Chapitre 5 : Une boule de cristal

KALLY

Après que l'armoire ait trépassé, j'avais un peu l'appréhension de quitter ma chambre. Je n'étais pas responsable de l'accident du meuble mais mon instinct me conseillait de laisser souffler un peu mon frère avant de quémander un peu de nourriture.

J'en profitai pour me faire un brin de toilette dans la salle de bain. Je pensai à bien verrouiller derrière moi et je tentai de me rafraîchir avec le peu de moyen que j'avais à ma disposition : de l'eau, un gel douche oublié et des mouchoirs en papier.

Mon estomac réclamait toujours un bon repas et il commençait fort à s'impatienter, ce qui me décida à affronter la bête qui devait ruminer au rez-de-chaussée.

J'empruntai les escaliers quand soudain je fus presque renversée par un éléphant barbu qui déboulait les escaliers :

- Désolé ! dit-il, en poursuivant sa course.

Je n'avais pas le temps ni la force de le poursuivre pour lui inculquer les bonnes manières. Il fallait absolument que je trouve mon frère car ma vie en dépendait tant mon estomac se tordait de douleur.

Je stoppai ma descente à la dernière marche car mon oreille fine avait détecté des hommes qui discutaient autour d'une partie de billard. Des mots comme sa sœur, le boulet, force surhumaine, pendaison, trou, désert ... avaient capté mon attention. Etais-je le sujet de leur conversation ? Mon visage s'empourpra. Je m'apprêtai à en découdre mais je fus stoppée dans mon élan par la voix de mon frère. Il avait surgi de l'aile voisine.

- La cuisine est de ce côté.

Je rebroussai chemin et le suivit docilement jusqu'à la cuisine. Elle était immense et moderne, discordant avec ce que j'avais vu des autres pièces de la maison : frigo américain, plaque à induction, hotte design, de nombreux placards. Un vrai petit bijou pour les amateurs de petits plats.

Je montai sur un tabouret en métal près de l'îlot central et attendait sagement que mon frère finisse ce qui semblait être une omelette. Cuisiner n'avait jamais été son point fort mais aujourd'hui, j'étais prête à sacrifier le goût pour satisfaire mon estomac.

Pendant qu'il écrasait l'omelette pour je ne savais quelle raison, je profitai de ce moment d'apaisement pour tenter un pas vers la rédemption.

- Je te demande pardon, Jex.

Je poursuivis timidement après avoir entendu une sorte de grognement de bête.

- Tu sais pour le tatouage ?

Il se retourna lentement et me fusilla du regard.

- C'était un accident. L'incident de la statue m'a pertubée... et voilà...

Il s'avança avec la spatule en métal dans sa main et commença à l'agiter.

- Et voilà ?! C'est tout ce que tu trouves à dire ?

Il avait enfin recouvert sa voix mais le ton était franchement inamical. Ma rédemption avait complètement échoué.

Jex était un sanguin, qui était capable de ruminer des jours entiers pour des broutilles. Enfant, il piquait toujours une colère titanesque puis pinçait les lèvres des jours durant.

Je pensai que ses nerfs lâchaient car il poursuivit en hurlant :

- Tu lui tatoues un cul et voilà ? !

Je me tassai sur le tabouret. Il fallait avouer que cette fois, j'avais un peu honte. Primo, Harps m'intimidait avec ses yeux verts, j'avais été à la limite de la panique. Toucher sa peau avait été une expérience électrisante. Je m'étais fait violence pour ne pas caresser chaque tatouage de son dos magnifique.

Secundo, Jack m'avait parlé de la statue. Mon esprit avait dévié et je m'étais mise à tatouer un derrière.

Tercio... Pas de tercio. J'étais victime d'un ensorcellement. Cette histoire tenait-elle la route ?

Je pris l'air le plus contrit :

- Je suis désolée.

Jex ricana, pas très convaincu par mes excuses.

- Harps s'est pété le crâne. Tu as bien failli le tuer ! m'accusa-t-il en brandissant la spatule.

- Il est tombé tout seul... murmurai-je pour tenter de me défendre. Si tu ne m'avais pas empêché de ramasser les débris de la statue...

Ce fut à ce moment que j'avais déclenché une irruption. Jex explosa de fureur en agitant la spatule dans tous les sens.

- Tu n'es pas croyable !

Il eut comme un bug où il semblait avoir perdu le cheminement de sa pensée.

- Bbb

Il respira plusieurs fois pour retrouver son calme ou pour éviter le chapelet d'injures qu'il me destinait. Il reprit d'une voix menaçante :

- Je t'avertis Kally. Si tu crées ne serait-ce qu'un micro cataclysme, je t'enferme dans la cave.

Je déglutis. Qu'est-ce qu'il pouvait être rancunier ! Dans tous les cas, il faudra que je tente de faire profil bas pour les prochaines semaines. L'idée de me retrouver dans la cave ne m'enchantait pas plus qu'un retour au bercail.

Soudain une odeur me piqua les narines. Une épaisse fumée s'échappait de la poêle et mon omelette avait viré au noir.

- Jex ! L'omelette est en train de brûler !

Il se retourna et s'empressa de retirer la poêle du feu.

- Fais chier ! pesta-t-il entre ses dents.

Il mit l'omelette dans une assiette et la posa bruyamment devant moi. Ce fut ce moment que choisit le président du club des Black wolves pour pointer le bout de son nez. Il semblait fatigué, traînant la patte comme un ours blessé. Mais malgré le fait qu'il n'était point en forme, il dégageait un charme magnétique. Ses cheveux bruns mouillés et ébouriffés, son tee-shirt gris dessinant un corps parfait, son jean lui moulant des fesses bien fermes...enfin tout était un appel à la damnation. Il avait un côté sauvage et insaisissable. Ce mec frisait la beauté indécente. À n'en point douter, il était un prédateur expérimenté, le genre de bonhomme qui n'avait pas besoin de chasser pour trouver des femelles. Un simple claquement de doigts devait suffire à les faire tomber à genoux.

Je plongeais ma fourchette dans l'omelette. Je tentai de savourer la première bouchée mais je me fis violence pour ne pas tout recracher. Le plat était vraiment mauvais.

Sans un seul regard dans ma direction, Harps s'avança vers mon frère.

- C'est quoi cette odeur ? demanda-t-il un peu inquiet.

Il devait craindre un incendie à la vue de la fumée qui embrumait la cuisine.

- Jex a fait brûler mon omelette, répondis-je avec la bouche pleine, n'ayant pas réussi à avaler.

Lentement, Harps se tourna vers moi. Il arqua un sourcil, surpris de s'apercevoir que je n'étais pas loin. Il grommela quelque chose que j'eus du mal à comprendre. Mais je crus entendre le mot « bûcher ».

Après avoir ouvert une fenêtre pour aérer, il prit deux verres dans un meuble en hauteur. Il se servit de l'eau au frigo américain et plongea une aspirine dans chaque verre. Il en tendit un à mon frère, cette fois sans me quitter des yeux.

- Merci bro, j'ai la migraine, se plaignit mon frère.

Harps passa la main sur sa tête.

- J'ai l'impression qu'on m'a explosé la tronche avec une batte de baseball, confia-t-il à Jex.

- T'inquiète pas, ça ira mieux dans quelques jours.

Harps me fixa d'un air las.

- Je ne sais pas mec. Quelque chose me dit que je devrais souscrire une assurance accident de la vie.

Je plongeai rapidement mon nez dans mon assiette et reprit une bouchée. Il fallait absolument que je me retienne de rire.

Soudain, un grand biker avec des cheveux bruns mi-longs emmêlés déboula dans la cuisine, une rose écrasée dans les mains. Il était dans une rage indescriptible. La colère lui déformait son visage et il soufflait fort à travers ses dents jaunes serrées.

- Qui a osé jeter sauvagement ma rose ? Si je trouve l'enfoiré qui a fait ça, je le scalpe !

Mon frère se tourna vers moi et me fixa, genre « Tu vois, je t'avais averti. Tu vas y passer. »

Le biker s'aperçut de ma présence et s'approcha de moi en deux enjambées. Harps me sourit, ne cachant point son amusement.

- Toi ! Tu crois que parce que tu as deux mamelles, je ne te toucherai pas ? demanda-t-il en me pointant sèchement avec sa rose, qui perdit deux pétales.

Je secouais la tête, impressionnée par sa taille et son agressivité. J'avalais la bouchée et réussis à articuler calmement.

- Ce n'est pas moi, c'est lui qui l'a jetée ! Jex a même écrasé les pétales avec sa chaussure.

Je pointais la fourchette vers mon frère qui s'était liquéfié.

Vraiment, je ne sais pas à quoi Jex pensait quand il a jeté la belle rose. Il aurait dû savoir que son pote le prendrait mal. J'étais certaine que dans les minutes qui allaient suivre, le crâne de mon frère luirait comme une boule de cristal. 

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