Chapitre 35
Malgré la demeure résolument moderne, au style emprunté à l'occident, le jardin reste dans la plus pure tradition tradition coréenne. Un pavillon illuminé surplombe un beau bassin aux nénuphars qui reflète les lumières chaleureuses des lanternes. Quelques pierres taillées rappelant les divinités anciennes en égaillent le pourtour et de grands arbres agitent leurs branches encore nues au dessus de l'eau.
La nuit est tombée doucement sur la somptueuse demeure de Hyunjin.
A l'intérieur, des dizaines de convives en tenues élégantes s'affairent à siroter du vin tout en ayant des discussions feutrées, bourdonnement de conversations incessant qui atténue le son doux de la cithare qui est jouée en fond. Certains échangent des regards plein d'animosité, tandis que d'autres se font des sourires complices. Coréens et chinois, tous de hauts rangs et travaillant pour le gouvernement ont été conviés à cette soirée.
Jisung, lui, se tient en retrait, proche d'une grande fenêtre qui s'ouvre sur le jardin illuminé. Son visage est fermement neutre, et il tient sa coupe de thé avec une assurance calculée. Tian l'a grandement incité à venir, arguant que sa présence était essentielle pour maintenir les apparences. S'il a fait mine de refuser, cela n'a pas duré, sachant qu'il retrouverait sûrement Minho dans les lieux. Il a ainsi saisi cette occasion dans l'espoir qu'ils puissent se croiser. A présent, le dos raide, le menton haut, le noiraud refuse de paraître vulnérable ou en difficulté quelconque. Il veut se montrer fier et digne. Maître de lui bien que son regard reste vigilant et qu'il observe chacun passant non loin de lui.
L'alpha son mari l'a fait se vêtir à la chinoise, afin de faire comprendre qu'il a le soutien d'un oméga coréen, ce qui n'est pas rien à cette heure. La grande robe, aux manches longues et d'un rouge sombre, fermée en cache cœur est en partie cachée sous une veste mi longue d'un bleu presque noir. Un phenix brodé ton sur ton orne le tissu dont les manches sont décorées d'argent en de petits motifs élégants. La ceinture ajuste le tout et souligne la taille encore fine de Jisung, et y pend un norigae dont le nœud est surmonté d'une fleur de prunier. Ses cheveux fous remontés en une queue haute s'égarent autour de ses épaules larges. Tant de symbolisme dans cette tenue... Toute sa silhouette se détache en ombre chinoise dans la lumière venant de l'extérieur. Si lui peut observer les invités, étant à contre-jour, eux ne peuvent pas lire ses expressions. Ainsi, lorsque Tian, pourtant bien absorbé par ses conversations lance vers lui des regards furtifs comme pour s'assurer qu'il se tient à sa place, il se heurte à l'immobilité rigide de Jisung. Un défi muet que l'alpha ne peut ignorer. Derrière son masque de neutralité, les yeux de l'oméga trahissent une colère sourde qu'il réprime avec difficulté.
Minho. Il le sait quelque part, à proximité. La seule pensée de son alpha faisait vibrer quelque chose de profondément enfoui en lui. Il aurait tout donné pour sentir ses bras autour de lui, sa voix rassurante murmurant à son oreille que tout irait bien. Mais ce désir brûlant n'est qu'un poids supplémentaire sur ses épaules. Il se mord la lèvre inférieure, son expression demeurant parfaitement impassible. De quel droit irait-il se jeter dans la chaleur réconfortante de Minho alors qu'il porte l'enfant d'un autre ? Toutefois, il ne peut s'empêcher de le chercher du regard, espérant le voir apparaître au détour d'une alcôve. Mais Jisung finit par secouer la tête et par se remettre les esprits en place. Il ne peut pas s'afficher ici comme un rien alors qu'il est encore recherché. Pas au milieu de tous ces hauts fonctionnaires chinois et coréens qui semblent s'amuser, à entendre le rire de Tian s'élever puis la voix d'un de ses collègues conseiller, qui lui donne la nausée.
- Eh bien Shennong, vous ne perdez pas de temps ! Mes félicitations pour votre futur petit alpha ! Vous êtes bien tombé en obtenant un oméga fertile. Ils ne le sont pas forcément. Un de mes voisins en a fait les frais malheureusement. On vous avait bien dit que perdre votre temps avec une béta ne servirait à rien. Vous avez fait le bon choix.
Ses doigts se serrent sur la tasse de thé maintenant froide qu'il tient, et une grimace naît sur son visage. Deux mois que c'est arrivé maintenant, et Tian le crie sur tous les toits. Au grand dam de l'oméga, il n'y a toujours aucun signe inquiétant indiquant la perte future de l'enfant. En détournant la tête, il aperçoit soudain un visage qu'il connaît et il ne peut empêcher un sourire de naître. Il est tellement perdu dans ses pensées qu'il en a presque oublié que ce compagnon vit ici depuis qu'ils ont été retenus dans ces maudites cages. Ses yeux pétillent à le voir arriver, et il sort de sa réserve en se détachant de la fenêtre. Emu et heureux de voir Yongbok qui vient vers lui avec un immense sourire lumineux, Jisung dépose la tasse et s'en va en direction de son ancien compagnon d'infortune. Leur précédente rencontre, chez Tian, a été bien trop rapide et trop pleine de questionnements pour être digne d'en être réellement une.
- Jisung !
- Yong... Yongbok... Je suis content de te revoir.
Et la petite lumière qui s'illumine dans le regard de l'oméga le confirme bien. Mais la légère grimace de son ami ne passe pas inaperçue.
- T'as maigri...
Un ricanement lui répond, et le noiraud hausse les épaules.
- Ne t'en fais pas, je me nourris. Et je suis suivi par un médecin donc...
Yongbok ne répond rien mais se contente de hocher la tête. Il sait pour le médecin, il n'est pas utile de s'épancher dessus, plus encore s'ils viennent à en dire trop, cela peut être dangereux.
- Tu veux que j'te fasse visiter ??
- Tu vis ici ?
Joli jeu d'acteur étant donné qu'il le sait déjà pertinemment. Cependant Jisung marque un temps d'arrêt alors qu'il allait suivre le pas de Yongbok et après un bref regard, il attrape la main de son ami pour l'inciter à l'attendre.
- Je dois aller lui dire que je reviens. Sinon il va venir me chercher...
Et cela il est prêt à le parier.
- Oh... J't'attends alors.
Le sourire chaleureux de l'oméga fait répondre le noiraud de la même façon tandis qu'il esquisse déjà quelques pas en direction de son époux. Ce dernier le voit venir, mais prend son temps avant de lui accorder la moindre attention. A dire vrai, Jisung doit attendre patiemment que l'un des invités, en pleine conversation avec l'alpha, signale sa présence. Oh il n'est pas dupe et sait que Tian l'a fait volontairement, mais il va faire comme si de rien était. Le chinois s'éloigne un peu, attrapant le bras de l'oméga pour l'entraîner avec lui.
- Qui a-t-il de si important que tu viennes m'interrompre ?
- Un ami est là. Il va me faire visiter les lieux. Ne me cherche pas, même si je suis sûr que je vais cruellement te manquer...
Tian hausse un sourcils avant de les froncer et ne relève pas le sarcasme.
- Un ami ?
- Un ami oméga... Avec qui je me suis fait enlever... Avant que tu ne remettes tes sales pattes sur moi... Il vit ici... Le monde est petit il semblerait.
Un sourire torve se fait jour sur la face sévère de l'alpha, mais il relâche sa possession pour lui donner le feu vert, en grand prince qu'il est. Jisung se plie en deux en guise de remerciements, brave petit oméga qui obéit et respecte sans faille son cher et maître alpha. Lorsqu'il s'éloigne pour retrouver Yongbok, le noiraud ne manque pas entendre les invités parlant avec Tian lui signifier Ô combien il a su le dresser, qu'il pouvait être fier de lui. Ses poings se ferment dans ses manches et une fois à hauteur de son ami, il l'entraîne rapidement dans une pièce adjacente pour ne plus entendre parler ces hommes et ces femmes.
- Tu crois qu'c'est bon ? Il cherchera pas à te r'trouver ?
- Je sais pas... On verra bien...
Tout en avançant dans le dédale de pièces et de couloirs, le tâcheté attrape Jisung par ses vêtements, Yongbok se penche sur lui, les sourcils froncés. Il a senti une fragrance étrange, un parfum qui diffère de ce qu'il a déjà senti venant de Jisung. Le musc blanc s'est fait plus suave... Plus sucré... Après un instant de réflexion, l'oméga ouvre de grands yeux tandis que le noiraud pique un fard monstre et agite déjà les mains devant lui en se reculant, comme pour se défendre de ce qui semble germer dans l'esprit de son ami.
- T'es...
- Ne dis rien. S'il te plait. Rien. Pas un mot.
- Merde mais...
La gorge nouée, un poids dans l'estomac, Jisung hume rapidement ses poignets à défaut de pouvoir sentir les autres glandes parfumées. Il n'a pas pensé un instant à ce problème de parfum changeant à cause de son état. Et tout d'un coup la panique lui tombe dessus, sa respiration s'emballe et il cache son visage écarlate au creux de ses mains. Il a envie de hurler, il crève d'envie de crier sa peine et son malheur mais s'il peine à se reprendre, il finit toutefois par se redresser, encore à moitié caché derrière ses doigts. Il secoue la tête vivement, quand sa voix tremblante se fait entendre misérablement.
- Dis rien. Y a rien. Rien du tout.
- Hé, ça va aller d'accord ? Qu'est-ce que tu veux qu'on t'dise ?
Yongbok l'a attrapé par les épaules pour le secouer doucement, pour tenter de le raisonner et le faire revenir avec lui plutôt que de le faire sombrer un peu plus profond dans l'angoisse. Sa voix est profonde, douce et chaleureuse, elle l'enveloppe tandis qu'il essaye de le soutenir au mieux.
- Minho est un alpha. Peut-être qu'il sentira rien ou qu'il saura pas ce que ça veut dire.
Le rire sans joie de l'oméga s'échappe de ses lèvres tandis que ses mains retombent mollement contre ses cuisses alors qu'ils reprennent doucement leur cheminement. Jisung ne cherche même pas à regarder où ils sont, ni comment est la demeure. Ce n'est clairement pas ce qui lui importe à cette heure.
- Il le saura forcément...
C'est au détour d'un couloir que Jisung sent une main chaude lui saisir le poignet avec délicatesse. Si son réflexe premier est de sursauter et de chercher à ôter son bras du contact non désiré, en se reculant pour échapper à la personne qui l'a saisi, ses yeux s'écarquillent légèrement lorsqu'ils rencontrent un visage familier.
Minho.
Son cœur rate un battement, et sa respiration s'arrête un instant. L'alpha se tient là, dans l'ombre tamisée des lanternes, ses traits marqués par une fatigue qu'il dissimule mal mais dont l'intensité du regard ne fait que trahir la détermination brûlante qui l'habite. Son costume est sobre mais parfaitement ajusté, presque passe-partout pour se fondre dans l'atmosphère mondaine. Cependant, ce n'est pas son apparence qui retient l'attention de Jisung. Ce sont ses yeux, sombres et perçants, qui semblent chercher à atteindre son âme même.
- Minho...
C'est un murmure presque inaudible, comme si prononcer ce nom pouvait rompre le fragile équilibre de la scène.
Le regard de l'alpha glisse rapidement sur Yongbok, qu'il reconnaît d'un simple hochement de tête, avant de revenir sur Jisung. Il garde sa main posée sur son poignet, mais son étreinte est douce, presque hésitante, comme s'il craignait que l'oméga puisse s'éclipser à tout moment.
- Jisung, tu vas bien ?
Sa voix est basse, mais une urgence est toutefois palpable.
La question, pourtant anodine, frappe l'oméga comme une déferlante. Il sent un nœud se former dans sa gorge, rendant toute réponse difficile. Il voudrait crier que non, qu'il ne va pas bien, qu'il est brisé au-delà de ce qu'il aurait jamais imaginé possible. Mais il ne peut pas. Pas ici, pas maintenant. Alors, il se contente de hocher doucement la tête, incapable de soutenir son regard.
- Je... je suis avec Yongbok,
Sa réponse est maladroite, comme pour justifier sa présence loin des regards de Tian.
- Je sais. C'est pour ça que je suis venu. J'avais besoin de te voir. Juste une seconde.
Les mots de Minho réchauffent quelque chose en lui, mais ils ravivent aussi une douleur sourde qu'il s'efforce d'ignorer. Yongbok, sensible à l'intensité de l'échange, s'éclaircit discrètement la gorge.
- J'vais... heu... aller voir ailleurs, j' vous laisse, hein.
Il s'éloigne rapidement, laissant les deux hommes seuls dans un silence oppressant, mais chargé de mille émotions non dites. Minho fait un pas en avant, réduisant la distance entre eux. Jisung recule instinctivement, son corps tendu, ses mains tremblantes.
- Ne fais pas ça,
L'alpha chuchote en levant une main comme pour le calmer.
- Je ne vais pas te toucher si tu ne veux pas. Mais ne recule pas. Pas toi, pas devant moi.
Ces mots percent les murs de défense que Jisung s'est construits. Son regard vacille, et il se sent incapable de bouger, comme paralysé entre l'envie de se jeter dans les bras de l'alpha et celle de fuir pour préserver ce qu'il reste de lui-même. Finalement, il murmure, presque dans un souffle...
- Pourquoi es-tu venu ? C'est dangereux.
- Et te laisser ici, avec lui, ne l'est pas ? répond Minho, la voix tranchante. Jisung... je ne pouvais pas rester à l'écart, pas alors que je sais ce qu'il te fait subir. Je suis là pour toi. Je le serai toujours.
Les mots, si simples, si sincères, brisent enfin quelque chose en lui. Ses épaules s'affaissent légèrement, et une larme solitaire roule sur sa joue. Mais il détourne rapidement la tête pour la cacher, ne voulant pas que Minho voit sa faiblesse.
- Tu ne comprends pas... murmure-t-il, la voix brisée. Tu ne devrais pas être là. Pas maintenant. Pas alors que je...
Il s'interrompt, incapable de prononcer les mots qui pèsent si lourd sur son cœur. Mais il sait que Minho comprend. L'alpha fait un pas de plus, puis s'arrête, respectant toujours la distance entre eux.
- Jisung, regarde-moi, s'il te plaît.
Ses paroles sont douces et caressantes. L'oméga hésite, puis finit par lever les yeux, son regard brillant de larmes refoulées. Il lit tant de choses dans les yeux de Minho : de la douleur, de la colère, mais surtout, un amour inébranlable.
- Je suis là. Peu importe ce qui arrive, peu importe ce qu'il a fait ou ce qu'il te fera. Je ne partirai pas. Je ne t'abandonnerai jamais.
Ces paroles, bien qu'apaisantes, ravivent une culpabilité qui le ronge de l'intérieur. Il serre les poings, luttant contre l'envie de se laisser aller. Mais une question le hante, brûlant ses lèvres. Il souffle alors, la voix presque imperceptible.
- Et si je n'étais plus la personne que tu aimais ? Et si... je n'étais plus assez pour toi ?
Minho semble choqué par cette question. Il fait un dernier pas en avant, jusqu'à ce qu'il soit presque à portée de toucher Jisung, mais il ne tend pas la main. Au lieu de cela, il murmure avec une intensité qui fait vibrer l'air entre eux, tout en l'entraînant dans un petit salon juste à côté.
- Tu seras toujours assez, Jisung. Toujours.
Ces mots frappent l'oméga en plein cœur, et il sent ses jambes fléchir sous le poids de l'émotion. Mais avant qu'il ne puisse s'effondrer, Minho tend doucement la main, sans le toucher, pour lui offrir un soutien invisible, respectant ses limites tout en montrant qu'il est là, prêt à le rattraper s'il tombe.
Au salon, au milieu des convives, Hyunjin a aperçu Yongbok emmener Jisung. Il sourit, sachant pertinemment ce qu'il va se passer. C'est le moment idéal pour aller occuper un peu ce conseiller chinois si envahissant, au moins cela donnera un peu de temps au petit couple de se retrouver sereinement. Enfin, c'est ce qu'il pense. Ajustant les tissus de son riche hanbok, et dégageant son front d'une mèche de cheveux échappée de son chignon, il se rend donc auprès de l'alpha qui vient de s'éloigner des gens avec lesquels il conversait jusque lors. L'air de rien, il se poste à côté de lui en chantonnant le petit air joué par le musicien sur la cithare. Tian le dévisage un instant, un sourire en coin, narquois, naissant sur son visage.
- Je dois dire, Hyunjin, que votre maison est... impressionnante. Ce style occidental si raffiné. Ironique, n'est-ce pas, pour un homme si opposé à toute influence étrangère ?
Se servant quelque boisson, sans cesser de fredonner, l'hôte se tourne à demi vers le chinois et lui offre un sourire désarmant.
- Mon goût pour le mobilier ou l'architecture n'a rien à voir avec mes convictions. L'art est ce qu'il est et peu importe d'où il vient du moment qu'il nous permet de nous ravir l'oeil. Vous n'êtes pas d'accord ?
La réponse de l'alpha ne tarde pas, et le sourire qu'il affiche s'étire un peu. C'est presque moqueur qu'il reprend.
- Oh, mais tout de même, vivre dans une maison si moderne tout en prêchant la pureté de nos traditions... Certains pourraient y voir une contradiction. Peu importe que ce soit dans un but purement... esthétique.
- Et certains, comme vous, préfèrent détourner le sujet pour éviter de répondre aux vraies questions.
Le ton de Hyunjin s'est fait cinglant. Peut-être un peu plus que ce qu'il aurait voulu, mais maintenant que c'est fait, on ne peut plus revenir en arrière. Une gorgée d'alcool est goutée, au moins pour faire passer le goût âpre de la discussion. Tian hausse un sourcil, son air amusé agace prodigieusement le conseiller.
- Les vraies questions ? Allons-y, alors. Parlez-moi de vos soldats affamés et de vos paysans mécontents. Vous semblez croire qu'ils sont la clé de tout.
Hyunjin se sent acculé, d'un coup. L'homme est habile et il va falloir jouer serré.
- Ils le sont. Ce sont eux qui labourent nos champs, construisent nos routes, et versent leur sang pour protéger ce pays. Vous croyez que vos alliances avec la Chine suffiront à tenir ce pays debout si les fondations s'effondrent ?
Avec un soupir et un rire contenu, Tian secoue la tête avec un sourire las tandis qu'il s'adosse à la table, prenant appui dessus, puis croise les bras contre lui.
- Vous dramatisez encore. La Chine est notre alliée, notre soutien. Sans elle, que serions-nous ? Une proie facile pour l'Occident, qui n'attend qu'un signe de faiblesse pour s'emparer de tout.
L'air de rien, Hyunjin commence à être profondément agacé par le toupet de ce conseiller étranger qui se croit en territoire conquis. Chose qui, en soit, n'est pas foncièrement faux.
- Et que sommes-nous devenus avec elle ? Des vassaux, des sujets. Nos richesses sont pillées, nos citoyens vendus comme du bétail, et nos soldats affamés parce que tout est envoyé à Pékin pour payer une "protection" qui ne protège que vos intérêts.
Dans le regard de l'alpha, un éclair soudain menaçant s'est montré, mais Hyunjin tient bon la barre.
- Vous parlez d'un ton bien audacieux, Hyunjin. Mais votre colère semble déplacée. Si nos soldats manquent de nourriture, blâmez ceux qui gèrent les provisions, pas nos alliés.
- Ceux qui gèrent les provisions n'ont pas grand-chose à distribuer, car tout est accaparé par vos partenaires chinois et leurs complices.
- Vous êtes bien prompt à accuser, Hyunjin. Mais n'oubliez pas : sans la Chine, la Corée aurait été avalée par l'Occident il y a longtemps.
- Et selon vous, c'est mieux d'être avalés par la Chine ? D'être réduits à une colonie déguisée, de voir nos traditions piétinées, et nos enfants enchaînés dans des marchés d'Omega ?
Si au départ le ton de Tian est moqueur, celui de Hyunjin affiche un mépris à peine voilé. Les paroles du premier se font tranchantes... Cet homme l'insupporte, plus encore qu'il tente de mettre son nez dans des affaires qui ne le regardent pas.
- Ces marchés ne sont qu'un moyen d'assurer des alliances et une stabilité à long terme. Vous refusez de voir la réalité.
Déposant son verre sur la table de bois sombre, entre deux vases ornés de fleurs séchées, Hyunjin se rapproche de l'alpha chinois, et parle maintenant à voix basse, menaçant. Il n'apprécie pas ce type. Pas du tout.
- La réalité, Tian, c'est un peuple qui gronde. Ce ne sont pas seulement des soldats affamés ou des paysans ruinés. Ce sont des hommes et des femmes qui commencent à réaliser qu'ils n'ont plus rien à perdre.
Mais l'alpha conserve son calme, du moins en apparence. Il ne baisse pas un instant le regard, et plante ses yeux dans ceux de son vis à vis. Il est insensible à ces menaces qui couvent. Mais il ne peut s'empêcher de titiller un peu plus son hôte.
- Et que ferez-vous, Hyunjin ? Soutiendrez-vous une rébellion ? Une révolte sans espoir qui ne ferait que détruire ce qui reste ?
- Je n'ai pas besoin de soutenir quoi que ce soit. Continuez comme vous le faites, Tian, et cette révolte viendra sans moi, répond froidement Hyunjin.
Le ton de la répartie est moqueur, mais on y sent une pointe d'agacement également de son côté. Tian se saisit du verre délaissé par l'alpha coréen et avec un geste en sa direction, le descend d'une traite avant d'observer le fond du récipient.
- Vous sous-estimez la force de l'ordre et la peur de l'inconnu. Les gens préfèrent obéir plutôt que risquer l'anarchie.
Hyunjin retient un rire moqueur à son tour. Mais il est homme de conviction et cela, on ne le lui retirera jamais.
- Jusqu'à ce que la faim et l'injustice deviennent insupportables. Vous ne pourrez pas les contrôler éternellement.
Un soupir en réponse, et le grand alpha finit par se dégager de son appui.
- Prenez garde, Hyunjin. Vos paroles pourraient être interprétées comme une incitation à la sédition. Ce serait dommageable.
- Si dire la vérité est un crime, alors je suis coupable. Mais souvenez-vous de ceci, Tian : ce n'est pas moi que le peuple blâmera quand tout s'effondrera. Ce sera vous, et ceux comme vous, qui avez vendu notre pays pour un semblant de sécurité.
Tian... Ce dernier ne répond pas, se contentant de fixer Hyunjin avec un sourire, révélant une fossette à sa joue. C'est avec un haussement de sourcils et une courbette surjouée que le chinois tire sa révérence à son hôte.
- Mais au fait, j'oubliais... Saviez vous que j'allais être père ? Mon oméga est gros de quelques mois... Au moins il sait quel est son rôle, lui.
Hyunjin ne s'est pas attendu à cela, et le voilà botté en touche. Il ne sait pas quoi répondre à cela, bien trop choqué par la nouvelle, mais il finit par se reprendre, et préfère faire mine de rien.
- Mes félicitations pour avoir su mettre un oméga étranger et sûrement peu désireux dans votre lit.
Mais il observe le type partir vers d'autres personnalités, et grince des dents.
- Eh merde...
D'un geste il fait venir un des domestiques auprès de lui et lui donne pour mission de retrouver rapidement Minho afin de lui signifier que l'alpha n'est plus occupé et qu'il va sûrement bientôt partir à la recherche de Jisung qui met plus de temps que nécessaire pour visiter la demeure.
Sur la banquette confortable, Jisung joue machinalement avec ses doigts, nerveux. Son parfum embaume la pièce, que ce soit parce qu'il est heureux de revoir Minho, ou de la tension qu'il ressent à l'idée que justement il soit là. Il aimerait tant se couler contre lui, savourer sa présence, ses lèvres et lui dire combien il l'aime, mais il n'en a pas le droit. Non, pas du tout. Et Minho ne comprend pas. Oh il a bien senti la fragrance changée de son oméga, mais par respect pour lui et pour ne pas le mettre dans l'embarras il n'en fait pas mention. Pourtant, l'envie d'aller tuer avec violence l'alpha chinois ne s'en va pas. Il ne souhaite qu'une chose, le faire payer. Le tuer avec une lenteur extrême. Mais pour Jisung, Minho tente de se montrer sous son meilleur jour, même si l'humour ne semble pas atteindre sa cible.
Du bout du doigt, il vient frôler sa joue. L'oméga ne le regarde pas, il évite son regard et cela le peine.
- Tes yeux me manquent. Ton regard... Tes sourires... Laisse moi t'aider et te sortir de là, Jisung. Je t'en supplie...
Ce dernier soupire et secoue négativement la tête. Le geste est lent et plein de dépit.
- Je n'ai pas encore trouvé... Je n'ai pas encore commencé à chercher... Les indices... Où est Jeongin ?
Ce n'est pourtant pas faute d'essayer, mais le souvenir cuisant de la punition pour avoir fouillé dans une pièce à son arrivée chez Tian, le retient de le refaire. Il a bien retenu la leçon et dorénavant, chaque fois qu'il souhaite ouvrir une porte qu'il n'a pas le droit de toucher, son esprit le paralyse et il passe son chemin sans rien tenter. Alors Jeongin est une bonne excuse pour détourner la conversation.
- Il a dû rentrer pour s'occuper un peu de sa menuiserie... On s'en fout des indices, Jisung, on en trouvera d'autres. Tu ne peux pas rester là bas...
- Je n'ai pas le choix pourtant.
- Ji...
- Je ne veux pas qu'ils te trouvent. S'ils te trouvent, ils te tueront, et ça je n'y survivrai pas. Je ne vivrai pas sans toi Minho, alors je t'en prie, sois patient, encore un peu.
Le noiraud a enfin relevé des yeux suppliants sur Minho, qui ne se sent pas de renchérir. Alors il se contente de hocher la tête et d'un bras, il attrape Jisung qu'il ramène contre lui malgré la résistance qu'il tente de mettre contre son mouvement. Le nez dans le cou dans son oméga, il se gorge de son parfum tant chéri, mais ses bras se resserrent un peu plus lorsqu'il sent le changement minime. Son oméga est enceint d'un autre alpha. Et de ça il pourrait devenir fou. Un puissant sentiment de jalousie l'envahit et il a bien du mal à se retenir d'aller régler le compte de ce maudit. Il n'en fera rien. Il faut faire comme si de rien était pour que Jisung ne soit pas mal à l'aise.
Jisung qui a bien du mal à se détendre et à se laisser aller au contact de son alpha. Même si retrouver la chaleur accueillante et réconfortante de Minho est tout ce qu'il désire le plus au monde, il ne s'en sent clairement pas digne pour l'heure. Alors après un instant durant lequel il a pesé le pour et le contre, il se redresse, et relève le museau pour offrir un sourire sans joie à son alpha. Il saisit le visage de ce dernier, les deux mains en coupe, et leurs regards s'accrochent. Ils pourraient se perdre dans les yeux l'un de l'autre. Il sent le parfum d'immortelle qui s'élève, sûrement pour l'apaiser. Cela fonctionne. Ses pouces caressent les joues de Minho, et son front se pose sur le sien. Leurs lèvres se frôlent sans se toucher franchement et leurs souffles se mêlent tandis qu'ils se murmurent quelques paroles.
- N'oublie jamais que je t'aime Minho. Et que je pense à toi chaque jour. Je vis pour toi.
- Dans pas longtemps on sera réuni Jisung. D'accord ? Dans peu de temps. Tu seras heureux, je te le promets.
Le sourire de Jisung s'élargit un peu tandis qu'il hoche doucement la tête. Il est reconnaissant à Minho de ne pas le presser et de ne pas se montrer insistant. Il n'y arriverait pas sinon. Les lèvres de l'oméga se portent au front de l'alpha dans un baiser délicat et plein d'amour et de dévotion. Il s'y attarde, bien peu désireux de mettre fin à leur échange, mais souhaitant cacher ses yeux embués de larmes contenues.
Ce sont quelques coups frappés à la porte qui les séparent et Yongbok passe le nez dans la pièce.
- La voie est plus libre, magnez vous l'fion, s'il arrive vous êtes dans d'beaux draps .
Les deux amants s'observent avec un sourire navré. Jisung essuyant d'un revers de main, une larme échappée.
- Je vais retourner faire le pot de fleurs...
- Je t'aime Ji. Je ne t'oublie pas. Je te sortirai de là.
- Je te fais confiance.
L'oméga s'est déjà levé. Il lui faut retourner auprès de ce mari indésiré.
- Pas de bêtises alpha.
- Jamais oméga.
- C'est ce qu'ils disent tous.
Le sourire amusé de Jisung est contagieux et Minho affiche le même tout en le raccompagnant à la porte. Qu'il est difficile de le laisser repartir... Une fois seul, l'alpha serre les poings si fort que les jointures de ses doigts blanchissent et que ses ongles pénètrent les paumes de ses mains. Sa mâchoire se serre et ses dents grincent, tant il se retient d'exploser et d'aller fracasser la tête de ce chinois. C 'est Yongbok qui entre dans la pièce à son tour qui le trouve dans un état de nerfs incroyable. Le calmer va être compliqué.
__
Fiou, que d'aventures mes enfants! Ca va? Vous suivez/survivez toujours?
C'est pas trop long? x)
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