II
Je suis réveillée par des cris ainsi qu'un claquement de porte qui réussit à faire vibrer les murs de ma chambre. J'ouvre péniblement un œil et remarque avec soulagement qu'il fait jour. Je bâille presque à m'en faire décrocher la mâchoire et je me redresse pour attraper mon téléphone. Pas de message mais je remarque qu'il est à peine 7h.Pas de repos pour les braves. Le soleil est levé depuis peu de temps et je regarde pendant quelques minutes la lumière traverser les rideaux de ma chambre pour illuminer mon plafond dans un halo chaud et réconfortant.
Finalement bien réveillée et prête pour cette nouvelle journée, je me lève en m'étirant et m'approche de mon bureau où je fais une petite croix sur mon calendrier. Un jour de moins ici. D'ici 6 jours, je m'envole vers Colombus pour faire ma pré-rentrée dans l'Université d'Etat de l'Ohio. Ca a toujours été mon premier choix et je sais que c'est la meilleure fac pour moi. Ce n'est pas facile d'envisager son futur, de faire les choix qui pourront marquer notre vie à jamais. Surtout quand on est si jeune. Je m'interroge parfois sur mes décisions et stresse à l'idée d'échouer ou de faire une erreur. Mais dans le fond, je sais qu'un peu de renouveau ne me fera pas de mal.
Je m'étire longuement et me mets en maillot de bain une pièce, avec une envie d'aller nager. Ca a toujours été le meilleur moyen de me dépenser. C'est ma mère qui m'a appris à nager et pour cette raison je suis assez attachée à l'eau, j'essaye d'aller à la plage le plus régulièrement possible pour ne jamais perdre une occasion de plonger dans l'Atlantique. Nous avons une piscine mais je ne m'y baigne que très rarement. Je crois que je me sens enfermée, je n'ai pas de place et je m'y sens comme un poisson dans un bocal alors que dans l'océan... Je suis libre. C'est une sensation grisante dont je ne me lasserai jamais.
Après m'être rapidement préparée, je descends les marches le plus discrètement possible, sachant bien que ma demi-soeur vient de se coucher et ne sera pas très agréable si je fais l'erreur de la réveiller.
Dans la cuisine, l'ambiance est différente. On y sent l'odeur sucrée des tartines grillées et celle âcre du café. Mon père est en train de prendre son petit-déjeuner, son journal à la main tandis qu'Elizabeth est en train de faire du yoga sur la terrasse de notre jardin un petit peu plus loin. Je vois directement qu'elle est de mauvaise humeur et que les exercices de relaxation ne l'aident pas à se calmer ; les sourcils froncés, elle a une ride qui traverse son front et elle serre les poings depuis que je suis arrivée. Quelque chose me dit que ce n'est pas aujourd'hui qu'elle va réussir à ouvrir ses chakras. Préférant la laisser à ses exercices, je me dirige avec un grand sourire vers mon père et attrape une pomme au passage.
- Bonjour papa, bien dormi ?
- Oh, bonjour trésor, je ne t'avais pas entendu arriver. Oui, bien mieux qu'Elizabeth en tout cas. Victoria est rentrée il n'y a pas longtemps et elle s'est fait un sang d'encre. Elle n'a pas réussi à la joindre de toute la nuit.
Il soupire et lâche son journal pour s'intéresser entièrement à moi, un sourire sur les lèvres. Je savoure cet instant. Mon père est si peu présent en ce moment.
- Je vois que tu vas te baigner. La piscine ne te tente toujours pas ?
Je grimace en mordant dans ma pomme.
- Pas tellement. Je la laisse à princesse Victoria, dis-je un peu mesquine.
- Sois gentille avec elle, tu sais qu'elle est dans une phase difficile.
- Oui, oui... Je sais papa.
Je me retiens de lever les yeux au ciel. J'ai eu 16 ans avant elle et pourtant je n'ai jamais fait le quart de ce qu'elle s'amuse à faire subir aux parents. Nous avons un an d'écart toutes les deux, mais nous sommes si différentes que j'ai l'impression d'en avoir dix de plus qu'elle. Mon père aussi semble le penser, parfois. Il dit que je suis la plus raisonnable, la plus sage et que c'est à moi d'assumer le rôle de grande sœur. Statut dont je ne veux pas. Mis-à-part une maison, nous ne partageons absolument rien.
Voulant changer de sujet, je m'attarde sur mon père et laisse mon regard trainer sur sa tenue. Haussant un sourcil, je remarque alors que mon paternel a mis sa cravate porte-bonheur. Celle que ma mère lui a offerte lors de leur première année de mariage et dont il se n'est jamais séparé depuis. Je le détaille d'un peu plus près et remarque qu'il est rasé et qu'il n'a pas un seul cheveu de travers. J'essaye de deviner :
- Réunion importante, aujourd'hui ? Dis-je en esquissant un petit sourire.
Mon père répond à mon sourire et des petites rides se creusent au niveau de ses yeux bleus.
- Plus qu'importante : primordiale. Un gros client est arrivé sur le marché et si jamais il s'intéresse à mon coup de crayon, ça pourrait vraiment nous rapporter beaucoup. Lizzie veut que j'assure sur ce coup, j'essaye donc de mettre toutes les chances de mon côté !
Lizzie... Le surnom que mon père donne à ma belle-mère. Je souris en hochant la tête de haut en bas, ne sachant pas trop quoi rajouter. Depuis qu'ils sont mariés, mon père fait tout ce qu'il peut pour lui faire plaisir. Il n'a jamais autant travaillé que depuis qu'ils sont ensemble et ça me tue parfois. Je regrette le temps où son travail n'était pas si important à ses yeux.
- Qui ne pourrait pas aimer ton travail papa ?
Il sourit en essayant d'être modeste mais je vois bien que ma flatterie lui fait plaisir. Mon père est architecte. Un des meilleurs de Jacksonville et des alentours. Il gagne très bien sa vie puisque son style moderne mais unique intéresse beaucoup de clients relativement riches. Ce n'était pas le cas avant. Nous avions beaucoup de dettes après la disparition de ma mère et nous avions du mal à joindre les deux bouts. Mais Elizabeth est arrivée et grâce à ses contacts et son goût pour le talent, elle nous a sauvés.
Il se redresse dans un sursaut en faisant trembler la table, comme s'il venait de prendre conscience de quelque chose et regarde l'heure d'un air alarmé. Tout en faisant la grimace, il se lève rapidement en ne finissant même pas son café.
- Je vais y aller, je vais être en retard. Sois sage pendant mon absence, Mer.
- Toujours, papa. Bonne chance !
Il s'approche, m'embrasse sur le front puis rejoint rapidement Elizabeth pour lui dire au revoir. Je soupire et reste une fois de plus toute seule.
—☽ —
Ma serviette sur l'épaule, je suis en route pour la plage. Nous avons la chance d'être à moins d'un kilomètre de la côte. Il est à peine 8h, les rues sont calmes et la chaleur n'est pas encore trop étouffante. Je suis finalement contente que la petite rébellion de Victoria m'ait permis de me réveiller aussi tôt. Ca faisait des jours que j'étais enfermée à la maison et je pense que j'avais vraiment besoin de sortir un peu. Ne serait-ce que pour marcher. Je ne suis pas réellement très sportive mais j'aime me maintenir en forme.
Tout en marchant, je sens la chaleur du soleil caresser ma peau et profite jalousement de ce moment car je sais que le temps dans l'Ohio n'est pas franchement au beau fixe et que je serai plus habituée à la pluie qu'à cette météo radieuse. Par réflexe, je cherche mon téléphone dans mes poches afin d'envoyer un message à ma meilleure amie, Meryl, mais je ne sens rien d'autre que le vide intersidéral. Mon coeur loupe un battement avant que je ne me rappelle que je n'ai pas touché à mon portable depuis m'être réveillée. J'ai bêtement dû l'oublier sur ma table de nuit. Je peste contre mon étourderie.
Meryl m'a aussi abandonnée après notre remise de diplôme. Elle est partie deux mois en vacances avec sa famille dans le nord de l'Angleterre afin de « retrouver ses racines ». Ce sont ses parents qui l'ont forcée à partir, la pauvre se débattait comme une folle pour ne pas prendre l'avion quand je l'ai accompagnée à l'aéroport. Nous n'avions jamais été séparées depuis que nous nous connaissons - à savoir depuis nos 4 ans. Son absence me pèse, elle a une telle joie de vivre communicative. Toujours à courir après les ragots et les beaux garçons, elle rêve aussi de vivre un conte de fée moderne. Pour lui remonter le moral avant son départ, je lui avais d'ailleurs suggéré l'idée qu'elle allait peut-être croiser le prince Henry. Elle avait ri en prétextant que c'était impossible mais je l'avais vu glisser en douce dans sa valise une biographie détaillée dudit prince.
Lorsque j'arrive sur la plage de SunHill, je me sens revigorée. J'adore cet endroit. Je me sens comme chez moi et je sais déjà que cet endroit va me manquer après mon départ. Devant la mer de sable, je retire doucement mes claquettes et les porte d'une main rêveuse tandis que j'avance le plus près possible du rivage. Le vent vient s'engouffrer dans mes cheveux détachés et l'odeur du sel picote déjà mes narines. Il n'y a presque personne à cette heure-ci et c'est agréable. Pas loin, un groupe de filles est déjà en train de se bronzer la pilule et j'entrevois une joggeuse faire ses étirements. Je passe à côté d'un homme assis à même le sol en train de jouer avec son chien, un magnifique husky. Il lui lance distraitement un bâton dans l'eau que celui-ci va directement chercher dans une course effrénée. En m'avançant vers l'eau, je croise le chien et ce dernier s'arrête à ma hauteur, son bâton dans la gueule. Je n'ose pas lui prendre son jouet de fortune mais je me permets de lui caresser la tête tout en souriant. J'adore les animaux, et c'est d'ailleurs bien pour ça que je veux devenir vétérinaire. Mon choix de carrière a énormément étonné mon père qui s'était toujours imaginé que je suivrai les traces de ma mère en devenant astronaute. Mais non. Je suis passionnée d'espace mais j'appartiens à la Terre.
Une fois proche de l'eau, je retire mes vêtements sur la serviette que j'ai déjà dépliée puis je m'élance. J'accueille l'océan avec un frisson glacé qui me remonte jusqu'à l'échine. La température froide de l'océan ne me fait pas peur et je plonge sous les vagues en battant des pieds pour m'éloigner le plus possible du rivage. Sous l'eau, c'est le calme absolu. Pas d'aboiement, pas de cris, pas de Victoria, rien. A part le silence.
Au bout d'une trentaine de minutes, je me sens à la fois requinquée et épuisée. Je rebrousse donc chemin vers la plage, prête à rentrer chez moi après ce moment de détente. Néanmoins, quand je sors de l'eau, je constate avec effroi qu'il n'y a plus aucune de mes affaires. Plus de short, plus de t-shirt, plus de serviette. C'est une blague. C'est forcément une blague. Qui s'amuserait à me voler mes vêtements ? Je lève les yeux vers la plage, effarée, et c'est là que je les remarque. Un groupe de garçons entourant celui que j'avais vu en arrivant. Celui qui jouait avec le chien. Mais maintenant, il ne s'amuse plus avec et se contente de le caresser en me dévisageant. A part lui, tous rigolent comme des crétins en me voyant aussi perplexe.
- C'est ça que tu cherches ma jolie ? fait l'un d'entre eux en haussant la voix tout en me montrant mes affaires roulées en boule.
Mon sang ne fait qu'un tour et je m'approche d'eux en ayant l'air le moins intimidé possible. Difficile. Ils sont quatre et je suis seule. A moitié nue. Enfin, presque. Je croise les bras sur ma poitrine, mal à l'aise.
- Pas mal le maillot de bain une pièce, commente l'un d'entre eux en sifflant bêtement, je crois bien que ma grand-mère a le même que toi.
Cette remarque provoque une hilarité générale. J'ai l'impression d'être de retour au lycée et je déteste ça. En les dévisageant, j'ai pourtant l'impression qu'ils sont un peu plus âgés, à peine la vingtaine je dirais. Pas mal la mentalité.
Je décide d'ignorer la remarque complètement puérile et digne d'un enfant de maternelle en me tournant vers celui qui a mes vêtements. Je tends une de mes mains en fronçant les sourcils :
- Rends-moi mes vêtements.
- Et c'est quoi le mot magique ? fait-il en haussant les sourcils.
Je suis médusée. Le type me vole mes vêtements et je dois le supplier pour qu'il me les rende ? Je vois rouge et refuse de me laisser faire. Je me suis promis de ne plus jamais m'écraser devant ce genre de crétins.
- Va te faire foutre, ça te va ? Dis-je d'une voix mauvaise en essayant d'être la plus courageuse possible.
J'essaye d'attraper mes affaires mais il est bien plus grand que moi et se contente de lever le bras en ricanant.
- Mais c'est qu'elle est mignonne quand elle s'énerve, fait-il en se rapprochant de moi.
Je m'écarte immédiatement, détestant ce genre de proximité. Ce garçon a vraiment l'air dérangé. Personne ne semble faire attention à nous et je fais un rapide calcul dans ma tête : ils sont quatre, je suis seule. Mais tout espoir n'est pas perdu. Dan m'a appris à me défendre et en cas d'attaque, il faut toujours viser les bijoux de famille. Ils semblent tous à moitié alcoolisés ou en train de décuver et les trois autres sont assis par terre. Avec un peu de chance si je lui mets un bon coup de pied dans les parties sensibles et que je me mets à courir, je pourrais éventuell...
- Bon, ça suffit, claque une voix sèche et autoritaire qui met fin à mes plans de ninja.
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