Chapitre 28
KALLY
Du coin de l'œil, j'observai le bel étalon sur son transat. Tee-shirt blanc, jean bleu délavé en partie, il croisait ses jambes, pianotant sur son téléphone de son air nonchalant. Quel gâchis, un beau corps sans cervelle ! Bon, j'étais de mauvaise foi. Il avait montré une certaine capacité à comploter qui m'avait un instant désarçonnée.
Cependant tous ces plans ne tarderaient pas à capoter. Question de timing. Malgré sa tentative pour contrôler ses émotions, les soupapes de Jex menaçaient de lâcher à tout moment. Il ne pouvait pas se métamorphoser au point de paraître le mec cool qu'il n'a jamais été ! Mon frère avait un tempérament de feu. Il lui était impossible de garder son sang-froid quand la situation le dérangeait. Et son pote le savait. Voilà pourquoi l'épineux était sur le qui-vive, épiant chacun de mes gestes. Malheureusement pour les deux comparses, la fin approchait.
Prenant soin de cacher la vilaine cicatrice qui dépassait un peu de mon maillot, je me levai en enroulant la serviette autour de mon corps. Cette même serviette que Matt m'avait si gentiment apporté, pendant qu'il me recadrait comme toujours avec le plus grand calme « Cache tes fesses. On voit bientôt ta raie. Il te manquait des billets pour acheter l'intégralité du maillot ? ». Ce gars... il était impossible avec ses paroles qui vous crucifiaient. Il avait l'art et la manière de vous faire comprendre qu'il fallait filer droit. Il était né avec ce charisme qui force le respect et l'obéissance.
Je n'avais jamais osé le braver. Un sixième sens m'alertait que ma condition pouvait basculer dans les ténèbres si la folie me prenait de l'affronter. Jex avait tenté plus d'une fois, le pauvre ne s'en était jamais remis.
Un jour, une idée folle lui avait traversé l'esprit. Sans nul doute, un moment d'égarement, peut-être une envie de suicide. Matt était revenu d'un de ces « voyages » dont Jex et moi-même n'étions pas conviés. Lors de ces retours, Matt s'enfermait comme toujours dans le bureau de mes parents. Il n'en sortait que pour s'entraîner dans la salle de sport que mon père avait aménagé dans le sous-sol de la villa. Une idée fantaisiste avait éclos dans le cerveau de Jex. Une lubie, un dérèglement mental. Jex avait décidé de crocheter la serrure de la porte du bureau. J'étais certaine que le malheureux ne finirait pas la journée. Je m'étais cachée dans un recoin du couloir et je l'observai s'affairer, en pressentant que tout cela finirait mal.
Et je n'eus pas longtemps à attendre. Sans bruit, Matt avait surgi de je ne savais quel endroit. Il avait empoigné les cheveux de Jex dont le cœur avait failli lâcher tant la surprise était grande. Matt lui avait écrasé la tête contre la porte et il lui avait murmuré des paroles qui m'avaient glacée sur place « Ta curiosité va te coûter un aller aux urgences mon frère ». J'entendis un début de réponse de Jex « Va te faire ». Et effectivement, Jex termina sa journée sur un lit d'hôpital : deux côtes fêlées, trois doigts cassés, ceux qui avaient servi à crocheter la serrure. Jex ne tenta plus de forcer la porte après cette correction mémorable. J'en tirais une leçon également : cesser de regarder par le trou de la serrure afin d'éviter de terminer six pieds sous terre.
Même si Matt n'avait jamais posé la main sur moi, je gardai dans mon esprit qu'il pouvait être dangereux. J'étais certaine qu'il nous aimait mais quelque chose l'avait transformé, au point de dresser cette muraille autour de lui pour nous tenir éloignés. Et au fil du temps, le mystère s'était épaissi autour de sa vie. Il ne parlait que pour me sermonner. Jex avait fini par disparaître à l'autre bout du pays et je restais seule, avec pour seules compagnies, ma taciturne tante et mon geôlier barbu.
Je ramassai mon verre vide et je décidai de rentrer pour préparer le repas avec Betty, la régulière de Lan. Et oui cher ami lecteur, il fallait bien que je rende service à la société !
Je la trouvai aux fourneaux, un tablier autour de sa taille et un torchon dans sa main. Lorsqu'elle me vit, elle sourit, révélant deux charmantes fossettes sur ses joues rosies. Des petites taches de rousseur parsemées son visage. Elle ressemblait aux lutines des contes de mon enfance.
- Salut ! me dit-elle avec son humeur toujours joyeuse.
Il était tout juste dix-huit heures et la nana avait préparé tout plein de plats. J'étais réellement impressionnée. Enceinte de quatre mois, elle était toujours active, débordante d'énergie. Je ne la surprenais jamais à se dorer au soleil, se manucurer ou se divertir devant une émission télévisée. Elle était partout : cuisine, buanderie, potager. Elle s'occupait également d'un orphelinat en ville. Je ne savais pas si Lan mesurait la chance d'avoir une telle perle à ses côtés.
Sur le plan de travail : deux tartes à la tomate, des beignets de courgettes, une salade de riz, des poivrons grillés, une quiche lorraine. Je soulevai une serviette : huit boules de pâtes à pizza prêtes à être étalées.
- Tu veux bien t'occuper d'étaler et de garnir les pâtes ? demanda-t-elle, en essuyant son front d'un revers de main.
Elle devrait vraiment lever le pied sur toute ces tâches et prendre soin de son petit ventre qui s'arrondissait. Nourrir au quotidien une quinzaine de ventres sur pattes l'achèverait dans les prochaines semaines si elle maintenait cette cadence.
- Oui, pas de soucis. Je ne sais pas faire grand-chose mais ça, c'est dans mes cordes ! répondis-je avec un sourire.
- Génial ! Merci Kally. Je ne sais pas ce que j'ai fait aujourd'hui pour manquer tant de temps...
Elle me tendit un rouleau à pâtisserie et je pris une pâte à pizza pour l'étaler. Son minuteur sonna.
- Zut ! La lessive vient de terminer.
La panique la gagna.
- Tu peux y aller. Je m'occupe de ces pizzas, dis-je pour la rassurer.
Elle marqua quelques secondes d'hésitation puis accepta, tout en retirant son tablier.
- Je te remercie encore ! Tu me sauve la vie !
Elle disparut aussitôt et je me tournai vers l'étagère à épices : poivre, ail, gingembre... piment de Cayenne. Les grands moyens pour les grandes guerres ! Que dites- vous ? Vous me pensiez philanthrope ?
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