Chapitre 23
Ce fut la lumière du soleil qui me tira de ma profonde torpeur. Beahan n'était plus dans son siège. Je sentais son énergie rôder dans la cuisine. Il allait bien, c'était le principal. Moi, j'avais eu le temps de retrouver mes forces et j'étais prêt à aller traquer ce sorcier. Crowley.
Je me battis avec l'étui prêté par Ariel pour le fixer autour de ma taille. Il était trop large pour mes hanches. Je dus littéralement bidouiller pour réussir à la faire tenir. Le poids de l'épée ne m'aida pas. J'allais devoir faire attention à mes mouvements pour qu'elle ne tombe pas. Son équilibre en travers de mes hanches était bancal et j'allais devoir trouver un moyen de le rendre plus solide. Je ne pouvais pas travailler avec quelque chose d'aussi agaçant.
Je descendis dans la cuisine, retenant la lanière d l'étui pour qu'elle ne glisse pas. Mon protégé était assis devant un gros mug fumant de café. Il semblait sonné, encore épuisé malgré ses longues heures de sommeil. Sans aucun doute à cause de la multitude de tracas qui le pesait. Ce que j'avais fait à Elsie ne devait pas avoir aidé.
Je posai mes mains sur ses épaules pour tenter de faire remonter les émotions positives en lui pour qu'il ne se laisse pas enterrer par ses doutes et ses peurs. Il avait besoin de se souvenir qu'il n'était pas seul, que j'étais là pour l'aider. Il devait cesser de s'enterrer dans sa solitude et de la retenir quand elle n'avait aucune raison d'exister.
C'était un tort de l'humanité que je retrouvais souvent. Rares étaient les mortels qui ne se concentraient pas sur le négatif. Ils s'accrochaient à tout ce qui n'allait pas dans leur vie et mentaient, arguant le contraire et faisant tomber le masque une fois en privé. Les humains, quels qu'ils soient, voyaient l'inesthétique et les défauts avant de voir la beauté et la bonté et la pureté. Ils croisent quelqu'un dans la rue et ils ne vont jamais se dire « oh, cette personne est très bien habillée ». Non, ils vont trouver un détail qui leur permettra de ventiler leurs insécurités personnelles et de les attribuer à cette personne qui n'a rien demandé et qui reproduira ce même schéma avec un autre inconnu.
Mon protégé faisait exactement pareil avec sa solitude et son manque de confiance en lui. Il voulait s'en débarrasser mais, en même temps, c'était ce qu'il connaissait. Il ignorait comment vivre sans ces deux données qui devaient le poursuivre depuis de longues années. Pour lui, une vie sans qu'il se sente seul et sans qu'il doute de ses capacités était une fantaisie, un vœu pieu qu'il gardait au fond de son cœur.
C'était mon devoir de l'aider à affronter sa peur de l'inconnu et à oser accepter tous les bienfaits qui existaient dans sa vie.
Je devrais probablement me concentrer sur Crowley, Asmodeus et tous ceux qui travaillaient avec eux. Je ne pouvais rien faire pour le traître qui rôdait aux Cieux. Ariel, ou plutôt Cassiel, m'avait choisi pour récupérer des preuves des mensonges des Puissances. J'étais sur Terre pour ça.
Sauf que Declan demeurait mon protégé et que son bien-être passait avant le reste.
Je n'aurais jamais cru dire ça un jour.
Pendant qu'il prenait un petit-déjeuner composé de café, d'une barre de céréales et d'un peu plus de café, je travaillai sur la ceinture. J'écoutai distraitement Beahan parler de son plan pour explorer Providence Village. Il avait imprimé un plan où il avait dessiné plusieurs croix. De ce que je compris, les crois étaient des lieux intéressants qu'il avait trouvé en cherchant. Au-dessus, les raisons pour lesquelles ces endroits avaient de l'intérêt.
Je n'eus pas le temps de m'y intéresser que mon protégé se hâtait de rejoindre la voiture qui venait de klaxonner devant chez lui. M'asseoir à l'arrière avec cette fichue épée qui pouvait me tuer si je la touchais fut... complexe. La ceinture et la garde s'enfonçaient dans ma chair à tous les mauvais endroits.
Les quatre heures de route se passèrent dans un silence relatif. Le conducteur était taciturne, fermé. Mon protégé passa une vaste partie du trajet à relire les articles qu'il avait imprimé. Je pus comprendre le pourquoi des croix sur la carte.
Une large statue d'un ange tenant un être avec une chaîne, un pied le maintenant au sol. Un pont couvert de mousse enjambant un minuscule ruisseau qui serpentait parmi les arbres. Un bâtiment abandonné envahi par la verdure. Un arbre difforme dont les ombres semblaient bouger même sur le papier.
De nombreux lieux de Providence Village semblaient relier à des légendes urbaines connues dans tout le Texas. La Porte de l'Enfer fut l'une des deux seules qui me firent frissonner. L'article la situait à Arlington, donc à plus d'une heure de Providence Village. La seconde qui provoqua une réaction instinctive fut celle de la « Demon's Road » de Huntsville, à plus de trois heures de route.
Les autres étaient moins intéressantes, à mon sens. Le fantôme d'une jeune fille s'étant noyée dans un lac près de Dallas faisant du stop, un cavalier sans tête dans le sud du Texas, une femme donnant des bonbons aux enfants avant de les faire disparaître, des cris sur un pont... Rien qui ne me paraisse crédible ni même possible.
La seule chose qui les rendait utiles était qu'elles se réunissaient toutes à Providence Village. Cette ville avait comme pris toutes les légendes urbaines qui hantaient les texans pour les accumuler. Évidemment, ils ne s'en vantaient pas mais pour quelqu'un comme Beahan, ce n'était pas difficile à trouver.
Toujours était-il qu'il n'y avait pas que les légendes urbaines qui avaient intéressé mon protégé. Il avait aussi imprimé des articles sur des disparitions d'adolescents qui avaient eu lieu autour de Providence Village. Elles n'étaient pas nombreuses mais assez frappantes. Il avait pu remonter jusqu'à leur profil sur A Season In Hell. Le lien devenait direct.
Cependant, ça faisait beaucoup. Je doutais qu'il puisse visiter tous ces endroits et se renseigner correctement en une seule journée. J'espérais qu'il avait prévu un endroit où dormir, au cas où. Le connaissant, ça devait être le cas même si je n'en voyais aucune confirmation.
Nous arrivâmes à Providence Village en milieu de matinée. Le temps était chaud et humide, l'air lourd et désagréable. Ce n'était pas génial pour mes ailes. Elles allaient encore finir ébouriffées et pelucheuses. Heureusement que personne ne pouvait me voir. Je n'avais pas vraiment envie qu'on me voit pendant que je ressemblais à un oiseau géant à peine sorti de l'œuf.
- Vous êtes sûr que ça va aller ? questionna le conducteur dans un long grognement.
- Je vais me débrouiller. Merci beaucoup.
Il paya pour le trajet et sortit de la voiture, son sac sur l'épaule. Je ne l'avais vu le préparer donc j'ignorai ce qu'il avait emmené avec lui. Sûrement le kit basique du détective et de quoi passer la nuit.
Il sortit sa carte et regarda autour de lui. Il se repéra sur la carte et chercha la croix la plus proche. Nous suivîmes le plan jusqu'à l'endroit qu'il avait choisi. Il s'agissait de la statue qui avait attiré mon attention. Je ne pus que l'observer plus longtemps. Elle ne semblait rien avoir de spécial. Aucune énergie n'émanait d'elle. Pourtant, elle me perturbait. Sûrement à cause de l'imagerie. S'il y avait eu une plaque, elle avait disparu. J'ignorais pourquoi un ange – au vu des ailes, ça devait en être un – aplatirait quelqu'un par terre avec son pied tout en le tenant par une chaîne. C'était barbare et plus digne d'un démon – je commençais à m'habituer à penser ce mot – que d'un ange.
Alors pourquoi l'artiste avait-il choisi de créer une telle chose ? Qu'avait-il vu, lu ou entendu qui l'ait amené à représenter une telle abomination ?
Mon protégé observa longuement la statue, tout comme moi, et ne trouva rien. Pourtant, son examen fut plus approfondi que le mien. Dommage pour lui, il ne résulta en rien de plus que des mains noircies de poussière et de saleté.
Il les frotta sur son pantalon avant de reprendre la carte. Il griffonna un point d'interrogation à côté de la croix désignant la statue et évalua la direction à prendre. Je le suivis à travers les rues et les embranchements jusqu'à arriver à l'orée d'un bois sombre et fourni. Un sentiment étouffant naquit dans mon estomac. L'hésitation dans les pas de mon protégé me fit savoir que je n'étais pas le seul à le ressentir.
Toutefois, j'eus beau sonder la forêt, aucune énergie autre que celle, pure et lumineuse, des arbres et des plantes et des animaux ne s'en échappait. Ces bois étaient parfaitement normaux. Seule l'obscurité qu'apportait la toiture de verdure était inquiétante malgré qu'elle soit totalement inoffensive.
Les sentiers étaient envahis par la nature, à peine visibles. Il était évident qu'il continuait d'y avoir du passage mais pas assez pour qu'il y ait plus que la trace d'un ancien chemin.
Mon protégé n'eut aucun mal à se faufiler au milieu des ronces et des branches basses. Pour moi, ce fut une épreuve. Mes ailes s'accrochaient partout. Je me faisais gifler et battre par les arbres et les buissons. J'attrapai rapidement des crampes dans le dos et les épaules à force de comprimer mes ailes pour tenter de les protéger un minimum.
J'arrivai au pont plus épuisé et amoché que si j'avais affronté une meute de chiens sauvages. Beahan, lui, était intact. Il s'approcha du pont et observa autour de lui. Je m'assis à même la terre humide et sondai les environs tout en remettant mes ailes en état du mieux que je pus. Je lissai mes plumes et détendis mes muscles. J'étais encore ébouriffé à certains endroits que je ne pouvais pas atteindre. Il allait falloir que je me débrouille plus tard pour remettre le reste.
Je restai assis dans mon coin pendant que Beahan étudiait les environs à la recherche du moindre indice pouvant lui faire penser que notre cible était passée par ici. Je ressentis toute la région et il n'y avait absolument rien.
Il s'accroupit et sortit sa carte. Il gribouilla dessus et repartit sans attendre plus longtemps. Je n'eus d'autre choix que de lui emboîter le pas sur un autre sentier encore plus étroit que le précédent. Je dus me mordre la langue pour ne pas jurer tout le long du trajet en dehors de ce sous-bois. J'en sortis avec les cheveux en pétards, les ailes en mauvais état, des égratignures partout.
Je m'occupai de mes ailes tout en marchant. Ce n'était pas pratique mais je n'avais pas trop le choix. Beahan était décidé à occuper chacune des secondes qu'il aurait dans cette ville pour en découvrir un maximum.
Il atteignit une route en apparence parfaitement normale. Puisqu'il s'arrêta et observa autour de lui, je supposai que c'était la Demon's Road. Il n'y avait absolument rien. Cette route était comme toutes les autres. Juste un banc de goudron dénaturant la nature. Il n'y avait rien d'autre, aucune énergie, aucune vie. Rien.
Encore un échec. Mon protégé dut s'en rendre compte car il soupira. Ses épaules s'affaissèrent. Il remonta son sac à dos sur ses épaules, semblant lutter pour retrouver le courage de continuer. Je voulus lui rendre un peu d'inspiration comme j'avais pris l'habitude de le faire en posant une main sur son épaule. Il choisit ce moment pour avancer et je faillis chuter en avant. Je me rattrapai à son bras. Il tressaillit et se figea, raide comme s'il s'était soudain changé en pierre.
Je me reculai et laissai retomber ma main contre mon flanc. Je n'avais pas prévu de le toucher ainsi et encore moins qu'il réagirait aussi froidement.
Dans un silence étonnamment lourd, il reprit sa route comme s'il ne s'était rien passé. Je le suivis, ne pouvant m'empêcher de me demander pourquoi il avait réagi ainsi. Ça ne lui ressemblait pas. Était-ce le fait que j'ai attrapé son bras qui le dérangeait tant que ça ? Ou bien était-ce autre chose dont j'ignorais tout ?
Peu décidé à m'arracher les cheveux en réfléchissant à cela, je le mis de côté et m'occupai de l'endroit vers lequel Beahan se dirigeait. Il repartait vers le centre de la ville. Sûrement pour aller manger quelque chose. À moins qu'il reprenne ses mauvaises habitudes et oublie qu'il avait des besoins vitaux.
Par chance pour lui, il gagna une boulangerie et s'acheta un sandwich qu'il mangea en marchant jusqu'au prochain point sur sa carte. Il semblait s'être calmé mais demeurait sur ses gardes. Je ne cherchai pas à m'approcher de lui à nouveau. Pas avant d'avoir réussi à comprendre pourquoi il avait réagi aussi vivement à mon toucher sur son bras.
Toutefois, mon protégé passa au second plan lorsqu'un mauvais pressentiment me prit aux tripes. Nous étions au milieu d'une zone résidentielle aux maisons blanches, identiques, modelées sur l'idée que la petite banlieue bourgeoise par excellence. Pourtant, le mal était là. Je le sentais. Je regardai autour de moi, cherchant le moindre signe de quelqu'un sortant de l'ordinaire.
Il n'y avait personne.
Je retins mon protégé par l'arrière de sa veste pour l'empêcher de partir. Il tituba, pris au dépourvu, et je dus le retenir pour qu'il se tombe pas sur les fesses. Il se retrouva dans mes bras et je l'y retins. La menace était là. Elle était puissante et se rapprochait.
- Quoi ? Qu'est-ce qui t'arrive ? Mais lâche-moi !
Le maintenir en place malgré le fait qu'il se débatte fut aisé. Il était humain. Il ne pouvait rien contre ma force angélique.
Mon regard accrocha deux yeux qui nous fixaient. Une vieille femme, à peine dissimulée derrière son rideau, ne nous lâchait pas du regard. Plus je l'observais, plus je sentais mon malaise augmenter. Lorsqu'un rictus sournois étira ses lèvres, je sus qu'elle n'était pas qu'une petite vieille qui espionnait le quartier.
Je tirai mon protégé avec moi, ignorant ses protestations murmurées et sa résistance. Il me percuta de plein fouet lorsque je me stoppai. J'entendis le souffle angoissé qu'il relâcha. Puisqu'il ne pouvait pas me voir, il ne pouvait manquer la ligne d'enfants qui nous barrait la route.
Ils étaient six et ils nous faisaient face avec des visages dépourvus d'émotions et des yeux révulsés. Ils étaient tous possédés, exactement comme l'avait été Elsie. Ne voir que le blanc de leurs yeux me donnait froid dans le dos. Le plus âgé – il ne devait pas avoir plus de dix ans – se détacha de la ligne et s'avança vers nous. Je posai la main sur l'épée que je portai à la hanche. Un sourire sardonique transforma son visage en un masque de malveillance grotesque.
- Nous nous demandions quand vous viendriez, tous les deux, se moqua-t-il, sa voix roulant comme l'orage, bien trop grave pour être une voix d'enfant. Vous nous aurez fait attendre. Ce n'est pas très gentil.
Mon protégé était trop tétanisé pour répondre. Je doutais qu'il respire encore, d'ailleurs.
- C'était assez drôle de vous voir perdre votre temps dans les bois alors que nous étions juste à côté tout du long.
Je roulai des yeux et croisai les bras.
- En train de dessiner des papillons et de jouer à la baballe comme de gentils toutous débiles que vous êtes, répondis-je avec ennui.
- Nous sentons ta peur, petit ange. Tu peux prendre tes meilleurs airs bravaches, tu n'es qu'un petit oiseau que je me ferais un plaisir d'écraser.
- Oh, mais je t'attends, petit.
L'enfant continua à avancer vers moi et je me refusai à bouger. L'énergie de mon protégé s'éloignait en arrière, je la sentais, mais la chose ne s'en préoccupait pas pour le moment. Elle en avait après moi. Toutefois, lorsque je le sentis revenir vers moi, sa panique devenant étouffante, je devinai ce qu'il se passait.
Nous étions encerclés.
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NdlA : Oh ooooooooh ! Des problèèèèèèèèmes ! Qu'est-ce que vous en dites ?
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