V
J'ai perdu la notion du temps. Je ne sais plus depuis combien de temps je suis assise par terre à contempler mon lit d'un air hagard. Au travers de ma fenêtre, j'aperçois la lune glisser petit à petit dans le ciel en fonction des heures qui s'écoulent.
Je repasse en boucle ma rencontre avec le prétendu Arès. Je ressasse dans l'optique de me rassurer et de me convaincre qu'il n'y a pas eu mort d'homme. Que ma réaction est disproportionnée. En vain. En fermant les yeux, j'arrive encore à sentir les mains fermes du garçon sur ma chemise de nuit et à humer son parfum capiteux – qui m'aurait certainement plu en d'autres circonstances. Je me sens salie. Et quand ce sentiment devient trop insupportable, quand finalement je n'arrive plus à supporter cette deuxième peau meurtrie sur moi, je finis par me lever en ignorant les crampes qui chatouillent mes muscles endoloris afin de rejoindre la salle de bain pour me doucher.
Je frotte, frotte, frotte ma peau sous l'eau brûlante.
Et je suis presque surprise de constater que l'eau est cristalline. Pas aussi noire que je me l'imaginais.
Et sans comprendre pourquoi, j'en suis soulagée. Je me sens même beaucoup mieux et je respire à nouveau sans cet étau étouffant qui marquait ma taille au point de comprimer mes poumons et qui m'empêchait de penser normalement. Je me sens à nouveau moi-même, à nouveau sûre de moi.
Rien de grave, donc. Rien d'indélébile.
Mais en me séchant, j'avoue avoir une pensée pour toutes ces filles qui ont réellement subi une agression physique si ce n'est intime. A toutes ces filles qui ne pourront jamais se débarrasser de ce sentiment d'oppression, qui ne pourront pas effacer leurs maux en prenant simplement une douche. A toutes ces filles qui ne se sentiront plus jamais elles-mêmes. J'en frissonne d'horreur tandis que mon cœur se serre : dans ma terreur, j'ai finalement eu de la chance. Cette nuit aurait pu mal tourner.
J'essaye de positiver, de me remonter le moral, de penser à autre chose. Mais quand je reviens dans ma chambre en peignoir et toute propre, je ne supporte pas de regarder mon lit. Je prends donc les choses en main en décidant de changer mes draps, au moins je sais que je pourrais à nouveau me glisser sous ma couette sans renifler le parfum dudit Arès. En m'activant, je secoue fermement mes draps et entends alors un bruit sourd, comme un objet qui serait tombé sur mon parquet. Interdite pendant deux secondes, je fronce les sourcils tout en me baissant afin de regarder sous le lit. Bingo.
Là, du côté même où ce garçon s'est endormi se trouve un portefeuille noir et en cuir, simple mais classe. Je tends la main et l'attrape, face à un dilemme. Aucun doute, c'est le sien. L'ouvrir ou le rendre à Victoria ? Je me mords la lèvre puis me rappelle le fait que cet homme a partagé mon lit sans me le demander, aussi puis-je lui rendre la pareille en m'intéressant à son identité. Surtout que Victoria dort donc que j'ai quelques heures devant moi. Et en toute honnêteté, j'ai aussi très envie de savoir sa réelle identité car à mes yeux, personne ne s'amuserait à appeler son enfant comme le dieu de la guerre.
Tout en balayant mes remords d'une main et en me persuadant que je ne suis pas comme lui, j'ouvre son portefeuille et cherche des yeux sa carte d'identité. Je la trouve sans difficulté et la première chose qui me frappe est la photo qui accompagne le papier. Il a l'air jeune pourtant ses yeux semblent éteints, il ne sourit pas et pendant un instant j'ai même l'impression que ce n'est pas lui ; difficile de le voir autrement qu'un petit con qui ne se dépossède jamais de son sourire arrogant. Je laisse mes yeux glisser vers son nom et je grimace.
Je sais qu'en terme de prénom, je ne suis pas non plus gâtée mais sérieusement... Arès ? C'est vraiment son patronyme et non une espèce de pseudo qu'il se serait donné pour impressionner les filles. Arès Vrakinov, pour être plus précise. Médusée, je me concentre sur les autres informations que je peux récolter. Il a 18 ans – un an de plus que moi –, il fait 1 mètre 80, a les yeux bleus – sans blague - et vit à l'autre bout de la ville. Un soupir et je continue mon exploration. Une carte de salle de sport, une carte bleue, un abonnement au café du coin, du liquide et... Trois préservatifs. Rouge comme une pivoine, je m'arrête là pour ce soir.
-☽-
Le lendemain quand j'ouvre les yeux, j'ai mal à la tête. J'ai mis du temps à m'endormir, je ressassais encore et encore les incidents des dernières heures, incapable de penser à autre chose. Je me sens d'humeur grognon et je sais déjà que je vais passer une mauvaise journée. Le manque de sommeil ne me réussit jamais. Je m'étire rapidement et m'aperçois qu'il est presque 11h du matin. Ca fait longtemps que je ne me suis pas réveillée aussi tard.
En sortant de ma chambre, je m'arrête devant celle de Victoria. Le plus doucement possible, j'entrebâille sa porte et vérifie qu'elle est toujours en vie et surtout seule. Elle ronfle encore toute habillée sur son lit et n'a aucune compagnie. Parfait.
Dans la cuisine, je décide de me préparer une grosse tasse de café et prendre un bon petit-déjeuner pour tenir jusqu'à ce soir. Tout en m'activant derrière les fourneaux, je vérifie mon téléphone et suis quelque peu déçue en constatant que je n'ai toujours pas de nouvelles de Meryl. Ou de Dan. Mes deux meilleurs amis semblent bien occupés et leur silence pèse sur mon esprit. Ils me manquent et j'ignore comment je vais faire toute une année sans eux. Un été semble déjà si compliqué...
Tout en me préparant une belle omelette aux champignons, j'entends qu'on tape à la grande baie-vitrée de la cuisine, derrière moi. Je sursaute et me retourne pour découvrir Arès avec un gobelet de chez Colombus Café dans la main. Sérieusement ?
Je m'approche de la fenêtre avec une spatule à la main mais refuse de lui ouvrir. Je ne l'aime pas et je n'ai pas confiance en lui.
- Bonjour, se contente-t-il de dire en parlant plus fort que ce n'est utile.
- Vic dort, dis-je simplement pour mettre fin le plus rapidement à la conversation.
- Vu son état d'ébriété, je m'en doute bien.
Je croise les bras sur ma poitrine en me gardant bien de lui dire que lui aussi n'était pas tout frais hier soir.
- Je peux rentrer ou tu vas encore m'agresser avec ta lampe torche ?
Agacée, je fronce les sourcils et secoue la tête.
- Certainement pas. Moi vivante, tu ne rentreras plus jamais dans cette maison.
Il esquisse un sourire amusé.
- Attention aux promesses que tu fais, princesse.
Je le toise un instant, indifférente à ce qu'il essaye de me dire.
- Tu appelles princesse toutes les filles avec qui tu as dormi ? Non parce que si c'est ça, pitié... Retiens-toi de le faire avec moi.
- Non, j'appelle comme ça les nanas un peu barjos qui veulent m'agresser avec une lumière.
Je rougis et préfère ne faire aucun commentaire. Alors je change de sujet :
- Au cas où tu te le demandes, nous avons une porte d'entrée où tu peux sonner, tu sais. Juste si tu as envie d'agir normalement une fois dans ta vie.
- La normalité, c'est révolu.
C'est plus fort que moi, je lève les yeux au ciel. Mais quel abruti.
- Je ne crois pas qu'on ait été encore officiellement présentés, reprend-il.
- Je ne crois pas que ça m'intéresse.
- J'ignorais que Vic avait une sœur, en fait.
- Demi-soeur, rectifié-je par réflexe.
- Aaah... Tout s'explique.
Piquée au vif par son sous-entendu, je lui tourne le dos et décide de l'ignorer. Mon omelette est en train de noircir aussi je me précipite pour sauver un petit reste de mon déjeuner. A peine ai-je transféré mon repas de la poêle à mon assiette qu'Arès retape à nouveau au carreau. Je soupire et me retourne en lui lâchant un regard noir.
- QUOI ?
- C'est pas trop ton truc la politesse à toi, hein.
- Seulement avec les gens civilisés.
Il s'esclaffe comme si je venais de dire la blague la plus hilarante du monde.
Je ne le supporte pas. Je ne le supporte plus. Il me tape sur les nerfs. Avec Victoria, il remporte sans aucun doute la palme du mec le plus agaçant au monde.Je me rapproche de lui en tâchant bien de ne pas lui ouvrir.
- Qu'est-ce que tu veux ? Pourquoi tu es là ?
- Je veux ton nom.
- Qu... ? Quoi ?
Sidérée, je recule d'un pas et manque de m'étouffer. Est-ce que c'est une espèce de harceleur ? Est-ce qu'il se dit que maintenant qu'on a passé un moment dans un lit à deux, je suis son nouveau trophée ? Il n'y a que ma demi-soeur pour sortir avec des timbrés, de toute manière.
- Enfin ça et mon portefeuille.
- Ton portefeuille ?
Je ne sais pas pourquoi je feins de ne pas comprendre, sûrement parce que je panique à l'idée qu'il remarque que j'ai farfouillé dans ses affaires. Je n'ai jamais su mentir et j'espère avoir joué assez l'innocente pour ne pas qu'il relève le rouge me monter aux joues.
- Oui, je l'ai égaré en me rhabillant hier soir après notre nuit mouvementée.
Je sens une bouffée de chaleur naître au creux de ma poitrine et je fais les gros yeux, paniquée à l'idée que quelqu'un – n'importe qui – aurait pu nous entendre même si je sais que les voisins ne sont pas tellement du genre à écouter au porte.
- Je... Nous n'avons rien fait !
- Encore heureux. Ta sœur est canon mais je maintiens ce que j'ai dit de toi à la plage hier : tu n'es pas jolie et donc pas mon genre.
Sale petit con prétentieux. Ca pourrait presque me blesser mais venant de sa part, c'est un compliment. Je préférerais mourir que d'intéresser un mec dans son genre.
- Et je m'en estime chanceuse parce que les gorilles sans cervelle dans ton genre, c'est à vomir.
- Les gorilles sont des mammifères très intelligents.
- Au temps pour moi, j'ai dit gorille ? Je voulais dire crétin.
Il me dévisage tout en souriant à pleines dents et en secouant la tête. J'ai l'air de beaucoup l'amuser. Merveilleux, je deviens donc officiellement le clown personnel d'Arès Vrakinov. Puis, un élément me saute alors aux yeux.
- Tu te souviens de la plage alors ? Tu as fait comme si tu ne me reconnaissais pas hier soir mais tu savais !
- Bien sûr. Tu as beau prétendre le contraire mais j'ai une cervelle.
- Sûrement de la taille d'une noix alors.
On se dévisage trente secondes, yeux dans les yeux et je suis happée par ses iris couleur saphir. J'ai beau le mépriser et le trouver détestable, c'est triste de constater qu'il est vraiment attrayant. Mais c'est bien la seule chose qu'il a pour lui : son physique.
- Puis-je récupérer mes affaires et avoir ton nom ?
- Tu n'auras ni l'un, ni l'autre.
- Tu sais que ça peut être considéré comme un vol ce que tu fais ?
Je n'y avais pas pensé. Mais je fais mine que si. Comme d'habitude, je suis impassible et maitresse de la situation. Enfin... Je crois.
- Dans ce cas-là, je serai ravie que tu ailles porter plainte et que j'explique à la police dans quelle circonstance tu as perdu ton portefeuille.
Je hausse un sourcil et le défi du regard. Moi aussi je sais jouer à ce genre de petits jeux.
- Si je ne peux pas récupérer mes affaires, tu peux au moins me dire ton nom.
- Certainement pas.
- Faisons un deal, princesse. Je promets de te foutre la paix et de ne plus retourner dans ton lit si en échange tu me donnes ton nom.
- Je préfère encore te rendre ta besace.
- Ton nom a plus de valeur que mes papiers.
Mon cœur rate un battement et je croise les bras sur ma poitrine, tout en ayant un air dégagé.
- Est-ce que t'essayes de me draguer ? dis-je en pouffant de rire, moqueuse. Non parce que si c'est ça, c'est ridicule. Surtout quand tu dis à une fille que tu ne la trouves pas jolie juste avant.
- T'enflammes pas, si je te draguais, crois-moi... Tu le saurais. Mais j'suis sérieux. On ne se rend pas compte de ce que peut représenter un nom ou du pouvoir qu'il peut avoir sur les gens.
Si je n'avais ni envie de me présenter, ni envie de lui rendre ses affaires, c'était juste par caprice. Juste parce que je n'avais pas envie de répondre à ses exigences. Juste pour l'emmerder. Mais maintenant qu'il me dit tout ça, je n'ai réellement plus envie de lui dire comment je m'appelle. Ses intonations pourraient presque m'effrayer tant il a l'air sérieux. Presque.
- Raison de plus pour que je me retienne de te donner ce que tu veux. Je ne t'aime pas et je ne veux pas que tu aies un quelconque pouvoir sur moi.
- Je te fais peur, hein ?
Je remarque une petite fossette sur sa joue droite tandis qu'un sourire en coin se dessine sur son visage. Et j'ai envie de me taper la tête contre le carreau. Comment peut-on être aussi beau et répugnant à la fois ?
Je me reprends, bien décidée à lui montrer qu'il ne m'impressionne pas.
- Peur ? De toi ? Regarde autour de moi, j'ai une tonne de lampes avec lesquelles je peux te mettre K.O et puis surtout... Maintenant que je sais quel genre de naze tu es, franchement y'a pas de quoi avoir peur.
- T'as pas peur que je vienne à nouveau te rendre visite pendant la nuit ? Que je me colle à toi et que j'aie les mains baladeuses ?
- Ca s'appellerait un harcèlement voire du viol si tu essayes d'aller plus loin. Et je doute que tu t'essayes à ça.
- Non, tu as raison. Je ne le ferai pas. Par principe et aussi parce que de toute manière, y'a pas grand chose à tripoter.
Abruti. Abruti. Abruti.
- Merveilleux ! Maintenant qu'on a mis les choses au clair entre toi et moi et qu'on sait qu'on se méprise ouvertement, je t'invite à dégager de mon jardin.
- Pas sans mon portefeuille. Ni ton nom.
- Ta si douce Victoria te rendra ton dû quand elle te reverra et quant à mon nom, tu n'auras qu'à lui demander.
- Je préfère que ça vienne de toi, en fait.
Je soupire, à bout. J'ai envie qu'il parte.
- Si je te dis mon nom, tu promets de te barrer de chez moi et de me foutre la paix ?
- Promis.
Il fait une croix sur son cœur, comme s'il avait huit ans, laissant entendre le message « Croix de bois, croix de fer, si j'mens, j'vais en Enfer ». Perplexe, je passe ma langue sur mes lèvres et cède à ses désirs.
- Je m'appelle Mercure Perkins.
Il acquiesce, semble répéter mon prénom silencieusement et me tourne le dos pour tenir sa promesse et s'en aller. Ce type est vraiment le plus bizarre du monde et j'espère de tout mon cœur ne plus jamais le voir de toute ma vie.
Allez Mercure, courage... Plus que cinq jours.
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