III
Cette voix est suave, grave et a des intonations maitrisées. Je me retourne et constate qu'il s'agit du maître du si beau husky que j'avais caressé avant ma baignade. Je lui lance un sale regard alors que ses yeux me dévisagent avec une froide indifférence, comme s'il était simplement ennuyé par ma présence. Nos regards s'accrochent et ses iris bleutés m'électrocutent sur place. J'ai bien l'impression que se dégage de lui quelque chose d'indescriptible, comme une attraction propre qui est impossible à louper ou à ne pas ressentir. Je passe mes mains autour de mes côtes, brusquement mal à l'aise.
- Mik, rends-lui ses affaires. On trouvera mieux autre part, tu ne vois pas qu'elle transpire l'ennui ? On perd notre temps.
Il se relève en essuyant son jean et j'aperçois les autres l'imiter. Je comprends que c'est le chef de cette petite bande de voyous. Ses amis gravitent autour de lui comme des satellites et imitent le moindre de ses mouvements. Pauvre garçon.
J'aurais pu être blessée par sa remarque mais je m'en contrefiche, j'ai eu droit à pire quand j'étais encore en secondaire. Me faire savoir que je suis ennuyante n'est pas un scoop et de la part de ratés dans leur genre, c'est finalement presque un compliment.
Le dénommé Mik baisse les bras et me tend mes affaires dans un soupir. Visiblement, il aurait bien aimé continuer son petit jeu un peu plus longtemps. Je lui arrache des mains non sans un regard noir. Il n'y a plus de ricanements idiots autour de moi, j'en profite donc pour me détourner d'eux, rouge de colère. Mais j'entends à nouveau la voix du prétendu chef de cette meute d'imbéciles et c'est plus fort que moi, je m'arrête.
- C'est pas comme si elle était jolie, en plus.
Piquée à vif, je reprends ma marche et m'éloigne tandis que les rires reprennent. Humiliée par un gang de voleurs de fringues, hallucinant ! Et dire que cette journée commençait bien...
Tout en me séchant aussi loin possible d'eux, je jette un dernier coup d'oeil à cet idiot. Si j'avais su, je l'aurais assommé avec le bâton de son chien.
—☽ —
Quand je rentre chez moi, Victoria dort toujours et je trouve Elizabeth dans la chambre qu'elle partage avec mon père en train de préparer une valise tout en chantonnant. Je frappe à sa porte et rentre pendant qu'elle se retourne, un grand sourire sur les lèvres.
- Mer ! Viens voir ma chérie, tu vas m'aider. Je suis en train de préparer une surprise pour ton père.
- Une surprise ? Vraiment ? dis-je un peu étonnée.
Normalement, ce n'est pas tellement son truc à Elizabeth, les surprises.
- Oui, j'ai conscience qu'il travaille beaucoup et je me suis dit qu'un week-end en amoureux lui ferait du bien. Et à moi aussi... Je sature avec ta sœur, j'ai besoin d'une pause. Je vais devenir folle à force. Je passe mon temps à lui courir après.
Je me retiens de tout commentaire, je sais bien que je n'ai pas mon mot à dire sur Victoria. Même si ça me démange furieusement. Je rêve de la reprendre à chaque fois qu'elle me dit le mot « soeur ». Bon sang, cette harpie et moi ne partageons pas le même sang.
Mais au lieu de ça, je préfère changer de sujet en essayant d'avoir l'air le plus enjoué possible :
- Et comment puis-je t'aider ?
- Je suis en train de préparer ma valise et j'aimerais que tu fasses celle de ton père. Tu connais mieux ses goûts que moi. Nous partons trois jours à Hawaï.
J'acquiesce automatiquement et commence à prendre le chemin vers le dressing de mon père. Je l'avoue, je ne suis pas ravie. Je pars d'ici quelques jours à la fac et je ne serai plus ici pendant presque 10 mois, cette escapade en amoureux ne pouvait-elle pas attendre ? Juste six fichus jours ?
Je fulmine dans mon coin tout en préparant les bagages de mon père. Si j'étais un peu plus courageuse, je demanderais à ma belle-mère de décaler cette petite surprise mais je n'ai pas le cœur à la peiner, ni à être aussi égoïste que ça. Ils ont déjà tellement à s'inquiéter avec Victoria. Je soupire et me contente simplement d'imaginer divers scénarios où les choses tourneraient comme je le voudrais.
- Mercure ?
J'aperçois la main d'Elizabeth devant mes yeux et je sursaute en me retournant vers elle. Je ne l'ai même pas entendu s'approcher de moi.
- Ecoute ma chérie... J'aimerais te demander un petit service aussi.
Je me retourne en l'interrogeant du regard tandis qu'elle repart près de sa valise pour y fourrer une dizaine de maillots de bain.
- Voilà... J'aimerais que tu gardes un œil sur ta sœur, tu sais avec tout ce qui se passe autour d'elle en ce moment. Elle a besoin de savoir qu'on l'aime et qu'on est là pour elle. Tu es un tel modèle pour elle, elle t'adore tu sais ?
Je n'arrive pas à retenir le rire nerveux qui me possède. Moi ? Un modèle pour ma demi-soeur ? Ca c'est nouveau, j'ai toujours cru que j'étais plutôt son punching-ball émotif. Elizabeth est aveuglée par son amour pour sa fille mais quand même, elle a toujours su qu'entre elle et moi, c'était la guerre froide. Cette espèce de sale peste a passé son temps à me harceler au lycée, comment Elizabeth peut-elle s'imaginer un seul instant que sa fille m'adore et me voit différemment qu'un déchet nauséabond ?
Je soupire et passe une main sur mon visage. Le sujet va être épineux.
- Victoria n'a pas besoin de moi pour que je la chaperonne.
- Non, elle a besoin que tu veilles sur elle, c'est différent. Ecoute, elle se ferme dès que j'essaye de lui parler mais tu as presque le même âge qu'elle, ça doit aider non ? Tu pourrais essayer de la raisonner pendant notre absence.
Victoria ne m'a jamais écoutée et me méprise depuis des années sans que je ne sache pourquoi. Elle a toujours été très claire sur ce point-là et ça me sidère que sa propre mère n'arrive même pas à s'en rendre compte. C'est pourtant la première témoin du comportement de son cher trésor.
- Ecoute, Elizabeth... Tu sais qu'entre Victoria et moi, c'est compliqué. On ne se parle jamais et on s'évite le plus souvent possible. Tu ne peux pas prétendre qu'elle m'adore alors qu'elle a toujours été... (Je cherche mes mots, consciente de marcher sur des œufs) difficile à mon encontre.
- Je sais mais... C'est compliqué tu sais, elle a beaucoup de choses en tête. Il faut te montrer patiente. Promets-moi que tu seras là pour faire attention à elle.
Ses yeux semblent m'implorer et je me rends compte qu'elle compte sur moi pour prendre le relais durant son absence. Je remarque les cernes noirs qui tirent ses paupières vers le bas et je cède, incapable de lui refuser un peu de repos. N'importe qui voudrait fuir Victoria. Je vais m'en aller pendant toute une année et je n'aurais plus à la supporter. Mais Elizabeth, si.
- J'essayerai, dis-je dans un soupir tout en sachant très bien que cette promesse est vaine.
Ca semble lui faire plaisir donc je ne rajoute rien d'autre et finis de l'aider.
—☽ —
En fin d'après-midi, peu avant que mon père ne rentre de son boulot et tombe dans le traquenard de son épouse, je décide d'envoyer un message à Meryl pour prendre de ses nouvelles et lui raconter ce que j'ai fait ces derniers jours ; en soi, pas grand chose. Je rêve de l'appeler mais mon forfait ne me le permet pas. Et elle n'a même pas internet là-bas, donc impossible de suggérer un skype. J'espère qu'elle répondra rapidement. J'ai vraiment besoin de déballer mon sac mais je sais que sa famille essaye de la tenir éloignée le plus possible de toute technologie existante : pour eux, leur fille est une accro. Ce qui dans un sens n'est pas totalement faux. Meryl est sur tous les réseaux sociaux possibles tandis que je n'en suis sur aucun. Pour elle, je suis à côté de la plaque et pour Dan, je ne rate rien d'extraordinaire. Grand bien m'en fasse. A mes yeux, il n'y a pas pire poison que les réseaux sociaux. Quand je vois tout ce qui s'y passe, ça ne me donne vraiment pas envie de rejoindre ce genre de communautés.
J'entends alors mon père arriver et je lâche mon téléphone pour me précipiter dans le hall afin de l'accueillir. Elizabeth l'attend dans la cuisine pendant que Victoria prend ce qui ressemble à un petit déjeuner : il est 17h mais à sa tenue et sa mine endormie, je devine qu'elle vient de sortir du lit. Je l'ignore et elle en fait de même. J'entends alors Elizabeth crier un grand « SURPRISE » enjoué tout en lui montrant leurs valises déjà prêtes dans une main et les billets d'avion dans l'autre. Pour être surpris, il l'est... La bouche à moitié ouverte, un air béat accroché au visage, ses yeux passent de son épouse à moi puis à Victoria – bien que cette dernière fasse comme s'il n'existe pas, le nez dans ses céréales. Une fois que ma belle-mère lui a révélé leur destination, il semble ravi et se précipite dans leur chambre pour se changer. Je le suis sans hésitation.
Comme quand j'étais petite, je m'installe en tailleur sur son lit.
- Alors, tu es content ? Demandé-je en prenant une voix joviale.
De son dressing, je l'entends balancer ses vêtements par terre.
- Ravi, ça faisait des années que j'avais envie de faire un tour sur une île paradisiaque ! Depuis que ta mère et moi... Enfin...
Parler de maman est encore difficile pour mon père. Depuis sa mort, il préfère éviter le sujet tandis que je rêverais de pouvoir à nouveau parler d'elle. Je pourrais en parler à mes amis mais je n'y arrive pas. Parce qu'ils ne l'ont pas connue comme nous l'avons connue. Evoquer son souvenir semble être un secret que je partage uniquement avec mon père. Malheureusement, lui ne l'a jamais vue de la même manière que moi. Pour lui c'est douloureux, c'est une plaie béante qui ne se refermera jamais et qui hantera chacun de ses pas. Un jour il m'avait confié que rêver de maman était un véritable cauchemar ; il la voyait, l'entendait, pouvait la toucher mais quand il se réveillait, la réalité le frappait de plein fouet et la souffrance de l'avoir perdue se faisait à nouveau sentir. Pour lui, c'était comme si elle était morte à nouveau.
Aussi, je me contente de changer de sujet :
- Et ta réunion aujourd'hui ? Ca s'est passé comment ?
- Prometteur. Rien n'est encore fait bien sûr mais ce client a accepté de prendre un deuxième rendez-vous avec moi. Je pense qu'il essaye un peu de voir toutes les possibilités qui s'offrent à lui avant de prendre une décision finale.
- Et ça serait pour quel genre de projet, exactement ?
- Il n'a pas précisé la nature de son entreprise mais ça serait visiblement pour de nouveaux locaux afin d'accueillir le plus de clients possibles.
Je fais une moue dubitative. Décidément, les affaires et moi, c'est pas tellement ça. Non pas que ça ne m'intéresse pas mais je sais que le monde dans lequel mon père travaille est semé d'embuches et l'y rejoindre ne m'intéresse absolument pas. A mes yeux, c'est une planète où toute la population s'appelle Victoria. L'horreur.
Quand nous revenons dans la cuisine, j'entends Elizabeth donner de dernières instructions.
- Est-ce bien clair Vic ? Pas de soirée dans la maison, pas de garçon et personne ne met les pieds chez nous durant notre absence, suis-je claire ? Mercure prendra soin de toi et t'empêchera de faire des bêtises.
Les cheveux blonds de ma demi-soeur semblent se dresser sur sa tête en entendant mon nom. Elle prend une mine outrée :
- Elle n'a qu'un an de plus que moi, maman ! Pas la peine de me la refourguer comme baby-sitter.
- Oh que si, vous n'avez peut-être qu'un an d'écart mais Mercure ne s'amuse pas à partir toute la nuit je-ne-sais-où sans nous l'indiquer avant !
Elizabeth a haussé le ton et je comprends que la dernière escapade de ma demi-soeur n'est toujours pas pardonnée.
- Normal, Mercure n'a aucun ami et personne ne veut trainer avec elle.
- Victoria... Soupire Elizabeth en se massant les tempes. Peux-tu essayer juste deux minutes de ne pas me contrarier ou c'est trop compliqué pour toi ? Mercure commande pendant notre absence, un point c'est tout. N'est-elle pas ta grande-soeur après tout ?
- Certainement pas, je ne partage aucun gène avec... Cette mocheté, finit-elle par dire en me pointant du doigt, un air dégouté.
J'ai l'habitude des remarques mesquines de Victoria et même si je parais toujours indifférente, ça m'atteint d'une manière ou d'une autre. C'était plus douloureux quand je pensais que nous étions amies. Quand j'espérais avoir une sœur avec qui partager des secrets. Maintenant, ça pique de temps à autre. J'ai appris à dissocier mes souhaits de la réalité.
Mon père ne sait pas où se mettre, il préfère toujours éviter ce genre de conflit et n'arrive jamais à trouver sa place en tant que parent. Faisant comme si de rien n'était, il opte donc pour la solution la plus pacifique en s'avançant vers moi avec un grand sourire pour m'embrasser et me dire au revoir. Les lèvres pincées, son épouse en fait de même et s'excuse auprès de moi pour le comportement de sa fille. J'essuie d'une main ses excuses, feignant l'indifférence. Ce n'est pas comme si c'était nouveau.
Lorsqu'ils partent, cinq minutes plus tard, et que je me retrouve en tête-à-tête avec Victoria, je me contente d'adopter une attitude détachée en évitant soigneusement de la regarder. Certains jours, je me plais à croire qu'elle n'existe pas. Attrapant un fruit dans la corbeille, je m'apprête à monter dans ma chambre quand elle m'interpelle :
- Mercure ?
- Oui ? Fais-je d'une voix distante.
- Tu peux rester dans ta chambre, ce soir ? Je vais organiser une petite fête et je ne veux pas qu'on se souvienne que nous vivons sous le même toit.
Je sens mon sang se glacer. Sainte-Patience aidez-moi à la supporter ou je risque de commettre un meurtre. Je suis sûre qu'elle fait exprès, qu'elle essaye de tester mes limites et piétiner le peu d'autorité que sa mère m'a confiée. Son objectif principal dans la vie, c'est de me pourrir l'existence. Et elle y excelle. Si je n'étais pas aussi agacée et débordante de haine à son égard, je l'applaudirais. Raide comme la mort, je me retourne, les bras croisés sur la poitrine.
- Victoria. Tu as entendu ta mère, pas de fête ici. Donc, je vais devoir te dire non, désolée.
- Oh... Mais je ne demandais pas ta permission, en fait. Je veux simplement que tu restes cachée.
Sa voix est mesurée. Elle cherche à me provoquer et ça marche.
- Victoria, dis-je d'une voix menaçante, si tu t'amuses à ça, je te préviens... J'appelle immédiatement les parents pour qu'ils fassent demi-tour. Leur avion n'est pas encore prêt de décoller.
Elle me regarde en se mordillant l'intérieur de la joue et je la vois hésiter.
- Tu peux m'empêcher de faire une fête ce soir mais j'ai encore trois jours devant moi, je te rappelle. A quoi bon retarder l'inévitable ?
Je respire un grand coup. Je sens que je vais exploser, je ne peux plus la supporter, je n'y arrive plus. Pourquoi est-ce qu'elle se comporte comme la pire des garces ? Pourquoi se sent-elle tout le temps obligée d'aller à l'encontre des autres ?
- Je suppose que tu vas inviter des garçons ?
- Très certainement.
- Et qu'il y aura de l'alcool ?
- Une tonne.
- De la drogue ?
- Seulement ce qui se fume.
- De la musique forte ?
- A faire craquer les murs de la maison.
- Très bien, fais-le. Invite tes amis, fais ta soirée, je me contenterai simplement d'appeler la police pour tapage nocturne. Ils seront ravis de constater que des mineurs violent la loi. Tu peux sûrement aller à l'encontre des parents mais de la police, j'en doute fort.
Elle ouvre grand les yeux et pointe un doigt accusateur sur moi.
- Tu n'oserais pas !
- Je ne vois pas pourquoi je me gênerais, tu as l'air de te foutre de mon avis alors pourquoi devrais-je t'accorder ce que tu demandes ?
- Mais je te ne te demandais pas la permission !
- J'avais bien compris. C'est pourquoi je ne te demanderai pas la permission d'appeler la police. Ainsi que nos voisins pour les encourager à se plaindre.
- Tu n'es qu'une sale jalouse ! Tu ne sais pas t'amuser, tu n'as aucun ami, personne ne t'apprécie et si tu ne veux pas que je fasse de fête ici, c'est simplement pour me pourrir la vie ! C'est ta spécialité ! Lâche-t-elle en hurlant et en balançant son bol dans l'évier.
Dramatique comme jamais, elle me bouscule violemment et monte dans sa chambre en claquant la porte. Je prends une grande inspiration et j'expire lentement, essayant de me calmer pour ne pas rentrer dans son jeu. Je sais que j'ai réussi à gagner du temps mais ma demi-soeur finira par trouver un moyen d'avoir gain de cause. C'est la professionnelle pour les mauvais plans.
Mais chaque chose en son temps, j'ai peut-être gagné la bataille ce soir, mais je n'ai certainement pas gagné la guerre. La bombe Victoria finira par exploser dans les jours à venir et j'ai intérêt à être prête.
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