XIII - Véritables identités
- Qu'est-ce qui s'est passé? hurlait Raphie, pour atténuer le bruit de la foule qui sortait en trombe du restaurant.
- Suis-moi, coupa net le Grand Patriarche. Nous ne pouvons rester ici. Ils ne pourront pas oublier cette scène, poursuivit-il tout en tenant fermement la main de Raphie et en dispersant les gens alentour d'un simple revers de main.
Il avait une prestance telle que les gens s'écartaient comme par magie sur son chemin. En réalité, lorsque Raphie regardait d'un peu plus près, elle voyait que cela n'était pas naturel. Tous étaient effrayés...par elle ou par le Patriarche.
Ils avancèrent d'un pas vif sous le froid de Grivières et dans une obscurité généralisée. Plus ils quittaient la ville, plus la nuit s'engouffrait dans le paysage. Heureusement que la blancheur quasi immaculée de la neige leur laissait une vision approximative des environs. C'est ainsi que Raphie comprit qu'il l'amenait dans lemanoir souterrain.
Une fois à l'intérieur, Raphie fut étonnée de voir cette grande salle vide. En un clin d'oeil, un immense feu de cheminée s'alluma. Pour la première fois depuis qu'elle était sortie du restaurant, Raphie sentit ses brûlures. Elle hurla à cause de la douleur mais également de peur lorsqu'elle vit ses mains noircies et saignantes.
- Ne t'inquiète pas! lui dit sèchement le Grand Patriarche.
Il lui prit les mains et en une seconde, tout était redevenu normal.
- Vous êtes des magiciens ou quoi? s'interrogea naïvement Raphie en massant ses mains devenues plus lisses qu'auparavant.
Le Patriarche qui deux minutes auparavant paraissait en colère se mit à rire aux éclats. Il avait ôté son manteau noir ainsi que sa capuche laissant apparaître ses cheveux d'un blanc laiteux voire transparents.
- On est juste chanceux, lui répondit-il au bout de quelques minutes, tout en se réchauffant les mains à la chaleur de la cheminée.
- Chanceux? s'interrogea Raphie. Pourquoi ne pas être plus clairs? Après tout, je suis dans le même bateau.
Elle regardait à nouveau ses mains qui quelques minutes auparavant étaient noires, carbonisées. Comment pouvait-elle avoir tant de "magie" en elle?
- Ecoute, nous ne sommes pas des magiciens, mais des êtres exceptionnels. Nous maîtrisons facilement les éléments. Les Métamorphes ont en plus la chance de changer d'apparence quand bon leur semble, dit-il, le plus calmement du monde.
- Et vous me dites ça comme si ça allait de soi, lui dit Raphie, encore toute retournée par les événements de la soirée.
- C'est normal que tu te sentes dépassée, mais nous devions faire le test pour savoir si tu étais un véritable membre de notre organisation.
- Tout ça, c'était un test? s'interrogea Raphie.
- Bien sûr. Tu ne pensais tout de même pas que ta mission dérisoire à la mairie était réelle? dit-il en souriant. Ce qui nous importait de savoir c'était de te voir à l'action: prendre des initiatives et surtout révéler l'étendue de tes pouvoirs.
Choquée, Raphie continuait de regarder le feu crépiter. La tester...encore et toujours. Dans quel monde vivait-elle? Qu'était-elle? Depuis toujours, elle se considérait comme un monstre. A présent, elle était un monstre puissance dix.
- Ne sois pas surprise ou étonnée, poursuivit-il, tu n'as pas encore l'air de te rendre compte.
Il se releva et ouvrit la porte aux nouveaux venus. Cassandra et Léo.
Léo portait un costume noir élégant. Il était impeccable, les cheveux plaqués en arrière. En revanche, Cassandra était toute en sueur, les cheveux débraillés, la robe déchirée par endroits.
- Il est temps de t'ôter le masque qui te couvre le visage depuis toujours, dit le Grand Patriarche en regardant les deux autres avec connivence.
Léo et Cassandra mirent leur main sur chaque épaule de Raphie pour la maintenir.
- N'aie pas peur, lui dit posément le Patriarche en s'approchant d'elle. Ca ne te piquera qu'un instant.
Il avait l'air de caresser le visage de Raphie, mais en réalité, il retirait lentement la peau qui lui couvrait tout le visage. Le spectacle était dérangeant et désagréable. Raphie se tortillait et hurlait. En une seconde, il avait retiré une immense peau recouvrant le visage étonnant de Raphaëlle Efferson. Enfin les visages de Raphie...
La douleur était insoutenable. Le sang coulait abondamment sur ses mains et ses jambes. La chaleur aussi devenait insupportable. Elle se sentait disparaître.
- Et voilà, maintenant tu peux ouvrir les yeux, lui dit posément le Patriarche.
Raphie avait instinctivement fermé les yeux tellement la souffrance était intense. En rouvrant les yeux, le mal semblait s'être évaporé ainsi que le sang qui coulait sur ses mains. Tout était propre, voire étincelant.
- Qu'est-ce que vous m'avez fait, bande de monstres!
Elle s'était relevée, effarée par ce qui venait de se passer. Mais lorsqu'elle posa son regard sur la pièce, tout lui semblait différent. Chaque objet, chaque personne semblait irradier d'une lumière spéciale. Les objets avaient une lumière rosée et les personnes dorées. L'intensité variait cependant d'un objet et d'une personne à l'autre.
Cette vision étonnante de ce monde qui l'entourait lui fit rapidement un mal de crâne persistant. Elle ne put s'empêcher de hurler. Cela s'accentua quand elle vit le visage du Grand Patriarche ainsi que ceux de Cassandra et Léo.
- Aaaaaah! hurla-t-elle en posant les mains sur ses yeux, oubliant l'espace d'un instant la fragilité de son visage.
- Fais attention, intima le Patriarche en lui prenant le bras. Viens t'asseoir, tu dois t'habituer à voir le monde tel qu'il est et l'organisation aussi telle qu'elle est.
- Noooon! continua de crier Raphie, au bord des larmes. Vous êtes des monstres!!!
- STOP! dit d'une voix ferme le Patriarche. Tu vas ouvrir les yeux et me dire ce que tu vois.
Raphie ne voulait plus rouvrir les yeux. Revoir ce monde de cette manière, c'était beaucoup trop terrifiant. Mais elle ne se sentait pas capable non plus de vivre dans un monde qu'elle ne reverrait plus.
Rouvrant les yeux lentement et avec difficulté, Raphie prit peu à peu conscience de la différence des choses et des gens.
Si les objets restaient identiques avec seulement une sorte d'aura les entourant, les personnes,en revanche, avaient le visage sacrifiés,ensanglantés. Enfin...il s'agissait des membres de cette drôle de famille. Peut-être qu'ils étaient les seuls dans cet état dégradé.
- Qu'est-ce que ça veut dire? demandait Raphie,le plus calmement possible étant donné la situation hors-norme dans laquelle ils l'avaient mise.
- Tu es devenue une véritable membre de la Famille, lui dit-il avec une sorte de fierté dans la voix. Ton engouement à réussir ta mission, la force de tes pouvoirs ont été les éléments déclencheurs pour que tu passes à l'étape suivante.
Cassandra et Léo souriaient, mais le spectacle de ces sourires refroidissaient davantage Raphie.
- Mais pourquoi? Je ne comprends pas l'intérêt...
- Ce n'est pas une question d'intérêt, lui expliqua-t-il, ce n'est que la réalité. Tes pouvoirs sont plus forts que ceux des simples mortels. Tu as l'opportunité de changer de reflet, mais également de voir les autres tels qu'ils sont.
- Défigurés? s'empressa de demander Raphie.
- Seuls les élus peuvent nous voir sans visage, répondit Léo, avec les lambeaux de peau qui suintaient de partout de la tête aux pieds.
- Mais ça apporte quoi à part des hauts-le-coeur?
- Pour être de parfaits Métamorphes, reprit Léo, il faut qu'on voie les autres sans visage, sans attrait. Neutres. Ainsi, nous pouvons prendre soin de la nature et des membres de la Famille.
- Ca n'a pas de sens, dit Raphie qui n'en démordait pas, mais qui commençait à s'habituer à leur aspect sanglant et déchiqueté. Quel est l'objectif réel de cette organisation?
- La préservation de notre secret et la sauvegarde de la nature. Nos pouvoirs nous donnent la capacité de voir le monde, les êtres tels qu'ils sont. Notre devoir est d'analyser ceux qui méritent de vivre ou non, expliqua d'un ton serein le Grand Patriarche.
- Mais de quel droit...? s'insurgea Raphie, comprenant de mieux en mieux leur impact sur cette ville.
- Ce droit nous est acquis depuis toujours. Quand on voit ce que certains font de notre ville, de la nature ou encore ce qu'ils se font entre eux, ils ne méritent tout simplement pas de faire partie de notre monde, répondit Léo.
Tous acquiescèrent d'un seul mouvement de tête. Ils en étaient effrayants. Raphie ne voulait plus voir cette réalité. Ils se prenaient pour des dieux à juger du sort de chaque être vivant.
Voyant l'état d'anxiété et l'hésitation de Raphaëlle, le Grand Patriarche, d'un regard, ordonna aux deux autres Métamorphes de s'emparer d'elle. Tout se déroula en une seconde. Une immense bulle en verre lui tomba dessus. Une nouvelle prison.
- Désolé ma chère, put-elle lire sur les lèvres du Grand Patriarche, les sons ne provenant pas à travers cette bulle de verre. Tu n'es pas encore à maturation et ton hésitation fait de toi un danger pour l'Organisation. Dommage, ton pouvoir ne pourra plus jamais être exploité. Adieu.
Et là, tout s'éteignit autour d'elle. L'air se raréfiait. C'était fini.
Sa vie si chaotique s'achevait dans l'incompréhension et dans l'horreur...
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