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Chapitre 45

Nous abandonnâmes les humains dans le salon pour envahir la lumineuse cuisine. L'odeur du repas concocté par Ava planait encore dans l'air. Je surpris Meriel à en humer le parfum. Je ne relevai pas, toutefois.

- Alors ? demandai-je. Explique-moi ce qu'il y avait dans ce dossier.

Meriel croisa ses jambes avant de faire glisser le classeur vers moi.

- Toutes les informations qui te manquaient avant de descendre la première fois, répondit-il.

Il y avait une lenteur délibérée dans sa voix. Pourquoi ? M'épargner ? M'assener un coup de massue sur le crâne ? La réponse dépendait de la façon dont il me voyait.

En tout cas, le choix de parler en enochien était délibéré et je me doutais que c'était pour que Ava ne puisse pas nous comprendre.

- Comme tu le pensais, Ariel savait que la meilleure amie de ta charge est une sorcière. Il l'a su dès le début. Tout du long, il a aussi su pourquoi cette mission existe. Et ce n'est pas pour récolter des preuves pour Cassiel.

- C'est pour quoi, alors ?

- Pour détourner l'attention. En lui-même, ton protégé n'a aucune valeur. Les anges ont poussé une femme à lui envoyer un message pour qu'il commence à enquêter et attire l'attention des démons. C'était un coup double pour eux. Ils avaient de quoi attirer l'attention des démons vers un leurre en plus d'avoir un gardien pour en apprendre plus sur la situation.

- Ils ont prévu tout ça ? Les attaques, les meurtres ?

- Pour eux, ta charge est un dommage collatéral négligeable. Ils se moquent de ce qui lui arrive. Tous ces humains qui meurent ne sont que des preuves pour les Trônes. Ce qui compte, pour eux, c'est de garder la sorcière en vie.

- Ava ? Pourquoi ?

Il ouvrit le dossier dont je cornais les pages tant l'énervement commençait à prendre possession de moi. Il tourna les pages jusqu'à attendre ce qui ressemblait à un arbre généalogique.

- Ta petite sorcière est la dernière héritière encore en vie d'Aleister Crowley.

- Quoi ?!

Je me penchai sur la feuille et suivis les divers traits qui reliaient des noms qui m'étaient inconnus. Tous étaient rayés.

- Toute sa famille est morte. Toute la lignée de Crowley a été éradiquée mais les anges ont gardé Ava juste au cas où.

- Pourquoi ?

Il m'énervait à distiller ses informations au compte-goutte ! Ne pouvait-il pas tout dire d'un bloc ?!

- Parce que, en son temps, Crowley a été poussé par Michael et Gabriel de fermer les portes. Ils ont sous-estimé le sorcier qui a transmis ses pouvoirs à l'un de ses enfants. Il s'est suicidé et son âme, en se glissant en Enfer, a créé la brèche.

- Donc ils ont toujours su qu'elle existait, cette ouverture. Ils savaient que les démons finiraient par réussir à l'agrandir.

- Oui. C'est pour ça qu'ils se sont aussitôt mis à surveiller la longue lignée de Crowley pour retrouver l'enfant qui avait hérité de ses pouvoirs. Ils ont mis plusieurs générations mais tous les signes pointent vers Ava.

- Est-ce qu'elle le sait ?

- Non. Elle a été adoptée par une famille qui ignore tout de ses parents biologiques et les anges se sont fait un devoir de détruire tous les documents en existence sur le sujet. Cet arbre est le seul qui existe. Très peu de personnes savent qu'elle existe et ce qu'elle représente.

Je me sentis hocher la tête.

- C'est pour ça qu'ils ont tourné les regards vers Beahan ? Pour qu'ils ne regardent pas vers Ava ?

- Oui. C'est assez malin. Même elle ignore ce dont elle est capable. Seuls Michael, Gabriel, Cassiel, Ariel et, maintenant, nous, savons qui elle est réellement.

Je relevai les yeux pour le regarder. Rien de tout cela ne semblait le perturber. Personnellement, beaucoup de choses me dérangeaient dans cette histoire. Beaucoup trop. Ce n'était pas le moment d'en discuter, néanmoins.

- Et cet accident avec le pendule ? Comment les démons ont-ils pu ne pas voir que c'était une sorcière ?

Meriel haussa les épaules avec un léger sourire.

- Les humains adorent l'occulte. Le Ouija, les rituels, les cartes... Un pendule n'est qu'un objet en plus que beaucoup trop d'entre eux utilisent pour que ça ait un intérêt particulier pour eux. Pour une fois, c'est un avantage que les humains se mêlent de choses qu'ils ne contrôlent pas.

- Ça ne te perturbe pas, toi ?

- Qu'est-ce qui devrait me perturber ?

- Ce sont des anges ! Des Archanges ! Qu'ils laissent des gens mourir, en utilisent d'autres dans le simple but de protéger leurs intérêts... Tu ne penses pas qu'il y a un problème ?

Meriel se pencha sur la table, posant ses mains croisées et ses coudes sur le bois brut. Ses doigts effleurèrent le classeur que j'avais refermé. Je ne supportais pas de regarder plus longtemps à toute la duplicité des anges.

- Il fut un temps où je pensais comme toi. Malheureusement, la réalité est plus complexe que les gentils étant gentils et les méchants étant méchants. Les gentils ne sont pas une qualité. Ils sont un idéal. Or, lorsqu'on doit se battre pour un idéal, nous sommes parfois forcés à faire des choses peu recommandables. Comme pour la survie.

Ses yeux se fichèrent dans les miens, le sens de sa comparaison claire. Il faisait référence à ma vie humaine. Je serrai les dents, crispai les poings.

- Ce sont des anges. Ils ne devraient pas agir ainsi. Ils devraient être meilleurs que ça ! Ils devraient protéger les humains plutôt que de les exploiter ! Les mortels sont boursouflés de défauts. Qu'ils se détruisent les uns les autres n'a rien de surprenant. Mais ce sont des anges ! Ils devraient être meilleurs qu'eux !

- Malheureusement, un idéal ne peut être atteint sans sacrifices. Je doute que les Archanges soient ravis de devoir agir ainsi mais ils n'ont pas le choix s'ils veulent empêcher les démons d'envahir la Terre. S'il faut sacrifier une personne pour le bien de milliards d'autres... Je pense que leur choix a été vite fait.

Je secouai la tête.

- Ils m'ont fait tuer. Ils vont faire tuer Declan. Tout ça au lieu d'être honnêtes avec Ava et de lui dire ce qu'elle est et ce qu'elle doit faire. Mais évidemment, ils ne le feront pas parce que ça les obligerait à admettre qu'ils ont tué toute sa famille sur plusieurs générations pour être sûrs de garder sa magie sous contrôle. Ils m'ont fait me faire bouffer par des chiens parce qu'ils avaient besoin de moi pour faire leur sale boulot ! Rien ne peut excuser ça !

Je frémis lorsque Meriel referma ses mains autour des miennes. Il serra si fort que c'était à la limite du douloureux. Je levai les yeux vers lui. Je ne l'avais jamais vu arborer un tel air. Je ramenai mon regard sur nos mains étroitement liées. Ce n'était pas aussi désagréable ou étrange que je ne l'aurais cru.

- Je suis désolé. Je... Je voulais faire quelque chose. J'ai échoué. Quoi que dise le compte-rendu de mission, j'ai failli. Je n'ai pas réussi à te sauver et j'en suis tellement... tellement désolé. Toutes les années d'études supplémentaires ne suffiront jamais à effacer mon échec.

- Je te l'ai dit. Ce n'était pas de ta faute.

- Je sais que tu me pardonnes mais moi, je n'arrive pas à me pardonner. J'aurais dû me rendre compte que quelque chose n'allait pas. J'aurais dû le voir et j'ai failli et tu en es mort d'une façon absolument abominable. J'ai béni le fait de ne pas avoir à dormir. Je n'aurais pas supporté d'avoir à entendre tes hurlements dès que j'aurais fermé les yeux.

Je ne savais pas quoi répondre à tout cela. J'étais submergé par ses émotions à lui. Plus par ma colère, mon sentiment de trahison, d'injustice. Ça me fit réaliser que, sous la surface glaciale, il y avait un abysse d'émotions violentes qui menaçaient constamment de le terrasser.

Mes mains resserrèrent sur les siennes.

- Toutefois, reprit-il en me regardant droit dans les yeux, cet... événement m'aura appris une chose. Même les anges ne sont pas parfaits. Ils ne sont pas infaillibles, ils ne peuvent pas sauver tout le monde et eux aussi doivent faire des choix difficiles pour sauver un maximum de monde.

- Tu penses que...

Le nom m'échappa encore, m'emmêlant les neurones, perdant mon fil de pensée jusqu'à ce que je cesse de lutter.

- Tu penses que le traître a raison ? Que c'est le manque d'équilibre qui a causé ces défauts ?

Il se détendit mais ne répondit pas immédiatement. Je m'attendis à ce qu'il me lâche. Ce ne fut pas le cas. Je n'osai pas le faire. Je n'étais pas certain d'en avoir envie, d'ailleurs. Depuis que j'étais un ange, je n'avais plus de contacts physiques avec quiconque. Ça faisait du bien d'avoir quelqu'un à qui m'accrocher.

- Je ne pense pas. Je pense que l'isolement des anges est ce qui cause leur attitude. Ils n'ont pas de contacts avec les mortels. Ils restent aux Cieux et se contentent de nous diriger. Je pense que, à leurs yeux, les mortels ne sont plus des personnes mais... des moutons à faire rentrer dans le même parc. Ils se voient comme des chiens de bergers qui veulent ramener le plus d'animaux possibles en sécurité avant que les loups n'arrivent. Ils ont un travail à faire et c'est tout ce qui compte. Le chien se moque du mouton qu'il garde. Il fait son job. Rien de plus, rien de moins. Et je pense sincèrement que c'est ce que font les anges.

- Ton mentor a fait pareil. Pourquoi ? Je peux imaginer que les Archanges et les plus hauts placés de la hiérarchie soient devenus insensibles à la vie humaine. Mais les autres gardiens ? Nos instructeurs ? Ils ont un contact avec les humains. Ils ne devraient pas avoir la même réaction.

- Tu penses avec tes émotions. C'est tout à ton honneur mais tu dois te rendre compte que nos mentors font ce travail depuis des décennies. Ils ont appris à se distancer des humains pour ne pas s'attacher. C'est une méthode que tu finiras par adopter aussi après avoir vu mourir tes protégés. Tu n'auras pas le choix. Personne ne l'a.

Je demeurai silencieux. Son point de vue avait du sens. Autant que celui de Samael. Je ne savais pas lequel des deux était le plus proche de la vérité.

Je persistai à croire que ce comportement n'aurait pas dû exister parmi des anges. Ils étaient supposés représenter la miséricorde. Or, il n'y avait rien de miséricordieux dans la façon dont j'étais mort, dans ce qu'ils infligeaient à mon protégé. J'aurais préféré croire en la version de Meriel. Elle m'aurait apporté un peu de paix et de réconfort. Malheureusement, elle ne m'avait pas convaincu.

- Ta mission est de protéger ta charge et de le garder en vie, poursuivit Meriel. Pas de te préoccuper des problèmes aux Cieux. On aura tout le temps de s'en préoccuper lorsque les portes seront refermées.

- Et si refermer les portes n'était pas la bonne solution ?

Les pupilles de mon vis-à-vis s'élargirent de surprise. Il ne s'était pas attendu à ça.

- Je veux dire, et si avoir les démons rôdant sur Terre n'était peut-être pas totalement nocif ? Sur ce point, Samael n'a pas tort. L'homme ne se régule pas comme le reste des espèces. Il détruit tout autour de lui et ne fait que se multiplier. Or, la Terre n'a pas de place ni de ressources illimitées. Peut-être que nous ne devrions pas refermer les portes. Les démons forceraient la régulation de la population.

- Tu le penses sincèrement ?

- Ce que je pense, c'est qu'on ne devrait pas protéger une espèce au détriment de toutes les autres. L'homme paraît plus intelligent que les animaux mais un animal t'en apprendra toujours plus sur le monde qu'un humain.

- Tu me réfléchir sur les convictions que j'ai toujours eues et je ne suis pas sûr d'aimer ça, admit-il, une pointe d'amusement dans la voix.

Je me sentis sourire. Je préférais sa franchise lorsqu'elle était complice plutôt que cassante. Je la découvrais sous cet angle et elle était rafraîchissante. Je ne connaissais personne qui aurait admis les choses telles qu'elles étaient avec autant de franchise. Seul Meriel avait la capacité de le faire.

Je me raclai la gorge.

- Bref. Qu'est-ce que tu vas faire, maintenant ? Tu ne peux pas retourner aux Cieux.

- Où que j'aille, ils me retrouveront. Les Dominations peuvent être de vrais chiens de chasse quand ils sont sur les traces d'un dissident. Se cacher en étant un ange est beaucoup moins aisé que lorsque j'étais humain.

- Je peux demander à Ava de te cacher. Je doute que ça la dérange. Au cas où, elle pourra à nouveau te dissimuler si les Dominations reviennent ici pour te chercher.

- Pourquoi t'ont-ils frappé ? éluda-t-il.

Devais-je entendre un assentiment implicite dans son changement soudain de sujet ?

- Je te l'ai dit. Parce que je t'ai caché. Ils savent que tu es venu ici mais comme j'ai refusé de parler, ils se sont énervés.

Son silence s'étendit dans le temps. Ce n'était pas désagréable. Seuls les bruits de conversation entre Beahan et la sorcière interrompaient le calme. Meriel poussa un long soupir d'aise. Il avait fermé les yeux et offrait son visage au soleil qui perçait entre deux nuages gris.

- Tu es étonnamment détendu pour quelqu'un recherché par les Dominations.

- Je me souviens de ce que c'est que de sentir en sécurité. J'ai la sorcière la plus puissante des environs dans la pièce d'à côté et le seul ange gardien à avoir utilisé une arme des Cieux en face de moi. Je pense que je peux me permettre quelques minutes de relaxation.

Je fis de mon mieux pour ne pas le laisser voir que ses paroles me flattaient. Il se sentait assez à l'aise pour se détendre en partie grâce à ma présence. C'était le plus grand compliment donné du bout des lèvres qu'il ait jamais offert quiconque. Il l'avait formulé de manière détournée mais ça n'en demeurait pas moins flatteur.

- Que font-ils ? questionna-t-il posément.

- Des recherches sur les démons. Pour se protéger et se préparer. Jusque là, ce n'est rien qu'on ne sache déjà. Ou alors, c'est tout et son contraire. Je ne sais pas comment ils font mais les démons ne laissent rien filtrer. À moins que tout soit vrai et, dans ce cas, on est mal barrés.

Il opina du chef.

- Je pense prendre quelques heures de repos. Je n'ai pas dormi depuis plusieurs jours et toute cette agitation m'a épuisé.

- Il y a une chambre d'amis à l'étage. C'est là que je dors.

Il haussa un sourcil mais ne posa pas la question. Ses mains relâchèrent les miennes et il quitta la cuisine pour disparaître à l'étage.

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NdlA : Que de révélations ! Qu'est-ce que vous en dites ? Les anges sont-ils encore bons ou sont-ils ni bons ni mauvais ? Dites-moi tout ! Je suis curieuse de découvrir vos théories !

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