Chapitre 21
Jack
(deux heures avant l'atterrissage)
Le véhicule de nos clients s'arrêta près de l'ancienne station d'essence de Pick West. Aujourd'hui, la ville n'était plus qu'un point sur la carte. Les anciens mineurs avaient déserté les lieux depuis une cinquantaine d'années quand la mine de diamant s'était tarie. On ne trouvait plus une seule âme qui vive à des kilomètres à la ronde. Du coup, nous y faisions nos petits échanges, loin des regards indiscrets.
Assis sur ma bécane, je patientais avec mes gars en fumant un pet. Le Jefe, comme il aimait tant qu'on le surnomme, descendit du pick-up, suivi de ses quatre hommes de main.
Le Jefe dirigeait le club de motards Los Bandidos, situé dans les plaines du nord du Mexique. Il se ravitaillait en armes chez nous cinq à six fois par an. C'était un bon client, toujours réglo et ponctuel dans les affaires. Exception d'une petite accroche avec mon sergent d'arme le mois dernier, nous avions de bonnes relations avec son club. Mais après ce que cet idiot de Sax avait semé comme pagaille, il fallait aujourd'hui éviter les emmerdes. Alors, j'intimai à mes gars de rester tranquilles près du véhicule qui contenait notre cargaison pour éviter tout dérapage.
Je m'avançais à la rencontre du Jefe et il me serra la main avec un grand sourire.
- Ola amigo !
Je n'aimais pas sa façon de m'appeler ami. Concernant mes amitiés, j'étais plutôt très sélectif et il ne faisait pas partie de mon cercle le plus intime. Mais que vouliez-vous, en affaires, il fallait être un minimum diplomate. Ce qui manquait cruellement à mon sergent d'armes. Sax ne faisait rien dans la dentelle, c'était pourquoi, son rôle était de gérer les problèmes du club. Dans ce domaine, il excellait.
Autrefois, Harps travaillait avec lui. Deux têtes brûlées, même méthodes de travail et même nanas. Puis, l'ancien président mourut d'un cancer foudroyant. Le pauvre avait dégusté avant de rejoindre je ne savais quoi dans l'au-delà. Harps n'avait pas eu d'autres choix que de lui succéder. L'ancien Vice- Président, Ben, avait pris alors sa retraite. Après une cinquantaine d'années au service du club, le vieux s'en était allé au Canada pour chasser « l'ours- roi ». Paraîtrait-il que c'était une espèce d'ours brun gigantesque, avec des pattes défiant toutes concurrences. Moi, je pensais que le vieux avait trop forcé sur son herbe des prairies et sa bonne bouteille de whisky.
- Comment vas-tu, Jefe ?
- Muy bueno. Je suis content que ce soit toi aujourd'hui. L'autre, ce Sax, une vraie tête de cerdo.
Je souris à sa remarque pourrie, qui ferait dresser les cheveux de mon sergent d'armes. Si Sax était là, Jefe ou pas, il prendrait cher dans les dents.
- J'étais malade. Un truc pas digéré, répondis-je.
En réalité, j'étais tombée de ma Harley. Un abruti était sorti du parking de l'auto-école et m'avait percuté sur le flan. Je n'avais rien vu venir. Le jeune bigleux n'avait pas encore son permis qu'il avait envoyé en l'air une moto. Putain, dix points de suture sur la jambe droite. J'avais un peu plus qu'un truc mal digéré, surtout que ma bécane était méconnaissable.
- Une moule pas fraîche ?
Ce con se croyait drôle. Il avait dû avaler un clown et ses chaussures.
- Les moules sont toujours fraîches chez moi. Les autres, je les laisse à mon prospect. N'est-ce pas Binny ?
Binny rougit jusqu'à la racine de ses cheveux. C'était un prospect de vingt ans, arrivé tout droit du Kansas. En fuyant dans l'ouest, il avait tenté de semer la justice. Ce merdeux avait braqué un vieux marchant de tabac avec un pistolet en plastique et avait failli se faire pincer. Il devait le salut à sa grand- mère qui était une amie de l'ancien président. Harps le connaissait vaguement et le Club avait voté pour lui laisser sa chance. Il entamait son quatrième mois de la période probatoire. Au terme de deux années, s'il obéissait sans rechigner et se montrait solidaire du groupe, il intègrerait certainement les Black Wolves après l'approbation de chaque membre.
J'avançai jusqu'à mon véhicule et Bolder ouvrit la porte arrière de notre véhicule.
- Quatre caisses, dis-je en tirant l'une d'elle pour l'ouvrir. Chacune contient trois fusils M16A4.
Spiner força le couvercle et je pris une arme pour présenter notre petit joyau.
- Ça change quoi avec le précédent ?
- Un mode rafale à trois coups au lieu du mode automatique.
- Mm, répondit le Jefe en soupesant le fusil. Belle arme. Doux comme una mujer.
- Il tire plutôt comme un bonhomme, répondis-je avec un sourire.
Il rit à ma blague pourrie et je savais qu'il était conquis. L'arme valait chère mais elle était de belle qualité. Un bijou pour les connaisseurs.
Il claqua les doigts et un basané lui apporta une mallette. Le jefe posa le fusil et commanda à ses hommes de refermer le couvercle.
- Comme convenu, amigo.
Binny prit la mallette et me jeta un regard, me demandant l'autorisation de l'ouvrir. Je hochai la tête et il se mit à compter les billets. Au bout de quelques minutes, il se releva et me fit un signe avec son pouce pour me confirmer qu'il y avait le compte. Pendant ce temps, deux hommes du Jefe contrôlait le contenu des caisses.
- Tout est parfait ! dit le Jefe quand l'un de ses gars avait approuvé.
Je lui serrai la main pour conclure notre affaire mais avant de me retourner, il me retint.
- Dis à ton patron que Los Manos sont de retour. Uno de mis hombres les a aperçus récemment. Beaucoup d'agitation à la frontière. C'est pas bon, dit-il avec son accent tout pourri.
Mon visage avait certainement pâli. De gros ennuis se profilaient à l'horizon.
Harps
(Atterrissage ! Atterrissage !)
J'avais pris l'initiative de me rendre en personne à l'aéroport. L'affaire méritait toute mon attention. Les premières minutes seraient déterminantes.
Voilà un bon millier de fois que je regardais l'écran des arrivées, comme un gosse qui attendait fiévreusement le Père Noël. J'avais toutes les peines du monde à contrôler mon excitation. J'étais à la limite de l'orgasme.
Je me frottai les mains, satisfait de la tournure des événements. La revanche arrivait à plein gaz et la mioche finirait exécutée. Dans mon imagination, elle était accrochée au bout d'une corde devant ma fenêtre, pour que je me délecte du spectacle en voyant sa carcasse desséchée chaque matin.
L'avion avait atterri depuis dix minutes et je lorgnai la porte d'arriver de peur de louper le malabar. Mais je ne voyais rien. Pas l'ombre d'un passager.
- Tu me cherches ? demanda un gars derrière mon dos.
Je me tournai et je le vis, fidèle à lui-même. Costume sans cravate, expression indéchiffrable, regard perçant. Bref, le genre à vous retourner une nonne.
Avait-il sauté de l'avion en plein vol pour être le premier à débarquer aussi vite ? Putain, ce gars... La stupeur devait ridiculement se lire sur mon visage.
- J'ai un jet privé, dit-il comme s'il entendait mes pensées.
Bien évidemment ! Suis-je bête ! Le gars devait dormir sur un matelas bourré de liasses de billets et son slip devait être en fibre d'or.
Il fallait que j'enterre ma rancune au plus vite et que je salue comme il se devait ce prophète tant attendu. Je tendis ma main avec un sourire le plus sincère que je pouvais et il s'empressa de la serrer comme s'il cherchait à me péter un os.
- Bon voyage ?
- Trop long. Où est ma sœur ?
D'un regard rapide, il avait scanné tout l'aéroport et il s'était rendu compte que la mioche manquait à son accueil.
- Au Angel Club. Elle travaille pour donner un coup de main.
Il inclina légèrement la tête, signe qu'il avait capté que la merdeuse n'aidait sûrement pas et qu'elle était là-bas pour que chacun de nous ait un œil sur ses entourloupes.
- Tu peux me l'envoyer à l'hôpital ? demanda-t-il.
C'était bien plus un ordre qu'une demande mais je laissai courir pour le moment. Il était urgent de maîtriser cette calamité. Alors j'acceptai rapidement sa requête. Puis, je m'étonnai qu'il ne traînât pas une valise en peau de crocodile bien rempli de tout un éventail de caleçons, chemises et pantalons. Il n'avait qu'un simple sac de sport.
- Pas de bagage ?
- Non, je ne compte pas m'éterniser.
Je me frottai les mains. Putain, la mioche allait déguster une belle fessée avant la fin de la journée. Il fallait que je prépare une corde bien solide pour éviter de foirer l'exécution qui suivrait.
Nous prîmes le chemin qui me menait vers la victoire ultime. J'étais trop content !
- Tu as eu un accident ? demanda-t-il tout en marchant.
- Plusieurs, répondis-je.
Il venait de plomber l'ambiance. Je touchai mon menton, souvenir de la rencontre récente entre mon visage et le sol, quand je m'étais pris les pieds dans le tapis. Fichue sorcière. Elle m'avait fixé et avait refermé lentement la porte de sa chambre comme si elle avait savouré cet instant. Serre les dents Harps. Dans les prochaines heures, la situation s'arrangerait et tu seras débarrassé de la merdeuse.
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