Je me réveille en sursaut, en m'asseyant brusquement sur mon lit. Je passe la main sur mon front en sueur, et secoue la tête. Encore et encore le même cauchemar. La mort de mes géniteurs.

Une fois que j'ai réussi à calmer ma respiration, je soulève ma couette, et la balance à l'autre bout du lit.

Un frisson me parcourt. Il fait vraiment très froid pour un début d'année. Mes yeux se posent sur mon réveil. Je laisse échapper un soupir. Plus que quatre minutes avant qu'il ne se mette à hurler comme une mouette enrhumée. Je me lève, allume la lumière, et me dirige vers mon placard pour choisir mes vêtements. Un jean slim troué aux genoux, et un sweat trop grand pour moi feront l'affaire.

Je les jette sur mon lit, et éteins mon réveil juste avant qu'il ne se mette à sonner. Les larmes me montent aux yeux, sans que je ne comprenne vraiment pourquoi. Je les refoule rapidement, prends mes affaires, et me dirige vers la salle de bain. Je m'y enferme, enlève mon pyjama, et me glisse dans la baignoire, remplie d'eau chaude. Je ferme les yeux, et ne pense plus à rien. C'est l'un de mes seuls répits de la journée.

Je sors de l'eau au bout d'une demie-heure, après m'être lavée, et enfile mes vêtements. Je peigne ensuite mes cheveux châtains, les sèche, et passe le lisseur sur chaque mèche, de façon à cacher mes pointes qui se retournent chaque fois vers l'extérieur. Je pose le lisseur sur le lavabo quand j'ai fini, et m'observe dans le miroir. La seule chose de belle, ce sont mes yeux. Je n'ai jamais vu une seule personne de ma vie avec la même couleur. Un bleu turquin bien marqué. Je m'approche encore plus du miroir, et je les vois. Les petits éclats turquoises juste autour de mes pupilles.

Je prends soudain conscience de ce que je suis en train de faire, et recule, effrayée. Mes yeux sont d'une couleur anormale. Je mets rapidement mes lentilles couleur chocolat. Je déteste la couleur bleue.

J'applique une grosse couche d'anti-cernes sous mes yeux, pour masquer les grosses poches noires qui y trônent, et glisse doucement du mascara sur mes longs cils noires.

Je passe mon gloss sur mes lèvres, et mets un peu de fond de teint sur les quelques imperfections qui ornent mon visage. Je vérifie que mon vernis ne présente aucune cassure, et j'enroule la bande blanche autour de mon poignet.

Chaque matin, c'est la même chose, toujours le même manège. Je dois être parfaite aux yeux des autres, ne montrer aucune émotion, aucune faiblesse. Être parfaite.

Je ne prends pas la peine de manger, ayant déjà trop de surplus de graisse à mon goût, et enfile mes pumas, pose mon sac sur mes épaules, avant de quitter la maison sans un bruit. Je glisse mes écouteurs dans mes oreilles, et marche au son de la musique vers mon arrêt de bus.

Je ne lève pas les yeux quand j'entends des voix discuter. Je mets la musique encore plus forte qu'elle ne l'était, et m'assieds dans l'herbe, un peu à l'écart des autres. Je me laisse emporter par la mélodie. Je peux sentir d'ici les doigts de Yiruma effleurer les touches de son piano.

Une plaquette de frein qui grince me sort brusquement de mes pensées. Le car est arrivé. Je me lève lentement, prenant le soin de m'essuyer, et me dirige vers l'entrée du car. Je trouve une place dans le fond, et m'installe côté fenêtre. Je rabats ma capuche sur mes cheveux, et m'enfonce un peu plus dans mon siège, quand je sens une masse s'affaler à côté de moi.

Je me tourne immédiatement vers celui qui a osé violer mon espace vital. Je le fusille du regard.

- Hey, Kenway, je t'ai manqué ? ricane Tiwan.

Je le regarde de travers, mais décide de l'ignorer, alors il continue :

- Quoi ? T'aurais préféré que ce soit Jéremiah à ma place ?

- Quand on y connaît rien, on ferme sa grande gueule, Morgan, je crache.

Jéremiah est mon ex-petit-ami. C'était un mec super gentil, et je pensais vraiment qu'il était l'homme de ma vie. Mais j'avais rapidement compris qu'il n'y avait eu que du cul, et qu'il ne couchait pas qu'avec moi. Je l'avais très mal pris, mais j'avais aussi saisi le fait que je lui avais menti tout du long sur moi.

Personne ne me connaît assez pour savoir tout ce que j'ai enduré. Qui je suis. D'où je viens.

- Que de grands mots de ta bouche si innocente, ironise-t-il, en levant les yeux au ciel.

Je serre mes doigts discrètement dans la poche de mon sweat, avant de répliquer :

- Je crois que la tienne en a vu plus d'une, et pas que des mauvaises.

Je sais qu'il va penser que je parle de couilles, comme l'homme qu'il est pense de travers, alors que je parlais de langues.

Il me regarde, éberlué, parce que normalement, je n'aurai même pas pris la peine de lui répondre.

La relation que j'ai avec lui est un peu spéciale. Nous ne nous supportons pas, mais pourtant, quand un de nous deux va mal, l'autre est toujours présent. Mais cela fait deux mois que notre relation se déterriore, sans que l'on n'en comprenne vraiment la raison.

- Oh, tu sais, je ne prends plus la peine de compter, rigole-t-il, mais je peux te dire, que le meilleur coup, c'était avec toi.

Je soupire d'exaspération. Ce mec a le don de m'énerver. Je plonge mon regard dans le sien, tout aussi chocolat que le mien. Il détourne le regard, et je suis surprise qu'il le fasse le premier.

Je fais le choix de ne pas répondre et augmente encore un peu plus le volume de ma musique. Je sens de nouveau son regard sur ma petite personne. Je l'ignore et observe le paysage qui défile à travers la vitre.

Tiwan est réputé comme bad boy, celui qui brise le cœur de toutes les idiotes qui osent s'en approcher. Tout le monde sait ce que Tiwan réserve à ses conquêtes. Et pourtant, chacune de ces idiotes est persuadée qu'elle est celle qui va le faire changer. Celle qui le fera changer n'est pas encore née. Il aime bien trop s'amuser. Ou tout simplement oublier ses soucis dans les bras d'une fille.

Il y a chez lui quelque chose de brisé, de fissuré, comme si on avait voulu recoller les morceaux d'un vase et qu'on avait simplement réussi à construire une tasse avec les bouts de verre retrouvés.

Combien de filles avais-je entendues pleurer dans les toilettes à cause du beau Tiwan ? Et pourtant, il n'a jamais été méchant avec moi, et je l'en remerciais.

Je n'aurais probablement pas supporté qu'une autre personne que moi me trouve affreuse. C'est tellement débile.

J'ai besoin des autres pour m'aimer.