Chapitre 35.

— Top chrono, ON ÉCHANGE ! cria Charlie avec excitation quand la minuterie de son téléphone afficha zéro.

À contrecœur, Alastor et Lucifer échangèrent leur toile respective.

— Il va forcément tout gâcher, rechigna Lucifer en tendant son œuvre d'art au démon et en prenant la sienne.

En découvrant le dessin d'Alastor, l'ange le fusilla du regard : le démon aux oreilles de cerf avait peint un tout, tout, tout petit minuscule Lucifer au creux de la paume d'une main qui pouvait être interprétée comme la sienne.

— J'aurais aussi bien pu peindre un simple point noir de la taille d'une fourmi, mais je craignais que sa majesté ne se reconnaisse pas. ~

Lucifer ne regretta pas du tout l'approche agressive qu'il avait aussi choisie avec sa peinture. Il crut même voir – l'espace d'une demie seconde – le sourire d'Alastor tomber quand il découvrit son dessin.

L'ange déchu avait peint un coït animalier entre une biche et un cerf arborant fièrement de grands bois. La métaphore ne pourrait pas être plus claire. Le sous-entendu obscène crispa les doigts d'Alastor sur le pinceau.

— OK, je repars le chrono ! dit Charlie en sautillant presque sur place d'excitation.

Elle n'avait pas encore vu la nature de ce que son père et Alastor avaient peint sur leurs toiles. En revanche, elle était heureuse de les voir participer avec autant de sérieux à l'exercice. Si elle pouvait faire en sorte que Lucifer et le démon se rapprochent, elle pourrait aider n'importe qui se présentant à la porte de son hôtel.

— C'est partiii !

Lucifer savait déjà ce qu'il allait peindre. Il acheva le visage d'Alastor – pour ne laisser aucun doute quant à son identité – et ajouta une chaîne verte à son cou dont l'extrémité était tenue par son double miniature. Sur la toile, il était peut-être dans la paume d'Alastor, mais c'était tout de même lui qui détenait son âme.

Les échanges de toiles et les comptes à rebours s'alternèrent pendant un bon moment. Alastor et Lucifer peignaient avec colère et détermination. Ils y mettaient toujours plus d'énergie et d'intensité, si bien que Charlie ne savait plus trop où donner de la tête. Elle n'était plus si sûre du bien-fondé de son idée d'activité... Cela semblait être devenu une course à qui allait peindre le dessin qui enragerait le plus son rival.

— Heu... hum... Papa ? Al' ? Je ne suis pas... certaine... que...

Charlie essaya tant bien que mal de les arrêter, mais ils étaient dans une frénésie créative à laquelle il était difficile de mettre un terme. Cette activité se transformait en carnage artistique au plus grand dam de la jeune fille.

— ÇA SUFFIT ! intervient Vaggie en criant pour venir au secours de sa compagne.

Aussitôt, Lucifer et Alastor s'arrêtèrent net, les pinceaux leur tombant presque des mains.

— Cette activité ne devait pas être un exutoire pour votre colère et les choses que vous vous reprochez, expliqua Charlie avec un air désolé. Pour ça, vous pouvez utiliser des mots. L'autre jour, je vous ai dit de parler en utilisant le « je » pour exprimer vos sentiments. Peut-être que vous avez quelque chose à ajouter... ?

Lucifer secoua la tête.

— Absolument rien.

Pour une fois, Alastor était d'accord. Il rêvait seulement de sortir d'ici.

Charlie attendit patiemment comme si l'un d'eux allait se décider à parler, mais ils restèrent muets. La blonde poussa un long soupir et abandonna.

— OK... Je pense que c'est assez pour aujourd'hui. Vous êtes libres. On verra si l'atelier se passe mieux avec Angel et Husk...

Alastor disparut à la seconde où il fut démis. Lucifer observa une dernière fois les tableaux finalisés en se disant qu'ils n'étaient pas si mal, mais qu'il n'y avait aucune chance pour qu'ils puissent les accrocher quelque part dans l'hôtel.

***

Alastor donna son émission de radio en après-midi jusqu'à tard, profitant de la quiétude de sa tour. Par la suite, il alla à sa chambre, prit une douche et s'allongea sur son lit.

Le démon n'avait jamais eu un très bon sommeil. N'empêche... pourquoi l'insomnie le guettait-elle autant maintenant ? Il avait du mal à fermer l'œil. Soudain, son lit lui paraissait comme le plus inconfortable. Pourtant, il avait bien dormi la nuit dernière... dans le lit de Lucifer...

Un froncement de sourcils marqua son front. En quoi le lit de l'ange était-il si différent du sien ? Les mêmes matelas n'étaient-ils pas utilisés partout dans l'hôtel ?

Hier, c'était tellement plus confortable pourtant.

Alastor essaya de s'allonger au sol plutôt que dans son lit, mais rien n'y fit. Il gardait les yeux rivés au plafond et roulait sans parvenir à trouver le sommeil.

Il devait en avoir le cœur net.

Sous sa forme d'ombre, il parcourut les couloirs de l'hôtel jusqu'à la chambre de Lucifer. Celui-ci n'était pas encore là. Discrètement, Alastor se glissa sous la porte et avança dans la pièce jusqu'à rejoindre le lit...