Chapitre 42
Mon protégé et la sorcière étaient toujours là lorsque je pénétrais dans la maison. Ils avaient repris la mise en carton des affaires de Beahan qui avaient survécu le désastre. Ils avaient terminé le bureau et s'étaient attaqués à sa chambre, pliant soigneusement les vêtements dans les boîtes. Pendant ce temps, les déménageurs continuaient leur travail en sortant les meubles pour les mettre dans le camion.
Ava sursauta lorsque j'entrais dans la pièce. La seconde suivante, elle était pendue à mon cou. Les paroles se déversèrent de sa bouche sans que je comprenne autre chose que le fait qu'ils s'étaient inquiétés.
Je la détachai de moi au plus vite. Le contact des humains était étrange et peu familier. Je m'étais habitué au côté peu tactile des anges. Avoir un corps pressé contre le mien – un corps humain – était aussi désagréable que de se rouler dans une fourmilière.
Je fronçai les sourcils en me rappelant le moment où Beahan avait dormi sur mes genoux. Je n'avais rien ressenti d'étrange ce jour-là. La seule différence était qu'Ava était une sorcière. Il était possible que ça joue. Je ne pouvais pas en être certain, toutefois. Ce n'était pas quelque chose qui avait été évoqué lors des cours de Nanael.
- Ava, intervint Beahan avec une voix fatiguée et calme. Laisse-le respirer. Je suis sûr que tu le mets mal à l'aise.
Elle m'offrit un sourire embarrassé et s'excusa. Elle retourna à sa pile de vêtements à ranger, un rapide regard lourd de sens échangé au passage avec son ami.
Je m'assis sur le lit et les observai.
- Que s'est-il passé ? questionna doucement mon protégé. Ava m'a raconté ce qu'elle a vu mais elle n'a pas plus compris que moi.
- Je croyais que sa mémoire avait été effacée, éludai-je, regardant la jeune sorcière dans l'espoir de comprendre, moi aussi.
- Elle l'a été, admit-elle. Ça n'a pas duré. Ils ne m'ont pas touchée alors j'ai pu le forcer à tout se remémorer. Ce n'était rien qu'un petit sort ne puisse renverser.
Ça ne me disait rien qui vaille. Comment avait-elle pu renverser le travail d'un archange ? J'étais un ange et pourtant, j'aurais bien été incapable de le faire. Elle avait beau être une sorcière, elle n'était pas très puissante. Qu'elle puisse tout raconter à Beahan ne devait pas avoir énormément changé la donne. Je ne comprenais pas comment c'était possible.
- Que s'est-il passé ce matin ? reprit-elle. Cet autre ange... Il était étrange.
- Je ne lui fais pas confiance, argua Beahan. Au départ, je pensais que c'était un démon. Son énergie était juste plus faible, moins... puante.
- Puante ? répétai-je.
- Les démons ont une odeur de moisi et d'humidité. Comme s'ils avaient été stockés dans une cave inondée.
Je haussai un sourcil en regardant Ava. Je n'avais rien senti de tel. Je n'avais pas fait attention. J'étais plus occupé à me battre et à faire de mon mieux pour survivre pour me préoccuper de leur odeur.
- C'est une façon trop longue de dire qu'ils puent, répliqua mon protégé.
Je me sentis sourire.
- Sinon, je peux savoir ce qu'il s'est passé ?
Je me résignai à leur expliquer le minimum nécessaire pour qu'ils comprennent ce qu'il se passait entre l'Enfer et les Cieux. J'évitai le sujet de Baskiel au maximum, me contentant de parler du problème des portes. J'avais envie de parler de ce que m'avait raconté Samael. Avoir leur avis sur le sujet. Après tout, les humains étaient pris au milieu. Ils auraient une vision différente, peut-être plus claire de la situation.
Cependant, je savais que c'était trop risqué. Surtout qu'il semblerait qu'Ava soit une sorcière bien plus puissante qu'elle n'y paraissait. Elle-même ne semblait pas savoir qu'elle avoir de réels pouvoirs. Elle croyait réellement que le travail de Cassiel avait été suffisamment léger pour qu'elle puisse le contrer.
Sauf que Cassiel était un archange de la Première Sphère. Une faible sorcière n'aurait pas dû pouvoir effacer son travail sur l'esprit de Beahan. Et pourtant, elle l'avait fait. Ça me donnait à réfléchir.
Au demeurant, là n'était pas la question pour le moment.
- Donc, si je comprends bien, les anges veulent fermes les portes de l'Enfer qui sont en train de se rouvrir tandis que les démons, eux, corrompent les âmes humaines pour les forcer à s'ouvrir ? résumé Beahan.
- Grossièrement, oui.
- Il y a des choses que tu ne peux pas nous dire, devina Ava, indulgente.
J'avais beau ne pas réellement la connaître, elle avait l'art de me mettre à l'aise. Sa voix douce, son énergie cordiale, son léger sourire... Elle était la quintessence de la chaleur humaine. Elle avait un don pour apaiser les plus angoissés.
- Il y a des choses que je ne peux même pas dire à mon équipier ou à mon patron et ce n'est pas par choix.
Elle posa une main gracile sur mon genou. Sa compréhension était réelle. Je lui offris un sourire en remerciement.
- Ce n'est rien. Lorsque tu le pourras, tu nous le diras.
J'acquiesçai silencieusement. Elle retourna à sa pile de vêtements à ranger.
Je regardai autour de moi, décelant la catastrophe qui se cachait derrière les rares murs encore debout.
- Je suis désolé pour la maison, lâchai-je. J'ai fait de mon mieux pour l'éloigner.
La jeune femme transmit mes paroles à mon protégé. Ce dernier roula des yeux et balança une chemise roulée en boule vers moi. Je l'attrapai au vol.
- Tu m'as gardé en vie. C'est tout ce qui compte. Ce n'est que de l'immobilier. Je préfère être en vie avec une maison qui tient à moitié debout que mort.
Je lui renvoyai sa chemise sans répondre. Ce fut la seule chose qui me permit de voir l'air hanté sur son visage. Il ne me fallut pas beaucoup de réflexion pour deviner d'où il provenait.
- Il a vu le démon, pas vrai ? demandai-je à Ava.
- Oui.
Elle s'était rembrunie. Je devinai les cauchemars qu'il devait faire. Si j'avais pu lui éviter la mort, je n'avais pas pu lui éviter ça.
- Qu'est-ce qu'on fait, alors ? reprit mon protégé.
- La seule chose à faire, c'est d'empêcher les démons de corrompre plus d'âmes, répondis-je.
- Le site. A Season In Hell. Il faut s'en débarrasser, c'est ça ?
Je hochai la tête.
Je n'étais pas idiot, je me doutais qu'il fallait que je donne quelque chose à faire à Beahan. Il ne pourrait pas accepter de rester sur le côté, protégé par d'autres qui, eux, faisaient tout le travail. Si je l'empêchais de participer, il le ferait dans mon dos et de se faire tuer au passage. Autant lui donner un os à ronger que je pourrais contrôler. Sans compter qu'il serait aussi retenu par la police puisqu'il était censé travailler avec eux. C'était le compromis parfait.
- Il y a une chose que je ne comprends pas, releva Beahan. Pourquoi ont-ils besoin d'âmes pour forcer les portes ? Ne peuvent-ils pas, je ne sais pas, les forcer de l'intérieur ? Ça ne serait pas plus facile ?
Je ramenai mes jambes sous moi sur le lit. Je n'étais pas certain de pouvoir expliquer correctement le processus de l'entrée en Enfer ou aux Cieux. Je ne me souvenais pas de mon ascension. Je doutais que quiconque s'en souvienne. Nanael ne l'avait évoquée qu'en passant et j'avais dû emboîter les morceaux au mieux pour me faire une idée de ce qu'il se passait lorsqu'un mortel mourait.
- Ce n'est pas quelque chose dont je suis censé parler, admis-je prudemment. Le secret autour de ce qu'il se passe après la mort et tout ça.
Ava eut un léger sourire ; son ami roula des yeux lorsqu'elle lui relata ce que je disais. Il faisait ça de plus en plus souvent. D'où tirait-il ce cynisme ? La fatigue ? Les cauchemars ? Le ras-le-bol ? Autre chose ? Il allait falloir que je m'y intéresse et que j'essaie de résoudre le problème.
- Le fait est que les âmes doivent passer par les portes. Si elles ont été corrompues, elles doivent descendre en Enfer, elles ne peuvent pas aller ailleurs. Je suppose que c'est pour ça qu'il restait un entrebâillement très léger pour les laisser passer. La majeure partie des démons ne peut pas ressortir à cause des barrières qui les enferment donc ce n'était pas important. Les portes ne sont qu'une manifestation physique de ces barrières. La partie la plus... résistante des barrières.
- Qu'est-ce que ça à voir avec les meurtres ? interrompit mon protégé.
La sorcière lui colla un coup dans le bras avec un regard de reproche pour le fait de lui couper la parole.
- Laisse-le finir !
Il ne répondit pas, continua de faire ses cartons.
- Les démons se sont rendus compte qu'ils peuvent forcer l'ouverture des portes si plusieurs âmes arrivent en même temps. Elles doivent toutes entrer au plus tôt donc, elles forcent les portes pour avoir une plus grande ouverture pour passer plus vite. Je suppose que, dès qu'ils ont pu faire sortir les plus faibles d'entre eux, ils ont commencé à œuvrer et à coordonner leurs attaques à travers le site. Maintenant que des démons plus puissants sont sortis, ils ont toute la marge de manœuvre pour de véritables massacres.
Je n'admis pas ma surprise à l'absence de tels faits. J'aurais pensé que, au vu de la puissance de certains démons, ils auraient déjà augmenté le nombre de victimes. Pour sûr, un crash d'avion ou un attentat ne ferait pas l'affaire. Il s'agissait de corrompre les âmes, pas de tuer des gens. La différence était de taille.
Je n'étais pas certain qu'ils puissent obtenir un nombre d'âmes damnées suffisamment important pour rouvrir les portes. Le maximum – à notre connaissance, en tout cas – de victimes d'un seul coup était de dix. Or, à moins d'un large réseau de démons réussissant à organiser des rituels un peu partout dans le monde et à tuer tous les participants dans un grand génocide...
Toutefois, ça me paraissait impossible. À moins que j'espère que ça le soit. Meriel aurait été le mieux placé pour me dire s'ils étaient capables d'organiser une telle abomination. S'ils étaient assez nombreux, assez organisés. Il était celui avec toutes les informations. Comme d'habitude.
- C'est effrayant, souffla Ava après un silence. Tuer des gens, autant de gens, pour sortir d'une cage...
- On parle de l'Enfer, rétorqua son ami. Mieux vaut pour tout le monde qu'il reste fermé. Il faut se débarrasser de ce site en premier. Ça enrayera leurs plans.
Je n'avais pas espéré que mon idée de tout blâmer sur le site fonctionnerait aussi bien. C'était une chance. Je n'aurais pas à le détourner d'autres idées qui pourraient lui traverser la tête. Il demeurerait concentré sur le site et hors de danger.
Pour le reste, il allait falloir que j'improvise. Que je fasse confiance aux autres.
C'était un problème. Je n'arrivais pas à imaginer un scénario où ils parviendraient à leurs fins. Cassiel avait beau être décidé à renfermer les portes, à restaurer l'œuvre de ses frères, je ne parvenais pas à imaginer qu'ils réussissent. Pas avec la corruption qui moisissait les rangs des anges.
Sans compter une donnée importante. Les Cieux avaient perdu énormément de leurs effectifs la dernière fois qu'ils avaient fermé les portes. Au point qu'ils étaient obligés d'utiliser les âmes pour faire le plus basique travail. Si leurs rangs étaient à ce point dépouillés, avaient-ils seulement la possibilité de réussir ?
S'ils avaient préparé les anges à l'affrontement à venir, peut-être que les Cieux auraient eu une chance. Au vu de l'évolution des choses, c'était mal barré. J'espérais du fond du cœur que Cassiel ait un plan concret pour gagner l'affrontement.
Si gagner était la bonne tactique.
Je n'avais pas encore statué sur la théorie de Samael. Je ne tenais pas à baser ma décision sur sa position dans les camps. J'avais envie de l'analyser de façon aussi objective que possible. Instinctivement, j'avais envie de tenir avec les Cieux. Nonobstant, ils avaient beau être les « gentils », ils pouvaient avoir tort. Encore plus si Samael avait raison.
Si je devais être entièrement honnête... Je ne savais plus quoi faire ou ne pas faire. Je doutais de tout et de tout le monde.
Une seule chose demeurait indubitable. Je devais garder Declan en vie. Il était la clé.
_____________________________
NdlA : Un petit interlude sur le retour sur Terre de Rahel ! Qu'est-ce que vous en dites ?
NdlA2 : Venez me donner votre avis sur la dernière annonce sur mon profil ! ;)
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro