II - Retour en arrière
- Calmez-vous! murmura Raphie en voyant que l'homme hyperventilait.
- Mais qu'est-ce que...je...quoi...
- Ne cherchez pas à comprendre, continua-t-elle en s'habituant petit à petit à sa nouvelle voix, sa nouvelle posture et ses nouveaux gestes.
- Je suis trop fatigué, se convainquit-il rapidement.
- Peut-être...mais en fait, non.
Elle ne savait pas comment aborder cela avec un étranger. La dernière fois qu'elle l'avait fait, c'était au tout début de ces changements. Elle avait à peine quinze ans. Elle se rappelle encore de la réaction de son ami de l'époque...
Comme tous les jours, elle allait en cours, sans se poser de questions. Elle avait beaucoup d'amis et une famille aimante. Un vendredi soir, Raphie avait passé la soirée chez des amis. Ils étaient cinq, elle y compris. Il était bientôt minuit, et Raphie devait se dépêcher de rentrer.
- Dors ici, insista Amy, sa plus vieille amie du primaire.
- J'aimerais bien, mais je dois partir tôt demain matin. Mariage dans la famille, tu le sais bien.
- Je sais...mais on peut se lever tôt et t'emmener.
- Tu es adorable Amy, dit-elle en la prenant par les épaules. Mais ma mère va bientôt arriver. On remet ça à la semaine prochaine, d'accord?
Amy acquiesça difficilement. Elle était à cent lieues d'imaginer ce qui allait se produire dans les minutes suivantes.
La vieille horloge du salon avait retentit. Elles s'étaient accoutumées à ce son venu d'un autre temps. Mais ce soir-là, en particulier, ce bruit sonna comme une sorte de prémonition. Dès le premier coup de minuit, Raphie avait chuté sur le sol. Agenouillée et respirant avec grandes difficultés, elle ne comprenait pas ce qui se passait. Amy, paniquée, essayait de l'aider, criait et appelait ses parents pour l'aider.
En une fraction de seconde, tout changea. Raphie avait changé de visage, de taille, de tenue. Tout était différent. A ces changements brutaux, Amy s'était reculée, terrifiée. Mais cette terreur n'était rien comparé à ce que vivait Raphie. C'était douloureux...et à l'avenir, cela le serait toujours.
Les parents d'Amy avaient accouru aux cris de leur fille, et quand ils virent cette inconnue agenouillée par terre et leur fille, recroquevillée de l'autre côté du salon, ils prirent peur.
- Qui êtes-vous? Sortez d'ici! intima le père d'Amy.
- Mais monsieur, c'est moi! dit Raphie, avec une voix qui ne lui appartenait déjà plus.
- Sortez ou j'appelle la police! hurla-t-il en empoignant Raphie avec violence.
Il l'emmena dehors et claqua la porte violemment.
Seule...incomprise...Raphie mit quelques minutes à quitter la maison de son amie. Elle se souvenait avoir erré dans les rues de son quartier. Elle habitait non loin de chez son amie. Mais elle ignorait comment allaient réagir ses parents. Sans doute de la même manière que ceux d'Amy.
Pour éviter la même scène, elle se décida à rentrer en douce dans sa chambre pour emporter quelques affaires. Elle ne pouvait rester chez elle...car elle n'était plus elle. Dans sa chambre, elle prit quelques secondes pour regarder son nouveau visage. Elle ne ressemblait en rien à Raphie...la fille élancée aux cheveux châtains ressemblait à présent à une petite fille au teint hâlé et aux cheveux d'un noir de jais. Tout avait changé en elle...jusqu'à sa tenue. De nature coquette, elle ressemblait à présent à une fille négligée...jean et tee-shirt simple...même un peu déchirés.
Terrifiée par cette apparition, cela n'empêchait pas la jeune fille de pleurer comme un bébé. Comment pourrait-elle vivre avec cela?
C'est ainsi que tout avait commencé. Et depuis, chaque semaine, elle changeait du tout au tout...sans en comprendre les raisons.
Dix ans plus tard, dans ce train de la banlieue parisienne, elle venait de revivre la même chose face à cet inconnu. Elle s'était pourtant promise de ne plus faire cela en public, ni d'en reparler. C'était son fardeau, pas celui des autres.
Dans ses pensées, elle en oublia presque le jeune homme:
- Qu'est-ce que vous êtes? demanda-t-il le plus posément possible.
- Si seulement, je le savais...
- Vous êtes vraiment la petite brunette assise à mes côtés tout à l'heure? interrogea-t-il, encore traumatisé.
- En quelque sorte, répondit-elle du tac au tac.
- Mais vous êtes quelqu'un d'autre...je...
- Si je le comprenais moi-même, je vous aurai expliqué. Mais malheureusement, je suis aussi perdue que vous.
L'homme en costume reprenait peu à peu ses esprits. Raphie voyait qu'il essayait de mettre de la logique dans cette histoire. Ce qui rassurait Raphie en un sens. C'était la première fois que quelqu'un réagissait différemment.
- Ce n'est donc pas la première fois que vous vivez ce genre de...choses? demanda-t-il, de plus en plus curieux.
- Cela fait dix ans plus ou moins...
- Dix...dix ans? Et vous n'avez toujours pas compris pourquoi cela vous arrivait, comment cela vous arrivait...?
Raphie sentait que l'avalanche de questions allait durer des heures. Mais elle voulait éviter de discuter de ça dans le couloir d'un train.
- Je préférerais qu'on en parle une fois dehors, si vous avez envie d'en savoir plus.
- Je...il hésita avant de répondre. D'accord, une fois sortis, on en reparlera.
Il se ressaisit et fit marche arrière pour retourner à sa place. Devant la porte de leur wagon, il se retourna, l'air encore passablement inquiet et dit:
- Au fait, je m'appelle Théodore et vous? Vous avez un nom différent à chaque fois?
- Je suis et je reste Raphie.
- D'accord...enchanté, Raphie.
Il avait dit cela le plus naturellement du monde. Raphie était impressionnée par le sang froid de ce Théodore. Pour la première fois depuis autant d'années, elle allait avoir un confident, quelqu'un qui ne la jugerait pas. Quelqu'un qui essaierait de la comprendre.
Peut-être que cette rencontre allait être bien plus importante qu'elle ne le pensait...
Elle n'avait pas totalement tort, car derrière elle, un homme et une femme, vêtus de noir et blanc, avaient assisté à la scène. Ils avaient l'air satisfaits.
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