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𝟏. frost and fire

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La neige s'étendait à perte de vue, blanche, immaculée. Les bourrasques glacées effaçaient ses pas mais l'air mordant rongeait ses os. Elle serra les dents, se faisant violence pour ne pas les claquer. Cela faisait des heures qu'elle patientait là, derrière cet arbre, tapis jusqu'au genoux dans la neige épaisse, luttant contre la fatigue, la faim et le gel. Et jusque-là, aucune trace de proie.

L'écorce sur les arbres n'avait pas été arrachée, signe qu'aucun cervidé ne s'était encore aventuré dans les environs. Ils viendraient, ce n'était qu'une question de temps. Ils passaient là, nombreux, tous les ans, dépouillant les troncs avant de remonter vers le nord. Nul ne savait jusqu'où ils allaient, personne n'était assez fou pour tenter de le découvrir. Si par mégarde —ou stupidité— quelqu'un avait déjà suivit les daims par delà la terre des loups ou...Prythian, il n'en était jamais revenu. Du moins, pas en un seul morceau...

L'image d'un homme déchiqueté par les crocs, et lacéré par les griffes de ces bêtes, sans âme; ni morale, s'imposa à elle. Elle ne put réprimer un frisson de dégoût.

Sa mère lui avait conté des histoires sur les créatures qui vivaient au-delà du mur. Des histoires de meurtres sanglants, de jeux perfides, de ces choses qui s'aventuraient parfois de l'autre côté, pour semer chaos et désordre sur le territoire des mortels. Cela l'avait tant choqué, qu'elle se souvenait de chaque nuit où sa mère s'asseyait au pied de son lit d'enfant, pour lui décrire les légendes morbides de ces êtres qui n'avait rien d'humain. C'était pour ainsi dire, l'un des seuls souvenir qu'elle gardait de cette femme, morte du typhus alors qu'elle n'avait que six ans.

Repoussant les pensées, denses et noires qui l'assaillait à l'évocation de sa mère, elle s'engouffra profondément dans sa mémoire, dans un coin reculé et bien connu, elle en verrouilla la porte d'acier denté, jeta la clef dans le lac de naphte, dont les bulles éclatait à la surface, et revenant à elle, inspira un grand coup.

L'air glacé envahit ses narines, et monta jusqu'à son crâne. Ça n'avait rien d'agréable, mais le froid qui grignota son cerveau, coupa tout autre songe. Pressée de rentrer, pour s'immerger jusqu'au cou dans un bain, qui sera sûrement tiède, elle risqua un œil vers le ciel, et regretta immédiatement.

Les nuages gris filtrait les rayons du soleil, mais leur vue, combinée à celle de la forêt d'hiver; morte et inhospitalière, était aveuglante. Sa vision se tarit, et une migraine diffuse s'empara d'elle. Elle jura, et clos les paupières.

— Chut.

Marsya sursauta, rouvrant les yeux. Au-dessus d'elle, perchée sur une branche, plus ou moins stable, d'un grand pin, Feyre, l'arc sur le dos, lui jetait un regard réprobateur. Sa sœur aînée était si discrète, calculant même ses respirations, longue et profonde, qu'elle en avait oublié sa présence.

— Désolée, grimaça-t-elle à voix basse, elle avait si peu parlé aujourd'hui, que chaque mot semblait lui scinder les cordes vocales. Cela dit, on n'y voit pas à cinq mètres, tu ne crois pas qu'on devrait rentrer ?

Elle se releva lentement de sa cachette, engourdie, en pointa le menton vers le brouillard entre les arbres, pour appuyer ses propos.

— On ne peut pas, soupira Feyre, remuant ses membres raides, elle sauta de son perchoir. Il faut trouver du gibier, même petit.

Elle savait qu'elle avait raison, mais l'idée de s'engouffrer plus profondément dans les bois la révulsa. Les chasseurs les avaient prévenus : des meutes de loups, tout aussi affamées qu'elles, rodaient les parages. Des bêtes gigantesques d'après leurs dires.

Marsya avait été tenté de rire au nez du vieux chasseur rabougri, à qui il manquait trois doigts, et dont le nez enflé par la liqueur semblait sur le point d'exploser, mais la terreur qu'elle avait lu dans ses yeux vitreux l'en avait dissuadé.

Son envie de rencontrer l'un de ces canidés était aussi grande que celle de se trancher la langue avec le couteau de chasse, presque rouillé, qu'elle portait à la ceinture. Mais, la nuit allait bientôt tomber, et avec elle, son espoir d'attraper un animal assez gros pour nourrir sa famille, au moins pour ce soir. Ils avaient fini leurs réserves la veille, et la maigre miche de pain qu'elle avait avalée pendant ce repas, n'aurait su contenter son estomac rugissant.

Comme Feyre le disait souvent, il y avait trois choses en ce monde qui comptait véritablement; famille, vêtements chauds, et viande. Tels étaient les clefs de la survie. C'était ce qui les poussaient de leur lit —dans lequel leurs mère avait rendu son dernier souffle, et qu'elles partageaient avec leurs deux autres sœurs depuis des années— tous les matins, frigorifiées, et plus affaiblies que la veille, pour se risquer dans cette forêt, armes en main.

Autrefois, Marsya accordait de l'importance à d'autres activités; la lecture, l'équitation, la danse. Mais, cela faisait si longtemps que, parfois, elle se demandait si elle n'avait pas tout simplement laisser son imagination créer ces souvenirs, afin rendre son quotidien moins pesant, lui offrir l'espoir d'une terre promise, où tout ça serait encore à sa portée. Où elle vivrait encore dans ce manoir ravissant, où son père n'aurait pas causé la ruine de leurs familles, et où ses sœurs seraient encore des jeunes demoiselles de la bonne société.

— Suis moi, ordonna Feyre, en décrochant son arc.

La neige crissa sous les semelles de leurs bottes. Marsya baissa les yeux sur ses pieds. Les lacets de ses bottes brune était couvert de cristaux de glace, mais, bien qu'abîmées, elles tenaient encore le choc. Celle de Feyre, en revanche, était si usée que le froid passait entre les coutures, endormant ses orteils.

Elles explorèrent les environs, à l'affût d'une proie. Après un petit moment, Feyre entraina sa sœur derrière un buisson enneigé. Elle avait toujours été bien meilleure qu'elle pour la chasse.

Marsya était douée pour d'autres choses; elle ne manquait jamais une cible, que ce soit à l'arc, ou au couteau, elle exerçait l'art de tuer avec une précision presque effrayante. Feyre, elle, était la stratège; placer des pièges, trouver des abris, se tapir dans l'ombre comme si elle ne faisait qu'un avec, pouvant patienter des heures durant, jusqu'à ce qu'une proie se dévoile.

Leur méthodes étaient bien différentes, mais leurs deux forces combinées étaient diablement efficace. De fait, elles ne chassaient jamais l'une sans l'autre. A part une fois, trois ans auparavant, où Feyre, bouillante de fièvre, n'avait pas été en mesure de l'accompagner. Malgré la capture d'un lièvre, bien gras, qui leur avait permis de tenir une semaine, cette journée de chasse en solitaire, restait l'une des plus sinistres de la vie de Marsya.

Elle plissa les yeux, tendit l'oreille, afin de percevoir à travers les feuilles du buisson, un quelconque signe de vie. Mis à part la clairière, dont le ruisseau qui la traversait, s'était figé dans la glace hivernale, il n'y avait rien. Aucun piaillement d'oiseau, aucune branche craquant sous les sabots...Il n'y avait que la neige, qui tombait sans répit dans ses boucles auburn. Le froid, le vide, et le silence. Terrible, terrible, silence.

— Tu vois quelque chose ? interrogea- t-elle sa sœur.

— Patience, répondit Feyre d'une voix traînante.

Ça avait toujours été le plus gros défaut de l'adolescente. Elle était tout aussi explosive que sa sœur la plus âgée, Nesta, qui était à la fois froid et flamme. Toutes deux avaient bien du mal à tenir en laisse le volcan qui sommeillait dans le tréfonds de leurs âmes, transformant le sang dans leurs veines, en lave en fusion. Et gare à quiconque se retrouvait en face d'elles, les jours d'éruptions.

La patience était un talent maîtrisé seulement par Feyre dans cette famille, et peut-être par leur père, mais elle n'en était pas sûre. Chez lui, patience rimait bien trop souvent avec mollesse.

Les doigts engourdis, elle s'installa plus confortablement. Chacun de ses membres gelés la faisait souffrir, du bout de ses orteils, qu'elle n'arrivait même plus à remuer, jusqu'à ses épaules raides. Si le vent ne s'apaisait pas, elle se briserait sûrement, s'éparpillant sur la poudreuse, en centaine de cristaux de glace.

Un flocon, plus gros que les autres, vint se poser sur le bout de son nez. La température de son corps était si basse qu'il ne fondit pas. Marsya le contempla longuement, beau et immortel, il reposait sur son nez rougie. Fascinée, elle leva la main pour le capturer, mais au même instant, des buissons craquèrent.

Marsya risqua un coup d'œil vers sa sœur, qui s'était crispée, le souffle coupé. Elle suivit son regard, et sa bouche, asséchée depuis des heures, s'emplit d'eau.

A quelques pas d'elles se tenait une jeune biche, qui, contrairement à elles, n'avait pas été trop amaigrie par l'hiver. Elle déchirait les bandes d'écorce d'un pin, près du ruisseau, mastiquant lentement.

La veine de de sa gorge palpita à cette vue.

Elle était celle de ses sœurs qui s'accommodait le mieux de la faim, se contentant du minimum, laissant souvent une partie de ses rations à Feyre, prétextant d'être rassasiée. Bien sûr c'était faux, Feyre le savait, les autres aussi, mais elle ne refusait jamais et se jetait goulument sur la nourriture offerte.

C'était un pacte entre elles. Feyre faisait le plus gros du travail à la maison, chasse, entretien, marchandage. Elle était le pilier, celle qui leur permettait de survivre, et Marsya était la seule à lui en être reconnaissante. Elle ne pouvait que rarement lui acheter de babioles pour la remercier de son sacrifice, alors elle lui fournissait le plus d'aide possible; elle l'accompagnait à la chasse, fendait le bois, allumait le feu, dépensait peu des maigres piécettes que sa sœur ramenait, et partageait invariablement ses repas avec elle.

Mais cette fois, face à ce cervidé capable de nourrir leur famille pendant une semaine, Marsya se sentit d'humeur égoïste, et se dit qu'elle dévorerait tout ce qui lui serait donné, sans diviser les portions, et en savourerait chaque bouchée. Elle pouvait presque sentir le jus de la viande rôtie, emplir son palet, et ruisseler le long de ses amygdales.

Tandis que sa sœur visait la bête sans faire plus de bruit que le vent, elle dégaina son poignard. C'était le même rituel, à chaque fois, tuer, dépecer. Le tout le plus rapidement possible, afin que l'odeur du sang n'attire pas d'autres prédateurs.

Elle inspira à fond, tout comme Feyre, ses doigts se refermèrent vigoureusement sur le manche, ses phalanges blanchirent, elle était prête. Au signal de Feyre, elle s'élancerait.

Mais il ne vint jamais. Car, dans un autre buisson, non loin du leur, une paire d'yeux doré scintilla.

La forêt devint plus silencieuse. Le vent cessa. Les respirations s'éteignirent.

Le cœur battant violemment, Marsya le vit s'approcher, lentement. Ses pattes crissèrent doucement sur la neige, et c'était le seul bruit qui entrecoupait le mutisme des bois. Le loup, ce prédateur mystérieux, avançait, son regard avide vrillé sur la biche. Ses muscles puissants roulaient sous son pelage gris, en parfaite symbiose avec le décor enneigé.

Ce fameux loup géant, dont l'avait averti les chasseurs. Il était en effet, bien plus haut que la normal —de la taille d'un poney. Ses yeux s'agrandirent à sa vue.

La biche, inconsciente de l'approche furtive de sa mort, continuait à déguster son mets. Marsya hésita, cette fois, sa main se mit à trembler. Si cette énorme bête venait de l'autre côté du mur, il s'agissait d'un immortel, et s'il s'agissait d'un immortel, la biche ne serait pas la seule à être dévorée.

Elle les sentait déjà, les griffes de la créature sur elle, lacérant ses vêtements et sa chair, ses crocs, luisaient au soleil, s'enfoncer dans son ventre, se repaissant de ses entrailles, les déroulant, boyau par boyau alors qu'elle hurlait. A cette idée, un long frisson lui lécha la colonne.

Secouant la tête, comme un chien qui s'ébroue, elle la chassa. Non, elle ne mourrait pas, pas aujourd'hui, et pas comme ça.

Feyre dû se faire la même réflexion car, d'un geste vif et assuré, elle s'empara d'une flèche de son carquois, plus longue, plus lourde, plus dangereuse. Une flèche en frêne, avec une pointe en fer. Marsya grimaça en louchant dessus.

Les immortels ne supportaient pas le fer, du moins, c'est ce qu'elle avait toujours entendu dire. Ils l'exécrait plus que tout, et là était la raison pour laquelle ses sœurs, et elle-même, portaient des bracelets finement taillés dans ce métal, autour du poignet. Comme des amulettes, destinés à repousser ses monstres, si d'aventure elles venaient à en croiser.

En revanche, le bois de frêne, lui, avait le pouvoir de les tuer. On en trouvait quasiment plus, Feyre avait eu de la chance, quelques années auparavant, d'en acquérir auprès d'un marchand ambulant. D'après les ragots, il faisait vaciller la puissante magie qui coulait en ces êtres maléfiques, afin qu'ils puissent être achevés par des mortels, comme elles. Mais encore fallait-il viser juste, car elles n'avaient qu'une flèche en frêne, une chance, pas moins, pas plus.

Feyre lança un regard éloquent à sa cadette, en tendant sa corde. Marsya acquiesça, sans un mot, resserrant sa prise sur son poignard. Les yeux bleu-gris de sa sœur —couleur qu'elle partageait avec Nesta— ne disait qu'une chose; si ça tourne mal, cours.

Le loup se rapprocha, Feyre ajusta son arc, le cœur battant à tout rompre. Sa survie à elle, aux siens, et à ceux du village —si cette bête décidé qu'elles n'étaient pas un assez gros festin— dépendait d'elle, et de son habileté à tuer ce loup, ou cet immortel.

Une branche craqua sous le poids du canidé. La biche s'immobilisa, regarda à droite puis à gauche, mais il était derrière, et elle n'aurait pu le voir, ou le flairer. Il savait qu'il n'avait plus de temps à perdre. Le loup se ramassa sur lui-même, fourrure d'argent contre tapis de neige, invisible.

Marsya retint sa respiration, le visage écarquillé. Elle le trouvait splendide. Prédateur de cauchemar, chasseur de rêve, le roi de la forêt. Elle n'aurait pas dû, car peut-être que sous ce corps animal, se cachait un cœur d'immortel, mais elle ne pouvait empêcher sa poitrine de se serrer à l'idée d'abattre un tel joyau.

Heureusement, elle n'eut aucunement le temps de s'attarder sur son soudain élan d'affection pour la bête.

Le loup jaillit, les muscles bandés, en éclair de gris, de blanc, de noir. Le monstre était gigantesque alors qu'il bondissait sur sa proie, sa force n'avait d'égal, et même fascinée par ce spectacle, Marsya détourna les yeux, quand il brisa la nuque du frêle cervidé, qui n'avait rien vu venir.

Au même instant, tandis qu'elle fixait ses bottes, pour ne pas se confronter au regard emplit d'effroi de la biche, un vent rapide lui frôla l'oreille, et elle clos les paupières, lorsqu'un un bruit sec la fit se recroqueviller. Feyre avait tiré.

La gorge serrée, Marsya rouvrit un œil, et constata, horrifiée, que le loup avait pivoté dans leur direction. Il avait lâché la biche, donc le cadavre gisait derrière lui. Ses yeux jaunes étaient braqués sur les sœurs, et Marsya déglutit. Ses babines frémirent sur ses crocs tâchés de rouge, mais, quand il fit un pas, son sang gicla sur la neige.

Feyre avait atteint sa cible.

La flèche de frêne était fichée dans le flanc de la bête, et il en semblait tout aussi surpris qu'elles. Son grondement sourd fit vibrer la forêt, et les dents de Marsya claquèrent en écho. Sa fourrure grise était maculée de sang, qui gouttait sur la neige, absorbant le liquide. Le museau relevé, comme il les flairait, les jaugeaient, il inclina la tête.

Quelque chose dans son regard, vrillé sur Feyre, ne dut pas plaire à la jeune femme, puisque, d'une main tremblante, elle lui décocha une nouvelle flèche.

— Non ! S'écria Marsya, en tendant les doigts pour l'arrêter.

Mais c'était trop tard. Le loup ne cilla pas lorsque la flèche l'atteignit, elle transperça son œil jaune, et il s'écroula. Son gémissement rauque, agonisant, parvint jusqu'à la plus jeune, qui tressaillit, les poils de ses bras se dressèrent.

Tuer, elle pouvait, elle l'avait fait, à de multitude reprises, mais sans jamais en éprouver du plaisir, ou une quelconque satisfaction. Elle ne s'attardait pas, elle exécutait, rapidement, sans douleur, tout en essayant d'enfouir au plus profond de son être ce sentiment de culpabilité qu'elle ressentait à chaque nouvelle proie, sans réussir à s'en défaire complètement. Elle priait des dieux, oubliés depuis longtemps, de lui pardonner, d'envoyer cette âme qu'elle venait d'arracher, dans un endroit meilleur. Elle se rappelait, pour s'apaiser, que tant qu'elle éprouvait des remords à tuer, elle conservait son humanité.

Mais ceci, cette souffrance qu'elle sentait émaner de ce pauvre animal, dont le corps convulsé frénétiquement...Non, ça c'était au-dessus de ses forces.

La gorge serrée, le ventre noué, elle lâcha son poignard, s'effondrant sur son postérieur. Ses doigts s'enfoncèrent dans la neige, mais elle s'en moquait bien, elle se leva, et se précipita vers le corps.

— Mars, hurla sa sœur, aux aboies. Reviens tout de suite !

Elle entendit le tintement des flèches dans le carquois, et devina que Feyre se levait à son tour, elle ne se retourna pas pour vérifier.

Marsya ne s'arrêta qu'une fois le bout de ses bottes trempées de sang. La flaque qui se formait sous l'énorme face de la bête était d'un rouge rubis. Il griffait encore le sol, mais son œil vif, celui qui n'avait pas été touché, s'était terni. Elle sentit ses yeux brûler, elle battit des cils, renifla, et s'agenouilla, assez près pour sentir le souffle du loup, qui formait de léger nuage, ralentirent.

Avec une lenteur respectueuse, elle tendit la main vers lui, et enfouit ses doigts dans sa fourrure. Elle lui flatta le flanc avec la délicatesse d'une plume.

— Je suis désolée, murmura-t-elle. Pardon.

Son contact, ou ses mots durent l'apaiser, car il cessa de battre la neige, accueillant la fin. Son œil, vide de toute force, rencontra celui de Marsya, et, d'un mouvement presque imperceptible il hocha la tête.

Poussant un cri, elle s'écarta d'un bond, affolée par la lueur d'intelligence qu'elle avait lu dans son regard. Elle aurait juré qu'il avait compris ses paroles. Mais, quand elle eut le courage de se pencher à nouveau, il ne bougeait plus. Son pelage fantastique avait cessé de palpiter.

La neige virevoltait autour d'eux, seule témoin de ce qu'il venait de se passer, quand une main se referma sur son bras, et la tira en arrière.

— Qu'est-ce qui t'as pris ? S'énerva Feyre en broyant son biceps, d'une voix empreinte d'inquiétude. Ce loup aurait pu te tuer !

— C'est nous qui l'avons tué, constata-t-elle fébrilement.

La main de Feyre se détacha d'elle, alors qu'elle évaluait rapidement la dépouille, et grimaça;

— En effet. Au moins, ce n'était pas un Immortel.

L'étau sur la poitrine de Marsya se resserra, elle suivit le regard de sa sœur, et ne vit que le sang, la mort, et la souffrance, elle s'arrêta sur l'œil estropié du loup. Il ne restait plus qu'une orbite de chair mutilée, le globe, dont l'iris avait été traversé par la pointe, pendait sur le bout de la flèche, ressortant à l'arrière du crâne. Son ventre se dénoua d'un seul jet, et se détournant de la scène, elle vomit.

Ce n'était que de la bile, elle n'avait rien à régurgiter, son estomac était vide, mais elle se contorsionna trois fois avant d'être capable de se redresser. Quand elle le fit, elle vit l'expression compatissante de sa sœur, qui s'était rapprochée.

— Ça va aller ? S'enquit-elle doucement en écartant les mèches volages, qui collaient au front de sa cadette.

— Oui. Rentrons.

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Lorsqu'elles atteignirent l'orée du bois, la nuit avait débuté son périple, et la lune scintillait désormais dans le ciel noir. Marsya réprima un tressaillement. Si sa peur de l'obscurité s'était bien amenuisée depuis ses jeunes années, où elle pouvait se mettre à sangloter simplement en posant le pied dehors, elle n'en restait pas moins sur ses gardes face à l'inconnu des ombres.

Chacune d'elle tenait une patte de la biche, traînant la carcasse que Feyre, avait soigneusement enroulé dans la fourrure du loup —après l'avoir dépecé, ce qui avait fait vomir sa sœur, une seconde fois— afin de ne pas laissé un sillon de sang frais sur leur passage. Aucune d'elles n'avaient envie de voir roder des prédateurs nocturnes autour de leur chaumière.

D'ailleurs, elles y étaient presque. Marsya, encore verdâtre de ses mésaventures, entendit la voix de ses autres sœurs. Leurs timbres aiguës lui donnaient d'or et déjà des maux de tête. Elles pouvaient s'époumoner, des heures durant, sur les derniers ragots de village, les rubans, et les garçons. Elles auraient dû être là, dehors, à les aider, mais ces jeunes égoïstes ne se seraient sali les ongles pour rien au monde. C'était terriblement énervant. Un rapide coup d'œil vers Feyre lui confirma qu'elle n'en pensait pas moins.

Elles raclèrent les semelles de leurs bottes avant d'entrer, pour en faire tomber la neige. Les orteils de Marsya étaient devenus complètement insensibles, ses doigts, crispés autour de la fourrure, aussi. Elle voulait dormir jusqu'à ce que les courbatures de ses muscles disparaissent. Mais, il lui aurait sûrement fallu atteindre le repos éternel pour que cela arrive.

Feyre tourna à demi la poignée métallique, et Marsya y envoya un franc coup d'épaule, qui la fit grincer des dents. La lumière, aveuglante comparée aux ténèbres alentour, les éblouit.

— Feyre ! jappa Elain, d'une voix étranglée.

Enroulée dans une couverture, ses cheveux d'or sombre formant une couronne sur sa tête, leur sœur aînée —seconde de la tribu, après Nesta— se redressa d'un bond en les découvrant sur le palier.

Marsya la détailla, grimaça, et referma péniblement la porte. Les bourrasques hivernales la repoussant, elle dû faire appel à tous ses muscles, déjà fort bien malmenés, pour faire pivoter le verrou de fer, supposé tenir toutes les bêtes, immortels ou non, hors de leurs demeure.

— Où as-tu trouvé ça ? demanda t-elle, la pupille agrandie par la faim.

La plus jeune nota l'entêtement d'Elain à ne pas l'inclure, ni à lui adresser un regard, et si elle n'était déjà pas d'humeur joviale, après avoir passé la journée à chasser dans la forêt givrée, cela finit de la contrarier;

— Où veux-tu qu'on l'ai trouvé ? Dans un arbre ? gronda Marsya, d'un ton plus qu'hostile. Au cas où ça aurait échappé à ton cerveau de mouette, les biches ne poussent pas comme des champignons. On part à la chasse, pas à la cueillette. On ne trouve pas, on tue.

— Marsya !

Lâchant la patte de la biche, que Feyre se chargea de décharger sur la table de bois, elle pivota vers la cheminée, les bras croisés sur son haut maculé de sang.

Nesta, sa sœur aînée, était assise près du feu et lui lançait, de ses yeux bleu-gris empli de condescendance, le genre de regard qui faisait généralement détaler la plupart de ses adversaires. Sa posture impeccable, son dos droit, son long cou de cygne et son menton, toujours au porté, ne faisait qu'accentuer le léger rictus méprisant qui flottait sur ses lèvres. Oui, Nesta était belle, belle et terrifiante.

Mais, Marsya avait une beauté plus brute, plus animale. Et au moment où elle affronta sa sœur, elle retroussa les lèvres, montrant les crocs;

— Tu as quelque chose à dire, toi ? Siffla-t-elle entre ses dents.

Nesta ne cilla pas —elle ne cillait jamais— mais son visage durcit. Elle était rigide, calculatrice et froide, elle n'était que glace. Tandis que sa sœur était sensible, impulsive et ardente, elle n'était que flamme.

— Mars, temporisa leur père, assis à droite de Nesta.

— Toi, tais-toi, tonnèrent-elles, d'une même voix.

L'homme estropié, dont la canne reposait à ses pieds, s'affaissa dans son siège. Si il y avait bien une chose sur laquelle elles s'accordaient toutes deux —et il n'y en avait assez peu, pour que celle-ci soit soulignée— c'était leur profonde amertume envers cet homme. Leur père, vieux et incompétent, qui avait provoqué leur ruines, mais n'avait jamais lever le petit doigt pour sauver ses filles.

Avait-il seulement eu l'idée de sortir et chasser lui-même leurs repas, au lieu d'envoyer ses plus jeunes dans la forêt inhospitalière, où grouillait monstres, et prédateurs en tout genre, incertaines chaque jour de pouvoir rentrer au foyer, entière du moins ? Non. Ça n'avait même jamais dû lui traverser l'esprit, lâche comme il était.

Se détournant de lui, Mars ôta ses bottes, les déposant dans l'entrée, près de celles de ses sœurs. Elle vint se poster au côté de Feyre, qui déroulait la fourrure grise du loup, sous les larges yeux bruns —ceux de leur père— d'Elain. Sentant le regard scrutateur et perfide de Nesta sur elle suivre ses moindres mouvements, elle lança, sans lui accorder une œillade;

— Quand tu sortiras de ta bulle, princesse, pour aller chercher de quoi nous nourrir, peut-être que j'accorderais de la valeur à tes mots, en attendant, boucle là.

Elle pouvait presque percevoir le crissement des ongles de sa sœur, sur le bois de la chaise. Marsya avait utilisé ce surnom, que Nesta haïssait tant; "princesse", afin de la piquer. Mais, en grande reine, elle resta silencieuse. Surtout car, elle le savait, Marsya avait raison.

Contrairement à Elain, dont la crédulité ne faisait compétition qu'a sa puérilité, ce qui aurait fait d'elle, non seulement une proie facile, mais également une piètre chasseuse, Nesta, avec son tempérament, aurait pu sortir, prendre un arc et s'en aller afin que ses sœurs —puisqu'il paraissait évident qu'elle ne remuerait jamais un orteil pour leur père— aient de quoi se substanter, tout comme Feyre l'avait fait, des années avant, lorsqu'ils avaient épuisés leurs réserves de nourriture et d'ors.

Mais, au lieu de cela, Nesta, pourtant presque adulte à cette époque, n'avait pas même pas tenté de s'interposer, entre sa benjamine, tout juste âgée de quatorze ans, et la mort qui l'attendait dans les bois sinistres. Elle était restée là, assise, tout aussi droite qu'aujourd'hui, placide et indifférente à son sort.

Marsya restait persuadé qu'elle les auraient laissé mourir de famine, dans une lente agonie, rien que pour prouver à leur père qu'il n'était qu'un bon à rien, incapable de sauver ses filles d'une mort certaine. Même pour Elain, pourtant sa favorite, elle n'aurait pas moufté.

Et cet acte de lâcheté, qui aurait pu leur coûter la vie, aux yeux de Marsya, était impardonnable.

— Ça te prendra du temps de l'écorcher ?

Elain, les yeux rivés sur la carcasse, comme si une part d'elle, plus primitive, ne rêvait que de planter ses dents dans la viande crue, caressa la fourrure du bout des doigts. Elle s'était adressée à Feyre, bien sûr...certainement pas à sa cadette, mais c'est cette dernière qui lui répondit;

— Si tu es si pressée, tu n'as qu'à le faire.

Mais elle ne le ferait pas. Ce n'était pas mesquin de la part d'Elain, mais il ne lui était sûrement jamais venue à l'esprit qu'elle pourrait aider. Bien que ses sœurs, même Feyre, l'ait toujours considéré comme la plus faible, le frêle agneau, Marsya ne tolérait pas cette attitude d'assisté, pas plus qu'elle ne supportait de voir ses aînées la materner comme un nouveau-né, incapable de se défendre.

Il y avait également une autre raison, plus lointaine, plus sombre, plus douloureuse, à la profonde aversion de la benjamine pour cette candide créature. Mais, rien que d'y songer, elle sentait son crâne la lançait, son ventre se nouer, et sa gorge se resserrer. Comme si la simple évocation de cet événement faisait couler des larmes de plomb sur son palet.

— Je le ferai, soupira simplement Feyre.

Marsya voulut rétorquer, mais un seul regard de sa sœur l'en dissuada. Elle pinça les lèvres, à contrecœur, balança ses bras vers le ciel, et pivota sur ses talons. Refusant de lorgner vers son père, qui la fixait de son regard brun de braise, elle s'éloigna vers la porte, juste en face, frôlant la cheminée.

— J'espère que tu as laissé de l'eau, lança-t-elle vers Nesta.

Celle-ci ne prit pas la peine de relever ses yeux de chats vicieux, scrutant minutieusement ses cuticules;

— Je vais t'en faire bouillir.

Et ce fut tout. Marsya claqua la porte, n'écoutant que d'une oreille les chamailleries qui débutaient de l'autre côté, et s'enferma dans la pièce exiguë qu'était sa chambre. Enfin, la sienne, et celles de ses sœurs. Elles y dormaient toutes les quatre, se blottissant les unes contre les autres. Si en hiver, la chaleur des corps autour d'elle, réchauffant sa peau glacée, était plutôt bien accueillit par Marsya. En été, elle préférait presque dormir dehors, à la belle étoile, car la moiteur de ses sœurs lui était insupportable.

Oh, elle ne le faisait jamais, bien entendu. Rien que d'imaginer passer la nuit à l'extérieur de la chaumière, dans l'inconnu de la nuit...Non, elle préférait tout de même les bras de Feyre, aussi luisant de sueur qu'il pouvait êtres, et qu'elle trouvait toujours enrouler autour de sa taille. Comme si sa sœur souhaitait la rassurer, lui rappeler qu'elle était là, tout près. Ou peut-être était-ce elle, qu'elle tentait de rassurer ?

Déboutonnant sa tunique, elle fit passer le linge au-dessus de sa tête, le roula dans son poing, et l'envoya dans un coin. Elle ne voulait surtout pas poser les yeux sur les tâches sanglantes, ni se rappeler ce qu'elles avaient fait, Feyre et elle, dans cette forêt. Elle enterrait l'image de ce loup, avec celles des autres, dans la mare de naphte, qui lui servait de conteneur à cauchemar. Du moment qu'elle jetait un souvenir là-dedans, il ne réapparaissait pas, ou peu.

Malheureusement, dans cette minuscule chambre, l'odeur métallique qui émanait de son vêtement lui parvint tout de même. Ses narines se dilatèrent, elle recula d'un pas, prise de vertiges, une torsion remuant ses entrailles. L'arrière de sa jambe buta contre le bois du lit, qui prenait la majorité de l'espace, et elle se laissa choir sur les draps, les coudes sur les genoux, le visage entre les mains, et la respiration laborieuse.

— Respire, s'ordonna t-elle. Respire. Un, deux...Respire !

La claque partit toute seule. La chaleur se répandit sur sa joue, et elle inspira un grand coup.

Cette technique, dont sa famille ignorait tout, et qu'elle utilisait depuis bien des années pour combattre la misère de cette vie, et la culpabilité qui poissait sur sa peau comme de l'huile, avait toujours été efficace. Combattre la douleur mentale, par la douleur physique.

Elle se redressa, le monde était de nouveau droit, et net. Lassée par cette journée, et abattu à l'idée que demain, elle reprendrait la même routine; lever, forêt, tuer, rentrer, elle s'approcha de la commode —seul autre meuble de la pièce— et s'agenouilla jusqu'à son tiroir, le dernier.

A la vue des ornements peints autour des poignées, un maigre sourire fit frémir ses lèvres. Feyre les avait peints, il y a quelque temps, dans une tentative de redonner de la vie à cet endroit triste. Elle s'était aussi amusée avec ses pinceaux sur la table, la cheminée, et en définitive, sur toutes les surfaces où il lui avait été possible de laisser libre court à sa créativité. Elle était douée, terriblement douée, et Marsya ne pouvait s'empêcher de trouver dommage qu'elle gâche son talent ainsi, sur des ameublements en bois pourries, au lieu de partir faire découvrir ses œuvres à travers les contrées. Mais, quand elle avait essayé d'aborder le sujet, Feyre l'avait rapidement fait taire, affirmant qu'elle connaissait sa place, et qu'elle n'avait pas besoin d'une autre vie.

Du gras du pouce, Marsya effleura le métal des poignées de son tiroir. Des nuages, et un grand soleil, jaune et rouge. Elle passa en revue ceux de ses sœurs; des fleurs, roses et violettes sur celui d'Elain, flammes sur celui de Nesta, et une nuit, constellé d'étoiles jaunes pour Feyre.

Ces dessins leur correspondaient bien. Elain, l'amoureuse des plantes, qui passait son temps à jardiner, même lorsqu'elle était sûre que rien ne pousserait. Nesta, l'imperturbable, au tempérament de feu, dévastatrice. Marsya, qui ne supportait pas les ténèbres, et ne vivait qu'au rythme du soleil. Et Feyre...elle n'avait jamais su pourquoi elle avait choisi la nuit, elle qui ne sortait quasiment jamais au-delà du crépuscule.

Revigorée par l'image de cet astre brûlant, son plus fidèle allié, ennemi et amant de celle qu'elle haïssait plus que tout, la lune, elle tira sur son tiroir, qui manqua de lui rester dans la main, prit ses vêtements du soir, et se retira vers la cuve froide, derrière leur chaumière.

————————————

Pour la première fois depuis des mois, le ventre de Marsya ne criait pas. Du gibier rôti dans son assiette fêlée, elle prit tout son temps pour le dévorer, le déguster, s'emplir la bouche de son jus, jusqu'à ce que le goût de sel, de graisse, et de sang, s'imprègne sur sa langue rougie.

Quand il n'en resta plus, et que Feyre décréta, face aux mines déconfites de ses sœurs, qu'il y en avait assez pour qu'elle reprennent une autre portion, Marsya s'abstint. Comme toujours, elle prit un morceau, mais au lieu de s'en repaitre, le déposa délicatement dans l'assiette de sa sœur. Sans un mot —car elles n'en n'avaient jamais eu besoin— Feyre fit glisser la viande dans sa bouche, sous l'œil satisfait de sa cadette.

Les yeux rivés à la fissure, semblable au zébrage d'un éclair, qui fendait son assiette, encore pleine de jus, Marsya constata, avec une certaine complaisance, qu'elle n'avait plus faim. Son estomac, réduit par des années de famine, s'était complètement repu de ce qu'elle lui avait donné, et elle savait qu'au lendemain, elle ne s'éveillerait pas tiraillée par la faim.

Dans sa satiété, Marsya ne percevait presque plus les niaiseries de ses sœurs aînées qui pestait contre les villageois, ces rustres sans sou, ni cervelles, ce n'était plus que des bourdonnement lointain, engloutit par les crépitements du feu qui dansait dans la cheminée, seule chose à laquelle la plus jeune prêtait réellement attention.

Feyre, en bout de table —après tout, qui d'autre aurait pu s'assoir à cette place, si ce n'était elle— buvait de grandes lampées d'eau chaude, en haussant parfois un sourcil narquois et complice en direction de Marsya, qui se fendait d'un rictus.

Nesta, inconsciente des moqueries silencieuses de ses benjamines —sans quoi elle aurait, très certainement, attaqué l'une d'elles— poursuivait son histoire;

— Alors je lui ai dit : « Si tu crois que tu peux me faire la cour aussi cavalièrement, je me verrai dans l'obligation de refuser ! » Et sais-tu ce qu'il m'a répondu ?

Non, elle ne savait pas, et Marsya n'avait véritablement aucune envie d'en apprendre plus. En fait, elle ne rêvait plus que de son lit, bien qu'il grince, que le matelas ait été ramolli par l'humidité, et qu'elle n'aurait qu'un maigre bout de celui-ci, une fois ses sœurs glissées à l'intérieur, cela valait tout de même mieux que cette discussion. De plus, les badinages sur les garçons, ça l'ennuyait affreusement.

Ce n'était pas complétement que la gente masculine la désintéressé, mais même si elle avait eu le temps de s'amouracher —ce qui n'était pas le cas— les garçons du village était particulièrement sot, et aucun n'aurait su provoquer la moindre étincelle, le moindre papillon, ou bouleversement en son âme, rien n'était plus sûr. Il s'agissait de nigauds, tout simplement. Et bien que l'apparence de certains, qui, même s'il ne la transcendait pas, était assez plaisante, dès qu'ils ouvraient la bouche, le charme se rompait.

Marsya n'était pas sûre qu'il s'agissait de tous les hommes. Peut-être par delà le village, dans d'autres villes, les mâles ne la rebuterait pas autant, mais elle n'avait ni le temps, ni l'argent, ni le désir de le découvrir.

En revanche ses sœurs, elles, ne semblaient pas aussi hostiles aux baratins des garçons de ce village.

Feyre battit des cils, comme si elle revenait à elle, et posa sa tasse fumante;

— Parles-tu de Thomas Mandray, le fils du bûcheron ?

L'œil de rapace de Nesta se braqua sur elle, une demi-seconde, avant de revenir vers Elain.

— Oui, répondit-elle, sur ses gardes.

— Et, que veut-il ? Pressa Feyre.

Elle jeta un regard vers leur père, à la gauche de Marsya, cherchant son appui. Ce ne fonctionna pas, son père ne la voyait même pas. Il ne prêtait l'oreille que rarement, et se tenait juste là, la pupille vitreuse, un sourire au coin des lèvres, perdu dans un recoin isolé de son esprit.

Marsya se retenu de justesse de lui balancer sa propre tasse au visage. Si l'ébouillanter était la seule solution pour le faire revenir sur cette terre, dans cette chaumière, auprès de ses filles, elle n'hésiterait pas.

Mais les mots d'Elain, la détournèrent promptement de leur paternel, et de ses envies criminels;

— Il veut l'épouser, fit-elle, rêveuse, d'une voix à la douceur crispante.

— Quoi ? S'étrangla Marsya.

L'eau resta dans sa gorge, passa par le mauvais conduit, et elle toussa bruyamment, recrachant le liquide dans son assiette. Feyre posa une main dans son dos, tapotant doucement, mais son visage s'était durcit.

Nesta, en face de sa benjamine, inclina la tête, un rictus mesquin ourlant ses lèvres parfaites;

— Un problème ? S'enquit-elle, mauvaise au possible, détaillant Marsya.

Celle-ci se redressa, les joues écarlates et la gorge irritée. Quand elle s'arrêta de tousser, et que la main de Feyre quitta son corps, elle sentit le fauve, tapis sous sa peau d'humaine, rugir;

— Oh oui, il y a un problème, et un gros.

Leur père se tortilla dans son fauteuil, sentant d'ici l'odeur de souffre qui se dégageait des deux volcans, qui se faisait face à cette table, indomptable et tempétueux. C'était un jour d'éruption.

— Tu ne veux pas fendre de bois pour nous, mais tu es prête à épouser le fils d'un bûcheron ? demanda Feyre.

Son ton n'avait rien de cruel, elle était sincèrement hébétée, mais Nesta se raidit, piqué au vif.

— Je croyais que tout ce que tu voulais, c'était nous voir mariées et parties afin d'avoir enfin le temps de peindre tes chefs-d'œuvre, ricana-t-telle, en pointant, dédaigneuse, les fleurs dont le bord de la table était ornée.

Marsya sentit Feyre se recroqueviller, imperceptiblement, et son sang chauffa dans ses veines. Nesta avait parfaitement conscience d'où frapper, entaillant profondément dans les plaies déjà béantes des insécurités de sa sœur, et elle n'avait aucun scrupule à le faire. Perfide sorcière.

C'était dans ces moments où Marsya regrettait de ne pas avoir la patience de Feyre, car elle ouvrait déjà la bouche, ses mots tout aussi affutés que ses lames;

— De tous les crétins de ce village, il a fallut que tu choisisses Thomas Mandray, gloussa t-elle, très amusée. Je ne pensais pas que tu te rabaisserais à...ça, oh grande Nesta.

Les narines de Nesta frémirent, sa main se resserra sur sa fourchette aux dents tordues, mais Marsya ne broncha pas.

Elle ne l'attaquerait pas. Pas parce qu'elle n'en avait pas envie, non, elle brûlait de lui enfoncer cette fourchette dans la carotide, mais parce qu'elle savait qu'elle n'y survivrait pas. Un combat avec sa benjamine serait perdue d'avance. Marsya était plus forte, plus vive, plus hargneuse, et elle avait déjà tué. La seule arme qui restait à Nesta été sa langue, et ce n'était pas la moins dangereuse.

— Je ne te demande pas de comprendre, je sais que tu n'y connais rien, toi, aux hommes, persifla-t-elle avec un mince sourire. La seule autre personne que tu fréquentes est cette gaupe à la peau foncée. Oh, mais peut-être que tu préfères sa compagnie...au lit.

Les molaires de Marsya cognèrent, faisant frémir toute sa mâchoire. Son regard s'embrasa. A la lueur du foyer, ses yeux bleus semblaient incandescents.

— Répète ça.

— Tu m'as entendu.

Feyre se tendit sur sa chaise, alors que Nesta exultait, satisfaite. Elle avait décoché sa flèche vénéneuse, et touché sa cible, en plein cœur, avec autant de dextérité que ses sœurs.

Ce n'était pas tant l'allusion à la potentiel attirance de Marsya pour les femmes, qui n'était pas complétement infondé, qui firent exploser la jeune fille, que l'insulte vile et odieuse, endiguer dans les paroles de son ainée, à l'encontre de sa seule véritable amie.

Le corps tremblant de rage, elle adressa un regard si sinistre à Nesta, que celle-ci en perdit de sa superbe, rien qu'un instant, avant d'ériger de nouveau ses barricades. Mais c'était trop tard, elle avait perçut la peur, et cette fois, elle refusait de la laisser s'en tirer.

— Sale harpie, je vais te-

— Ça suffit ! Tonna Feyre.

Ses paumes claquèrent sur le bois, Elain retira sa main, proche de la sienne, de peur qu'elles ne soient écrabouillées. Père, dans son fauteuil, déglutit. Quand la chef de la maison ouvrit la bouche, sa voix était ferme, comme un gant d'acier, prêt à vous étrangler.

— Cette discussion est close. Nesta, présente lui des excuses.

Le ton de Feyre ne laissait pas de place à la réplique. Tenue en respect par l'aura impérieuse de sa sœur, Marsya recula dans sa chaise, toisant toujours Nesta d'un air mauvais. Mais, bien entendu, cette dernière, dont l'égard qu'elle portait à ses congénères—sauf Elain— qu'elle estimait aussi insignifiants que les péquenauds qu'elle médisait, était minime, se révolta.

— Je n'ai aucune raison de m'excuser, affirma t-elle. Surtout pas auprès d'elle.

Elle cracha ce mot avec une mine si écœurée que Marsya dû puiser dans des puissances obscures pour se maintenir en place, immobile, les coudes sur la table.

— Peut importe, lorsque j'aurais épousé Thomas, plus rien ne m'associera à vous.

Ce vous, elle savait à qui il était destiné, Père, Feyre et elle. Et, pour parler franc, rien ne lui aurait fait davantage plaisir que se savoir Nesta et Elain convolé en juste noces. Moins de bouches à nourrir, plus de place dans le lit, du temps pour enfin découvrir ce qu'elle aimait, cela ressemblait presque à une vie décente, débarrassé de ces parasites..

Mais pas Thomas Maudray. De tout les jouvenceaux du coin, il était le pire. Son visage n'inspirait que le dégout, pas qu'il soit laid —bien qu'elle ne l'aurait pas qualifier de beau non plus—seulement il avait cette chose dans le regard, cette lueur obscène et abjecte, qui vous donnez envie de détaler, le plus vite possible, dès que vous le croisiez.

Feyre était du même avis. Quand elle se rassit, son visage était impénétrable.

— Nous ne pouvons pas payer de dot. Pour aucune de vous.

— Les dieux en soient loué, marmonna Mars.

— Nous nous aimons, insista Nesta, et Elain l'approuva de la tête.

Aux yeux du monde, on aurait sincèrement pu la croire énamourer, mais Marsya connaissait sa sœur sur le bout des doigts. Elles étaient faites de la même trempe, aussi ne se laissa t-elle pas berner. 

Il n'était pas question d'amour ici, mais de conquête, d'abord de cette joute, dont elle voulait à tout prix ressortir victorieuse, quitte à raconter des salades, puis d'une nouvelle vie. Son espoir était clair, fuir cette chaumière dépérissante pour trouver un foyer moins austère, plus proche de cette avenir qu'elle chérissait. Une destinée que Mère l'avait convaincue de mériter. Elle l'avait forgé, instruite, modelé dans ce but précis. Une vie de château, pour une reine de glace.

— Ce n'est pas l'amour qui remplit un ventre affamé, riposta Feyre, et Marsya, de la même façon que l'avait fait sa sœur, l'approuva de la tête.

Les benjamines étaient liguées contre les aînées, cela avait toujours étaient ainsi, mais, en observant le tableau de l'extérieur, l'ont pouvait se demander si les rôles n'étaient pas inversés. Car, bien que plus jeunes, Marsya et Feyre avait la tête cartésienne, les pieds sur terre et le cœur dur. Loin des rêves de princesses et de contes de fées.

Nesta se leva d'un bond, comme si elle l'avait frappée.

— Tu es jalouse, c'est tout ! Lança Nesta. J'ai entendu dire qu'Isaac va épouser une fille de Greenfield bien dotée.

Isaac était un garçon du village que Feyre fréquentait, de temps en temps, quand elle était lasse de ne faire que survivre.

—Nous n'avons rien à offrir à ces gens – ni dot ni bétail, argumenta Feyre, sans laisser paraitre la moindre trace que les propos de sa sœur ai pu, oui ou non, la blesser. Thomas a peut-être envie de t'épouser, mais pour les siens, tu ne seras qu'un fardeau. 

 — Qu'est-ce que tu en sais ? Souffla Nesta. Tu n'es qu'une bête sauvage qui se permet de nous aboyer des ordres. Continue ainsi, et un de ces jours, Feyre, il ne restera plus personne pour se souvenir de toi, ni se soucier que tu aies existé.

Elle sortit en trombe de la salle, suivie d'Elain, et claqua la porte de la chambre avec violence. Marsya sauta sur ses pieds, renversant sa chaise, qui chuta sur le sol dans un gros bruit. Elle s'élança vers la chambre, les poings serrés, et quand, au moment de toucher la poignée rouillée, une main se posa sur son épaule, elle pivota de toute sa virulence et faillit fracasser le nez de Feyre.

— Mars, chuchota t-elle, les yeux rivés sur la main replié, à quelque centimètres de son visage. C'est moi.

La jeune fille exhala par les narines, dans un nuage de vapeur. Lentement, refoulant toute sa fureur, son bras s'abaissa et elle secoua la tête, chassant l'envie d'entrer dans cette chambre, et d'y faire un massacre. 

Nesta avait tort, ce n'était pas Feyre la bête sauvage, c'était elle.

— Tu veux que l'ont sortent ?

— Non.

Sa réponse tenait plus du grondement que du langage. Aller dehors serait pire, dans cet état elle ne pourrait supporter la nuit, les sons, ou le froid. Mais, cette chaumière de deux pièces n'offrait aucun refuge, ni pour elle, ni pour sa colère, qui étaient désormais scindées en deux entités.  Enfin, aucun sauf peut-être...

— Viens, l'encouragea Feyre, ouvrant les bras.

Feyre était certainement aussi courroucée qu'elle après la réplique cinglante de leur aînée, pourtant, comme à chaque fois, elle porta le poids de cette haine avec une étrange douceur et un calme olympien.

Donc, pour la énième fois depuis qu'elles étaient enfants, Marsya accepta de se reposer sur ce roc, ébranlé par les vagues et les tempêtes, mais qui jamais ne se brisait.

Elle se jeta dans les bras de sa sœur, plongea le nez dans son cou et huma son parfum. Feyre la serra plus fort, se chargeant de son fardeau comme d'un sac. Laissant ses émotions vicieuses et toxique s'envoler loin d'elle, elle clos les paupières.

Pourquoi aurait-elle dû regretter sa mère ? Elle ne l'avait jamais perdu. Elle avait toujours était là, à ses côtés, grande et forte. 

Quoi qu'il arrive, elle aurait Feyre, et c'était suffisant.

𝓖𝓲𝓰𝓲

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