I
La nuit est douce. On peut voir les étoiles scintiller du balcon et je respire un grand coup. Ca fait du bien de sortir un peu pour prendre l'air. Ces derniers jours, il faisait tellement chaud à Palm Valley que c'était impossible de faire un mouvement sans suer à grandes gouttes. J'ai ainsi préféré l'intérieur et - surtout - la fraicheur de la maison. Mes deux seuls amis au monde ne sont plus dans le coin pour les grandes vacances, je n'ai donc personne qui puisse me forcer à sortir de ma tanière. D'ordinaire j'aime me balader tous les jours sur la côte et profiter des plages de ma petite commune avant mon grand départ, d'ici une semaine.
Je veux garder le plus de souvenirs de ma ville ainsi que de Jacksonville ; ses bars branchés, ses vieilles librairies d'occasions et son architecture moderne. Mais sans Meryl et Dan, j'avoue que tout me paraît assez fade. Alors finalement, rester chez moi durant ces derniers jours fut plutôt une autre forme de satisfaction ; au moins, j'ai pu avancer dans mes cartons. Et surtout, j'ai pu passer un peu de temps avec mon père. Pas beaucoup, puisqu'il est toujours débordé par son travail mais au moins j'étais présente quand il rentrait le soir et on pouvait passer un moment ensemble. Pas à deux, jamais à deux. Pas depuis qu'il s'est remarié il y a quelques années avec Elizabeth et que notre ancienne routine a été balayée d'un revers de la main par une nouvelle famille dont je ne voulais pas.
Non pas que ça me dérange réellement mais je préfère sans hésitation quand nous ne vivions qu'à deux et que mon père ne se reposait pas sans arrêt sur sa nouvelle femme pour faire en sorte que je me sente moins délaissée. Avant, il faisait des efforts pour moi, il était toujours là. Depuis qu'il y a Elizabeth et sa fille dans nos vies, il s'imagine que j'ai moins besoin de lui, que je me sens moins seule sans lui dans cette maison. Mais c'est faux.
J'entends brusquement la porte-fenêtre coulisser derrière moi et je me retourne distraitement, ayant encore un peu de mal à détourner les yeux des étoiles. D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours adoré les contempler. Je connais tous les noms de chacune des constellations et je suis toujours bien renseignée sur les actualités spatiales. Avec mon prénom, j'ai plutôt intérêt.
- Mercure ? Tu n'es pas fatiguée ? souffle Elizabeth en s'approchant de moi, un châle autour des épaules.
Je souris et hoche la tête pour répondre. Elle semble exténuée et soupire en s'installant sur la chaise longue à côté de la mienne. Normalement, je ne laisse personne s'installer ici mais à sa tête, je vois bien qu'elle n'est pas au meilleur de sa forme alors je ne dis rien. Nous restons un moment dans le silence mais ça ne me dérange pas, je suis habituée. Je n'ai jamais eu grand chose en commun avec ma belle-mère et nous avons rarement échangé plus de deux mots quand nous sommes dans la même pièce.
- Tu ne saurais pas où est Victoria ? me demande-t-elle en me jetant un regard suppliant.
Je grimace et réponds par la négative. Ma demi-soeur et moi ne partageons absolument rien. Nous nous entendions pourtant bien quand nous étions petites mais quand nous avons commencé à partager la même école, ce fut terminé. Je n'ai jamais compris pourquoi et je n'ai jamais vraiment cherché à savoir, aussi. Victoria a toujours été prompte à se lasser des gens, aussi me suis-je toujours dit qu'elle en avait simplement eu marre de moi.
J'observe ma belle-mère avec un sourire réconfortant, ce n'est pas la première fois qu'elle ne sait pas où est passée sa fille et ça ne sera pas la dernière fois. Victoria est en plein dans l'âge bête ; elle fume en cachette, fait le mur pour sortir rejoindre ses amis et va à des soirées où elle boit jusqu'à évanouissement. Je le sais parce que c'est toujours moi qui vais la chercher quand ça arrive. C'est d'ailleurs les seuls moments que nous partageons à deux : moi en pyjama dans ma voiture pour aller la chercher à une stupide fête en pleine nuit et elle vomissant dans son sac à main et me grognant de conduire moins vite. Je la déteste tellement dans ces moments-là. Quoiqu'en fait, je peine réellement à avoir une once d'affection pour elle. Les parents ne cessent de répéter que je dois être patiente avec elle, qu'elle vit des moments difficiles à cause de son père. On ne m'a jamais dit exactement ce qui se passait entre son paternel et elle, je sais simplement que c'est compliqué et que ce ne sont pas mes affaires. Mais pour elle c'est comme s'il était mort.
Nous sommes l'exacte opposée l'une de l'autre, je n'ai jamais été très soirée, je n'ai jamais été une fille populaire au lycée et je préfère la compagnie de mes deux meilleurs amis plutôt qu'à une bande de dix personnes. Elle est extravertie, provocatrice et sûre d'elle.
Je suis tout l'inverse. Réservée, travailleuse et casanière. En soi, je suis l'adolescente la plus ennuyeuse du monde. Tout chez moi crie à la banalité ; de mon caractère jusqu'à mon physique. Brune aux yeux marron, je ne suis ni trop grande, ni trop petite et relativement fine. Je n'ai rien qui pourrait attirer les regards et ça me va très bien comme ça.
Personne ne pourrait comprendre comment deux filles aussi différentes peuvent vivre sous le même toit. Elle qui est grande, blonde aux yeux bleus et qui dirige le lycée comme une vraie princesse. Pour beaucoup, c'est la fille la plus cool de la planète. Mais pas pour moi. Je connais son vrai visage, je sais qui se cache sous ses traits poupins.
Remarquant que je suis silencieuse depuis un petit moment, je me penche par-dessus ma chaise-longue et pose une main sur celle d'Elizabeth. Au contraire de Victoria, j'aime bien ma belle-mère, elle est gentille, douce et semble profondément aimer mon père. Elle le rend heureux et c'est tout ce qui compte à mes yeux.
- Elle finira par rentrer. Comme toujours.
- Oui, mais dans quel état ? soupire-t-elle en se levant.
Je ne lui réponds pas,elle comme moi savons très bien qu'elle sera éméchée. Surtout que je l'ai vue se glisser par la porte arrière de la maison vers 22h en robe si courte que j'ai cru pendant un instant qu'elle ne portait qu'un t-shirt. Quelque chose me dit que ce n'était certainement pas pour juste faire un petit tour au clair de lune. Mais ça, je me retiens bien de le dire. Ma belle-mère a assez de soucis à se faire comme ça pour son unique fille.
Elizabeth rentre à nouveau dans la maison et je replonge dans l'observation des étoiles.
C'est finalement en sentant mon téléphone vibrer contre ma cuisse que je me rends compte qu'il est minuit passé. Tout en me levant pour me diriger vers ma chambre, je lis le SMS que j'ai reçu. Ca vient de Dan.
« Plutôt pas mal la vue, hein ? ;) »
La photo qui l'accompagne me montre le célèbre Golden Bridge rouge de San Francisco éclairé par des spots lumineux. C'est à peine le début de la nuit là-bas et j'essaye d'imaginer Dan avec son sac à dos et une carte à la main, tel le globe trotter qu'il a toujours rêvé d'être. Il y a quelques semaines, juste après avoir été diplômé, mon confident depuis toujours nous avait annoncé à Meryl – ma meilleure amie - et moi son besoin de faire le tour des Etats-Unis et de voyager avant la reprise de la fac, en septembre prochain. Tout comme moi, il n'avait jamais été plus loin qu'Orlando et l'appel de l'aventure l'avait poussé à s'armer simplement d'un sac à dos pour faire le tour des grandes villes de notre beau pays.
On a parfois des nouvelles mais comme il nous l'a expliqué avant de partir, il essaye au maximum de vivre une expérience inédite et n'a pas toujours assez d'argent pour avoir la possibilité de recharger son téléphone portable. Je suis donc contente de voir qu'il est bien arrivé à cette nouvelle étape sans encombre.
Je réponds en me brossant les dents :
« Moins jolie que celle que j'ai de mon balcon, navrée Marco Polo ! J'espère que tu vas bien. xx »
Le surnom est apparu naturellement au cours de l'été, suite à toute les nombreuses photos qu'il m'envoie. Pour moi, c'est l'explorateur que je ne suis pas. Je rêve de voir le monde mais je suis si attachée à mon foyer que je doute sérieusement de pouvoir tenir très longtemps loin de mon père. Nous avons toujours tout fait l'un avec l'autre et à chaque fois que je pense à mon départ pour la fac, je suis à la fois excitée mais aussi terrifiée. C'est la première grande aventure que je décide de vivre aussi loin de mes racines et de mes amis. Parfois, j'ai peur qu'en choisissant cette voie, je puisse être amenée à regretter ma décision. J'ai peur que le ciel me tombe sur la tête et que les étoiles arrêtent de briller, simplement parce que j'ai voulu prendre un risque.
Fatiguée, je pose mon téléphone sur ma table de nuit et me glisse sous les draps. Il fait toujours frais dans ma chambre et c'est agréable, pourtant je sais que comme les nuits avant celle-ci, je vais mal dormir. J'arrive toujours à me réveiller en sursaut à cause de cauchemars, en sueur.
Non sans un regard sur la photo à côté de mon lit, je ferme les yeux et prononce un petit « Bonne nuit maman ».
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