Chapitre 37
Kally
En ouvrant la fenêtre, l'air s'engouffra dans l'habitacle. Les cheveux au vent, le soleil dardant ses jolis rayons, un sentiment de liberté m'envahit. Une liberté enivrante, salvatrice de la morosité de cette vie au ranch. Le ciel ne m'avait jamais paru aussi bleu, aussi clair. Un sourire de bien-être éclaira mon visage.
Je savais que Matt me retrouverait et me ramènerait dans cette prison dorée où l'on m'avait enfermée. Il avait le flair d'un pachyderme pour me débusquer. L'excuse que j'avancerais devra être bien ficelée et dramatique.
« Les événements traumatisants avaient fendu mon cœur trop sensible. Le baiser torride dans la cuisine, les bagarres... tout cela avait meurtri ma petite âme et tel un animal blessé, je m'étais enfuie pour me cacher. » Pensez-vous que j'arracherai une larme à ce froid démon ? Peut-être devrai-je accentuer le côté poignant de cette tragédie gargantuesque. La mine décomposée, le regard perdu... une idée à creuser. Mais pour l'heure, je jouissais de quelques instants devant moi et les retombées de cette nouvelle infraction au code attendraient le moment venu.
Et la vingtaine de bikers en colère ? me demandez-vous avec angoisse. Aucune chance qu'ils n'effleurent ne serait-ce qu'un de mes cheveux. Matt veillait toujours sur sa petite princesse. Donc, tout allait pour le mieux !
En prenant la direction de la rivière de Keaten Bridge, j'avais quitté la voie principale pour m'engager dans un petit chemin de terre qui serpentait à travers les arbres. Je roulais longtemps, m'enfonçant dans l'épaisse forêt. Je ne craignais pas l'isolement. Justement, je la cherchais !
Soudain le chemin se termina par un pont étroit en pierre qui ne me semblait pas bien solide. J'arrêtai le véhicule et j'ouvris la portière pour en descendre. Un panneau indiquait que la route était barrée car un parapet s'était effondré lors des dernières intempéries. Il n'était question de retourner en arrière ! Mon temps était précieux. Le serveur du bar que j'avais rencontré avant que cet épineux ne vienne gâcher ma journée, m'avait certifié qu'il y avait un petit village abandonné près de la rivière. Des chercheurs d'or avaient déserté les lieux car la rivière n'était pas assez aurifère. Des photos seraient intéressantes à prendre dans ce décor de ruine.
La végétation était plus clairsemée à cet endroit. Je m'avançai vers le pont. La rivière coulait en contrebas et l'eau miroitait avec les rayons du soleil. Seul le gazouillis des oiseaux brisait le silence de cet endroit abandonné par les hommes. Un chemin semblait longer le cours d'eau, bordé d'un côté par des arbres et de l'autre par des arbustes épineux. Je ramassai une ancienne pancarte avec le nom du village « Keaton Bridge 15 km ». Cette route en terre devait mener également au village.
Je retournai vers ma voiture et redémarrai. Mais mon véhicule n'avait pas parcours cinquante mètres que trois motos et un gros SUV noir surgirent à vive allure, dans un nuage de terre. Je dus piler pour éviter de les percuter. Mon regard fut attiré rapidement par leurs blousons en cuir qui différaient des Black Wolves. J'eus un mauvais pressentiment : cette journée ne se déroulerait pas encore comme prévu.
Un gars costaud descendit de sa moto et se pointa devant mon véhicule. Je reconnus le chauve de l'hôpital. Aucun doute possible.
- Et toi, la miss. Faut qu'on parle. Descends de ton véhicule ! me lança-t-il fermement comme dans un vieux nanar du siècle passé.
Les deux autres gars étaient tout aussi terrifiants. Mines patibulaires, regards cruels, un rictus au coin des lèvres. Et surtout ils étaient armés. Décidément, je ne pouvais jamais profiter d'un bon moment de tranquillité, loin de toute agitation !
Je le gratifiai d'un beau sourire accompagné d'un majeur puis je passai la marche arrière. Son visage se fissura et il pesta quelques injures. Je reculai rapidement mais ma voiture percuta une autre moto qui venait en sens inverse. Moi qui pensais que ce chemin était désert, éloigné de toute civilisation...
Le choc fut violent et le gars fut projeté au-dessus de mon véhicule. Il me semblait reconnaître la tête de l'épineux. Nos regards se croisèrent une fraction de millième de seconde. Aussi court que pouvait être ce moment, je captai toute son affliction. Je pouvais même entendre la voix dans sa tête « Bordel, sale sorcière ! ». Il se tanqua tout entier dans un arbuste épineux. Seules ses chaussures restaient visibles.
Je m'empressai de sortir de ma voiture pour accourir vers le biker, craignant de l'avoir tué. Les autres motards restèrent à distance, trop abasourdis pour s'approcher. Un long gémissement provenant de l'arbuste me rassura. L'épineux, qui n'avait jamais aussi bien porté ce surnom, respirait encore.
- Je vous le répète encore, dit le chauve d'un ton las, cette nana ne va nous apporter que des ennuis.
Oubliant les gars qui m'observait, je tentai d'extirper l'épineux de son arbuste en tirant sur ses chaussures. Mais l'une d'elle finit par me rester dans les mains. Je la jetai par terre et j'attrapai cette fois une cheville.
- Putain, elle ne l'a pas loupé, ajouta un gringalet qui était descendu de sa moto. Ce n'est pas le président des Black Wolves ?
- Si, répondit le conducteur du SUV en ouvrant la portière.
En sortant, il cracha un chewing-gum et plaça une cigarette sur ses lèvres. Le troisième biker siffla.
- La vache ! Le mec n'est même pas mort ! Il remue encore.
- Il a dû subir un entraînement de fou pour résister à pareille chute, dit le gringalet.
- Bon, arrêtez vos conneries et allez me chercher ce connard, lança le passager du SUV en sortant à son tour.
Torres, le gars à qui j'avais offert le bouquet de fleurs. Son visage était plus sombre que les autres et il me fixa avec une haine non dissimulée. Voilà où menait la gentillesse !
Le chauve et le gringalet s'avancèrent vers l'épineux en me bousculant. Je tombai lourdement sur les fesses. Leur lançant le plus terrible des regards, je pestai un peu fort.
- Croc-magnonsaurus !
Le gringalet se retourna. Il était vraiment moche. Des yeux petits, un nez volumineux et crochu, une bouche énorme avec des dents de lapin, quatre cheveux sur le caillou.
- T'as dit quoi ?
- Faut te curer les oreilles avec la brosse à chiotte si tu es sourd !
En une enjambée, il me rejoignit et m'empoigna le bras très fort pour me relever. Je grimaçai. La main de ce chameau laisserait certainement son empreinte sur ma peau.
- Ce n'est pas dans le trou de tes oreilles que j'ai envie de te fourrer la brosse à chiotte, me lança-t-il avec rage.
- Assez, Boco ! intervint Torres, en perdant patience. On ne va pas y passer la journée.
Je ne pus m'empêcher de rire.
- Sérieusement, Boco ? Ce n'est pas le nom d'un bourricot ?
Le gars n'apprécia pas, mais alors pas du tout. Aucun sens de l'humour. Il serra ses grosses dents et j'aurais pu facilement deviner son repas de la semaine.
- T'inquiète pas, gamine. Bientôt je m'occuperai de toi, me chuchote-t-il.
Il me jeta par terre d'un geste brusque et rejoignit le chauve qui ne parvenait pas à extraire l'épineux de l'arbuste. Alors que je me frottai mes mains égratignées, je me faisais un point d'honneur à venger cette humiliation. Ce bonhomme méritait une leçon de rééducation.
Quand les deux lascars parvinrent à récupérer l'épineux, j'eus un petit pincement au cœur. Il était couvert d'égratignures, parfois un peu profondes. De nouveau, il ressemblait à un hérisson, comme ceux qu'on croise aplatis et morts parfois aux bords des routes. Il était couvert d'épines, aussi longues que des aiguilles.
Il cracha une petite branche, avec colère. Sa balade en moto s'était vite écourtée pour se transformer en un numéro de cirque raté.
Je m'approchai de lui pour lui retirer les épines sur ses lèvres.
- Mais qu'est-ce que tu fais ici ? lui demandai-je en chuchotant.
- Merde, il en a même sur les paupières, lança le conducteur du SUV.
Avant que Harps ne réponde, je rajoutai.
- Attends, souris ! tu en as une entre les dents.
Il grimaça avec peine et je lui retirai l'épine entre ses deux incisives. Pendant ce temps, Torres s'était avancé.
- Pas le temps de l'épiler ! Jetez-moi l'enfoiré dans le coffre et faites monter la demoiselle à l'arrière du véhicule, ordonna-t-il à ses acolytes. Je lui suis redevable à cause d'un bouquet de fleurs.
- Je jure que je vais te tuer, la mioche ! me lança Harps, oubliant grossièrement ses ennemis.
Tout en gardant les paupières closes à cause des épines, le pote de mon frère continuait ses menaces.
- Tu vas regretter d'avoir voulu me tuer, sorcière !
- Je n'ai pas essayé d'intenter à ta vie, l'épineux ! Tu t'es jeté sur mes roue. Et puis, je te rappelle que nous ne sommes pas seuls.
- M'en fous, je vais te buter quand même, cria-t-il en s'énervant. Espèce de cinglée !
Je me redressai sur mes jambes et posai mes mains sur les hanches.
- Vicieux personnage ! Tu me suivais comme un gros pervers ? demandai-je calmement en haussant un sourcil.
L'épineux se mit debout à son tour en grimaçant. Il était aveugle comme une taupe avec ses yeux fermés. Il ricana et sa voix prit de l'ampleur, se moquant de se rendre en spectacle devant un public médusé.
- Tu as bousillé ma bécane et défoncé le portail !
Il avança d'un pas menaçant, nageant dans une rage indescriptible. Ses muscles étaient tendus, ses mâchoires contractées.
- Je vais mettre un terme à tes maléfices, démone, et j'exhiberai ta carcasse à l'entrée du ranch ! Sorcière ! Tu as fait de ma vie un enfer !
Il tenta de m'agripper mais Torres l'assomma avec la crosse de son révolver. Les jambes de l'épineux s'entortillèrent pour réaliser une pirouette et il tomba inconscient, la face dans la terre.
- Cette tragédie était d'un mortel ! lança le Torres tout fier.
Après une seconde de surprise, je fermai mes poings avec force et je lançai une droite vers le visage de l'agresseur. Ce dernier para l'attaque avec une facilité humiliante.
- Tss tss tss, la miss. Garde ton courage pour l'interrogatoire, me conseilla Torres avec un rire sadique.
Je me sentis soulever et jeter comme un sac de patates sur l'épaule du troisième biker. Grand et costaud, je ne devais pas peser bien lourd pour un gaillard de ce gabarit. Dans un geste de frustration, je tambourinai son dos avec mes poings, mais je devais être ridicule : il ne devait même pas les sentir tant sa musculature était impressionnante.
Il me déposa ensuite sur les sièges arrière du véhicule pendant que Harps était traîné par un pied pour être jeté ensuite dans le coffre. La journée s'annonçait désastreuse. Cette fois, Matt se mettrait vraiment en colère. Je ne donnais pas cher de la tête de ces bikers et ni de la mienne d'ailleurs. L'échafaud m'attendait patiemment avec le couperet de la guillotine. Je posai un coude contre la vitre fumée et je fermai les yeux. Matt sera sans pitié. Des images affluèrent de mon passé : Jex avec ses doigts cassés, Jex étalé dans le jardin, Jex traîné dans les escaliers, Jex suspendu contre un mur... Que me réservera-t-il ? Kally dans une cellule au fin fond d'une cave d'un château fort ou en haut de la plus haute tour du monde ? Peu importait de l'endroit qui serait ma prison, la sentence serait terrible.
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