A TRAVERS LA PENOMBRE.
P A R T I E I
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- Papa, je pars.
- Hum.
- Je pense ne plus revenir.
- Hum.
- Parce qu'il y a des loups, des panthères, et même des ours blancs là-bas... Et une girafe. Il paraît qu'elle étrangle les campeurs avec son cou et leur chie dessus avant de les dévorer.
- Hum.
Je secoue désespérément la tête et sors du manoir avec ma valise et mon sac à dos, laissant mon père pianotant sur son ordinateur. Maintenant, je dois prendre un bus parce que l'autre espèce de satyre qui me sert de père a refusé de m'accompagner jusqu'au lieu de rendez-vous pour le club de campeurs. Et c'est partie pour me taper dix kilomètres de marche ! Non mais quelle idée de se construire un manoir aussi loin de la ville...
J'arrive enfin à l'arrêt de bus et le prend pour me rendre à l'autre bout du pays, où se tient ce club spécialement fait pour les adolescents de quatorze à dix-sept ans. Au bout d'une heure et demi de route, me voilà enfin arrivée.
Je les voit déjà au travers de la vitre. Il y a un homme petit et chauve portant des lunettes, un autre plus grand aux cheveux brun mi-longs et légèrement musclés et une femme rousse de taille moyenne, très mince. Sûrement les moniteurs. Ils sont accompagnés de quelques ados qui viennent eux aussi d'arriver en voiture ou à pied. Ils ne sont que sept, trois garçons et quatre filles. Génial. Si ça se trouve, ce club a une sale réputation et ce ne sont que les paumés de la vie qui y entrent...
Je descend alors du bus et vais les rejoindre. Les moniteurs me demandent mon prénom et le barre ensuite sur leur cahier. Je me met avec les autres puis la femme commence un discours.
- Bonjour les gars ! J'espère que vous allez bien ! En tout cas, vous irez encore mieux après ces deux semaines en forêt ! La forêt est un lieu magnifique ! Les oiseaux chantent, les champignons y poussent, sans parler des nombreux animaux qui...
Je ne savais pas qu'il était possible de dormir debout.
Elle la ferme enfin, et nous invite à gagner un car spécialement là pour nous après avoir mis nos valises et autres sacs dans le compartiment du dessous. Il est sensé nous mener à proximité du lieu de campement, au centre de la forêt. Je suis d'ailleurs la première à y entrer et à prendre une des places près des fenêtres. Mais, à peine assise, regardant vers l'extérieur, je vois un bracelet de cheville semblable à celui que je me suis attaché plus tôt ce matin et, regardant au bas de ma jambe, je me rend compte qu'il est bien le mien. En m'excusant, je descend et vais le récupérer. Mais, remontant dans le car, à ma grande surprise, je vois l'un des garçons du groupe assit à ma place, à l'aise, regardant par la fenêtre.
- Excuse moi mais c'est ma place.
Toujours observant l'extérieur, la main contre la joue, il répond nonchalamment.
- Il y a des places dans le fond.
- J'étais assise là alors, s'il te plaît, toi vas te chercher une place dans le fond.
Il me regarde enfin puis fait défiler ses yeux le long de mon corps, de haut en bas, avant de croiser son regard avec le mien.
- Reviens le jour où tu pourras prétendre avoir le pouvoir de me faire quitter cette place.
- D'abord, tu n'es rien devant moi alors pouvoir ou pas, tu vas retirer ton cul de ma pl-
- Ma belle ?, me coupe la monitrice. Nous allons démarrer. Il vaudrait mieux que tu te trouve une place. Regarde, il y en a tout au fond.
Quel pauvre type. Nous ne sommes même pas encore arrivé au campement que, déjà, je me fait des ennemis.
Obligée, je prend place sur l'un des sièges du fond qui, en plus, n'a pas d'accès direct à la fenêtre, tandis que l'autre prend ses aises sur ce qui devrait être MA place. D'ailleurs, plus d'une fois, il a surpris mon regard méprisant posé sur lui durant tout le trajet, et n'a pas hésité à me répondre par un sourire en coin.
Au bout de vingt minutes, le car s'arrête et je me précipite pour descendre et récupérer ma valise et mon sac à dos. Une fois le véhicule complètement vidé de ses bagages, les moniteurs nous demande de les suivre pour rejoindre le campement à quelques mètres de là, à pied. Mais, très vite, pour moi, les mètres deviennent des kilomètres. Je sens mes forces fondre en moi. Les autres campeurs derrière moi le remarquent et s'empressent de me passer devant. Ainsi, moi qui me trouvais juste derrière les moniteurs, fini avant dernière, devant l'autre type, le connard du car. Merveilleux.
Enfin, après ce qui me semble être un millénaire, nous apercevons le campement. Les autres campeurs se précipitent, excités et curieux sûrement, sauf celui derrière moi. Mais qu'est-ce qu'il a ? Il aime bien marcher derrière moi ou quoi ? Ou, peut-être, qu'il aime avoir une vue sur mes fesses... Cette pensé me met d'un coup très mal à l'aise. J'ai l'impression d'être toute nue.
Je rassemble alors le peu d'énergie qu'il me reste et presse le pas.
- Hé !
Oh non. Il m'appelle. Je vais faire comme si je n'avais rien entendu et ça ira.
- Héo ! La fille avec plein de boutons !
C'est vraiment tout ce qu'il a trouvé pour m'interpeler ? Faire allusion à mon acné ?? Alors, là, si il croit que je vais lui accorder ne fut-ce qu'une maigre seconde de mon temps...
Je marche encore plus vite lorsque, soudain, je sens ma valise heurter ce qui doit être une pierre et la fermeture éclair lâcher sous la pression de mes affaires mises en vrac. Je me retourne directement et vois mes habits, mes produits de beauté et même mes sous-vêtements éparpillés sur le sol.
Non, non, non !
Je me précipite pour tout ramasser espérant que l'autre n'ai pas eu le temps de voir quoique ce soit de compromettant. Je fou de nouveau tout dans ma valise, désormais fichue, et décide de la prendre dans mes bras pour la porter tant bien que mal jusqu'au camps. Je n'ai même pas lancé un seul regard à l'autre type. J'espère que, par ma royale indifférence, il sentira que je ne suis pas n'importe qui !
- Euh, je crois que tu as oublié quelque chose.
C'est pas vrai...
Je me retourne donc et prend l'expression la plus féroce que je puisse avoir.
- Quoi !, dis-je d'un ton sec.
C'est uniquement lorsqu'il s'approche de moi, tout en ayant les yeux rivés sur un bout de linge blanc orné d'une tâche jaunâtre en plein milieu, que je me rend compte de ce qui se passe vraiment.
Il me tend ma petite culotte et pose maintenant ses yeux sur mon visage que je sens brûlant. Je n'ose même pas le regarder dans les yeux. Je libère péniblement une de mes mains prises à soutenir ma valise et récupère mon bien.
- Le bicarbonate de soude peut être pas mal efficace pour enlever... ce genre de tâche.
- M-merci.
Il décide ensuite d'aller dans le camps, me laissant plantée là.
Purée... Et moi qui jouais la gangster, la fille féroce qu'il ne devrait pas s'hasarder à embêter et puis il y a ça... Mais qu'est-ce qui m'est passé par la tête pour emmener une culotte sale ? En plus, il me donne des conseils pour effacer la tâche ?? Je n'ai jamais été aussi mal de toute ma vie, je pense.
Bon. Le mal est fait. Je ne vais pas rester là à attendre un miracle pour effacer cette honte.
Je me retourne en direction du campement et y entre. C'est un campement vraiment très moderne avec de grandes tentes déjà dressées pour nous, plusieurs coins légèrement élevés pour allumer des feux de bois avec des bancs de pierre disposés tout autour, une paillotte surélevée destinée au self service, des sanitaires non loin et même un espace jeux avec des fléchettes, des cibles et un baby-foot. Je suppose qu'ils ont choisi de ne pas ajouter l'électricité pour préserver un minimum le sentiment de dépaysement.
- Re-bonjour à tous !, commence le moniteur chauve. Nous sommes enfin dans ce qui sera notre base de recherche. Alors, je vais commencer pas me présenter plus concrètement : je suis zoologiste et ai comme rôle de vous faire découvrir le monde des êtres que je nomme extra-humain, les insectes.
Ce qui fait pouffer de rire deux filles aux cheveux châtains dans le fond.
- C'est pour cela que je vous demanderais de ne pas les écraser, les frapper, ou leur manquer de respect durant votre séjour au sein de leur lieu de vie naturel. Ils ne rentrent peut-être pas dans les critères de mignonneté humains mais ils sont fragiles et ont besoin de votre attention.
J'ai la vague impression que c'est de lui-même qu'il parle.
- Comme vous le voyez, reprend le zoologiste, vos tentes sont déjà dressées et n'attendent plus que la formation des quatre groupes de deux pour être occupées. Levez les mains que je note les groupes. Alors, groupe Un ?
Deux garçons lèvent instantanément leur main. Puis arrive le tour du groupe Deux constitué des deux filles qui ont ri tout à l'heure. Les deux derniers groupes hésitent à se former. Je me presse alors et tente de me concerter avec une des filles restantes mais le moniteur brun est plus rapide.
- On ne va quand-même pas y passer la journée. Allez, les deux blondes, vous vous mettez ensembles et la brune... Tu peux aller avec le dernier garçon s'il te plaît ?
Quoi, quoi, quoi ?? Ah non ! Je n'ai pas signé pour ça ! Même si je n'ai rien signé, en vrai...
Je décide donc de sortir l'argument type, il marche à tous les coups.
- Quoi ? Mais, monsieur, je suis une fille ! Je ne vais pas partager mon espace personnel avec un garçon !
- Sauf si tu vous vois déjà faire autre chose que dormir, je ne comprend pas où est le problème.
- Mais... Je suis déjà dans un binôme prêt !, dis-je en me tournant vers l'une des blondes et en lui agrippant le bras.
- Pas avec moi en tous cas, dit-elle en se dégageant.
- Quoi ? Mais non. Ne l'écoutez pas, elle ne sait pas ce qu'elle dit.
- Ça suffit !, s'énerve la monitrice rousse. Les binômes sont fait. C'est peut-être peu commode pour toi mais c'est comme ça.
- Ouais, il faut faire avec ce qu'on a !, dit une des filles aux cheveux châtains un peu plus loin.
Des paroles suivies de ricanements de sa copine. Mais de quoi elle se mêle, elle ?
- Écoutez, intervient l'autre connard, j'en ai rien à cirer d'elle. Elle peut très bien emménager dans une autre tente, il y en a plein. Et moi je dors de mon côté.
Comme si j'en avais quelque chose à cirer de toi, moi.
- C'est que nous sommes dans la forêt et il n'y a pas d'électricité, réplique cette fois le brun. La nuit, quelques fois, il est utile d'avoir une personne tout près pour aider, ou juste en guise de compagnie. Donc, ce n'est pas une proposition, mais une nécessité.
Sans attendre une réponse de nous, ils se détournent et s'éloignent. Je tourne timidement la tête et regarde par dessus mon épaule. Il est toujours là. Il me regarde. Il me fixe même. Je sens que ces deux semaines seront longues...
Je ramasse ma valise et me dirige vers la tente qui nous est assigné. Il me suit. Il est juste derrière. Tout le temps derrière moi. Il me stresse tellement.
Nous entrons et voyons deux sacs de couchage séparés par un meuble bas à tiroir. Je pose délicatement mon sac à dos et ma valise au sol et examine délicatement ce qui sera mon nouveau lit pour les prochains jours, tandis que l'autre balance ses affaires et s'allonge sur le dos sur son sac de couchage.
- Imagine il y a des insectes dedans, dis-je en le regardant les sourcils froncés.
- Bah je viendrais de tous les écraser.
C'est là qu'une araignée brune horriblement grosse et poilue sort de son sac.
- Oh mon Dieu, oh mon Dieu, bouges pas, t'as une énorme araignée qui sors de t-
- Ouais, j'ai vu, me coupe t-il. Je m'en charge..., rajoute t-il en l'attrapant avec les doigts puis la maintenant suspendue au-dessus de lui.
- Mais tu es complètement malade ! Imagine qu'elle est vénéneuse !
Toujours allongé, il me regarde, regarde l'araignée, me regarde une seconde fois en arborant un sourire en coin, puis me la lance en plein visage.
Je me met à hurler de toutes mes forces et sors de la tente. Je gesticule, je saute, je cours, et malgré ça elle s'agrippe toujours à mon nez. Mais où sont les moniteurs quand on a besoin d'eux, bon sang ! C'est seulement lorsque l'autre taré qui me l'a lancé arrive et me la retire que je suis enfin libérée.
Je m'assois par terre et me met à pleurer. C'était affreux. Le pire c'est que je n'ai reçu aucune excuse, aucun geste de compassion, même pas de la consolation.
Je le haie.
La soirée arrive vite et je ne suis toujours pas bien. Certes, je me suis arrêté de pleurer mais je n'ai toujours pas le moral. C'est à peine si j'arrive à avaler quelques choses. Après le diner, je retourne directement sous la tente et, deux heures d'inspection minutieuse plus tard, j'ai enfin le courage de m'allonger. Seulement un peu plus tard, mon colocataire rentre. Il se faufile directement dans son sac de couchage et, sur le ventre, utilise son portable.
Un silence s'installe.
Je ferme alors les yeux, serrant un livre contre moi, ma seule arme contre les intrus de moins de trente centimètres, et essaie de dormir.
- Tu as vraiment peur des araignées ?
Meuh non ! Tout à l'heure je ne faisais que danser la capoeira avec cette bête accrochée à mon nez, voyons !
- Qu'est-ce que ça peut te faire ?, ai-je répondu sèchement, les yeux toujours fermés.
- C'est juste que, certaines d'entre elles aiment bien les endroits frais et sales. Alors, si ta valise cache des culottes dans le style de celle que j'ai vu, tu devrais peut-être l'éloigner.
J'ouvre d'un coup les yeux, me redresse, et le regarde.
- Je n'ai pas que des culottes comme ça !
- Pas que ? Il y en pas mal d'autres alors ?
- Je... Non !
Face à ma brève hésitation, ses lèvres s'étirent doucement en un sourire avant qu'il éclate de rire.
Il a un rire vraiment communicatif. Très vite, je me met à rire à mon tour. J'oublie presque le fait qu'il m'ait balancé une mygale sur le visage quelques heures plus tôt.
Après nous être calmé, je me rallonge et le regarde, simplement.
- Comment tu t'appelle au fait ?, demande-t-il.
- Juana. Mon nom, c'est Juana. Et toi ?
- Appelle moi Arck.
Je lui fait un signe de tête approbateur et me tourne, lui faisant dos, pour dormir.
Après qu'il ce soit endormi, j'ai quand-même éloigné ma valise.
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- Debout là dedans ! On se lève, vite, vite !
- Purée..., râle mon voisin à moitié endormi.
- Oui, dis-je au moniteur brun qui a presque pété la fermeture éclair de la tente pour pouvoir entrer. Le temps de me rafraichir et je suis prête.
Je n'ai pratiquement pas dormi de la nuit. Je n'arrivais pas à me défaire de l'image de mille milliards de mygales grimpant sur moi.
- Matinale, c'est bien !
- Mais il est quatre heure trente du matin là, merde !, rétorque Arck après avoir regardé son téléphone.
- On doit aller ramasser du bois pour le petit déjeuner et le déjeuner alors si tu veux avoir quelque chose à manger tout à l'heure, tu te lèves.
- Parce qu'en plus on doit manger du bois ?, déclame une voix fatiguée un peu plus loin.
- Bien-sûr que non, Tya, c'est pour réchauffer la nourriture qu'on en a besoin, répond le moniteur.
C'est la fille qui s'est mêlé de mon affaire hier.
La journée passe assez vite : nous avons, pendant près de deux heures et demi, ramassé des branches d'arbre, avons pris un repas, puis avons passé le reste du temps à participer à des ateliers d'apprentissage de la vie en forêt.
Je croule de sommeil. C'est à peine si j'ai assez d'énergie pour maintenir mes yeux ouverts. Et, comme si ça ne suffisait pas, le cinquième atelier est destinée à l'apprentissage de la pêche. Splendide.
- Alors, commence la rousse, cela consistera à réussir à pécher deux poissons, maximum, qui servirons de déjeuner à votre binôme. Mais, attention, il faudra faire preuvre d'ingéniosité pour pouvoir trouver le meilleur point de pêche. Vous aurez une heure pour revenir ici.
La monitrice nous mène aux bords d'un large étang plutôt profond puis se retire.
Arck, qui a porté tout le materiel, le depose par terre et s'installe sur le sol. Je fait de même en m'asseyant en tailleur à sa droite, lui faisant face.
- Ok. Je vais pécher le premier. Aussi, vu que tu ne suivais pas les indications qu'on nous a donné, je vais faire un récap'. Alors, tu prends l'appât, tu le met sur l'hameç...
Je me suis endormi. Ma paume de main est si confortable. Néanmoins, je peux entendre des brides de ce qu'il raconte durant tout le temps qu'il passe à pêcher.
« ...voilà... »
« ...elle est belle, hein... »
« ...peut-être... »
« ...je vais tenter ma chance... »
Seulement quelques instants après ces dernières paroles, je sens des lèvres qui se posent sur les miennes. Elles sont lisses, si douces, tellement agréables... Attendez, quoi ? Des lèvres ??
Je réouvre les yeux directement et gifle celui qui a osé abuser de mon inconscience. Je l'entend tomber environ deux mètres plus loin.
- Oh, mon poisson !
Quoi ? C'était un poisson ?
- Qu'est-ce qu'il foutait contre ma bouche ??, dis-je en essuyant celle-ci.
- Comme tu arrêtais pas de dormir, je me suis dis que je devais te réveiller !
- Mais pas comme ça, imbécile ! Je te déteste !
Il me regarde toujours, les sourcils froncés. Mais, lentement, son visage se défait pour laisser paraître une expression moqueuse.
- Le pire c'est que tu y as répondu, tu sais, aux baisers du poisson.
Puis il s'en va dans un fou rire incontrôlable. Rah ! Je ne peux pas m'empêcher de rire avec lui. Après avoir passé des secondes interminables à rire, on s'arrête enfin et on se regarde.
Je n'y avais pas fait attention auparavant mais il a des yeux magnifiques, d'un gris-vert époustouflant. Et puis ses cheveux. Ils sont d'un noir déconcertant. Quelle combinaison étrange, si rare et, pourtant, si attirante...
Lentement, sans que je ne m'y attende, il approche son visage du mien. Et, très vite, il est tellement proche de moi que je sens son souffle contre ma peau.
Est-ce qu'il veut...
Puis, je le voit délicatement soulever son index, le ramener entre nos deux visages et se mettre à le remuer tout le long du mien.
- Bip, bip, bip, bip, bip, bip, bip, bip !
- Qu'est-ce que tu fous ?
- J'appelle les pompiers.
- Quoi ?
- Tu as un Nokia 3610 à la place du visage avec tous ces boutons, dit-il en riant.
- Arrêtes, je vais finir par être complexée..., ai-je répondu en baissant la tête.
Mais, rapidement, il s'arrête de rire et, à l'aide de deux de ses doigts, relève ma tête.
- Non mais je te taquine. T'en a pas tant que ça. J'en ai vu pire, vraiment.
Il me fait ensuite un sourire que je lui rend timidement. Juste après, il s'éloigne de moi et se lève d'un bond, ramassant ensuite tout le matériel et aussi le poisson que j'avais balancé.
- Magnes toi. Ça fera bientôt une heure que nous sommes ici. J'en ai déjà pêché deux alors on y va, dit-il en commençant à s'éloigner. Et, au fait, débute-t-il en se tournant vers moi, le poisson que je viens de ramasser sur la terre toute dégueulasse là, il est à toi.
Oh ! Quelle surprise venant du garçon le plus gentil, le plus attentionné, et le plus empathique que je connaisse...
Quelques minutes plus tard, nous arrivons au campement et remettons nos prises à la monitrice qui s'occupera d'en nettoyer l'intérieur et d'en retirer les écailles avant de nous laisser les griller sur des dispositifs mis en place au-dessus des feux de bois.
Je peux m'asseoir et roupiller en paix. Enfin ! Mais, malheureusement pour moi, m'allongeant sur un banc, je me rend compte que ma crise de sommeil est passée et je commence à m'ennuyer, toute seule. À qui parler ? Je n'ai d'amis ni sur les réseaux, ni dans la vraie vie, et encore moins au sein de ce club... La seule personne avec qui j'ai une relation plus ou moins amicale c'est Arck. Ce sera un peu bizarre d'aller le retrouver parce que, c'est vrai que nous avons eu des fous rire ensemble, mais rien ne témoigne d'une réelle amitié entre nous au fond. Mais, malgré l'hésitation, je décide quand-même d'aller le voir. Ce sera aussi une occasion de mieux nous connaître et de nouer une vraie relation.
Je me lève donc et vais le chercher. À cette heure, il peut être dans le coin jeu. Je m'y dirige alors et, au loin, le voit de dos en train de jouer aux fléchettes.
- Hey, Arck !
Il se retourne pour me regarder et laisse découvrir par la même occasion une fille complètement collée à lui, à qui il apprend apparemment à lancer des fléchettes. Elle a de longs cheveux châtains qui semblent incroyablement doux, des yeux foncés en amande, un visage, en plus de ne comporter aucun défaut, parfaitement taillé pour former une légère pointe au niveau du menton, et un corps de déesse avec de délicieuses courbes. C'est Tya. Il est clairement bien trop occupé pour passer du temps avec moi.
- Ouais ?
- Non, je me demandais juste, euh... Tu... Ça va ?
- Ouais... Et toi ?
- Super bien !, ai-je répliqué en lui montrant toutes mes dents avant de tourner les talons.
Il a froncé les sourcils puis s'est replongé dans son occupation initiale.
Non, mais il a le droit de trainer avec qui il veut ! C'est vrai quoi ! Qui suis-je vraiment pour qu'il me réserve du temps ? Et puis cette fille. Cette Tya est tellement belle, même sans maquillage. Tous les garçons sauteraient franchement sur l'opportunité d'être autant proche d'elle que l'est Arck. Aussi, Arck n'est pas laid du tout. En plus d'avoir été pourvu d'une combinaison de couleurs si unique, il a un de ses corps. Sur ses un peu plus d'un mètre quatre-vingt, il possède une musculature pas trop développée mais juste assez pour faire fondre toutes les filles. Même... Moi ?
Mince ! Mais qu'est-ce qui m'est passé par la tête de commencer à croire que je pourrai valoir plus qu'une bombe telle que Tya à ses yeux ?
Je me frappe plusieurs fois la tête avec la paume de ma main face à cette pensé.
Bref. J'ai été l'une de ces mouches qui sont tombées dans sa toile. Pas grave. Tout ce qui compte est que je ne me sois pas ridiculisé à l'excès... Et puis, je vais bien trouver autre chose pour me distraire et me sentir moins seule !
Le moment du déjeuner arrive et Arck choisi de le passer avec Tya. De la préparation à la dégustation.
Puis le moment du diner. C'est la même chose. Ils rient, se taquinent, deviennent même de plus en plus tactiles. Ils ont l'air si bien ensemble. Je suppose qu'ils ont aussi passé le reste du temps avant le couché ensemble puisque je suis retourné très tôt sous ma tente.
Je passe environ trois heures à regarder la vie des autres sur les réseaux sociaux. Malgré les demandes des moniteurs de me voir me mêler un peu aux autres membres du club, je préfère faire défiler mon fil d'actualité instagram.
Enfin, sentant la fatigue me gagner, je range mon portable et m'allonge. Sans m'en rendre compte, la fatigue de toute la journée d'hier et celle d'aujourd'hui me rattrape et je m'endors, oubliant ma seule arme contre les envahisseurs sur le petit meuble.
A quatre heure trente du matin, le moniteur brun passe pour nous réveiller, comme hier, et je constate que le sac de couchage de Arck n'a pas été utilisé cette nuit. Il a peut-être passé la nuit avec Tya...
Là, oui, je dois enfin avouer que j'ai eu un petit pincement au fond du cœur.
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Après la cueillette aux brindilles, ma douche enfin prise, je me sens vraiment mieux. D'ailleurs, Tya et Arck n'ont toujours pas fait acte de présence aujourd'hui...
Je sors donc des douches habillée et me séchant les cheveux avec une serviette lorsque les quatre garçons et filles assit sur des bancs, les moniteurs sous la paillote et moi entendons un cri strident venant d'un peu plus loin dans la forêt. On se précipite alors tous vers la provenance de ce cri et apercevons l'amie de Tya, celle avec qui elle partage sa tente, accroupie au-dessus d'un trou et pleurant.
- Souh, l'appelle la monitrice en s'approchant d'elle, mais qu'est-ce qu'il- Oh, mon Dieu !, s'exclame-t-elle en regardant à son tour dans le trou.
Tout le monde, curieux de savoir ce qui se cache dans ce trou, s'approche et y penche la tête. Le spectacle est effroyable : dans ce trou, nous découvrons Tya la tête en bas et les jambes en l'air, les yeux ouverts et à moitié remplis de terre, et le cou, en plus d'être apparemment brisé, est en partie arraché par ce qui pourrait être un animal. Nous arrivons même à voir l'os.
Une des filles blondes est allé vomir derrière un arbre. Il y a de quoi.
- L- Les enfants, commence le moniteur chauve, retournez vite au camps et rangez vos affaires. J'appelle pour qu'on vienne nous chercher.
Nous nous exécutons sans poser de questions nous mettant même à courir en direction du campement, tandis que les moniteurs passent des coups de fil pour obtenir de l'aide.
Arrivée devant ma tente, je l'ouvre y entre et, à la vu de ce que j'y trouve, je lâche un petit cri de surprise. Arck est là, assit en tailleur sur son sac de couchage et penché sur son portable posé devant lui. M'ayant entendu, il lève la tête et me regarde.
- Mais, Arck, où est-ce que tu étais ??
- Quelque part.
- Purée, réplique ai-je en m'avancant dans la tente, Tya, ta petite copine s'est faite arracher la gorge. On a trouvé son cadavre dans un trou. Les moniteurs ont décidés que ce serait mieux que nous partions d'ici, conclu ai-je en ramassant mes affaires.
- C'était pas ma copine.
J'arrête soudain tout mouvement et fixe ce garçon de nouveau penché au-dessus de son téléphone.
- Dans tout ce que je viens de dire c'est tout ce que tu retiens ? Qu'elle n'étais personne pour toi ?? Un être humain vient de perdre la vie, bordel !
- Et qu'est-ce tu veux ?, lève-t-il les yeux vers moi en commençant à s'emporter. Tout me mettre sur le dos ??
- Mais t'es pas bien ! Je te demande juste un peu de respect pour cette fille ! En plus que tu as passé le reste de la journée d'hier avec elle.
- Mais ta gueule !, gronde-t-il avant de se lever. J'ai rien à avoir avec tout ça alors tu ne vas quand-même pas m'obliger à ressentir de la peine juste parce que j'ai passé du temps avec elle !, finit-il par dire avant de violemment quitter la tente.
Qu'est-ce qu'il a, bon sang ? Je lui ai juste demandé de manifester un peu de compassion pour cette pauvre jeune fille morte comme un chien et, lui, il réagit comme si je l'accusais de l'avoir tué !
Bref. Il m'a déjà montré qu'il faisait sa vie de son côté et moi la mienne alors, ses états d'âme et ses soucis mentaux, je n'en ai rien à faire !
Je range mes dernières affaires et voilà. Je suis prête à rentrer à la maison.
- Les gars !, crie à l'extérieur en tapant des mains celui que je reconnais être le moniteur brun. S'il vous plaît, venez ici !
Nous nous avançons tous, y compris Arck, pour écouter ce qu'il a à dire.
- Mauvaise nouvelle, débute-t-il. Le car et les services de secours ne peuvent venir qu'à partir de demain. Je suis navré.
Des chuchotements de désespoir se font vite entendre.
- Ainsi, reprend-il, je vous demanderais d'éviter de retourner dans la forêt pour quelque raison que ce soit. La bête sanguinaire et immonde qui a tué Tya peut toujours être dans les parages et s'en prendre aussi à vous.
Sur ces mots, il conclut et nous allons tous nous occuper tel que possible.
Personnellement, je suis allé m'asseoir sur un des bancs principaux et ai commencé à observer autour de moi. Tout le monde est apeuré et chacun cherche du réconfort : les deux filles blondes du club sont assises de part et d'autre de l'amie de Tya, qui n'arrête d'ailleurs pas de pleurer, et tentent de lui donner du courage, les deux autres garçons sont absorbés par leur discussion et les moniteurs s'empressent de trouver des façons de nous maintenir en sécurité. Par ailleurs, ils ont ramassé le corps de Tya et l'on recouvert à l'aide de deux sac-poubelles, de sorte à ce que le bas de son corps soit dans le premier sac et le buste et la tête soient dans le second.
On fait avec ce qu'on a, n'est-ce pas ?
Dans toute cette ambiance glaciale et mortuaire, Arck répond absent. Encore.
Mais quelques minutes après cette réflexion, je le vois sortir en trombe des toilettes et s'engouffrer dans les profondeurs de la forêt sans être vu de personne. Sauf de moi. C'est bizarre mais il m'a semblé, brièvement, qu'il a les yeux rouges. Serait-ce possible... qu'il ait pleuré ?
J'aimerai tellement me lever, l'intercepter, et lui demander si il va bien, si il a besoin d'aide. Mais, le connaissant, il ne va pas hésité une seule seconde à m'envoyer balader... Et puis merde ! Le plus grand risque est de le laisser croiser la bête qui a tué Tya.
Alors, je me lève et tente de le rattraper en entamant une marche rapide.
- Oh, Juana !
- O- Oui ?, me suis-je stoppée net en entendant l'interpellation du moniteur brun.
- Combien de fois dois-je répéter qu'il est plus prudent de ne pas s'aventurer dans la forêt, hein ? Retourne à ta place, s'il te plaît.
Avant de m'exécuter, je regarde Arck s'en aller, jusqu'à ce qu'il disparaisse derrière les arbres. Je pourrai le dénoncer pour assurer sa sécurité mais, à sa démarche, il me donne l'assurance qu'il sait ce qu'il fait.
Alors je ne dis rien.
Nous avons pris notre petit déjeuner, puis notre déjeuner, suivi du dîner. La nuit est très vite tombée. Certains ados du club ont décidés de veiller au coin du feu central et de se raconter des histoires, les autres ont préférés aller se reposer avec l'assurance que les veilleurs les tiendraient alertés en cas de danger imminent, et les moniteurs sont, eux, dans leur coin, autour d'un autre feu, à discuter de choses apparemment sérieuses.
Arck n'est toujours pas réapparu.
De mon côté, je me faufile sous ma tente, attrape mon téléphone, et prend l'initiative d'appeler mon père qui ne m'a jamais, même un instant, passé un coup de fil pour s'assurer que je vais bien.
- Oui, allô ?
- Papa, c'est moi.
- Je sais. Qu'est-ce qu'il y a ?
Ignorant sa froideur, je continue.
- Je... C'est juste que... Tu me man-
- Chéri, reviens vite !, crie une voix au loin.
Quoi ? Il est avec l'une de ses prostituées à la maison ? Dans notre maison à tous les trois ??
- Papa, c'était qui ça ?
- C'était Diane. Tu connais Diane, n'est-ce pas ?
- Diane ta pute ? Oui, malheureusement.
- Je t'interdis de parler comme ça d'elle, Juana !
- Et moi je t'interdis de ramener tes salopes dans notre maison ! C'est un manque de respect à moi et surtout à maman !
Il pousse un profond soupir avant de reprendre la parole.
- Premièrement, même si c'est dur pour toi, Juana, maman est morte il y a deux ans maintenant. Deuxièmement, Diane n'est pas une prostituée et, enfin, j'ai le droit de refaire ma vie avec la femme que je veux ! D'ailleurs, Diane et moi avons prévu de nous marier.
Refaire ma vie... Nous marier... Pardon ??
- Papa, tes amantes je peux tolérer. Tes coups d'un soir passent aussi. Mais te mettre avec l'une d'entre elles, je peux pas ! Et puis, quand est-ce que tu comptais me l'annoncer, hein ? Après la cérémonie ?? Tu n'as pas le droit de faire ça !
- Non mais qui es-tu pour me donner ton avis ??
- ...
- Juana, je... Ce n'est pas ce que je voulais dire...
Je raccroche. C'est trop cette fois. Beaucoup trop. J'éteins mon téléphone parce que je sais qu'il va tenter de me rappeler.
Comment a-t-il pu me faire ça ? Je savais déjà qu'il n'était que très peu attentionné vis-à-vis de moi et qu'il vivait sa vie indépendamment de mon avis. Mais il ne faisait rien de trop mal ! Là, je me sens trahie. J'ai l'impression d'avoir été poignardée en plein cœur. C'est que, malgré notre éloignement, j'avais l'impression que nous étions resté une famille, ensemble. Mais, à présent, je me rend compte que ni mon avis, ni même mes émotions ne l'intéressent.
Pour lui non-plus je ne vaux rien alors ?
Mes larmes coulent toutes seules sans que je ne puisse les arrêter ; j'ai trop mal. Ce n'est pas la première fois que ça m'arrive mais je sens que, cette fois-ci, j'ai besoin de quelqu'un, ne fut-ce que pour m'écouter déballer tout ce que j'ai gardé au fond de mon cœur depuis déjà trop longtemps.
Je sors alors de la tente et regarde autour de moi. Qui de ses moniteurs à moitié endormis et de ses adolescents riants peut me venir en aide ? Qui d'entre eux pourraient comprendre ma douleur ? Et, comme dans un élan instinctif, je m'enfonce dans la forêt à la recherche du seul que je sens avoir besoin. Arck.
- Arck !, me suis-je mise à crier dans l'obscurité lorsque je suis assez loin pour ne pas me faire entendre des autres.
- Arck ! Arck, s'il te plaît, réponds moi... Arck !
Sans réponse.
Je me recroqueville alors sur moi-même et, de mes bras, entoure mes genoux avant d'enfuir ma tête dans le mince espace restant entre ceux-ci et ma poitrine, et de me remettre à pleurer.
- Arck...
A ce moment précis, j'entends des buissons se mouvoir et... un grognement. Je me relève donc et essaie tant bien que mal de voir à travers toute cette opaque obscurité.
- Arck ?
Soudain, j'entends la chose bondir hors des buissons et se mettre à courir. C'est quand elle traverse un petit coin entre les feuillages des arbres illuminé par la pleine lune, qu'il me semble distinguer des ailes...
Sans me laisser un moment de réflexion, la chose se jette sur moi, provoquant ma chute sur le dos.
Elle est là, la chose, postée au-dessus de moi, grognant. Elle a des ailes, un corps d'homme et est à califourchon au-dessus de moi. Ses mains, de part et d'autre de ma tête, m'empêchent de bouger. Son visage très proche du mien me dévoile ses pupilles rétractées à l'extrême et ses canines anormalement grosses et pointues. Mais, surtout, ainsi proche de moi, elle me permet de constater qu'elle a le visage... de Arck.
Brusquement, elle plonge sa tête au creux de mon cou et se met à le renifler. Par inadvertance, elle y laisse tomber de grosses gouttes de sueur. Elle ouvre ensuite la bouche et écrase lentement ses cros contre ma peau, quand un bruit se fait entendre un peu plus loin au dessus de nos têtes. Elle relève directement la sienne et, montrant davantage d'intérêt pour ce qui vient de dérober son attention, elle s'élance et saute sur sa nouvelle proie.
J'en profite pour me redresser, le souffle allaitant et les membres tremblants. Toujours assise, je tourne la tête pour voir ce que fait la créature et je la vois penchée sur ce qui me paraît être un sanglier. Elle boit son sang. Soudain, elle se retourne vers moi, ce qui me donne une horrible sueur froide, puis déploie ses ailes et va se percher sur la branche d'un arbre pas trop éloigné de moi.
- Qu'est-ce que tu fais là ?, questionne-t-elle en s'essuyant la bouche avec son T-shirt.
- Je suis venu te chercher, Arck.
- Tu n'aurais jamais dû venir ici ! Tu ne te rend pas compte que tu aurais pu être la prochaine ??
- C- C'est donc toi qui a tué Tya...
- Non ! Je... Juana, je te jure que je ne l'ai pas fait exprès !
J'entend sa voix flancher sur la fin de cette phrase.
Il est debout, seuls de fins vaisseaux de lumière lunaire qui frappent près de lui me permettent de distinguer les courbes de son corps et celles de ses ailes encore déployées.
- Qu'est-ce qui s'est passé dans ce cas ?
- C'est à cause de ce que je suis. C'est ce qu'on a fait de moi qui a tué Tya, dit-il en s'agitant nerveusement.
- Arck, je ne comprend pas.
Il expire bruyamment en passant sa main droite sur sa nuque, puis s'assoit sur la grosse branche sur laquelle il est perché et, lentement, il resserre ses ailes dans son dos.
- Tu dois d'abord comprendre que, plus jeune, je vivais une vie pire que misérable. J'étais dans une famille nombreuse et nous n'avions des fois rien à manger pendant plusieurs jours. La plupart du temps, nous vivions de rapines. Et, un jour, dans la soirée, j'ai volé les mauvaises personnes. C'était deux hommes de la très haute société. J'avais beau m'excuser, je leur avais même rendu tout leur argent mais ils voulaient davantage de moi. Ils m'ont donc proposé de ne plus avoir à voler de ma vie, d'avoir la possibilité d'offrir le meilleur à ma famille. Jeune et peu éduqué que j'étais, j'y ai vu une chance en or ! Alors je les ai suivi dans une sorte de grande grange abandonnée. Ils ont verrouillé la porte et c'est là qu'ils m'ont montré leur vrai visage : ils se sont transformé en la même créature que tu as juste sous les yeux, et m'ont enfoncé leurs cros dans les artères de mon cou. Je hurlais à la mort. La douleur était atroce, insupportable. Très vite, je n'avais plus de force, ne serait-ce que pour garder les yeux ouverts. Je pense que je m'étais déjà évanoui lorsqu'ils avaient fini. C'est comme ça que j'ai été transformé en une créature ailée à dix-sept ans.
- Dix-sept ans...?
- Oui. En 1410.
- Ah. O- Ok.
Ma stupeur dessine un sourire sur son visage que je distingue à peine.
- Le lendemain matin, j'avais d'affreuses douleurs dans le cou mais, y passant ma main, je constatai que je n'avais aucune marque, pas même une cicatrice malgré les effusions de mon sang répandues un peu partout sur le sol. Ils sont ensuite revenu dans la grange sous leur apparence humaine et se sont excusé, avec leurs manières hypocrites de riches, de ce qu'ils m'avaient fait subir. Ils m'ont ensuite expliqué que leur existence faisait en sorte de maintenir l'équilibre planétaire, ou quelque chose dans ce genre, et qu'il fallait qu'ils soient cinquante dans leur organisation sectaire, mais l'un d'eux venait de décéder. Raison pour laquelle ils ont dû trouver une personne à transformer pour combler le vide.
- Je ne comprend pas très bien, me suis-je exclamé en me positionnant en tailleur sur le sol. Tu es immortel ou pas finalement ?
- Disons que je peux vivre des centaines d'années seulement si mon corps n'est pas touché mortellement. C'est que j'ai du sang et un cœur comme toi, Juana.
- Je comprend...
- Ils m'avaient expliqué aussi que, en plus de ne plus jamais vieillir et d'avoir la possibilité de vivre éternellement, j'avais dorénavant l'aptitude de me transformer comme eux quand et où je le voulais et m'avais prévenu que mon apparence se modifierait petit à petit. Ainsi mes cheveux bruns clairs ont été tronqué par des mèches noires, mes yeux verts olives par des gris-verts, et ma peau extrêmement pâle par une peau mate. J'ai aussi reçu le don de persuasion qui ne fonctionne que sur les humains. C'est-à-dire, qu'en plus de dégager un charisme sans pareil, je peux influencer sur vos émotions et vos pensés tant que cela ne néantise pas le concept du libre-arbitre humain. Mais ils ont également ajouté que, trois fois tous les dix ans, la transformation serait forcée et qu'elle m'assoifferait. Une grosse soif de sang. Ainsi, tous les dix ans, pour le premier pré, post et nuit de pleine lune, je m'éloignais des humains et me contentais de sang d'animaux.
- Jusqu'à hier, ai-je coupé.
- Oui. Jusqu'à hier. J'étais tellement distrait à me balader avec elle dans la forêt que c'est uniquement lorsque Tya a commencé à faire allusion aux étoiles qui étaient déjà visibles dans le ciel que j'ai su qu'il était trop tard. J'avais beau lui hurler de s'en aller mais elle ne voulait pas. C'est quand mes ailes sont sorties qu'elle a enfin commencé à courir mais elle n'était pas assez loin et...
Il s'arrête brusquement, juste au moment où sa voix flanche de nouveau.
- Tu sais, il y en a tellement parmi nous qui en sont devenu accro. Les jours de leur transformation forcée, ils peuvent se rendre coupable de carnages et de génocides juste parce qu'ils ne peuvent pas s'en passer. Et j'ai peur. J'ai peur de devenir comme eux, Juana, finit-il par dire avant de se mettre à sangloter.
Il déploie ses ailes et vient se poser au pied de l'arbre en position assise sur ses mollets, tibias contre terre, avec les mains sur les yeux. Il est à environ trois mètres de moi. Je me lève alors et me précipite pour me mettre à sa hauteur et le prendre dans mes bras. Il me serre à son tour contre lui et je sens ses larmes mouiller mon épaule.
Non, je n'ai plus peur parce que mon cœur me dis que je peux avoir confiance en Arck.
- Je suis là, moi, et je vais t'aider, lui ai-je chuchoté.
Un rire léger et étouffé s'échappe de sa gorge.
- Et comment comptes tu faire ça ?
- Je ne sais pas. Mais je sais que je ne veux pas te laisser tout seul.
- Merci, mais les gens comme moi finissent toujours seul, dit-il en s'écartant de mon étreinte. De toutes manières, je ne peux pas m'attacher à toi, je sais déjà comment ça va se terminer ; par la mort.
Cette réplique m'a glacé le sang, mais je sais que je ne veux pas le laisser sombrer dans la même solitude que la mienne.
- On profitera des moments présents, répliquais je en lui prenant la main.
- Mais, ils ont volé ma réelle identité. Jusqu'à mon vrai prénom. Ils m'ont tout pris. Je ne pourrais rien t'apporter, laissant couler encore quelques larmes.
C'est à ce moment que je remarque que ses yeux sont redevenus normaux.
- On construira tout ce qu'il faut, ensemble, dis-je effaçant les larmes de ses joues. Seulement si tu veux bien accepter mon amitié.
Je sais qu'à ce stade, cela ressemble plus à une tentative désespérée et égoïste de me faire enfin un ami, de me sentir enfin moins abandonnée. Alors qu'il me sourit chaleureusement et me reprend dans ses bras, je me convainc d'avoir fait le bon choix de lui avoir tendu la main.
- Je viendrai te trouver quand je serai prêt. Merci pour tout, Juana, dit-il avant de prendre cette fois-ci ma tête dans ses mains et de me regarder droit dans les yeux. Maintenant, je dois partir mais je te promet de revenir, conclut il en déposant un léger baiser sur mon front.
Je le regardai sans rien dire. Je suppose que j'avais l'air bien bête vu ce qu'il me dit par la suite.
- T'emballes pas. Ce n'était rien de plus qu'un bisou d'au revoir alors efface moi vite ce regard de pucelle sur ton visage.
- Je... Hey ! Je ne pensais à rien en plus !
- Ouais, ouais, on va dire que je te crois, me répond il avec un sourire en coin avant de s'élever au-dessus de moi et de s'envoler pour une destination inconnue.
-
https://youtu.be/w_gpcv68THo
- Fin. -
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