé, Yoongi refermait tout juste la grille qui protégeait son potager, ses longs cheveux noirs ébouriffés par le mauvais temps et un sourire coutumier aux joues que la grisaille ne savait assombrir. Il avait sa bassine de compost à la main, signe qu'il avait mis à mijoter un plat quelques temps plus tôt et qu'il n'avait pas oublié d'aller gâter les vers de terre du fond du jardin. C'est drôle comme Jimin pouvait déjà deviner parfaitement quel genre de petit vieux gentil Yoongi serait un jour, rien qu'en le regardant de loin ainsi. Du genre qui s'inquiète pour ses tuteurs d'haricots verts quand un orage éclate.

La petite maison semblait avoir été méticuleusement ordonnée et réfléchie dans un petit cosmos propre et sage, au fil de longues années de solitude. Il expliqua fièrement comme il avait restauré tel meuble et réparé telle babiole en détails et Jimin écouta sagement, peinant à en éprouver un intérêt sincère. L'infirmier laissa planer son regard sur les lieux. Il s'imaginait sans peine les soirées qu'il passait ici, à oublier le silence dans ses vieux disques et les commentaires qu'il devait se faire tout haut en cuisinant un plat paysan qui mijotait longuement.

Habituellement, le dimanche, Yoongi mangeait toujours chez son oncle et sa tante. Souvent, il s'occupait de la vaisselle et, par la fenêtre de la cuisine, il observait la façade de chez Jimin, encastrée entre deux autres masures, de l'autre côté de la petite place. Jusqu'au jour où lui avait pris l'idée de lui offrir un repas chaud.



- Vous savez ce qui est drôle dans tout ça ? Questionna Jimin en expirant une bouffée de fumée qui allait sans doute imprégner durablement le cuir des fauteuils anciens.

L'hydrobiologiste se tourna vers lui pour le regarder. Ils étaient installés autour de la table à manger du salon de Yoongi. Pour l'occasion, ce dernier avait sorti un cendrier de ses placards, comme pour autoriser Jimin à fumer dans ses murs. Il commençait à faire meilleur, il pouvait toujours ouvrir les fenêtres. Et puis, Jimin et son tabac pouvaient bien infuser dans l'héritage familial... Yoongi aurait désiré que son parfum pénètre jusqu'à sous sa propre peau. Les traits fins de Jimin étaient impassibles mais on pouvait deviner au ton de sa voix qu'il était enjoué, aujourd'hui. Il était vrai que les rayons du soleil qui jaillissaient parfois d'entre les nuées de nuages étaient vifs et réchauffaient cette terre glacée pendant tant de temps. Nerveusement, Yoongi porta à son tour sa cigarette à ses lèvres en se faisant la réflexion que c'était la première fois qu'il fumait chez lui. Habituellement, il fumait la journée, avec ses collègues du laboratoire. Jamais ainsi :

- Je crois que je n'arrive même pas à lui en vouloir.

Jimin avait reçu un message de sa belle-mère particulièrement incendier cette semaine, ce qui expliquait sans doute ce regain d'énergie. Même après quatre longues années, ça arrivait au moins une fois par an. Pour dire toujours la même chose, pour ne pas oublier :

- Ça me donne l'impression d'être moins seul.

Il y eu un silence dans laquelle Jimin sembla se perdre un peu, comme s'il récitait de nouveau dans son esprit ces mots pleins d'injustice. Ces mots crus qu'il chérissait terriblement. Parfois, Yoongi se demandait si Jimin pouvait exister sans sa douleur. C'était une question à laquelle il ne voulait pas de réponse. C'était une question qui avait des raisons de les terrifier tous les deux.

L'infirmier tira sur sa cigarette avant de l'observer, grimaçant, comme si elle avait eu un goût déplaisant tout à coup. Puis, il ajouta :

- Mais elle a quand même des arguments d'une stupidité affligeante. Elle n'a jamais été maligne, me direz-vous, mais elle est tombée bien bas. Une solde de policier, tout de même, je n'aurais jamais assassiné personne pour si peu... C'est d'un ridicule...

Jimin avait un don naturel pour l'acidité, qu'il délivrait avec un flegme particulièrement dérangeant. On pouvait presque lire dans ses yeux qu'il avait l'arithmétique facile, prêt à révéler des arguments chiffrés pour appuyer ses dires mais qu'il n'avait aucunement l'attention de se rabaisser à cet effort. Cette trivialité comptable le répugnait, de toute évidence. Dans le fond, même s'il jurerait sans doute l'inverse, Jimin possédait une âme romantique, le nez éternellement plongé dans ses romans. Il écrivait d'ailleurs lui-même très bien son supposé cynisme.

Perdu dans sa propre histoire, le veuf n'avait pas eu l'air de remarquer la détresse dans laquelle se trouvait Yoongi depuis quelques jours. L'hydrobiologiste ne lui en voulait pas, mais ça lui faisait tout de même un peu de peine. Yoongi avait pris une décision. La seule chose qui lui restait à faire était de prendre la parole. Car même si Jimin refusait de voir, le temps, lui, courrait toujours. Ils vieillissaient et leur cœur avec. Il fallait vivre :

- Jimin ? L'appela Yoongi.

Jimin sursauta presque, comme s'il avait oublié sa présence. Ou plutôt comme s'il venait de lui rappeler qu'ils devaient arrêter de faire semblant d'être un détail insignifiant de la vie de l'autre. Il se redressa un peu sur sa chaise. Quand leur regard se croisèrent, cela fit comme un éclair dans la nuit :

- Oui ?

Jimin avait joué un être froid et distant toute sa vie mais il n'avait jamais été indifférent aux autres. C'était même probablement l'extrême inverse. C'était cette idée qu'il ressentait au contraire tout trop fort, derrière son visage impassible, qui retournait l'estomac de Yoongi. Surtout quand il le fixait attentivement comme maintenant, les lèvres serrées par la concentration, sa cigarette fumant patiemment entre ses doigts. Quand Jimin le regardait ainsi, Yoongi avait l'impression d'être important. Il l'était. Il l'était comme si le monde entier était suspendu à ses lèvres mais que tout ce qui comptait vraiment était ce que seul Jimin allait entendre.

Yoongi avait longuement hésité avant d'en parler à Jimin. Il craignait que ce soit trop lui demander. Yoongi n'était pas un voleur. Et puis, il ne voulait pas leur donner de nouvelles occasions de se sentir coupables et malhonnêtes l'un envers l'autre. Ça lui aurait fait bien trop de mal. Alors continuer de faire semblant que l'un et l'autre s'utiliser froidement pour se distraire de leur ennui respectif aurait été plus facile. Mais il avait relu le mail de long en large et il avait senti l'angoisse monter en lui. Il ne voulait plus enterrer ses peurs. Finalement, il n'avait pas eu d'autre choix que de retrouver le calme olympien de Jimin lorsqu'il enchaînait méditativement ses cigarettes. Ne pouvant conserver pour lui-même plus longtemps l'information, il avait fini par avouer :

- L'unité de recherche me propose de les représenter lors d'une conférence.

Jimin était appuyé contre le dossier de sa chaise quand l'information lui monta au cerveau. La nouvelle sembla le perturber car son geste ralentit subitement, comme suspendu par le cours de ses pensées. Leur regard se croisèrent brièvement, interrogatifs :

- Qu'avez-vous répondu ? S'enquit Jimin en reportant la cigarette à sa bouche, les traits tout à coup froissés.

Jimin connaissait déjà la réponse. Mais il voulait l'entendre de sa bouche :

- J'ai accepté, annonça-t-il.

Jimin hocha lentement la tête, comme pour montrer qu'il avait entendu. Le regard de Jimin était devenu le plus important de tous. Le scientifique était préoccupé par ce qu'il allait en penser. Il étudia la nervosité qui parcourut son corps alors qu'il se redressa sur sa chaise en serrant son cardigan sur son vieux t-shirt délavé. Ses t-shirts qui semblaient ne jamais avoir été lavés depuis la mort de Namjoon et qui tombaient comme des lourds rideaux sur son corps qui n'avait à peine plus le mérite d'exister. La façon dont la nouvelle agaçait Jimin n'aurait pas dû être si précieuse pour Yoongi. Mais ça l'était :

- Alors... Vous allez reprendre du service ?

- Je crois bien que oui.

Jimin hocha de nouveau la tête. Il attrapa la cafetière de Yoongi, visiblement irrité, et le resservit sans lui laisser le choix. Il était rare de voir les émotions parcourir ainsi la plastique habituellement immuable de Jimin et bien qu'il devenait moins sauvage avec le scientifique, Yoongi était toujours émerveillé à l'idée d'être témoin d'un spectacle si secret. Il capturait de lui de rares images, comme la caméra d'un photographe patient. Yoongi aimait penser qu'il pouvait susciter à son cœur bien gardé des sensations suffisantes à briser sa raideur. Même si c'était de la colère, même s'il lui refusait que cela puisse être autre chose... Jimin se resservit lui-même et bu d'une traite avant de faire claquer la tasse sur le bois ciré. Il n'avait pas envie qu'on blesse de nouveau Yoongi. Il n'avait pas envie qu'on lui reprenne Yoongi non plus. Il prit son courage à deux mains et s'accouda face à Yoongi. Il le fixa sans détour, plein de défiance dans ses yeux noirs :

- Pourquoi vous ?

Yoongi allait répondre mais Jimin ne pouvait pas supporter l'idée qu'il essayât de leur trouver des excuses alors il asséna :

- Ils vous ont toujours méprisé.

En fait, il avait fallu un burn-out pour que l'équipe de recherche reconnaisse que l'absence du petit chercheur était un véritable handicap quand il s'agissait de communiquer hors des cercles d'initiés de la capitale. Yoongi était le meilleur de tous – et de loin - dans la vulgarisation. Certes, Yoongi n'était pas leur chercheur le plus renommé, ni le plus actif dans la recherche de financement. Certes, Yoongi ne parlait aucune langue étrangère couramment et n'avait signé que peu de papiers où son nom figurait en premier parmi les auteurs. Il était communément réputé pour préférer jouer les laborantins plutôt que de se plonger dans méandres scabreux de la recherche fondamentale. Il côtoyait davantage la page des remerciements, une place jugée bien misérable. En somme, il contribuait assez chichement au travail de l'unité de laquelle il dépendait. Il vivait à l'autre bout du pays et il n'était jamais présent lorsqu'ils organisaient des rencontres en présentiel, en ville. Il passait le plus clair de son temps à exercer ses anciennes fonctions de technicien pour son laboratoire, sur son bassin versant, et délaissait la rédaction de ses trouvailles à son équipe et autres jeunes passionnés qui avaient plus de rigueur académique que lui. C'était devenu une blague sourde entre eux, le manque d'engagement de Min Yoongi.

Et pourtant, depuis son arrêt maladie, ils s'étaient confrontés à un mur inattendu. Après avoir bafouillés et être rentrés abattus, sans avoir eu gain de cause auprès des financeurs et des politiques, ils avaient dû accepter la réalité : Yoongi était peut-être arriviste quand il s'agissait de représenter les dernières actualités de la recherche en hydrobiologie mais il excellait lorsqu'il fallait faire preuve de pédagogie. Avec sa douceur naturelle, sa patience et son altruisme, il était un excellent ambassadeur de l'écologie scientifique. Et puis, il fallait bien admettre qu'ils ne lui arrivaient pas à la cheville en identification d'espèces. Dès qu'il s'asseyait doucement sur son tabouret en tirant sur sa blouse blanche, pour plonger son regard à travers une loupe binoculaire, il les réduisait tous au silence. Alors il y a quelques semaines, quand ils avaient reçu une invitation pour une animation, ils l'avaient contacté avec empressement. Ils avaient négocié le prix de l'hôtel et des repas et Yoongi avait accepté, le cœur battant. De joie et d'anxiété. Et cela, Jimin le devinait sans peine et quelque chose en lui ne pouvait pas l'accepter :

- Vous le savez, n'est-ce-pas ? Vous le savez, Yoongi ? Que vous n'avez pas besoin d'eux ?

Jimin le regardait sans détour, sans timidité, sans distance, cette fois. Ils étaient eux, profondément eux, organiques comme leurs corps, sans l'artifice de la civilité. Proches comme ils n'avaient jamais osé l'être. Yoongi pouvait voir qu'il était inquiet. Inquiet pour lui. Juste pour lui. Yoongi eut un petit sourire gêné et plaisanta :

- Mais ils ont besoin de moi, visiblement.

Jimin se retint de répliquer qu'il se fichait de ce dont ils avaient besoin parce que ce n'était pas à propos d'eux réellement. Parce qu'il savait pourquoi Yoongi avait accepté de subir toutes ces années de recherche sans s'y épanouir pleinement. L'hydrobiologie restait la quête de sa vie, sa colonne vertébrale. Même si peu de gens pouvait comprendre ce que sa discipline représentait pour lui, Yoongi regardait le monde au travers de sa science. Ce n'était plus une question de choix, à présent. Jimin ne pouvait pas s'emparer du sujet comme si c'était une simple question de choix. Mais il ne voulait pas qu'il ait mal. Il le refusait. Il refusait tellement cette idée qu'il trouvait cela inquiétant. Mais il penserait à lui et son traître de cœur plus tard.

Yoongi semblait fort de ces sourires en coin, mais sous ses sympathiques épaisseurs, il ne trompait certainement plus Jimin quant à ses blessures. Si Yoongi était si délicat avec tout le monde c'est qu'il attendait le jour où quelqu'un prendrait soin de lui avec la même douceur. Et pour ça, il était prêt à courir après des épopées dont la reconnaissance lui coûtait en réalité très chère. Jimin aurait voulu lui dire qu'il pouvait arrêter de lutter à présent, qu'il n'avait plus besoin de tout ça, qu'il était arrivé à sa place. Mais c'était encore faux. Leur amitié n'avait d'ailleurs rien de plus à lui offrir que l'ingratitude de cette bande d'intellectuels. Il était si facile d'apaiser ses insécurités personnelles en prenant l'ascendant sur quelqu'un qui ne se révolterait pas. Au fond, Jimin les détestait peut-être juste comme il se détestait lui-même. Il était tout aussi pitoyable qu'eux. Ensemble, ils possédaient Yoongi d'une façon tellement injuste. Jimin soupira et se rassit au fond de sa chaise, inconsolé. Il comptait bien finir de dire ce qu'il avait sur le cœur. Car Jimin savait faire ça, détester :

- Vous êtes bien meilleur que tous ces gens. Vous comprenez bien mieux qu'eux tous réunis ce qui fait la beauté de l'hydrobiologie. Ils seraient là, à vous supplier de les aider, à la moindre identification complexe. Ils vous ont toujours donné le mauvais rôle, les petites tâches dont personne ne voulait, par-ci par-là mais la gloire – ah, ça – ils se la sont gardée.

Yoongi devait avouer que même s'il savait que Jimin avait passé quelques nombreuses après-midis avec lui dans le laboratoire et sur le terrain, il est toujours terrifiant de voir à quel point le cerveau de Jimin reliait les points entre eux facilement pour redessiner l'histoire complète. Il n'avait pas été marié dix ans à un flic pour rien. A moins que cela ne soit dans sa nature que d'être terriblement observateur :

- Je ne sais pas si-

- Si, vous l'êtes. Vos collègues disent qu'il n'y a que vous qui identifiez aussi vite et bien. Vous recevez même des petites boîtes où vieillissent des spécimens qu'on ne reconnaît pas ailleurs.

Il n'y a que vos yeux, que vos mains, que vous entièrement qui ne sachent faire, aurait-il voulu crier si la pudeur ne le limitait pas. Alors qu'il disséquait l'expertise de Yoongi avec colère, ils ne purent s'empêcher de frissonner mutuellement. Jimin se souvenait de toutes les sensations du laboratoire blanc et sans odeur, de la surface lisse et froide des paillasses sous sa paume moite, de la lumière éblouissante des loupes qui leur transperçait la rétine, des pages rugueuses de la clé d'identification dont il tournait en vain les pages, des tamis humides qui lui coupaient le bout des doigts, de tous ces petits monstres cauchemardesques qui se révélaient à leurs yeux et auxquels il fallait retrouver un nom égaré... Il avait appris à aimer ce monde, à comprendre Yoongi à travers lui. C'était cette délicatesse toujours. Même avec toute la douceur du monde, Jimin brisait les exosquelettes, réduisait en charpie les coquilles, déchirait les chaires molles des vers microscopiques. Et agacé, il appelait Yoongi à l'aide et tout à coup, ses mains qui travaillaient vite, bien et si gentiment venaient tout réparer. Elles bougeaient avec une précision chirurgicale mais une douceur poétique. Jimin rêvait parfois, la nuit, de devenir leur matériel de science, leur source sans fonds d'émerveillement. Il se raidit, nauséeux et énervé contre lui-même :

- Vous êtes le seul qui connaissait aussi bien les Coléoptères de tout le pays. Et tout le monde sait comme l'ordre des Coléoptères est complexe à maîtriser. Alors ne me dites pas que vous avez besoin d'eux.

Yoongi sourit, un voile mélancolique traversant ses traits tirés, comme si, dans une autre réalité, il aurait vraiment apprécié les compliments de Jimin. Il n'avait pas beaucoup dormi depuis que l'invitation était arrivée sur sa boîte mail. L'euphorie qu'il ressentait à l'idée de retrouver l'hydrobiologie était un piège qu'il redoutait. Mais il n'avait pas su refuser la proposition :

- Il n'y a pas que les Coléoptères dans la vie.

Jimin haussa les épaules. Mais c'était injuste. C'était tellement injuste la façon dont la vie ne lui devait rien, quand bien même il était bien meilleur que la plupart des gens qui foulaient cette Terre. Ça faisait mal à Jimin, que la vie ne réparait aucunement la lâcheté qui se cachait derrière sa propre inclinaison pour Yoongi :

- De toute façon, nous ne sommes pas ici pour parler d'hydrobiologie, reprit calmement Yoongi, comme pour clore la discussion et le condamner au silence.

Il souriait de nouveau comme s'il était possible de prendre avec légèreté son épuisement mental de petit scientifique méprisé. Il avait réussi à camoufler les émotions troubles que le discours de Jimin avait fait naître en lui. Il y réfléchirait plus tard. Mais Jimin espérait que ses mots feraient leur chemin en lui. Il ralluma sa cigarette, espérant apaiser l'inquiétude qu'il n'avait su taire et retrouver sa nonchalance. Il était également perturbé de n'avoir su dissimuler la façon dont il s'en voulait à lui, avant tout autre chose, dans cette histoire. Ce n'est pas qu'il voulait cacher à Yoongi comme il était un être vil – il le savait assez intelligent pour avoir cette clairvoyance – mais il prenait peut-être conscience que tout cela lui devenait de plus en plus insoutenable :

- Je voudrais vous demander de m'accompagner.

Jimin s'immobilisa totalement cette fois, sa cigarette fumant passivement entre ses lèvres. Il espérait que Yoongi ne puisse pas voir la peau de sa carotide trembler comme un tambour à chaque battement de son cœur, trahissant sa surprise. Il fixait Yoongi comme s'il cherchait des réponses sur son visage aimable :

- Pardon ? Ne put-t-il s'empêcher de souffler

- Vous comprenez l'hydrobiologie, asséna le scientifique comme s'il s'agissait d'une vérité admise, d'un axiome mathématique.

Vous me comprendrez moi, entendirent-ils. Ils se fixaient comme s'ils se rendaient compte pour la première fois qu'ils jouaient un double-jeu. La façon dont battait leur cœur ne pouvait plus être insignifiant. Mais Jimin trouvait tout ça triste à mourir :

- Et puis, je me disais que vous pourriez en profiter pour rentrer visiter votre mère.

Jimin le dévisagea longuement sans réagir, comme si l'évocation de sa mère lui était parfaitement étranger. Les yeux de Yoongi effleurèrent la peau tendue de son cou, comme s'il pouvait voir que l'air avait cessé son chemin, comme ses muscles serrés l'avaient rendu muet d'exprimer certaines choses. Jimin non plus n'osait pas évoquer ce nom qui planait au-dessus d'eux, dans les fumées de ses cigarettes. Et c'était totalement cruel que ce soit Yoongi précisément qui était devant lui quand son esprit s'envolait tout entier à un autre... C'était insupportable. Mais pouvait-il contrôlé cette euphorie anxieuse qui montait en lui, cette sensation d'être fatalement piégé de son souvenir ? Jimin ne pouvait s'empêcher d'avoir cette envie malsaine de replonger dans cette réalité qui n'existait plus mais qui semblait douloureuse atteignable.

Et puis, en réalité, bien qu'il n'oserait jamais l'avouer, il était devenu terrifiant pour lui l'idée de quitter sa maison, ses habitudes, les photos rassurantes du mariage aux murs. Sa mère s'attristait souvent qu'il se soit enterré là-bas et s'inquiétait. Et bien qu'elle lui manquât, il n'avait pas eu la force de lui retourner. Il n'était pas prêt à la ville et ces gens qui vivaient si fort et si vite, qui courraient après le renouveau. Quelque part, la morosité d'ici lui faisait oublier la course cruelle du temps. Il n'avait jamais été courageux sans Namjoon. Refaire cette route qui les avait conduit il y a des années à leur première petite maison en direction de la banlieue dans laquelle ils avaient grandis lui semblait insurmontable. Il avait horreur de l'introspection, bien qu'il ne vivait plus que dans un passé qu'il refantasmait sans cesse. Jimin était pris de court. Il déglutit difficilement, sans le quitter des yeux, comme s'il se raccrochait à son regard pour ne pas être avalé par les émotions qui le traversaient et qu'il n'avait aucunement l'intention de vivre maintenant. De toute évidence, Jimin n'était pas le genre de personne qui prenait des décisions sans une mûre réflexion et Yoongi s'empressa de rajouter :

- Vous avez le temps d'y réfléchir. Ce n'est que le mois prochain.

Comme si son silence commençait à être insoutenable pour eux deux, Jimin finit par laisser échapper un long soupir. Il hocha de nouveau la tête, fermant les yeux quelques instants en se frottant la tempe. Quand il les rouvrit, il avait retrouvé son étonnant calme. Il lui concéda :

- Vous avez sans doute raison, cela ferait plaisir à ma mère.

Après quoi, ils débarrassèrent la table en échangeant quelques bavardages paresseux comme s'ils s'ennuyaient déjà de ce rituel à peine naissant. Dans la cuisine, Jimin s'installa sur une vieille chaise tirée contre la cuisinière à bois, ravi par la douceur surprenante de ce microclimat. Il se fit la réflexion qu'ils n'avaient parfois plus rien à se dire et qu'ils se contentaient bien du silence. Il ne pouvait s'empêcher de se réjouir secrètement de ce sentiment de lassitude domestique. D'une certaine manière, peut-être qu'il appréhendait aussi le fait que tout ça prenne fin si Yoongi retrouve l'hydrobiologie. Ils s'étaient rencontrés dans un moment de vulnérabilité chacun. C'était terriblement égoïste de sa part mais il avait peur de réaffronter son vide seul, à présent. Ses deux mains se serraient régulièrement autour de la tasse de thé pour réprimer une envie impulsive de fumer mais il ressentait un besoin farouche d'y résister :

- C'était la place de la grand-mère, releva le biologiste comme s'il avait pu voir derrière son dos.

Jimin observa Yoongi avec curiosité. Il finissait la vaisselle dans l'évier de cuisine, sa voix se mélangeant tranquillement à celle d'Aretha Franklins. Il le regarda ébrouer ses mains au-dessus du large vasque et leur regard se rencontrèrent lors qu'il se retournait pour attraper un torchon. Il avait hérité de sa maison de famille par la charité de sa tante et, si l'on sentait qu'il avait réaménagé l'endroit dans un goût simple et chaleureux, il y avait toujours les photographies de famille sur une étagère, entre les conserves fermières et le pot de sucre. Yoongi ne figurait d'ailleurs sur aucune d'elles, contrairement à toutes ces fois où Jimin s'était senti pourchasser par son sourire, au domicile de ses patients. Pas de trace de sa naissance, de sa première fois à la mer ni de son sourire barbouillé de chocolat. Ce genre de clichés dont les parents ne peuvent plus se détacher. Yoongi suivit le regard du soignant et eut une moue attendrie pour ses ancêtres qui traînaient là. Il énuméra tous ces visages inconnus par leur nom et leur lien de parenté à l'infirmier avec une précaution scientifique. Jimin écouta avec une concentration surprenante, lui qui avait pourtant un intérêt très limité pour la généalogie, preuve de la pédagogie sans faille de l'hydrobiologiste.

Jimin avait cependant fixé avec méfiance la grand-mère, une femme au visage sec. Il se demandait si Yoongi aurait aimé qu'il la détesta avec autant de talent et de perfidie qu'il avait jadis déployé pour sa belle-famille. Il sentit quelque chose passer entre leurs deux corps, à la manière dont le soignant prenait le temps de la dévisager comme si, déjà vengeur, il mémorisait la liste des faiblesses de l'adversaire, cachée au fond de ses yeux froids. Les mains de Yoongi se serrèrent légèrement sur le torchon. Il y avait parfois des barrières floues entre des émotions pourtant contradictoires. Jimin le savait. Eux chérissaient des liens à la nature ambiguë avec les figures du passé. Parfois, tout ce qu'on avait, tout ce qui nous restait, n'était pas les plus belles choses. Parfois, c'était même le contraire mais c'était quand même tout, c'était quand même nous. Ils ne pouvaient pas s'en défaire comme ça, d'un geste violent, du jour au lendemain. Eux ne le pouvaient pas. Jimin repensa aux deux bouts de pain durs qui s'imbibaient mollement et se désagrégeaient dans un de ses infames bouillons dont il avait malheureusement le secret. Lui et Yoongi étaient un peu comme deux croûtons de pain dans le fond.

Jimin se leva et s'approcha à son tour des cadres photos. Leurs épaules auraient pu s'entrechoquer si l'un d'eux avait perdu l'équilibre. Jimin pouvait sentir l'odeur de Yoongi comme s'il avait plongé son visage dans son cou. Il pouvait s'imaginer l'ombrage morcelé que ses mèches de jais tombant contre ses joues auraient doucement dessiné au-dessus de lui. Et comment il aurait observé le monde depuis ce feuillage obscur, comme un animal tapis dans les bosquets. Il laissa traîner son index dans la fine couche de poussière avant d'attraper la photo de mariage des Perkins. Il fit semblant de s'y intéresser pour se distraire du désir qui montait en lui comme une marée :

- Pourquoi êtes-vous resté ici ?

Yoongi détourna son regard du petit portrait monochrome pour observer l'infirmier, étonné :

- Je veux dire... Dans cette maison ? Pourquoi êtes-vous resté ici ? Compléta Jimin, plus très sûr de lui.

Yoongi laissa les mots tourner dans son esprit un instant avant de répondre. Il comprenait la question de Jimin. Yoongi ne pouvait nier qu'à l'ombre de ses sourires, il avait eu des pensées très sombres et que ses problèmes actuels avec le travail remontaient sans doute en partie à cette enfance. Il fixa sa grand-mère quelques instants. Il eut un sourire plein d'espièglerie que Jimin dévora des yeux et prit le temps d'expliquer avec sa pédagogie habituelle :

- Elle était issue d'une famille pauvre. Pour vivre dans cette maison avec ses enfants, elle a dû vendre jusqu'à son alliance... C'était important, pour elle, cet endroit. Ça signifiait vraiment quelque chose. Je ne pouvais pas laisser ça comme ça.

Jimin se demanda si Yoongi s'imaginait parfois la sensation que ça devait être que d'être aimé par elle comme elle avait pu autrefois chérir ces lieux, les avoir faits siens. Peut-être qu'il était même prisonnier de cette bâtisse par cette simple idée, qu'il aurait voulu se métamorphoser en meuble ou ne faire qu'un avec ses murs. Jimin aurait été tourmenté par cette perspective, lui :

- J'aime à penser que je suis une part de ce qu'elle a laissé ici, conclut le scientifique.

Il avait parlé dans un souffle, comme s'il avait peiné à dire ceci, à laisser ces mots vulnérables lui échapper. Jimin se tourna vers Yoongi et il le constata si seul. Tellement seul qu'il se sentait aspiré par son vide, comme un corps céleste par un trou noir. Il repensa à ses propres photos du mariage qui le poursuivait comme une ombre et hantait sa maison.




Le jour déclinait, Yoongi voyait disparaître la silhouette de Jimin au fil des minutes comme s'il était en train de se désintégrer. La peau de ses jambes se colorait doucement du bleu de la nuit. C'était comme si le monde entier avait été passé au bleu de méthylène, comme lorsque Yoongi jetait son regard curieux à travers les loupes d'un microscope. C'était peut-être sa couleur à lui, dans le fond. Fasciné, il passa ses doigts le long de la cuisse qu'il avait déposé sur lui, comme on plonge ses mains dans l'océan.

Cela faisait deux heures qu'ils se tenaient l'un contre l'autre en silence, à regarder fixement les grosses gouttes de pluie s'abattre lourdement sur le velux au-dessus de son lit, dans une sorte de sidération. La météo de cette journée avait été splendide. C'était la première fois que Yoongi faisait l'amour en fin d'après-midi, quand l'orage sombre au loin faisait rougir les épais rayons du soleil qui brillaient encore sur la campagne. La façon dont ils avaient joué un temps dans les cheveux de Jimin, dans le brun de ses yeux. Il avait eu la beauté amère d'un mirage.

Yoongi retournait les évènements dans son esprit, comme un puzzle dont il ne voulait pas construire le paysage complet. Quelque part, les choses non terminées ne semblaient jamais vraiment appartenir totalement au passé. C'est ce dont il essayait de se convaincre, du moins.

Il revoyait Jimin, au-dessus de lui, ses mains pâles et froides prenant appui sur sa poitrine. Il avait tiré dans ses cheveux avec caprice pour avoir son regard dans le sien, comme un enfant en manque d'attention. Il avait cette façon de le tenir si proche de lui que ça en était presque douloureux. Cette interrogation dans le regard, ses bras encerclant solidement son cou comme s'il n'arrivait pas à croire que quelqu'un le tenait de nouveau. Comme s'il avait peur que Yoongi ne lui échappe après des mois à le voir brûler seulement pour lui.

Il avait gardé son vieux t-shirt sale, pour se cacher. Comme si ce corps que le temps avait changé était sa cicatrice, le témoignage honteux de tous les moments qu'il s'était interdit de vivre. Peut-être que s'il continuait d'ignorer le temps de cette façon, rien de tout ce qui s'était passé ne lui semblerait vraiment réel. Jimin refusait que son cœur soit devenu cet objet obsolète. Yoongi n'avait pas insisté, il pouvait comprendre que cette idée devait faire terriblement mal. Et puis, le veuf l'avait autorisé à aveuglément explorer sa peau chaude sous le tissu et, d'une certaine manière, ça leur avait paru plus doux et intime de cette manière.

Il y avait les mots qu'ils auraient dû se dire et leur silence. Sa houle pour chavirer leur cœur. Le souffle de Jimin contre sa bouche, alors que son corps tremble si intimement contre le sien mais qu'il lui est aussi lointain que l'horizon. Les doigts de Yoongi qui le cherchent, qui cherchent à l'attraper, terrifié qu'il puisse partir, lui échapper à tout instant. Il voudrait qu'ils se tiennent par la main par-dessus tout. Il voudrait qu'il tende sa main écartée comme une étoile qui va s'éteindre et que Jimin n'hésite pas une seconde à y glisser ses doigts pour le réparer. Mais Jimin a peur et il est fatigué. Il fait semblant qu'être avec Yoongi n'a pas besoin de s'apprendre, que c'est quelque chose de simple. Que c'est bête et méchant, comme le vélo et les tables de multiplication. Il pense sans doute à un autre plutôt qu'à Yoongi. Parce que Jimin ne sait encore que le désirer que quand son cœur fait mal.

Jimin avait laissé son corps glisser à ses côtés comme un poids mort et caché son visage dans son cou dans un geste enfantin, comme pour se faire oublier. Au début, le scientifique n'entendit que son souffle ralentir petit à petit, au creux de son oreille. Le scientifique écouta passivement ce bruit longuement pour éviter de penser, la main à plat contre sa colonne, encore prisonnière de son t-shirt. Il prenait temps pour se remémorer comment s'était d'être avec Jimin si fort, la chaleur de sa peau sur ses lèvres était comme l'euphorie des premiers soleils au printemps. Et tout un tas d'autres trucs qui ne pouvaient pas être oubliés. C'était agréable de s'en souvenir. Comme ça, même s'il partait, même s'il laissait Yoongi un jour, il aurait de beaux souvenirs pour lui. Il voulait juste écouter son souffle et se souvenir de lui, les yeux fermés...

Puis, comme le temps était cruel, il finit par passer ses bras autour de son dos pour le tirer vers lui. Jimin ne protesta pas quand leur regard se croisèrent. Au contraire, il fondit profondément en lui et Yoongi eut l'impression de s'y perdre. Le scientifique n'avait jamais eu l'air si fragile et Jimin observait la brèche qui était ouverte en lui. Celle qu'il savait pouvait lui appartenir.

Le veuf passa sa main dans les longs cheveux de Yoongi, la gorge serrée. Il connaissait par cœur l'adage selon lequel il fallait toujours s'aimer soi-même avant de se laisser aimer par un autre. Mais quand Yoongi le fixait ainsi, il avait l'impression qu'il pouvait bien se détester de tout son être, Yoongi conserverait pour lui la même délicatesse. Il l'embrassa doucement. C'est bref, comme un détail qui aurait tout aussi bien pu ne pas exister. C'est presque une erreur dans le jeu quasi parfait de Jimin. Mais c'est tout ce qui compte pour Yoongi :

- Vous ne dormez pas ? Chuchota Jimin, alors qu'il se réinstallait plus confortablement sur son épaule, lui laissant ses lèvres échouées au vide, comme des épaves, et le cœur égaré.

Il parlait avec nonchalance, comme s'il pensait possible de s'assoupir comme si de rien n'était maintenant. Comme s'ils s'étaient consommés bêtement, comme deux inconnus qui ne se doivent rien. Yoongi fit mine de réfléchir, le temps d'apaiser son trouble. Etonnement, il avait encore plus peur maintenant de se retrouver sur cette estrade pour parler d'hydrobiologie. Il avait l'impression que ça n'avait plus de sens si Jimin n'était pas là, assis dans le noir, à fumer calmement, ses yeux intelligents posés sur lui, alors que sa cafetière crachait de ses poumons son dernier souffle. Et si Yoongi n'avait plus de goût pour l'hydrobiologie et que Jimin continuait de fuir, il ne savait pas ce qu'il allait bien pouvoir devenir. Peut-être qu'il pourrait continuer de se rendre au laboratoire quand même. Peut-être que personne ne remarquerait rien. Personne. Sauf lui. Mais cette pensée aussi, elle fait peur à Yoongi :

- Non, chuchota le scientifique en essayant de stabiliser le timbre de sa voix.

Sa main est vide :

- Pourquoi ?

La voix de Jimin était timide et grave à la fois, Yoongi l'avait rarement entendu parler ainsi. C'était réservé aux moments où le souvenir de Namjoon l'envahissait totalement. Autrement, sa voix était toujours d'un calme détaché. Yoongi avait toujours trouvé que la fragilité dans sa voix était jolie. Il s'imaginait que peut-être, oui peut-être, si son cœur battait si fort, c'était de sa faute. Mais peut-être pas. Le cœur de Jimin n'était pas une page vierge où il pouvait simplement écrire son nom. Il y avait déjà beaucoup d'histoires dessus. Et le cœur de Jimin était très bien comme ça. Mais Yoongi se sentait juste un peu intimidé face à lui, voilà tout :

- Tu es là.

Yoongi se fit la réflexion que lui ne s'était jamais entendu parler comme ça non plus. En fait, il n'avait jamais parlé comme ça à personne. C'était pourtant une voix qu'il avait en lui depuis trop longtemps, il le sentait à présent. Jimin leva sa main au hasard et se mit à retracer aveuglement les contours des lèvres du scientifique comme un enfant qui apprend à lire. Cherchait-il à vérifier que c'était bien ses paroles qu'il entendait ? Il questionna encore :

- Tu ne peux pas dormir quand je suis là ?

Yoongi ne pouvait détourner son attention de cette petite lueur éteinte que faisait l'alliance de Jimin dans la nuit et qui semblaient planer au-dessus d'eux. C'était un bijou simple, un anneau en argent clair. Mais sur Jimin, cela ressemblait à une parure des plus extravagantes. S'il le pouvait, il couvrirait cette main de baisers. Il en était ivre, comme s'en devenait humiliant :

- Non, souffla-t-il contre ses phalanges curieuses.

Ils marquèrent une pause. Yoongi avait l'impression dérangeante que, malgré l'obscurité ambiante, Jimin l'observait et qu'il pouvait voir la façon dont ses yeux luisaient :

- Essaie de faire semblant que je ne suis pas là alors.

Jimin donnait et reprenait. C'était sa loi. Ça l'avait toujours été. Yoongi le revoyait le fixer à distance, alors qu'il fumait dans sa petite cuisine et que son regard se muait en un besoin organique. Quand il prenait de lui tous ses fantasmes, toute sa frustration, toute sa culpabilité... Quand il utilisait son désir et sa tendresse pour se distraire de cette mélancolie qui ne le quittait guère plus. Et Yoongi avait aimé chaque seconde lui appartenir ainsi, nourrir son cerveau intelligent de ses interdictions érotiques. Tout comme il ne pouvait s'empêcher de s'accrocher à Jimin et de tomber plus fort encore comme jamais Jimin ne chuterait pour lui. Il questionna :

- Tu y arrives, toi ?

Jimin ne répondit pas. Il se contenta de respirer lentement comme si ses mots n'avaient pas été compris, comme il savait si bien faire. Finalement, il soupira :

- Yoongi ?

- Hm ?

- Pour la conférence... C'est moi qui conduirais, dit-il en feignant l'ennui dans sa voix.

Yoongi ne répondit pas tout de suite. Il détaillait la nuit au-dessus de lui comme s'il cherchait à y trouver une explication rationnelle :

- D'accord.

Les doigts de Jimin quittèrent ses lèvres. Yoongi ferma les yeux et se força à penser à son laboratoire et à la pluie battante qui frappait le double vitrage les jours où il s'enfermait dans l'étude de ses bestioles. Il récita mentalement les caractéristiques anatomiques discriminantes de l'arbre de sa famille d'Odonate favorite, cherchant en vain une pointe de passion qui survivrait à cette nuit.

A l'aube, quand Jimin remonta dans sa voiture, il repensa aux traits durs de la grand-mère. Il avait l'impression d'avoir participé à enchaîner un peu plus Yoongi avec elle. Il était empli de ce mal-être qui devenait une habitude. Il se sentait complice de tous ces gens qui n'avaient jamais demandé pardon à Yoongi quand ses sourires arrangeaient tout le monde.




Les semaines qui suivirent, ils prirent soin de s'éviter un peu. En fait, il n'y avait pas beaucoup d'efforts à faire pour cela. Les deux avaient une vie bien trop différente pour que le hasard ne les réunisse. Yoongi se plongea dans la préparation de sa conférence avec une telle assiduité que lorsqu'il présenta à son unité de recherche son travail, ils furent sans mot. Tant mieux. Il n'aurait pas eu le courage de riposter s'ils avaient demandé de tout recommencer. Et il savait que ça aurait agacé Jimin au plus haut point de le savoir à travailler le double de temps sur son congé maladie. Il aurait dû lui mentir.

Lorsqu'il n'était pas penché sur son ordinateur à rattraper toute l'actualité de la recherche, il s'attela au retard qu'il avait pris sur les petits dépannages qu'il faisait dans les familles du village. Il croisa même Hoseok autour d'un café soluble, qui lui jeta des regards interrogateurs insistants qui l'agacèrent franchement. Il s'arrangea pour courir après Yoongi lorsqu'ils furent à l'abris des regards. Quelque part, même s'il n'avait pas le droit de lui en vouloir parce qu'après ce qu'ils avaient partagé, Yoongi aurait dû lui donner plus d'explications, il ne pouvait s'empêcher d'être excédé par son comportement insistent :

- On peut parler, s'il-te-plaît ? Demanda l'agriculteur avec raideur

Il y avait une quasi nervosité dans le regard d'Hoseok. Ils jetèrent un coup d'œil en direction de la façade, par habitude, bien que Yoongi se doutait que lorsqu'il lui fit signe de lui suivre à l'arrière de l'étable, il n'était plus question de s'y échanger des baisers enflammés. Ils slalomèrent entre les flaques d'eau boueuses sans un mot. Cet endroit était triste à en mourir et la vue du soleil qui se couchait sur la colline à l'arrière du bâtiment avait toujours semblé empreinte de fatalisme. Comme une beauté inatteignable, celle qu'ils avaient observé de loin toute leur vie alors qu'ils se tenaient l'un contre l'autre dans l'angoisse. Yoongi commençait à détester cette vue. Il fit quelques pas au hasard vers le champ en contre-bas, observant les quelques génisses qui goûtaient à l'herbe pour la première fois :

- Vous avez acheté un âne, releva Yoongi, enfonçant ses mains dans ses poches.

Hoseok haussa les épaules en l'imitant. Il devait détester cette vue également maintenant :

- C'est pour l'anniversaire de ma nièce. Elle aime les chevaux à ce qu'il paraît. Je l'ai mis ici pour ne pas qu'il se sente seul parce qu'ils ne viennent pas souvent. C'est moi qui vais m'en occuper la plupart du temps.

C'était si absurde que ça donnait à Yoongi l'envie de pleurer et de rire à la fois. Une chance que Hoseok était doué avec les animaux et qu'il les aimait. La bête aurait une vie paisible, loin de sa maîtresse qui n'avait jamais demandé à l'être. Comme Hoseok ne disait toujours rien, semblant toujours chercher ses mots, l'hydrobiologiste fit la conversation. Parler allégeait un peu le poids au fond de son estomac :

- Il s'appelle comment ?

- Soho.

Yoongi hocha la tête. C'était un joli nom, après tout. Il avait envie de fumer maintenant. Pour oublier ce malaise, oublier cette mélancolie, oublier ce coucher de soleil qui leur bousiller les yeux :

- Par rapport à New York ?

- Par rapport à l'alcool, contredit Hoseok sèchement comme si Yoongi venait d'insulter son milieu social.

C'était peut-être le cas :

- Ah... Je vois.

Le silence tendu d'Hoseok persistait et il se sentait de plus en plus mal à l'aise :

- Quel âge ça lui fait, à ta nièce ?

- 5 ans.

- Hm.

Il essaya de se résoudre au silence, ne voulant pas le vexer davantage. C'était un joli prénom pour un âne, quelque soit l'origine. Et puis, eux avaient bien fumer leur première cigarette à 13 ans, pris leur première cuite à 15... Mais il y avait quelque chose dans l'âme de pédagogue de Yoongi qui ne semblait pas accepter totalement que l'on évoque déjà à une fillette l'idée d'un alcool qui avait le goût d'un jus de fruit exotique :

- Il faudra lui dire... Pour New York, suggéra-t-il.

- Tout le monde est au courant, coupa abruptement Hoseok.

Le scientifique sursauta presque. Ça sonnait étrangement comme un reproche et Hoseok s'en voulut aussitôt. Il ne s'excusa pas pourtant. Yoongi prit appui contre la taule du hangar, les bras croisés sur sa poitrine en signe défensif. Il n'était pas sans savoir qu'une voiture garée devant chez lui toute une nuit n'était pas le genre de détails qu'oubliait de partager son voisin à ses amis du bistro. Mais Yoongi ne s'était jamais empêché d'inviter personne chez lui pour autant. Il n'avait jamais eu personne à décevoir, de toute manière. Il savait que Hoseok avait toujours été informé de qui était déjà passé par son lit par le passé et c'était bien la première fois que ça semblait le froisser. Ou peut-être qu'il n'avait jamais osé en parler à Yoongi autrefois. Peut-être que c'était différent cette fois parce qu'il avait l'impression de le perdre totalement, que Yoongi lui échappait pour de bon. Et c'était vrai et il fallait que Hoseok l'accepte. Il n'y avait plus une étreinte qui pouvait le tromper sur le fait qu'une part de Yoongi lui appartenait :

- Je n'ai jamais caché à personne qui j'étais, Hoseok.

Yoongi sentit qu'il venait de le blesser. Peut-être qu'il avait lui aussi parlé avec ce ton accusateur détestable. Et peut-être que lui non plus ne voulait pas s'en excuser. Ils se fixèrent comme deux personnes qui cherchent à se reconnaître dans des traits qui leur semblent familiers et étrangers à la fois. Yoongi ne l'avait jamais admis vraiment mais au fond, il avait souffert. Il avait souffert parce qu'ils n'avaient jamais pu rêver ensemble de toutes ces choses qui font de l'amour ce bonheur inatteignable. Il y avait toujours eux entre eux des limites, des accords, une stratégie bien rôdée, une temporalité savante de moments sans et de moments avec. Dans un sens, ils n'avaient jamais eu une passion dévorante l'un pour l'autre ni beaucoup de terrains d'entente intellectuellement. Mais ils auraient voulu se prendre à en rêver tout de même, comme des enfants. Yoongi s'était senti humilié par cette situation, par cette froideur méthodique. Et peut-être que l'affection de Hoseok lui aurait suffis pendant toutes ces années dans un autre contexte. Mais il avait tout de même ressenti le besoin de lui signifier sa frustration en faisant garer des voitures devant chez lui la nuit. Il espérait qu'il se demandait comment ses furtives conquêtes prenaient la liberté - qui lui était extravagante – de lui promettre de grandes choses. Il espérait que sa curiosité rendrait à Hoseok cette soif de savoir comment ils frissonneraient d'échanger des regards plus forts et plus profonds, de se convaincre de leur sincérité touchante. Et Hoseok avait sans doute été curieux et blessé et irrité de savoir que ces garçons partageaient avec Yoongi des choses que lui ne connaitrait jamais. Mais il ne lui avait rien cédé pour autant. Hoseok se doutait que Yoongi avait eu le genre d'enfance turbulente qui nécessitait une affection explicite, des mots doux qui faisaient du bruit. Mais il n'avait jamais pu se résigner à ne lui offrir cela. Ou seulement lâchement, seul dans son esprit et dans son cœur, quand il fermait ses yeux suffisamment fort contre sa peau. C'est sans doute pourquoi il n'avait jamais cru bon de le questionner sur ses rencontres nocturnes hasardeuses. Finalement, Yoongi n'était pas celui qui avait commencé à se taire et à blesser par les mots qu'il manquait de prononcer. Hoseok reconnaissait qu'il avait été le premier lâche dans leur relation.

Et ce soir, il aurait voulu dépasser leurs limites, celles qu'il lui avait lui-même imposer pour demander ce qu'il avait de plus que lui, comme un amant blessé. Ce qu'il n'était pas. Ce qu'il ne serait jamais pour Yoongi. Par son unique faute. Pourtant, Yoongi était devant lui, dans son imperméable humide, comme lorsqu'il revenait autrefois de ses rivières, un carton rempli d'échantillons, la bouche fondue en un sourire charmant. Et Dieu sait comme Hoseok n'avait jamais compris le traite mot de ce qu'il étudiait, là-bas, en ville, mais qu'il aimait lire la joie dans ses yeux.

Ils avaient pris des années. Et tout ça, toute la maladresse de leurs désirs d'adolescents, était brisée devant eux. Cela faisait peut-être un peu trop mal pour un premier amour qui n'avait jamais existé, songeait Hoseok :

- Est-ce que... Est-ce qu'il pourrait comprendre ? Tout ça ? hasarda-t-il, désignant vaguement eux-même ou bien le paysage dans lequel ils avaient grandi.

Ce n'était pas que de la curiosité mal placée. Hoseok espérait sincèrement qu'un jour Yoongi trouverait quelqu'un qui l'aimerait sans détour, sans retenu. Yoongi avait toujours été le plus gentil de tous... Il le méritait. Il le pensait vraiment :

- Est-ce que, cette fois, c'est différent, Yoongi ?

Sa question finit de blesser Yoongi. Quelque part, il s'agissait d'un aveu : Hoseok avait été comme tous les autres. Yoongi sentit sa gorge se serrait douloureusement et il regarda fixement Hoseok sans trouver en lui la force d'articuler une réponse. Hoseok avait toujours été sincère. Et sa sincérité était d'admettre qu'il n'avait jamais pu aimer Yoongi. Et Yoongi aurait voulu saluer son honnêteté. En tant que bon scientifique, Yoongi chérissait l'idée d'accepter une vérité lorsqu'elle faisait surface. Mais sa main trembla quand il fit demi-tour en direction de sa voiture.





Quand Jimin s'était proposé de conduire, il ne plaisantait pas. Ils s'étaient retrouvés chez l'infirmier un peu après minuit pour le départ. Il lui avait ouvert la porte, vêtu d'un short de sport et d'un t-shirt tâché - suffisamment large pour être une nouvelle relique de Namjoon - ses cheveux blonds ébouriffés et des poches imposantes sous les yeux. Il était vrai que la nuit était plutôt douce mais pas assez pour justifier cette tenue estivale. Yoongi n'avait rien dit et l'avait observé empiler les canettes de boissons énergisantes et les paquets de cigarettes dans la portière conducteur. Après tout, il s'apprêtait à conduire un nombre probablement dangereux de kilomètres d'une traite, tout ça parce que Jimin refusait de passer plus d'une journée de ses congés sur la route. C'était surtout une question de principe parce que Jimin ne faisait jamais rien de son temps libre. Il prenait des congés chaque année depuis la mort de Namjoon pour satisfaire le cadre légal mais les passait enfermé chez lui, amorphe. Il ne savait pas quoi faire du temps. Le temps, il avait choisi de l'ignorer il y a déjà longtemps. Mais il fallait bien qu'il tienne le coup en carburant à quelque chose puisqu'il n'avait clairement pas l'intention de laisser le volant à Yoongi. Ce dernier le regarda charger son sac à l'arrière avec nonchalance.

Jimin troqua ses claquettes bruyantes pour des vieilles tennis jaunies par le temps et se releva en claquant énergiquement ses cuisses dénudées, comme pour se donner du courage. Finalement, il verrouilla sa porte d'entrée et se tourna vers Yoongi :

- Bien... On y va ?

Et c'était plus un ordre qu'une question. Intimidé, Yoongi avait sagement pris place à ses côtés. Jimin avait réglé le siège, comme si la voiture de Yoongi lui appartenait totalement, avant d'enclencher une marche arrière qui finit aussitôt de réveiller le scientifique. Alors qu'ils s'élançaient sur les routes de campagnes à une puissance dont Yoongi ne pensait plus capable sa vieille camionnette, il ne put s'empêcher de maugréer dans sa barbe :

- Comment c'est possible de conduire ainsi après avoir été marié à un flic ?

Jimin éclata de rire tout en ouvrant une première canette de boisson stimulante avec une dextérité impressionnante. Il but généreusement avant de la caler rapidement entre ses cuisses. De toute évidence, il était habitué à ce jonglage. Sans doute un truc de personnel médical pour tenir le coup des années en sous-effectif. Il essuya ses lèvres de son revers, amusé, avant de répliquer doucement, concentré sur la route :

- Il faut croire qu'il me pardonnait beaucoup de choses.

Il y avait toujours un fond de tristesse quand il évoquait avec tendresse Namjoon. Surtout cette nuit. Cette nuit où il s'apprêtait à remonter le temps. Et ça éraflait Yoongi de la plus belle des façons quand il entendait sa voix trembler ainsi :

- Attention à ma voiture quand même. Elle n'est plus toute jeune, fit remarquer l'hydrobiologiste.

Jimin eut un sourire en coin mais ne dit rien. Sous-entendu qu'il n'était pas le premier à essayer de le raisonner sur la façon dont il aurait dû conduire et qu'il trouvait cette tentative attendrissante. Le scientifique abandonna l'idée et s'enfonça dans son siège. Il était tellement anxieux ces derniers jours, il n'avait pas beaucoup dormi ces derniers jours. Il était hanté par les couleurs criardes des graphiques de son diapositif dès qu'il fermait les yeux. Il évitait de penser au regard plein de pitié de Hoseok également. La fatigue le gagnait subitement alors qu'il se sentait enfin en sécurité avec Jimin. C'était comme s'il pouvait oublier un peu la destination et n'aimait plus que ce morceau de route qu'ils parcourraient ensemble. Il sombrait dans le sommeil, balloté par la conduite nerveuse de Jimin et ses quelques négligences vis-à-vis du code de la route. Il masqua difficilement un sourire à l'idée qu'il avait accepté ce périple avec lui. Il rêvait de Jimin qui le regardait de haut en bas avec désir et retenue en fumant... De la nicotine mortelle dans ses cheveux, de la douceur des sucres raffinés sur ses lèvres. Yoongi rêvait de Jimin comme il n'existait déjà plus depuis longtemps.




Au petit matin, ils s'arrêtèrent sur une aire d'autoroute. Il ne restait plus qu'une heure avant qu'ils ne pénètrent dans la ville. Jimin avait l'air exténué mais il prétexta qu'il avait besoin d'un café. Yoongi ne dit rien. Jimin n'était pas le seul à être nerveux à l'idée d'arriver. S'ils pouvaient encore retarder de quelques minutes supplémentaires la fin du voyage, ils le feraient.

Jimin claqua la portière derrière lui et se mit en route vers le bâtiment tout en enfilant un vieux pull-over blanc aux mailles distendues, traînant derrière lui quelques fils égarés. Il était à fleurs de peau. Trop épuisé pour ne pas voir flou et trop nerveux pour pouvoir s'endormir, les substances excitantes dansaient en lui, faisant courir des frissons sous sa peau et transpirer ses muscles endoloris. Il haïssait son excellente mémoire pour une fois, celle qui le ramenait à la version de lui qui quittait - tout plein de doutes sur la vie et plein de certitudes sur l'amour - sa ville natale pour la première fois. Il se souvenait exactement de l'hôtel qu'il avait dépassé plus tôt, à vive allure, où ils avaient passé la nuit autrefois. Du tapis de l'entrée, d'où émanait l'odeur de friture et de plats industriels réchauffés, de la chambre sans charme, dans un état plutôt correct. Jimin se souvenait parfaitement de tout parce qu'il avait trouvé inconfortable leur silence ce soir-là, à la table qui cognait contre la baie vitrée de la salle de réception. Il se sentait si seul soudainement qu'après une nuit infernale et un réveil assommant, il avait cherché l'attention de Namjoon. Il l'avait bécoté férocement dans leur voiture, à peine cachés sur le parking peu fréquenté. Ce n'était pourtant pas dans la nature réservée de Jimin de faire ce genre de choses et ils prenaient du retard sur la route. Namjoon n'avait rien dit pourtant. Parfois - souvent même - il faisait semblant de ne pas le connaître sur le bout de doigts et de tomber dans tous ses panneaux. Ce n'était pas par manipulation – pas vraiment – c'était plutôt par indulgence. Mais Jimin lui en voulait un peu parfois. Ça les contraignait à la paresse, celle d'éviter les mots difficiles à se dire. Bien plus dur encore que de se confier les secrets les plus obscurs qui avaient autrefois blesser leur chair tendre, il y avait l'inavouable aveu de la lassitude, des petites blessures à l'égo, de l'irritabilité de leur quotidien. Jimin se souvenait d'avoir écrasé sa joue sur sa poitrine, tout contre son t-shirt qui sentait les heures passés à dévaler l'escalier de leur immeuble, les bras chargés de cartons. Namjoon avait rabaissé un peu son siège et fixer le plafond de leur véhicule, tenant Jimin assis contre lui, une main flattant lentement le creux de ses reins. Etrangement, il avait repensé à cette soirée d'anniversaire qu'il avait foutu en l'air. Il était chez des amis à eux, ils fêtaient l'anniversaire d'une de leur meilleure amie. Et Namjoon était en retard, avec le cadeau qu'ils avaient soigneusement préparé ensemble. Jimin n'avait jamais compris ce qui lui avait fait autant de mal à ce moment : la honte de chercher des excuses pour l'impolitesse de Namjoon, le sentiment d'avoir été abandonné dans une situation qui lui faisait peur, la sensation d'être petit et ridicule sans lui à ses côtés. De n'être rien, de n'être personne. En l'occurrence, ce retard n'avait semblé déranger personne. Ils avaient ouvert les cadeaux sans lui. Mais Jimin avait besoin de Namjoon. Il avait besoin qu'il soit à l'heure, à ses côtés, avec le cadeau joliment emballé quand ils étaient en société.

Quand Namjoon était enfin arrivé, essoufflé d'avoir monté les escaliers du petit immeuble, le cœur de Jimin s'était serré. Comme s'il détestait son sourire de vainqueur, comme sa petite souffrance de merde n'aurait pas dû exister. Il s'était laissé embrassé froidement, il avait évité son regard toute la soirée comme pour le punir. Il était minable. Jimin se détestait dans ces moments-là. Mais il ne pouvait pas s'empêcher d'être dévasté, pour une raison obscure. Il avait eu envie de pleurer quand il l'avait vu se forcer à blaguer, à danser, à sourire pour que leurs amis ne remarquent rien. Pour combler la présence glaciale de Jimin. Namjoon avait compris que ça n'allait pas. Que Jimin était un chieur. Que Jimin était insignifiant sans lui. Que Jimin était celui qui gâchait tout. Que Jimin lui faisait mal. 

Il l'avait retrouvé sur le balcon une heure plus tard, quand les autres étaient occupés à danser. Jimin fumait nerveusement appuyé contre le ciment glacé, refusant de lui adresser un seul regard. Namjoon l'avait approché avec prudence, comme s'il lui faisait peur. Il lui faisait mal en tout cas. Jimin se trouvait minable. 

Qu'est-ce qui se passe? Rien. Si, je sens que ça ne va pas là. Rien, je te dis, laisse tomber. 

Et il avait laissé tomber. Il l'avait laissé là dans le froid de la nuit, à écouter les gens qui savaient aimer et vivre sans arrière pensée, de l'autre côté de la baie vitrée. Tout ça était tellement con. Jimin avait pleuré en silence. Il aurait voulu qu'il le prenne dans ses bras. Il se faisait pitié.

Encore aujourd'hui, quand il repensait à Namjoon qui faisait semblant de s'amuser à cette soirée d'anniversaire pendant que lui devenait un amoureux minable, il trouvait que c'était l'un des souvenirs les plus tristes de son existence.

Jimin avait toujours été quelqu'un de compliqué à approcher. Peut-être que Namjoon aurait voulu qu'il se laisse aller à la colère de temps en temps. Peut-être même qu'il attendait ses larmes comme une terre assoiffée. Mais tout comme il ne pouvait pas faire pleuvoir le ciel, il ne pouvait pas exiger de Jimin d'avoir un cerveau plus simple. Parfois, Jimin avait envie de rire à cette pensée : lui qui lui avait volé le chagrin d'une vie avait ironiquement raté ce piteux spectacle. La vie avait parfois une drôle de moralité.

Yoongi et Jimin fumèrent silencieusement accoudés à une table de pique-nique, deux gobelets brûlants devant eux, auxquels aucun ne voulait toucher. Ils avaient la bouche pâteuse et la gorge serrée. Jimin le fixait nerveusement. Jimin avait été hanté par ces images de Yoongi allongé-là, ses cheveux noirs en vrac sur l'oreiller, les yeux levés vers lui comme un pèlerin atteignant le bout de son périple. La façon dont il s'était fait tout à Jimin et le plaisir inavouable qu'il avait d'être à sa merci. Peut-être qu'il pourrait être quelqu'un de plus simple à l'avenir, il l'ignorait. Il voila son visage quelques secondes dans une bouffée de nicotine et finit par parler :

- Vous savez, à propos de ce qu'il s'est passé... La dernière fois...

Il sembla hésitant à poursuivre mais le silence attentif de Yoongi le poussa à poursuivre :

- Est-ce que vous laissez toujours les gens vous toucher ainsi ? Comme s'ils pouvaient vous brisez ?

Yoongi le fixa quelques instants, comme s'il cherchait à voir à travers son regard. Là, enfin, dans l'intimité de ses pensées. Il croyait entendre Hoseok parlait et ça ne lui faisait pas plaisir. Il finit par détourner son attention sur un conducteur poids-lourd qui mâchait longuement son premier sandwich de la journée, encore endormi et solitaire. Il fuma quelques longues secondes, dans un silence pudique. Yoongi n'avait jamais eu honte de ses propres désirs, il était honnête face à ce qu'il aimait. Il n'ignorait rien de ce qu'il ressentait pour Jimin, à cet égard :

- Est-ce que cela vous a déplu ? S'enquit-il.

Jimin écrasa sa cigarette dans le cendrier, posant son menton dans sa main, l'air pensif. Il avait toujours choisi ses mots avec art. L'ombre d'un sourire passa sur ses lèvres, comme si sa pensée l'avait ramené à quelques doux souvenirs et qu'il ne pouvait plus nier :

- Non. Non, je ne dirais pas ça...

Yoongi s'obstina à fixer au loin mais il sentit ses joues chauffer légèrement. Ils connaissaient par cœur à présent ce petit jeu de pouvoir qu'il y avait entre eux. Ils en exploraient les contours, ceux qui blessaient et ceux qui faisaient du bien, aveuglément. Pourtant Jimin regardait Yoongi et il avait peur que l'amour soit cette substance qui lui laissait toujours le goût amer de la culpabilité quand il se prenait à y jouer :

- Alors que diriez-vous ? le défia-t-il, un sourire en coin pour cacher sa gêne.

Il se tourna vers Jimin qui le fixait déjà, comme s'il avait pu lui voler et lui rendre toute sa constante d'un battement de cil, d'une parole insouciante... Il est trop bon à ce jeu-là. Il était trop bon avec Yoongi. Il l'avait toujours été :

- Je me demande si vous serez comme ça aussi, pendant votre conférence.

Jimin sembla aussitôt regretter ses paroles. Et pourtant... Pourtant, ses pupilles brunes, habituellement si douces et pleines de sérénité, donnèrent soudainement le vertige à l'hydrobiologiste. C'était comme si, à demi-mots, dans un pouvoir endoctrinant que seul Jimin possédait sur lui, il lui demandait de se tenir sur scène pour lui. Qu'il souhaitait qu'il le désire et l'étudie avec cette même rigueur scientifique. Qu'il s'en obsède des années entières ou bien le restant de ses jours. Qu'il soit ivre de lui à ne se sentir plus vivre que dans sa soif. Ou peut-être était-ce que Yoongi aurait voulu voir dans ses si beaux yeux.

Ils avalèrent leur café rapidement et reprirent la route. Yoongi conduisait cette fois. Jimin fit semblant de dormir mais il comptait chaque kilomètre qui passait et le rapprochait de tout ça. Yoongi le déposa sur une petite place et le veuf resta évasif quant à la direction où se trouvait réellement son immeuble d'enfance. L'hydrobiologiste était un peu déçu de ne pas voir la rue en question, pour une raison qui lui échappait mais il n'insista pas quand il vit les mains de Jimin tremblantes. Il récupéra ses affaires, la salua à la hâte et, une fois sur le trottoir et son sac à dos sur l'épaule, il chercha aussitôt ses cigarettes. Il semblait tout petit, au milieu des grands bâtiments qui cachaient le ciel. Yoongi hésita un peu avant de redémarrer. Puis, il actionna le moteur et baissa sa fenêtre pour crier :

- Vous viendrez, n'est-ce-pas ? J'ai pris votre place...

Malgré la confusion qui traversait Jimin en cet instant, il perçut parfaitement la question et releva les yeux avec étonnement. Sa bouche se fendit en un grand sourire et son petit rire claire était sincère.





Revenir chez soi quand le monde que vous connaissiez s'était éteint sans votre accord, sans un mot, sans un pardon fut difficile les premiers jours. C'était si douloureux que Jimin ne voulait pas bouger d'un pouce, pétrifié. Il était allongé-là, sur son petit lit. Sans Namjoon pour l'écraser entre le mur et son corps et qu'ils ne finissent la nuit en jetant la couverture au sol, trempés de sueur. Ils en avaient passé des après-midis dans cette chambre, à prétendre étudier quand ils passaient des heures à s'embrasser en se caressant timidement.

Il avait les photos de leurs visages juvéniles en mauvaise qualité, accrochées sur la porte de l'armoire. Et Dieu que ça faisait mal de les regarder mais les retirer lui semblait relever du sacrilège. Il n'aurait jamais dû accepter de revenir ici. C'était une erreur. Il se sentait démoli.

Pendant plusieurs jours, il ouvrait les yeux au petit matin, émergeant d'un sommeil profond, la respiration lourde et la bouche sèche. Il écoutait sa mère allait et venir dans les autres pièces et le moindre son relançait une douleur aigue dans sa tempe. Il enfilait rapidement de vieux écouteurs poussiéreux et montait le son pour se déconnecter quelques heures du réel. Il prenait une quinzaine de minutes pour se toucher. Sans érotisme, juste dans l'espoir que le shoot de dopamine lui ferait sentir quelque chose d'humain. Après quoi, il enfilait ses vêtements de la veille et, laid et fatigué, il sortait de la chambre pour le repas du midi. Il souriait un peu, disait qu'il se reposait enfin. Elle lui disait qu'elle était inquiète et il s'énervait. Ils regardaient la télé, allaient se balader dans les petits parcs aux arbres décharnés.

Elle osa lui demander s'il avait des amis, là-haut. Il resongea à l'hôpital, à Taehyung. A la mort de Namjoon, lui et quelques-unes des filles de leur service l'avaient persuadé d'enfiler une paire de tennis et de joindre à leur footing rituel. Il avait accepté par politesse. Ils avaient couru dans le froid, la pluie et la nuit. Il avait tout détesté. Jimin les réentendait l'encourager avec l'assurance démagogue des sportifs du dimanche. Il lisait dans leur regard qu'ils croyaient faire quelque chose de bien. Et c'était vrai, ils étaient de bonnes personnes. C'était Jimin qui ne supportait plus aucun contact humain. Il avait honte qu'on le regarde comme s'il devait être aidé. Il avait mal simulé une tendinite pour qu'ils comprennent qu'il fallait le laisser seul dans son chagrin. Il avait détourné les yeux de toutes les mains tendues. Mais il raconta quand même à sa mère qu'il courrait avec des collègues, que ça lui aérait l'esprit après la débauche. Elle sembla rassurée.

Le soir, après la table débarrassée et le lave-vaisselle démarré, Jimin prétextait être gagné par le sommeil. Seul dans sa chambre, il semblait enfin sortir de sa torpeur. C'est là qu'il ressentait tout. Alors il étouffait ses pleurs dans sa chambre alors que tous les souvenirs défilaient dans son esprit. Il s'endormait rarement avant minuit.

Et puis, cette idée un peu conformiste d'aller fleurir une tombe, qui ne l'avait jamais vraiment charmé auparavant, sembla faire son chemin en lui. Il se força à accepter quand sa mère lui proposa d'aller acheter quelques vêtements propres et un rosier. Abruti par les bruits du centre commercial, il se figea devant un salon de coiffure aux prix imbattables. Il rassembla toute sa force pour pousser la porte et sembla totalement démuni quand on l'invita à exprimer son envie. Il chuchota juste de raccourcir un peu. La femme sembla attendrie et tâcha de lui faire une coupe un peu symétrique. Il se força à siroter un thé glacé qu'elle lui offrit. Elle était gentille et douce, ça le rassura un peu. Il s'obligea à accepter les mains sur lui, dans ses cheveux. C'était agréable. Il s'observa dans le miroir avec l'envie de pleurer. Il sentait en lui qu'il avait envie de nouveau d'être une personne qui prenait goût à ce genre de choses.

Le jour suivant, il emprunta la voiture de sa mère pour se rendre au cimetière, à une petite heure de la ville, avec le plant sur le siège passager. Dans la voiture, il alluma une radio commerciale, le volume poussé à fonds, et baissa en grand les fenêtres pour que les bourrasques de vent l'empêchent de se morfondre. Il se gara aux côtés de la voiture de son ex-belle-mère avec un généreux retard savamment calculé. Il ne voulait pas être là pour voir son menton trembler quand elle entrait dans le cimetière. Il fallait qu'elle ait eu le temps de s'impatienter et d'être suffisamment irritée pour retenir un peu ses larmes. Il ouvrit sa portière et envahit le paisible village de sa musique quelques secondes avant de couper le moteur. Il s'extirpa nonchalamment du véhicule alors que la silhouette de la femme se dessinait déjà devant le muret. Il avait enfilé une veste aviateur en cuir, qui avait autrefois appartenue à sa mère, avec un pantalon blanc qui brillait trop fort dans le soleil du printemps. Ses lunettes de soleil rondes avaient glissé insolemment sur le bout de son nez et ses épis de cheveux tombaient négligemment devant ses yeux.

Il prit soigneusement la jolie plante sur sa hanche avant de se diriger vers son ex-belle-mère qui le fixait, les lèvres pincées, preuve que sa nonchalance touchée juste dans la provocation. Elle portait une de ses petites tenues de femme résolue à ne plus chercher à plaire, toujours dans les tons bleu marine, blanc, gris ou noir. La moindre coquetterie, à elle aussi, semblait sonner faux. Elle évoquait quelqu'un qui avait perdu toute joie de vivre et Jimin se dit qu'ils ne s'étaient jamais autant ressemblés qu'endeuillés.

Ils plantèrent ensemble le rosier à gauche de l'affreuse pierre tombale du caveau familial et restèrent interdits devant le spectacle ridicule du plastique décoloré et de l'élégance surannée de la délicate fleur. Jimin sortit une cigarette machinalement :

- Vous ne venez jamais, asséna-t-elle.

Il essaya de contrôler son expression alors qu'elle s'apprêtait à être méchante encore une fois. Etonnement, derrière la douleur qu'il ressentait, il avait besoin de tout ce qu'elle ressentait de rage face à la vie qui lui avait pris son enfant :

- Avez-vous oublié comme mon fils vous aimez ? Poursuit-elle : Où étiez-vous occupé à vous faire conter fleurette ?

Peut-être qu'il était le seul à comprendre que l'injustice dont elle faisait preuve n'était rien comparé à celle qui leur avait pris Namjoon. Elle ne faisait que rejouer. Parce qu'elle ne pouvait pas s'extraire de sa douleur. Parce qu'ils ne pouvaient pas accepter ce néant en eux qu'il avait laissé en eux en partant. Il pouffa amèrement, incapable de répliquer quoique ce soit. Quelque part, elle voulait simplement observer que sa culpabilité était intacte, se rassurer :

- Vous avez le don pour la vulgarité, Jimin.

Il fut surpris du ton avec lequel elle avait parlé. Elle avait toujours eu ce phrasé trop articulé, comme une institutrice d'école qui essaye de vous apprendre les choses les plus basiques de l'existence. Mais il y avait cette fois une pointe de chaleur dans sa voix. Jimin se demanda si elle n'était pas soulagée au fond de ne plus se tenir seule devant cette tombe sans vie. Jimin et tout ce qu'il représentait était, en un sens, bien plus poignant que les fausses fleurs grillées par le soleil :

- Namjoon adorait ça, fit-il remarquer en soufflant la fumée par ses narines avec un ton quasi joueur : Laissez-lui donc profiter un peu de moi, pour une fois, vous qui ne l'avez que pour vous d'habitude.

Inutile de préciser comme Jimin lui devenait irrésistible quand celui-ci prenait plaisir à torturer sa pauvre mère et tous ses principes de bienséance. Il sentit qu'elle était traversée par une émotion forte, avant qu'elle ne murmure, d'un ton qu'elle voulait accusateur mais qui contenait une sorte de douceur :

- C'est sans doute ça qui lui plaisait le plus chez vous... Votre capacité à être l'opposé de tout ce que je chérissais.

En règle générale, quand quelqu'un faisait un si beau compliment à Jimin, il offrait volontiers une de ses cigarettes. Mais il se retint. Il leva les yeux au ciel, l'envie d'échapper un rire nerveux :

- C'est généralement ainsi que sont les enfants... souffla-t-il dans un sourire absent.

Elle lui écrivait des lettres de haine, il les conservait précieusement. Il cherchait à la scandaliser, elle lui donnait la répartie qu'il avait besoin d'entendre... Y-avait-il encore des raisons de se haïr sans Namjoon comme spectateur ? Un jour, cela s'évanouirait aussi. Un jour, ils oublieraient aussi qu'ils devaient se détester. Un jour, ils seraient de nouveau deux inconnus...

Elle avait ses yeux... C'en était douloureux de la regarder. Il avait envie de pleurer. Ce n'était pas si grave. Il se garerait un peu plus loin sur une route de campagne et noierait ses sanglots dans un air de reggaetown. Il avait pris l'habitude de fuir ses émotions. Mais à sa grande surprise, comme lui donnant finalement raison, elle posa une main sur son bras maladroitement et lâcha :

- Je vous laisse, Jimin.

Il hocha la tête, perdu tout à coup. Il écouta ses pas s'éloignaient sur le gravier grossier de l'allée. Intimidé, Jimin posa ses petites fesses sur la pierre tombale de Namjoon. Et sur tous ses respectables ancêtres. Il resta un long moment ainsi, finissant son paquet de cigarettes quasi neuf jusqu'à la tombée de la nuit. Il se sentait stupide, sur cette tombe. Ne pas savoir s'il devait pleurer ou raconter sa journée à voix haute. Jimin n'était pas fait pour l'amour. C'était déjà trop pour quelqu'un comme lui. Alors le deuil... Le deuil, c'était une extravagance qu'il n'avait pas. Il avait l'impression terrible d'être à cette fête d'anniversaire où il ne savait pas comment il devait se sentir, où il ignorait que faire de sa douleur. Il était parcouru de tant d'émotions contradictoires. Ce qu'il ressentait pour Namjoon ne s'était jamais limité à l'amour. Il y avait eu entre eux la colère, la jalousie, le ressentiment, l'amitié, l'admiration, la séduction, le désir, la culpabilité... Ensemble, ils avaient exploré toutes les couleurs qui rendaient si fortes les relations entre deux personnes.

De son vivant, Namjoon n'aura jamais accepté que Jimin se trouve ainsi des excuses mais... Lorsqu'il envisageait de descendre les chaussures de Namjoon qui traînaient dans l'entrée à la cave... Cela lui semblait insurmontable. Il avait même gardé la maison très propre. Ce n'était pas vraiment un besoin à lui que d'être dans un environnement bien ordonné mais il avait conservé les habitudes de Namjoon. Ce qui l'avait ennuyé au début de leur vie commune était devenu un réflexe chez lui aussi. Il pensait aux murs colorés, à l'étage. Ils avaient refusé de se contenter des murs blancs de la chambre, à leur aménagement. Ils avaient pris un plaisir enfantin à choisir les couleurs vives qui avaient peuplé leur intérieur, les frises de pochoirs, les petits carreaux et les pois. S'il voulait partir, il serait sans doute plus simple de payer la caution dans son intégralité. Parce qu'il n'avait aucune réalité où il se voyait défaire tout ce qu'ils avaient fait ensemble avec amour. Parfois, il fixait encore les petites coulures avec mélancolie. Comment pouvait-il quitter cet endroit ? Il aurait fallu un miracle, une prophétie... Ou perdre la caution et claquer la porte. Partir en courant, ne jamais se retourner. Dans tous les cas, ça serait un acte lâche.

Parfois, il avait songé que la mort de Namjoon était son plus grand échec. Mais quelle importance que ses regrets, au juste ? Il pouvait bien échouer une ou dix mille fois et son cœur battrait de la même des insensibles façons. Tout comme son estomac n'avait jamais cessé de crier famine, même dans les jours les plus terribles. Jimin était ridiculement vivant et il s'était tâché à oublier ce détail. Pour la première fois, Jimin voulait oublier les mots qu'il regrettait de lui avoir balancé au visage pendant leurs disputes. Et toutes les joies qui lui semblaient injustement perdues à jamais. Il fallait qu'il soit seul et qu'il n'ait pourtant besoin d'attendre personne pour avoir l'air entier.

Il écrasa son mégot et épousseta son pantalon blanc. C'était l'heure de rentrer. Il fallait qu'il dise quelque chose, au moins être un peu convainquant :

- Je suis quasiment sûr que tu n'as même pas remarqué que je suis allé chez le coiffeur...





L'infirmier prit place dans la salle de conférence, en recul. Son cerveau avait le don de calculer la géométrie pour qu'il trouve toujours le point de l'espace le plus à l'écart des autres. Mais il ne se sentait pas particulièrement mal à l'aise mais il avait le trac comme si c'était lui qu'on allait soudainement pousser sur l'estrade. La mousse noire au mur donnait une acoustique agréable aux bavardages paisibles des spectateurs. Il se mit à éplucher la brochure qu'on lui avait fourni à l'entrée, les mains moites. Un homme assez âgé s'arrêta à ses côtés pour lui demander le sujet de sa thèse. Les personnes âgées avaient toujours ce culot impressionnant d'exiger du moindre inconnu une conversation. Jimin précisa timidement qu'il était infirmier et le fixa avec curiosité. C'était la première fois qu'il rencontrait d'autres spécimens de l'ordre des hydrobiologistes. Jimin dévisageait les traits du vieillard comme s'il cherchait en lui des réponses et une émotion le gagna étrangement.

Yoongi apparut finalement sur l'estrade, posté derrière un pupitre où il déposait lentement ses notes pendant qu'il comptait poliment « 1,2. 1,2. » pour aider la régie à faire les réglages de son microphone. Il portait une chemise blanche à fines rayures bleu ciel dont il avait retroussé les manches, les pans rentrés dans un jean quelconque. Ses petites lunettes devant ses yeux fatigués mais concentrés lui donnaient des airs d'universitaire passionné qui charmaient particulièrement Jimin. La majorité de l'auditoire avait passé la cinquantaine depuis quelques années. Si on raisonnait statistiquement, c'était plutôt logique. Parce que la majorité des trentenaires avaient une vie à avancer, une maison à acheter, des voyages à faire, des amours d'une vie à construire, des enfants à voir naître. Et dans toute cette tempête de vie, il y avait Jimin et les vieux chercheurs qui n'avaient rien d'autre à faire que d'être ici ce soir. Pour une fois, il se sentait un peu à sa place.

Sur l'écran géant, un diaporama propre et sérieux exposait le titre de la conférence, illustré par une carte de chaleur mystérieuse et la photographie d'algues ondulant au fond du lit mineur d'une rivière. Le cœur battant, Jimin reconnut aussitôt l'endroit. Il se souvenait avoir posé ses pieds sur cette berge joliment méandrée, aux côtés de Yoongi. Il se sentait comme un jeune marié dont on passe en revue les images d'une vie, exposées aux yeux de tous, et dont un tout plein d'émotions saisit soudainement le cœur. Il y avait des souvenirs presque anodins et anecdotiques qui, pourtant, revenaient à sa mémoire avec précision. Et comme si lui, de nature si pudique, avait le trac tout à coup, d'entendre résonner la voix de Yoongi qui allait poser des mots scientifiques sur leurs flâneries galantes. Et comme si finalement, il pouvait applaudir, se lever et repartir, son manteau sur le bras, en laissant derrière lui une partie de sa vie qu'il avait oublié de regarder et dont Yoongi avait fait un objet de savoir resplendissant.

Finalement, dans une extraversion dont seul Yoongi était capable, le scientifique retira ses lunettes et imposa un moment à l'auditoire impatient pour frotter ses paupières éprouvées. De toute évidence, l'équipe lui avait financé une chambre dans un hôtel pourri, dans un quartier merdique et bruyant. De toute évidence, il n'avait dû dormi que quelques heures depuis le début du séjour, se contentant des matins où la musique des bars s'arrêtaient enfin. Finalement, il réajusta ses lunettes sur son nez, vérifia que son micro était allumé avant de se lancer dans un grand sourire pour débuter sa présentation. Si Jimin ne le connaissait pas aussi bien, il aurait pu croire que Yoongi était d'une détente inégalable. Mais il savait que le scientifique jouait à cet instant une partie de son existence, peut-être la plus importante. Alors il se figea sur son siège et retint son souffle.

Yoongi les accueillit avec chaleur et amitié aussitôt, passa quelques minutes à introduire leur soirée, ignora le sommaire avec beaucoup de désinvolture avant de se lancer dans le contexte du projet et le rappel des notions d'hydrologie de bases. Son talent de conteur rendait le déroulement de la méthodologie à la discussion, en passant par les résultats, tout à fait cohérent. Mais tout se passait au fond de lui, en réalité. Il revenait des années en arrière à ce premier cours où il était tombé amoureux des quelques notions d'écologie scientifique. Et puis à toute sa trajectoire de scientifique, sa déception amoureuse avec le monde universitaire, ses débats alcoolisés avec le monde agricole sur l'usage des pesticides et le curage des ruisseaux. La façon dont il s'enflammait et brandissait ses résultats d'analyse d'eau aux nez des élus. La joie qu'il ressentait à convaincre et la frustration de ceux qui refusaient la rigueur scientifique. Sa prise de direction de son laboratoire, là-haut, dans sa campagne pluvieuse. Les longues heures de concentration en hiver, à trier les échantillons et les étés les pieds dans l'eau des ruisseaux à l'étiage, sous le soleil agressif. Get Down Saturday Night qu'il faisait résonné dans les enceintes de son labo. Et les solos de guitare endiablés de l'entomologiste sur un erlenmeyer quand il venait lui piquer ses plus beaux spécimens pour sa collection. Ses collègues qui comprenaient son éblouissement pour les secrets du vivant et les moqueries des autres chercheurs quand il avait perdu son propre fil. Quand il s'était senti seul. Quand l'hydrobiologie s'était avérée ne pas suffire pour le sauver de tout. Quand sa discipline l'avait noyé alors qu'il n'avait jamais eu qu'elle pour inspiration. Quand on lui avait dit de ne pas retourner au laboratoire, demain matin. Quand on lui avait dit qu'il devait se reposer. Quand ça pouvait attendre qu'il aille mieux, « tout ça ». Et que le jour suivant, il n'avait pas eu à mettre de réveil.

Etrangement, il repensait à Hoseok, à ses amours déchus, quand il songeait à l'époque où il ne vivait que pour l'hydrobiologie. Il repensait à la façon dont il s'était accroché à quelque chose qui, de nature, ne pouvait pas le sauver. Son cœur battait si fort qu'il en oubliait Jimin, quelque part dans la salle.





Après la conférence, le moment des questions s'éternisa et certains, impatients, quittèrent la salle surchauffée pour prendre l'air. Yoongi chercha Jimin des yeux alors qu'il finissait son verre de mousseux, perdu au milieu des membres de l'unité de recherche, qui célébraient, victorieux, le succès de cette soirée. En vain. Il ressentit une pointe de déception en découvrant un message lui indiquant qu'il attendait dehors, qu'il pouvait prendre tout son temps. Yoongi lâcha son téléphone des yeux quelques instants pour fixer ses compères qui parlaient de nouveaux projets dont il n'avait pas été informé. Il se râcla la gorge à deux reprises pour attirer leur attention avant de prendre congé poliment. On le salua chaleureusement mais ils n'allaient pas le regretter au restaurant ce soir. Personne n'insista pour qu'il reste. Yoongi avait l'habitude. Il récupéra ses affaires et sortit. Jimin fumait dehors, dans le froid, son manteau bien trop léger serré sur sa poitrine, exactement comme il l'avait imaginé. Ils se sourirent à travers la baie vitrée, intimidés de se retrouver dans un décor si différent de d'habitude. Il traversa la porte qui les séparait pour le rejoindre :

- Bonsoir, souffla Jimin, presque enfantin, alors qu'il lui tendait un petit bouquet.

Yoongi l'accepta, un peu déboussolé par le protocole avec lequel il le félicitait pour son intervention :

- Je vous ai apporté des fleurs. Je sais qu'elles ont probablement une empreinte carbone trop importante à votre goût mais je me disais que ça vous ferait plaisir quand même. Ça reste des plantes. Et puis, comme ça, vous n'auriez pas trop de remords à les abandonner dans la poubelle de l'hôtel au moment de repartir.

Jimin avait changé de vêtements. En fait, c'était la première fois que Yoongi le voyait vêtu de ses vêtements à lui et non de reliquats de la garde-robe de Namjoon. Sa silhouette apparaissait pour la première fois, comme une inconnue qui se révèle à la fin de l'équation. Ils avaient beau avoir partagé une nuit, Jimin lui était resté dissimulé de bien des manières. Le découvrir ainsi, aussi simplement, l'intimidait énormément, comme s'il avait l'impression d'être témoin de quelque chose qui ne lui était pas réservé.

Jimin avait aussi fait couper ses cheveux et c'était étonnant car il ne laissait habituellement personne le toucher. Il semblait totalement différent ainsi. Ça lui allait bien, bien-sûr. Mais d'une certaine manière, il n'arrivait pas à mettre un mot juste sur ce que cela lui inspirait :

- Je suis sorti un peu en avance, expliqua Jimin : il faisait chaud et puis...

Il désigna son mégot avec une moue désolée. Mais il mentait. Il n'avait surtout pas supporté de voir Yoongi, tout petit à côté des autres, qui essayait en vain de trouver sa place parmi les différentes conversations. Il l'avait observé quelques instants papillonnait entre les groupes, tentait des sourires et des regards qu'ils évitaient soigneusement de relever. Il ressemblait à un enfant rejeté. Il l'était. Malgré sa gentillesse, malgré ses compétences, sa curiosité, son cœur. Malgré tout ce que Jimin admirait chez lui, Yoongi finissait toujours, par la force des choses, seul. Ce n'était pas de sa faute. C'était la leur. Celle de Jimin, parmi toutes les autres, était celle qui le répugnait le plus.

Jimin voulait le fuir à tout prix avant qu'il ne le méprise pour sa gentillesse. C'était une bien stupide raison que de se mettre à détester quelqu'un pour être trop gentil. Mais si Yoongi avait vraiment été quelqu'un de fort et d'indépendant, il aurait dit quelque chose depuis longtemps. Il aurait posé des questions, il aurait clarifié certaines choses. Mais il restait infailliblement silencieux et docile. Il distribué son pardon avant même qu'ils ne songent à chercher une quelconque rédemption. Et ainsi, toutes sensations de culpabilité et de honte devenaient obsolètes avant d'avoir pu prendre leur sens. Le cœur de Jimin était alors autorisé à s'éviter l'inconfort. Jimin haïssait cela. Il ne voulait rien avoir à voir avec toute cette bande de chercheurs qui se faisaient mousser en exerçant leur petite dominance dans le monde étriqué de leur laboratoire. Il ne voulait pas être associé à cette femme qui l'avait humilié toute son enfance et que Yoongi n'arrivait toujours pas à détester. Il ne voulait rien connaître de ce pouvoir-ci. Il voulait pour une fois être quelqu'un de bien :

- Ça n'a pas d'importance, le rassura le scientifique avec un sourire aux lèvres. Je vous remercie d'avoir été présent.

Ils marquèrent un silence.

- Allons dîner quelque part, ordonna Jimin avec son autorité naturelle alors qu'il s'éloignait de quelque pas pour jeter sa cigarette : Je ne peux pas vous laissez aller vous coucher sans avoir trinqué à votre réussite. Les gens vous ont adoré.

C'était une façon subtile pour Jimin de dire qu'il avait apprécié lui-même la conférence. Et encore plus le regarder brûler et se consommer totalement pour son sujet, ses lunettes déséquilibrées par la passion adorable avec laquelle il s'exprimer. Et son petit cul moulé dans son jean. Il avait mis une eau de Cologne assez féminine et sucrée sur son col et Jimin avait envie de le prendre contre lui et d'enfouir son visage dans son cou.

Puisque Yoongi n'arrivait pas à décider quoi commander, ils partagèrent deux plats dans un restaurant quelconque, les fleurs de Jimin posaient entre leurs bières. L'adrénaline courrait encore dans les veins de Yoongi et il se fit bavard. Jimin était bien trop resplendissant ce soir pour qu'il ne le quitte du regard. L'infirmier avait appuyé son menton dans sa main et l'observait avec un petit sourire. Et Jimin n'avait été si beau qu'à cet instant, le visage illuminé par la lumière chaude de la petite lampe de table. Ses pommettes rondes rappelaient les courbes charnues des chérubins des peintures théologiques quand il s'esclaffait. Yoongi avait presque envie de se convertir.

Quand le serveur leur annonça la fermeture, ils prolongèrent d'une cigarette la conversation, s'éternisant pour oublier que cette nuit finirait. Quelque part, Jimin n'avait jamais été si proche et si lointain que ce soir et Yoongi n'arrivait pas à savoir s'il était heureux ou s'il avait envie de se jeter d'un pont :

- J'ai aimé ce que vous disiez, par rapport aux crues, commenta Jimin avec un petit sourire incertain. Que c'était le cycle de vie d'une rivière que de déborder.

Il se retint d'ajouter qu'il se sentait parfois comme une plaine alluviale dont on avait enterré la rivière parce qu'il trouvait ça stupide. Mais c'était ce qu'il avait ressenti quand l'hydrobiologiste avait expliqué son schéma. Yoongi était appuyé contre la gouttière du restaurant et l'observait avec un mélange d'attention et de surprise, son regard voyageant d'une pupille à l'autre. De toute évidence, il avait compris :

- Fumez pour moi, s'il-vous-plaît.

Le scientifique avait soufflé ces mots avec autant d'incertitude que d'autorité. C'était le genre de ton qu'on employait pour supplier un Dieu. Jimin frissonna à sa demande.

Cela lui semble vertigineuse, il en a le tournis. Il repense à la première cigarette qu'il a allumé pour draguer Namjoon. Celle par la fenêtre de l'hôtel, lors de la nuit de noce. Et toutes les autres quand il nourrissait tragiquement l'espoir de le retrouver et de l'oublier en même temps.

Il coinça le bâton entre ses lèvres en fixant Yoongi droit dans les yeux. Ses pupilles noirs le suppliaient de leur profondeur. L'avalent, le font prisonnier, contrôlent son esprit pour le garder possessivement pour lui. Et Jimin ne veut pas lui échapper une seule seconde. Pour un instant.

Dans un sens, à l'air coupable mais apaisé de Jimin, Yoongi avait déjà deviné. Il sait qu'il est en train de chercher les bons mots pour lui dire les choses, pour lui expliquer qu'il va partir. Il reconnaît un cœur qui s'éloigne. Après tout, beaucoup ont déjà quitté Yoongi. Ce n'est pas la peine que Jimin se tracasse avec un beau discours...

Sa main tremble lorsqu'il allume son briquet. Jimin lui appartient totalement pendant ce moment futile. Il veut juste qu'il fume pour lui. Juste pour lui. Juste quelques instants.

Yoongi sait très bien que Jimin veut lui dire qu'il se sent incomplet. Qu'il est incapable de vivre tout ça avec lui. Yoongi aimerait prétendre qu'il ne comprend pas. Il aimerait lui dire que pour lui, Jimin est totalement complet. Mais c'est un mensonge, il le sait. Il sait que Jimin est bien plus vaste que ce qu'il a pu incarner jusqu'ici. Il sait que Jimin s'est senti coupable à l'instant même où leurs regards se sont croisés et qu'il a ressenti quelque chose qu'il devait refouler. Il sait que la nuit, probablement, il demande à un mort son pardon. Il sait que dans ce vide, il n'y a pas de place pour Yoongi.

Alors c'est vrai, une réalité est parfois douloureuse. Mais c'est la vérité. Yoongi sait comme on ne doit pas détourner le regard des vérités. C'est une question d'intégrité scientifique. On n'accepte pas une réalité. Ce n'est pas quelque chose qui doit être accepté. C'est irréfutablement à propos d'être.

Il a l'impression que c'est injuste. Il a impression qu'il aura du mal à respirer en passant la porte du laboratoire. Il a l'impression que les rivières ne l'intéressent plus. Mais il n'y aura aucune splendide invention humaine qui pourra rendre une verité moins véridique. Vrai et faux. On et off. 1 et 0. La vie et la mort. Jimin et Namjoon. C'est ainsi. Quand bien même c'est d'une douleur inouïe pour leur condition de mortel que de l'accepter, Yoongi ne peut rien y faire. Il ne doit rien changer à cela. C'est ainsi que tout est parfait.

Le temps guérit, paraît-il. Et, Yoongi, il se souviendra parfaitement de cette nuit où il redonnait Jimin au temps.

Jimin fume pour Yoongi. Et dans ce silence intact, il espère terriblement qu'il continuera à visiter sa maison pendant son absence. Que le printemps venu, Yoongi reviendra s'asseoir au Jardin. Il voudrait le lui faire promettre. Qu'il revienne au Jardin. Que Yoongi contemple les fleurs avec tout l'amour terrible que Jimin ressens pour lui. Il espère surtout qu'il ne prendra pas son absence pour une trahison ou de la négligence. Parce que ça n'a jamais été cela.

Il ignore quand mais Jimin reviendra. Il s'imagine qu'il reviendra. Alors il faut qu'il continue de revenir. De prendre soin du Jardin. De lire ses livres. De dormir dans ses draps. De donner un nom au chat errant. Car quand il reviendra, Jimin saura. Il saura comme la vie est faite de joie. Et comme cette joie est, en réalité, faite pour eux.

Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro