Chapitre 5
Plus inquiets au retour qu'à l'aller, les garçons sont bien silencieux alors qu'ils retrouvent les chemins qui les mèneront jusqu'à chez eux. Chan, en tête du petit cortège, échange parfois quelques paroles avec Changbin, murmures qui se perdent autour d'eux sans atteindre les deux autres comparses qui se tiennent la main, les doigts entrecroisés. Maigre soutien mais efficace pour calmer le cœur emballé du plus jeune, qui même s'il ne le montre pas vraiment, a été plus que touché par ce qu'ils ont vu.
Au moment de se séparer, ils se saluent brièvement, comme trop sous le coup de l'émotion, comme si échanger plus d'une parole pourrait leur apporter malheur. Personne n'en prend ombrage cependant, ils savent qu'ils se retrouveront demain, au même endroit, et que leurs esprits se seront un peu calmés. Ils savent maintenant que la menace est réelle, et que les différentes mises en garde dont ils ont eu vent ne sont pas paroles en l'air.
Jisung et Minho rejoignent le bois qui séparent les terres de leurs parents et le plus jeune, peu désireux de lâcher la main chaude qui le rassure, lève le museau pour observer le visage de son aîné. Ils se fixent, un instant, peut-être un peu trop long, et le châtain se décroche doucement en lui offrant un sourire léger et qui se veut rassurant. Le geste se fait en douceur, les doigts se caressant lentement alors qu'ils se glissent les uns contre les autres pour s'éloigner.
- Tu sais où me trouver au besoin Hannie.
Ce dernier ne répond pas, la gorge serrée, et se contente de hocher la tête en répondant par un sourire forcé. Avec un soupir pour se donner du courage, Jisung prend donc le chemin qu'il connaît par cœur et qui le mènera jusqu'à la demeure familiale. Minho le suit du regard jusqu'à ce que la silhouette de son ami disparaisse au milieu des arbres. L'inquiétude le concernant lui vrille le ventre, et le châtain passe ses mains sur son visage, absolument dépité. Il sait que Jisung ne sera jamais ce qu'il croit qu'il sera, et le jeune en tombera de haut... Pire encore, si ces envahisseurs s'en prennent à des Omega, Jisung sera probablement en danger... Font-ils ça pour faire diminuer les naissances, et ainsi mettre le pays en difficultés sur le long terme ? Quant à ce mariage dont Jisung lui a parlé... Il ne l'a pas montré mais cela lui a fendu le cœur. Lui aussi soupire... Un soupir à fendre l'âme. Un dernier regard est jeté au bois, dans la direction qu'a pris son ami, et il reprend sa route jusqu'à leur hanok.
***
- Père ? Père est là ?
-Le maître doit être dans son bureau mais...
- Père !
- Attendez jeune maître, il... !
Mais le gamin n'écoute pas, il a besoin de s'entretenir avec son père, un besoin urgent, il doit lui raconter ce qu'ils ont vu dans la forêt derrière les ruines, il doit raconter que l'envahisseur chinois est à leurs portes. Il frappe à peine le panneau qui le sépare du bureau de son paternel et ouvre en grand sans attendre la moindre réponse, totalement à l'opposé des bonnes manières qu'on lui a enseigné.
- Oh...
- Jisung ?!
Il y a beaucoup trop de monde dans cette pièce. Jisung s'est redressé après s'être stoppé net dans son entrée théâtrale. Tous les regards sont tournés en sa direction et la voix de son père qui a énoncé son prénom de manière peu rassurante, tout le fait déglutir de manière un peu trop bruyante, et il sentirait presque une goutte de sueur descendre lentement le long de sa tempe. Peut-être aurait-il dû écouter le valet qui essayait de lui dire que son père était occupé ? La goutte n'est peut-être pas le fruit de son imagination... Après un instant, incertain, il grimace un sourire gêné, glousse presque de sa propre sottise et se ploie pour saluer le monde présent. Qui sont-ils, il n'en a pas la moindre idée, mais le gamin espère de tout coeur qu'ils ne sont pas des gens très importants, sans quoi il va sûrement prendre cher, ne serait-ce que par rapport à sa dégaine qu'il présente là.
Maintenant redressé, il cherche à comprendre ce que son père désire qu'il fasse, sortir, ou s'enfoncer un peu plus. Toutefois, il entend ce dernier s'adresser à l'un des hommes présents et ses sourcils se froncent en comprenant qu'il s'agit en fait d'une petite délégation chinoise. Merde. Son père semble vouloir lui poser une question, mais avant même qu'il ait pu esquisser la moindre parole, Jisung a déjà effectué un pas en arrière et a refermé la porte derrière lui. S'appuyant contre le battant, le cœur battant à tout rompre, le regard du noiraud tombe dans celui du valet qui l'a suivi. Valet qui a l'air aussi désolé que confus.
*gloups*
Jisung passe un doigt au long de son col et déglutit plus fort qu'il ne l'aurait imaginé mais ne dit rien. Il se redresse et se hâte de rejoindre sa chambre, non sans essayer de voir si Nana se trouve dans les parages. Il appelle au hasard, et décide finalement qu'il ira se cacher plus tard. Il lui faut retrouver sa nourrice et se confier. En elle, il a toute confiance, elle saura le rassurer, et mettre les mots sur ce qui l'angoisse, elle saura faire taire la panique qui grimpe et l'aidera à affronter son père quand il faudra lui faire de nouveau face.
- Nana ?
Elle n'est pas là... Il arpente les couloirs, les diverses pièces, en passant par la cuisine... Un regard se pose sur les jardins au travers des fenêtres, mais il ne la voit pas. Arrêtant une domestique, Sanghee, qui s'affaire au ménage, il s'interroge
- Est-ce que tu sais où est Nana ? Je ne la trouve pas... J'ai besoin de lui parler...
- Oh jeune maître, elle est partie après le déjeuner, en ce début d'après midi, avec ses bagages... Quand elle est venue nous saluer, elle nous a confié qu'elle allait garder les enfants d'une nouvelle famille.
- Quoi ? Mais... Mais non, elle ne part pas aujourd'hui, tu dois te tromper...
- Jeune maître... Je suis sincèrement désolée... Elle est réellement partie.
- Non, non, ce n'est pas possible, je ne lui ai même pas dit au revoir, Père n'a pas pu la faire partir aujourd'hui, il ne me l'a dit que ce matin... Tu mens, elle se cache c'est ça ?
La domestique le regarde, absolument navrée, et le regard qu'elle lui lance brise le cœur du jeune homme qui se met à courir dans les couloirs de la grande demeure, en hurlant après la femme qui l'a élevé. Sanghee ne peut que mentir, il va la trouver en train de confectionner quelques biscuits, ou de servir un thé, de raccommoder l'une de ses chemises peut-être ? S'il s'efforce de sourire, afin de se convaincre que tout cela n'est qu'une partie de cache cache, il ne peut cependant empêcher les larmes de couler le long de ses joues rondes à mesure qu'il doit s'avouer le départ de sa nourrice, de sa presque maman... Elle n'est nul part, et maintenant, debout dans l'embrasure de la porte de la chambre où elle l'a souvent bercé et réconforté, Jisung ne peut qu'accepter la dure vérité. La pièce est vide d'affaires. L'armoire est ouverte mais son ventre est vide, le lit est dénué de draps, plus aucun bibelot ne prend la poussière sur la commode...
Jisung renifle...
Il essuie distraitement ce trop plein de larmes qui lui brouille la vue, mais elles reviennent aussitôt.
Difficilement, il réfrène un sanglot, mais ce dernier finit par réussir à s'échapper de sa gorge et le garçon tombe alors à genoux, les épaules se secouant violemment. Le premier sanglot en appelle d'autres, et ils lui semblent affluer en nombre infini.
Il n'a pas connu sa mère, morte en couche, il l'a tué.
Celle qui l'a remplacé est maintenant partie, sans même qu'il ait pris la peine de lui parler, sans qu'il ait pu lui dire au revoir. Il aurait dû lui en parler, quand il l'a vu tantôt. Il aurait dû lui dire qu'il savait. Il aurait pu la saluer, la prendre dans ses bras et lui dire Adieu.
Il n'est pas un homme.
Il est encore un enfant qui a besoin d'une figure maternelle.
Il a cruellement besoin qu'on l'aime et de cette tendresse qu'elle savait lui offrir.
Il ne sait même pas où elle est allée, et son père ne lui dira probablement pas.
- Jeune Maître, il ne faut pas que votre père vous voit ainsi...
Sanghee l'a suivi, mettant de côté sa corvée de ménage pour un instant. Doucement, elle se permet de passer une main délicate dans le dos du fils du maître de maison. Elle voudrait le consoler, mais se refuse davantage, ne souhaitant pas s'attirer d'ennuis.
- Je suis sincèrement navrée pour vous et ce départ. Vous devriez aller dans votre chambre afin de vous reposer, si votre Père vous voit...
Les employés de la maison ne sont pas dupes et savent comment peut se montrer le Maître. Jisung aussi le sait. Il prend tout de même le temps de ravaler ses larmes, et de faire taire les sanglots qui l'étranglent. De sa manche, il essuie ses joues, son nez, et en s'appuyant au chambranle, il réussit à se relever.
- Merci Sanghee.
Il a le nez bas pourtant. Jisung se contente de regarder le sol, ne souhaitant pas montrer à quel point il peut être faible aux domestiques. Eux n'ont pas à savoir qu'il ne va pas bien, ce n'est pas leur travail. Le pas lent, il arpente de nouveau les couloirs jusqu'à atteindre sa chambre, malheureusement il n'a pas le temps de passer la porte entre-ouverte qu'il entend une voix grondante.
- Jisung.
Ah... L'heure des compte a semble-t-il sonnée. Avec quelques hésitations, il relève alors ses yeux rouges et gonflés de pleurs pour tomber nez à nez avec son Père, suivi des gens qui étaient avec lui dans son bureau quand il y est entré sans prévenir. Ce n'est donc pas le moment, ni de parler de ce qu'il a vu en forêt, ni de faire un esclandre concernant la nourrice partie. A la place, le jeune homme se plie en deux et se redresse, mains croisées devant ses cuisses en attendant de savoir à quelle sauce il va être mangé.
- Xiao Yŭxuān, le représentant de l'une des familles dont je te parlais ce matin. La coïncidence est amusante, lui et sa famille sont en ville cette semaine. Il a donc proposé de passer ce soir.
Jisung ne dit rien, se contente de saluer de nouveau. Que dire après tout ? Il n'a aucune idée de qui est cet homme, de qui est la famille qu'il représente.
- Ce qui est pratique, c'est qu'il a une fille à marier, mais aussi un fils. Ainsi tu n'as pas à t'en faire de la condition dans laquelle tu te retrouveras, ton avenir, s'il se fait avec cette famille, est d'ores et déjà tout trouvé.
La nausée...
C'est la nausée qui cueille le noiraud alors qu'il observe avec réticence tous ces gens, son père compris.
Il sent son estomac se retourner, des vertiges l'assaillent.
Jisung ne veut rien de tout ça.
Comment ses amis font pour accepter leur destin sans rechigner ?
- Rendez moi Nana.
Les paroles ont passé la barrière de ses lèvres sans qu'il le veuille réellement, et il se morigène intérieurement. Mais il veut sa nourrice. Il veut sa maman, il en a besoin. Cruellement besoin.
- Tu es trop grand pour avoir une nourrice. Tu es un homme maintenant. Arrête tes gamineries. Et met en pratique les leçons de ton précepteur afin de parler avec cet homme.
- Allez au Diable, vous, lui et ce maudit prepecteur.
- Jisuuung...
- NON !
Si le gamin s'avance en direction de son père, souhaitant en découdre, il ne fait clairement pas le poids, et c'est de sa canne que le Père Han le pousse violemment dans la chambre qui est ouverte, avant de l'y enfermer. Jisung ne s'y attendant pas vraiment, se reçoit brusquement sur les fesses. C'est un cri, un cri venant du plus profond de lui, qu'il pousse en regardant la porte. La rage l'emporte, il hait son père, il hait cet homme qui lui ôte sa presque mère.
Assis au sol, les genoux remontés contre son torse, les mains perdues dans sa tignasse folle, Jisung renifle. Il veut sa nourrice. Il veut sa mère. Il veut.... Minho. Il veut se réfugier dans ses bras si réconfortants, dans sa chaleur agréable et dans son giron si rassurant.
- Minhooooooo ! .... Viens... S'il te plait...
Il a beau essuyer les larmes qui coulent sans cesse, c'est en vain, celles ci s'en donnent à cœur joie et viennent inonder ses joues, son cou, son hanbok durant un temps qui lui paraît long... Si long... S'en est interminable. Pourtant, elles finissent par tarir et les sanglots se calment, laissant Jisung totalement épuisé, vidé, hagard. Il somnolerait presque quand la porte s'ouvre alors avec grand fracas, laissant passer le maître de maison, absolument furieux. Ce dernier ne prend pas la peine d'énoncer le moindre mot que la canne s'abat violemment sur son fils, encore et encore, avant qu'enfin il éructe.
- MAUDIT ! TU VAS VOIR SI TU PEUX ME FAIRE HONTE AINSI !
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