Chapitre 19
J'avais tout faux. Les choses ne rentrèrent pas dans l'ordre puisque Ava ne se réveilla pas. La colère de mon protégé ne faiblit pas. Au contraire, elle s'enflamma. Les nouvelles que lui apporta Megan n'étaient pas bonnes non plus. Elle était incapable de rétablir les comptes qui avaient supprimés. De même qu'elle ne parvenait pas à pirater le site pour obtenir une identité ou une adresse.
Bien que je sache que mon protégé allait voir rouge, je lui notai l'adresse désignée par le pendule de la sorcière sur un post-it. Au départ, lorsqu'il le trouva, il parut perplexe. Il fit des recherches sur l'adresse dans ses dossiers. Sans rien trouver, évidemment. J'avais fait la même chose pendant qu'il dormait.
Il commença à regarder autour de lui. Il me cherchait. Il devait savoir que je ne l'avais pas écouté et que j'étais toujours là. Il était trop sensible pour se laisser entièrement berner par mes stratagèmes. Sans compter que je ne pouvais pas me permettre de rester trop loin de lui. Les protections autour de la maison étaient faibles et la chose qui en avait après lui n'allait avoir aucun mal à les passer.
Toujours était-il que mon protégé savait que cette adresse venait de moi. De fait, il chiffonna le post-it et le jeta dans la corbeille. Il ne dit rien. Il prit ses clés de voiture et sortit de chez lui. Je le suivis, un mauvais pressentiment commençant à se faire sentir.
Il s'arrêta devant chez Ava et pénétra dans la maison à l'aide de son double de la clé. Il ne perdit pas de temps et commença à fouiller les livres. Il comptait réellement se débarrasser de moi ! J'allais devoir intervenir. La sorcière m'avait dit travailler avec les anges donc, si quelqu'un avait un moyen de les bannir, c'était elle. Et si Beahan mettait la main dessus, j'étais fichu.
Lui montrer que c'était sa meilleure amie qui avait lancé le sort n'allait pas suffire. Il fallait que je lui prouve qu'il avait besoin de moi. Qu'il ne devait pas me renvoyer aux Cieux.
Rahel. Rahel. Rahel. Rahel.
Bêtement, je levai la tête vers le plafond. Je savais que je n'allais pas y trouver Baskiel mais c'était un réflexe contre lequel je ne pouvais pas lutter. J'avais horreur des prières à mon nom. Comment faisaient les superviseurs et les Archanges pour gérer ces voix dans leur tête ? C'était atroce. La voix de Baskiel bourdonnait entre mes tempes.
J'ai appris quelque chose. Il faut qu'on parle au plus vite.
Son ton urgent et inquiet me tordit l'estomac. Quoi qu'il ait trouvé, ça n'était rien de bon. Je me frottai le front. Qu'est-ce que que cette mission pouvait bien cacher de plus ?
Mon attention retourna vers Beahan qui continuait de fouiller les livres. Pourquoi fallait-il que la plupart des ouvrages aient un index ? Ça lui facilitait la tâche et je me retrouvai pris entre deux feux, pressé par le temps de prendre une décision.
- Qu'est-ce que... ?
Je m'approchai pour voir quel livre faisait ainsi réagir mon protégé. Dans ses mains, il tenait The Black Arts de Richard Cavendish. Dessous, The Lesser Key of Solomon dévorait The Book of Laws.
- Mais qu'est-ce que tu fous avec ça, Ava ?
Il était totalement désemparé. Je pouvais presque entendre toutes les questions qui se bousculaient dans son crâne. Allait-il se rendre compte que je n'étais l'initiateur de ce qu'il s'était passé ? C'était elle qui avait eu l'idée. Je ne lui avais pas encore demandé son aide qu'elle avait déjà été voir cette sorcière qui avait refusé de l'aider. D'accord, je n'avais pas cherché à la dissuader mais je n'aurais pas cru que les choses escaladeraient aussi vite. Surtout que le sort qu'elle avait lancé était censé être inoffensif. J'avais beau ne pas m'y connaître des masses, faire tourner un pendule au-dessus d'une carte n'aurait jamais dû mener à ça !
- Bon sang, c'est quoi ce bordel ?
Beahan s'était désintéressé des livres pour s'occuper d'une pile de documents imprimés. Il les survolais, de plus en plus abasourdi. Je me penchai pour voir ce que c'était. Lire à l'envers n'était toujours pas quelque chose d'aisé à faire mais je parvins à comprendre de quoi parlaient les documents.
Chaque page donnait des renseignements détaillés sur tous les rituels qui avaient été proposés par le site A Season In Hell. Les instructions, les effets, les origines aussi parfois. Tout ce qu'elle avait pu trouver sur chaque rituel était inscrit sur ces feuilles. Sur certaines, elle avait inscrit quelques notes. Beahan changea de page trop vite pour que je parvienne à les décrypter.
- Bordel, Ava ! Pourquoi ne m'as-tu rien dit ?
C'était l'occasion pour moi de lui montrer la carte et le pendule. Je les avais laissés là où je les avais cachés. Je frappai dans le mur. Mon protégé sursauta et quelques feuilles tombèrent à ses pieds.
- Je t'ai dit de dégager. T'es pas con, tu sais pourquoi je suis là. Alors casse-toi.
Je donnai un nouveau coup dans le mur. Il serra les dents et froissa les papiers qu'il ramassait.
Il lui fallut un moment pour céder. Sa curiosité était trop forte. Le fait qu'elle concerne sa meilleure amie ne l'aidait pas à résister. S'il y avait une chose que j'avais compris chez mon protégé, c'était qu'il avait besoin de savoir. C'était viscéral.
Il trouva aisément la carte et le pendule avec les croix au crayon gris. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre à quoi tout cela menait. Comme par habitude, il fit ses déductions à voix haute pour que je les entende.
- Ça, c'est l'endroit où on a vu cette femme... Donc ça, c'est l'endroit où le pendule s'est arrêté. L'endroit où se cache cette enflure. C'est ça, pas vrai ?
J'aurais voulu lui dire que oui, c'était tout juste, mais il ne m'aurait pas entendu. Il allait devoir comprendre mon assentiment par le silence.
- C'est ça qu'elle faisait, n'est-ce pas ? Quand elle a perdu connaissance. Elle cherchait après l'entité qui a pris possession de cette femme. Qui doit être à cette adresse.
Son ton s'était affaibli tout du long. Par moment, j'avais vraiment envie de savoir ce qui se cachait dans son esprit. Ça m'aiderait à savoir comment réagir ou quoi faire. Ou me préparer.
- Elle ne pouvait pas savoir pour cette femme. Je ne lui ai rien dit. Donc c'est forcément toi qui lui as dit. Pourquoi ? Pourquoi as-tu fait ça ?
- Parce qu'elle avait un moyen supposément inoffensif de trouver quelque chose, soufflai-je.
Il tourna la tête vers moi. Sa capacité de me trouver continuait de me perturber. Je n'arrivais pas à m'y habituer. Il n'était pas censé pouvoir sentir ma présence à ce point. Une acuité pareille n'avait rien de normal.
- Je ne peux pas donner cette adresse à la police, reprit Beahan sans plus se préoccuper de moi. Ils refusent déjà de m'écouter pour le reste alors ils ne m'écouteront pas pour ça. Il va falloir que je m'en occupe seul.
Je donnai un coup de pied dans le mur contre lequel je m'appuyais. Il sursauta et grimaça.
- Ok, ok. On s'en occupera, je suppose. Ne t'attends pas à des excuses avant que Ava ne se soit réveillée et qu'elle ne m'ait raconté ce qu'il s'est réellement passé.
Je roulai des yeux. Il pouvait se montrer mesquin lorsqu'il était en tort. C'était bon à savoir. Je pouvais me préparer à ne jamais l'entendre dire qu'il avait eu tort ou qu'il était désolé. Je pouvais sentir les changements dans son énergie. Le sentiment était là mais il était trop fier pour dire les mots. Comme beaucoup d'humains. S'excuser ou assumer ses erreurs n'étaient pas le fort de l'humanité.
Beahan s'assit à terre et renversa sa tête en arrière. Je ne pus que regarder. Cette position transformait son visage et mettait en valeur sa pomme d'Adam.
Je fermai les yeux et luttai contre la distraction. Je ne pouvais pas me laisser distraire. Assurément pas comme ça. C'était la pire idée que je pourrais avoir. Je devais rester concentré sur ma mission et sur la protection de mon protégé. Nous allions trouver ce sorcier, j'allais m'en occuper et je retournerais aux Cieux pour obtenir un nouveau protégé. C'était ainsi que ça devait se passer et ça serait ainsi que ça se passerait. Pas autrement.
- Bon. Je vais aller voir à l'hôpital s'il y a des nouvelles pour Ava et je verrais pour trouver un Uber pour aller à l'adresse que vous avez trouvée. Vu le trajet, je vais galérer à trouver un chauffeur.
Il se hissa sur ses jambes d'un mouvement souple et ample. Je l'imitai plus gauchement, devant compter sur le poids de mes ailes pour me déséquilibrer. Sans le vouloir, l'une de mes ailes rasa le haut de sa tête. Il se plia en deux et regarda au-dessus de lui, les pupilles écarquillées.
- Qu'est-ce que c'était que ça ?
J'eus envie de rire face à son air effaré. Il se redressa et regarda dans ma direction, les sourcils froncés.
- C'était toi ?
Ma seule réponse fut d'ouvrir la porte pour le faire sortir de la pièce. Il hésita avant de céder. Il verrouilla la maison avant de repartir vers l'hôpital en auto-stop. Je n'aimais pas particulièrement cette méthode de transport. Surtout avec son bras dans le plâtre. Je ne doutais pas qu'en temps normal il devait pouvoir se défendre mais avec ses blessures ? Il n'en faudrait pas beaucoup pour qu'il se fasse maîtriser. Il fallait qu'il se pense un peu plus à sa sécurité. Au moins le temps qu'il guérisse. J'avais beau être là, je n'étais pas infaillible et s'il ne faisait pas le début du travail, je n'allais rien pouvoir pour lui.
Il monta à l'arrière d'un van familial et s'installait entre deux sièges pour enfants. Je me retrouvai plié en deux, mal assis sur l'un des rehausseurs heureusement vide. Voilà où en était arrivé mon boulot...
Le conducteur, un vendeur en magasin de bricolage au vu de son uniforme, et sa femme, discutèrent avec Beahan jusqu'à ce que son téléphone sonne. D'un sourire, il s'excusa auprès du couple avant de décrocher.
- Allô ? [...] Oui, c'est bien moi. [...] Pardon ?!
Son expression m'inquiéta. Il s'était passé quelque chose. J'espérais que ça n'avait rien à voir avec la sorcière. Les nouvelles ne semblaient pas bonnes du tout, en tout cas.
- Je vais tenter de venir au plus tôt, dans ce cas. Merci de m'avoir prévenu.
Il raccrocha et garda les sourcils froncés. Il se pencha entre les sièges, la contrition lisible sur ses traits.
- Je suis désolé de vous demander ça mais vous pourriez m'arrêter au poste de police ?
- Oh, bien sûr ! s'exclama le conducteur. Rien de grave, j'espère ?
Il ne répondit que par une grimace qui trouva son écho sur le visage du couple.
Mon esprit tournait à toute vitesse. Que s'était-il passé pour qu'il soit appelé pour aller voir la police ? Après tout, ils ne le croyaient pas. Pour quelle obscure raison lui demandaient-ils de venir ?
Et avec la présence des deux autres, il ne pouvait rien me dire. Ils l'auraient pris pour un fou à parler tout seul.
- J'espère que ce n'est pas un membre de votre famille, reprit la femme en regardant par-dessus son épaule. Il n'y a rien de pire.
- Non, ce n'est pas de la famille.
- C'est déjà ça !
L'air désabusé de mon protégé me fit compatir. Ces gens n'imaginaient pas ce qu'il faisait pour gagner sa vie. Je devais admettre qu'il n'avait pas la tête de l'emploi, si l'on se basait sur les clichés modernes. Selon les stéréotypes populaires, il aurait plus eu sa place dans un ranch. Et encore. Il avait plutôt l'allure de quelqu'un dont le travail était manuel. Avec ses yeuxbleus et ses cheveux blonds, il pouvait être vu comme un produit scandinave. Le parfait mélange deviendrait donc, toujours selon les clichés courants, monteur de meubles chez Ikea.
J'ignorais si j'avais plus envie de rire ou pleurer à l'idée.
Le van s'arrêta finalement devant le poste de police de Hot Springs. Je collai mon protégé dès qu'il franchit le seuil. J'ignorais à quelle version de Blueminster nous allions avoir affaire. Dans tous les cas, il allait falloir que je veille au grain.
Dans le bureau, Blueminster ne fit rien qui me laissa savoir qu'il me voyait. Il sourit à Beahan, lui serra la main et le fit s'asseoir en face de lui. Je me postai juste derrière sa chaise. Je pourrais agir si jamais l'officier tentait quoi que ce soit.
Cependant, il n'agissait pas comme il l'avait fait chez mon protégé. Il sortit un dossier et le poussa vers son vis-à-vis qui l'ouvrit.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Une nouvelle affaire. Un collègue de Memphis m'en a parlé. Elle n'aurait pas dû mettre ses mains sur ce dossier mais il répondait à des questions que je lui avais posées. Pour elle, ça avait tout à voir avec les affaires que vous m'avez apportées donc elle m'a envoyé une copie du dossier d'un collègue du Texas.
Je me penchai pour regarder par-dessus la tête de Beahan pour voir le dossier. Des photos glissèrent sur les genoux de mon protégé. Une scène de crime terriblement... calme. Un salon, six jeunes adultes, tous morts. Au milieu, une table couverte de bougies noires et rouges, une feuille de papier avec un sceau de Salomon inscrit au marqueur. Au centre du sceau, du sang. Sur d'autres photos, je pus discerner des bouteilles d'alcool.
Ils avaient fait ça pour s'amuser. Apparemment, c'était une pratique assez courante de chercher à communiquer avec des esprits, bons ou mauvais, lors de soirées entre amis. J'avais même vu des gens assez idiots pour se faire de l'argent en filmant divers rituels paranormaux et en les postant sur Internet. Je ne savais pas si c'était plus pathétique ou ridicule.
Le pire était tous ces gens qui y croyaient. Certes, ils avaient raison. Ces choses existaient. Sauf qu'ils avaient été mis sous clé plusieurs millénaires auparavant. Depuis, l'humanité aurait dû oublier leur existence et cesser de croire en eux.
- Que s'est-il passé ?
- On en sait rien. Un ordinateur était ouvert sur cette page.
Il tourna les feuilles dans le dossier jusqu'à une capture d'écran du site A Season In Hell qui expliquait comment invoquer des Princes de l'Enfer à travers le Sceau de Salomon. Je songeai aussitôt au livre acheté par Ava. Si ce rituel était réel, je devrais pouvoir le retrouver dans le livre.
Cependant, il y avait une chose que j'avais apprise sur la sorcellerie : personne ne la pratiquait de la même manière. Même ceux qui suivaient un même chemin pouvaient avoir des manières de faire différentes. Donc, ce rituel pouvait très bien être tiré du livre comme dérivé ou totalement inventé pour être plus accessible.
Quant à leur efficacité... Vu qu'ils étaient tous morts... La déduction était assez aisée à faire.
- C'est le petit ami de Johan Cagaran qui a alerté la police en les trouvant comme ça. Il les croyait endormis mais il a vite compris qu'ils étaient tous morts. Il est traumatisé. On n'a rien pu tirer de lui si ce n'est que Johan n'était pas le genre à faire un tel rituel. Il ne comprend pas pourquoi il a fait ça.
- Comment sont-ils morts ?
- La seule explication du légiste a été de dire qu'ils sont morts de peur.
Mon protégé releva la tête pour regarder l'officier. La perplexité de ce dernier était lisible.
- En dehors de leur expression de terreur, il n'y a aucune raison à leur mort. Ils étaient en parfaite santé, ils ne portent aucune blessure, aucun problème cardiaque, rien. Ils sont juste... morts.
Mon protégé lut grossièrement le rapport du légiste sur l'un des étudiants, semblant chercher une raison à la mort de ces six jeunes. Il n'en trouverait pas. Il n'y en avait pas. Ou, plutôt, il y en avait une mais elle n'avait rien de rationnel.
Comme pour se raccrocher à la réalité, Beahan changea de sujet.
- Il y a une chose que je ne saisis pas, fit remarquer mon protégé. Pourquoi m'avait contacté ? Vous m'avez bien fait comprendre que vous ne croyiez pas à ma théorie. Alors pourquoi cet appel ? Pourquoi partager vos informations avec moi ?
- Je ne sais pas à quoi vous faites référence. Je ne me souviens pas avoir émis le moindre jugement sur votre enquête. Pour tout vous dire, j'ai soigneusement étudié votre dossier en parallèle de l'enquête sur le jeune homme qui a percuté votre voiture. Enquête pour laquelle nous ne trouvons absolument rien. Si je dois être honnête, ce garçon semble ne pas exister ailleurs que sur ce site occulte.
- J'en suis arrivé à la même conclusion. Il n'en reste pas moins que, lors de votre visite chez moi, vous m'avez assuré de toutes les façons possibles que vous ne croyiez pas en le lien que j'ai trouvé entre tous ces cas. Comment avez-vous formulé ça, déjà ? Ah, oui, « je ne vais pas m'intéresser à un site pour ados boutonneux et mal dans leur peau en mal de sensations. »
Blueminster s'enfonça dans son siège et secoua la tête.
- Je ne suis jamais venu chez vous, monsieur Beahan.
Un frisson glacé dévala ma colonne vertébrale.
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NdlA : Ooooooooooooooooooh ! Mais que se passe-t-il ?!
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