HARPS

Tôt ce matin, j'avais rassemblé mes gars pour une réunion extraordinaire. J'avais exposé mes suspicions à l'égard du dégénéré. Pendant que je m'étais exprimée, personne n'avait osé parler de la sérieuse humiliation de la veille au soir. En arrivant au bureau, seul Sax m'avait fixé un moment, détaillant mon œil encore gonflé et violacé, le bleu sur ma joue et la balafre sur mon visage. Il avait serré les dents. Je savais qu'il brûlait d'attraper le cinglé. Mais il avait compris que je règlerais cette affaire quand j'aurais un moment, dussè-je y laisser la vie.

J'avais ruminé toute la nuit ma cuisante défaite. Mais je me faisais un point d'honneur à régler cette dette. Ce grand malade devait payer l'affront. Il ne pouvait en être autrement. Mon orgueil avait été encore une fois bafoué.

Le crayon que je tenais dans mes mains se brisa. Je rêvai de péter les dents parfaites de cet enfoiré. Je bouillonnai de rage. Un jour, je pilonnerai sa tête avec mon poing et j'offrirai sa dépouille aux vautours. Je me jurai de ne pas mourir avant d'avoir réglé le compte de ce démon.

Je fixai la chaise vide en face de moi. Cette même chaise où le cinglé avait posé son cul la fois dernière. Après la démonstration de sa force, personne n'avait osé s'y asseoir, craignant le retour inopiné du diable. Au petit matin, l'enfoiré avait disparu, je ne savais où, mais je me fichais qu'il continuât à faire cavalier seul. Qui voudrait se farcir sa compagnie ?

- Lan, tu prévois un stock de nourritures pour accueillir les gars, ordonnai-je d'un ton qui n'admettait aucune contestation. Demande à Binny et Jimmy de nettoyer les dortoirs pour accueillir les gars. Faudra qu'il s'occupe également des deux bungalows vides pour la famille de Rob et Bico.

Rob était mon comptable et Bico tenait un garage qui customisait les bécanes pour les rendre plus personnelles. Il y avait deux ans, il avait repeint en noir mate ma Harley et avait remplacé quelques pièces. Ce mec bossait vraiment bien.

Rob et Bico avaient fondé chacun une famille. Marié à Charlaine, Rob jonglait entre la gestion des comptes du club et ses deux gosses. Sa femme Charlaine travaillait dans la restauration rapide et elle rentrait tard le soir. Ce qui poserait un problème pour sa sécurité.

Quant à Bico, il avait pris une régulière, Greta. Il l'avait fichu en cloque et en bon chrétien qu'il était, avec tous ses principes à la con, il avait officialisé sa relation. Nous étions certains qu'il n'était pas le père de l'enfant. Le gars et la mère aussi blanc qu'un cul avaient engendré un beau gars au couleur chocolat et cheveux frisés. Mais Bico était accro de cette nana. La merde dans ses yeux l'empêchait de raisonner avec clairvoyance. Le marmot ressemblait pourtant davantage à son ancien apprenti qu'à lui-même.

Avec le danger qui pointait à l'horizon, les deux familles devaient regagner le ranch. La sécurité des membres des bikers étaient une priorité. Jack nota mes ordres sur le tableau blanc et je poursuivis en me tournant vers Sylver qui croisait les bras.

- Dès ce soir, tu fermes le garage à 17 heures.

Sylver acquiesça d'un hochement de tête et je poursuivis.

- Bart, tu renforces la sécurité du bar avec Bill et Gros. Ils arriveront dans l'après-midi et seront donc opérationnels dès 19h, à la grosse affluence.

Bill et Gros étaient deux nomades, tous deux allergiques à la vie en société. Ces marginaux avaient cependant juré fidélité au Club et faisaient partie intégrante de nos frères. Jack les avait contactés la veille pour qu'ils rejoignent le ranch au plus vite. J'étais certains qu'ils désireront pioncer dans les dortoirs, un petit baraquement que nous avions construit derrière les garages. C'était là que logeaient mes prospects, en attendant d'être intégrés.

- Jack, Adam et Clint, vous récupérez les armes de l'entrepôt. Sax vous prépare une feuille de route pour sécuriser votre trajet et protègera vos arrières avec trois de ses hommes.

Je me tournai vers Sax.

- Faut que tu prévoies également la sécurité du ranch. Renforce les accès. Pas un seul mulot ne doit passer. Demande à Gary tout ce qu'il te faut pour la surveillance du site.

- Ok, Prez. J'ai déjà préparé la liste des caméras et détecteurs dont j'aurais besoin.

Sax était d'une efficacité redoutable. Il tendit une liste à mon responsable de la sécurité.

- Tu auras ce que tu demandes dès demain matin, lui répondit Gary.

Je m'adressai enfin à Jex.

- Faut fermer le salon.

- Putain, j'étais certain que tu me sortirais un truc dans ce genre ! lança-t-il énervé. J'ai trop de boulot en ce moment pour me planquer au ranch.

Pas moyen un jour que mon pote ferme sa bouche. Rebelle comme la mioche. Sax craqua son cou, signe qu'il ne tarderait pas à traverser la pièce pour le choper par la peau du cul.

- Jex, je ne te donne pas le choix.

Mon ami me fusilla de ses deux yeux dont les pourtours avaient viré au noir. Sa ressemblance avec les pandas était plus saisissante. Sa lèvre fendue n'avait pas encore cicatrisé et une petite goutte de sang perla. Il se passa un doigt pour la faire disparaître. Son poignet était bandé. Je savais qu'il s'était coupé avec les débris de verre quand je l'avais fait chuter. Nous étions tous les deux dans un triste état.

- J'ai besoin de toi pour poser le matériel, intervint Gary. Fin de discussion.

Jex se redressa près à en découdre avec Gary. Mais celui-ci devait le dépasser d'une bonne tête et il était aussi épais qu'un gros chêne. Et vu son état lamentable, Jex mangerait la poussière en moins de deux minutes. Cet enfoiré de Gary le savait et il profitait de la situation.

- On en a parlé, Jex, tentai-je de le calmer.

Jex s'adossa contre sa chaise et croisa les bras.

- Ok. Pas d'humeur à me prendre la tête de toute façon.

- Sage décision, répondit Sax calmement.

- Ferme ta putain de gueule, répliqua Jex, conscient que Sax partirait au quart de tour.

Mon enforcer bondit de sa chaise comme si un tisonnier lui avait brûlé le cul. Jack l'attrapa par le bras avant qu'il n'atteigne mon pote, qui se moquait ouvertement de lui. Son petit sourire ressemblait étrangement à celui de la sorcière : malicieux et arrogant. Merde, je me foutrais des baffes pour la voir partout.

- Va t'asseoir, Sax, lui intima Jack. Vous vous arrangerez à la sortie des classes.

Sax fusilla Jex, signe chez lui qu'il n'oublierait pas, puis il retourna s'asseoir sans un mot.

- Et pour la merdeuse ? demanda Sylver.

Nous savions tous de qui il s'agissait. Nul besoin de préciser le nom.

- Faut maîtriser la démone, lança Bolder qui ne l'appréciait guère.

Je me levai, mes côtes me faisant grimacer.

- Quelqu'un aurait une idée ?

De mon côté, j'avais épuisé toutes mes ressources.

- Nous pourrions, commença Sylver.

La porte s'ouvrit brutalement, faisant bondir Bolder et Sax. Décidément, on entrait comme un moulin.

- Jé souis très énervée ! s'écria Mélinda, la portugaise au tempérament de feu.

Jex quitta rapidement sa chaise pour s'approcher d'elle et lui prendre le bras.

- Mel, tu n'as rien à faire ici ! On est en réunion.

Mélinda se dégagea de son emprise et poursuivit toujours aussi furieuse.

- Jé sais ! Masse, tou crouois qué jé souis una cocotté ? demanda-t-elle.

- Une cocotté ? Mais qu'est-ce que c'est ?

Jex nageai en pleine confusion. L'accent prononcé de la belle portugaise fit rire certains gars autour de la table.

- On en reparlera plus tard. Je ne comprends rien.

Mélinda se tourna ensuite vers moi et cria.

- Ella est uma sourcière !

Je levai un sourcil, ne comprenant pas plus ce qu'elle voulait dire. Jex commença à s'impatienter.

- Mais de qui tu parles ?

- De toua irmã, la sourcière !

- De la sorcière, traduisit Bolder qui semblait avec pris des cours de langue approfondis avec la belle. Ta sœur l'a traité de cocotte. Mais tu communiques comment avec elle ?

- Elle a sa bouche occupée, ça répond à ta question petit malin ? répondit Jex qui perdait patience.

Les gars se mirent à rire, ce qui n'était pas pour plaire à la portugaise.

- Vou rigolé masse ella est en train dé s'échapper dé cé trou ! lança-t-elle en toisant mes gars.

Pressentant à des kilomètres que la mioche nous avait concocté un de ses tours qui foutrait en l'air ma journée, j'intervins.

- Tu peux traduire, Bolder ?

- Elle dit que Kally est en train de s'échapper de ce trou. Je crois bien qu'elle se fait la malle.

Jex et moi blêmîmes. Très occupés avec les affaires du Club, nous l'avions laissée sans surveillance. Et le cinglé avait déserté le ranch, laissant la mioche en électron libre. Je sentais les ennuis débarquer. Jack se gratta la tête, en signe de nervosité.

Avant que mes potes ne se lèvent, Jex et moi avions bondi de nos chaises. Nous nous dirigeâmes vers la porte d'entrée, suivi de mes potes. Ce fut alors grandiose... Je vous jure, même l'apocalypse de la veille ne pouvait pas rivaliser. Permettez- moi de reprendre mes esprits pour vous narrer cette partie de l'histoire...

Au volant de sa casserole rouge criard, la sorcière avait embouti l'arrière en tentant de dégager le chêne, qui devait être là depuis des dizaines d'années. Se rendant compte que l'arbre ne reculerait pas d'une racine, elle essaya une autre manœuvre pour sortir. Mais voilà, dans un alignement parfait, les bécanes gênaient le passage. Pas de problèmes pour cette démone. Elle avança en accrochant la première, sans oublier de passer sur la fourche. La première entraîna alors la deuxième... comme un putain de jeu de dominos ! Les motos tombèrent une à une jusqu'à la dernière. Quand était venu le tour de la mienne, j'avais fixé avec effroi sa chute, le rétroviseur se tordant dans un bruit insoutenable.

Les gars nous avaient rejoints et certains se mirent à hurler. Jex s'effondra à genoux, proche de la syncope. Sans se démonter, la démone nous lança un regard des mauvais jours et son tacot fit une embardée pour rouler sur une rangée de rosiers. Lan tomba aux pieds de Jack, frisant la crise cardiaque. Une volée de pétales gicla dans les airs. Je pensais qu'elle l'avait achevé.

Elle donna alors un coup de volant pour poursuivre sa folle course dans l'allée. Mais nul ne pouvait arrêter cette sorcière. Elle rétrograda, faisant rugir son moteur et elle enfonça les grilles du portail pour disparaître de notre champ de vision, manquant de tuer Nielse qui gardait l'entrée de la propriété. Un poteau s'effondra, suivi de sa grille. Un silence de plomb s'abattit sur la propriété. Les prospects étaient sortis, alertés pas tout le bordel. J'étais sans voix. Sax me fixait, complètement désorienté.

- Faut la rattraper, lança Jack avec calme.

Tous les regards convergèrent vers notre vice-président, les mains posées tranquillement sur les hanches. À ce moment, nul ne doutait qu'il fallait la rattraper. Mais ce ne serait pas pour la ramener vivante au ranch.