Chapitre 18
KALLY
Les portes automatiques de l'hôpital s'ouvrirent et je me dirigeai vers un distributeur de boissons. Ma voiture n'ayant pas de climatisation, j'avais été contrainte de supporter une chaleur torride. J'insérai une pièce dans la fente et j'optai pour un jus d'orange. J'avais aussi besoin de sucre car je n'avais rien mangé depuis la veille midi. J'ouvris la bouteille et je bus tout le contenu. Je jetai l'emballage vide dans une poubelle puis je pris la direction des ascenseurs.
J'appuyai sur le bouton et l'ascenseur ne tarda pas à descendre. Quand les portes s'ouvrirent, un homme, petit et trapu me bouscula et entra avec moi. Je n'eus droit qu'à un timide « désolé » et il s'installa dans un coin de l'ascenseur. J'appuyai sur le bouton pour me rendre au sixième puis je me plaçai contre la cabine à l'opposé. L'homme avança d'un pas et toucha rapidement le bouton du dixième. Afin de cacher mon mal-être dans ce lieu si exigu, je fixai le bout de mes chaussures comme si elles étaient fascinantes.
L'ascenseur s'arrêta au deuxième et un homme grand et chauve entra. Mon espace vital se restreignait et le malaise augmenta. Je n'avais qu'une hâte : sortir de cette boîte de conserve.
Ce dernier se plaça dos à moi et mon regard fut attiré par un tatouage à la base de son cou. Il semblerait que ce fut une pieuvre, comme ceux dont les enfants en bas âge dessinaient. Puis il se tourna vers moi et se mit à m'observer sans la moindre gêne, me détaillant avec un sourire pervers. L'autre homme petit et trapu ricana, ce qui eut pour effet de mettre tous mes signaux de danger en alerte. Il était évident que les deux gars se connaissaient. Mon cœur se mit à cogner fort dans ma poitrine et j'entendais mon sang pulser dans mes oreilles. Je tentais de masquer la panique qui m'avait submergé mais il était évident qu'ils étaient conscients de la peur qu'ils suscitaient en moi. Le plus grand, mit une main dans sa poche arrière et mes yeux s'écarquillèrent. Je tentais de me raisonner en me disant qu'on ne pouvait pas me blesser dans un ascenseur mais la peur transpirait par tous les pores de ma peau.
Pour mon plus grand soulagement, l'ascenseur s'arrêta de nouveau sur deux infirmières qui papotaient du charisme d'un nouvel interne. Je profitai de ce moment de diversion pour sortir précipitamment quand les portes commencèrent à se refermer. J'eus juste le temps de croiser le regard noir des deux individus avant que l'ascenseur ne les emportent.
Je posai une main sur mon cœur et je soufflai lentement pour calmer les battements. Pour l'heure, je devais rendre visite à mon frère, mais je mènerai mon enquête sur ces deux bonshommes aux allures suspectes. Je ne savais pas si leur présence était liée à une pure coïncidence ou aux affaires de Jex et ses acolytes. Ce mystère devait être résolu sachant que le milieu où évoluait mon frère était tout sauf commun.
Je longeais les couloirs et m'arrêtai devant la porte de la chambre de mon frère. Je tapai timidement afin de ne pas le déranger s'il dormait. Mais quand j'entrai, je le vis assis près de la fenêtre, jouant aux cartes avec Clint, un biker qui vivait au ranch. Ce dernier était un sacré bébé : grand de taille, costaud comme un pilier au rugby, des mains larges comme des palmes. D'une gifle, il pouvait certainement vous mettre en orbite autour de Jupiter. Il ressemblait à ces viking que l'on voyait dans les films avec sa grosse barbe rousse. Un mec à ne pas se frotter.
Jex posa ses cartes sur la table basse et me lança un regard curieux. Son regard se tourna vers Clint :
- Je me la suis tapée aussi ?
Mon sourire mourut tant j'étais choquée. Jex me prenait pour l'une des nanas qui figurait sur son tableau de chasse ! Bon, gardons notre calme... Il fallait être indulgente. Il avait perdu la mémoire...
Clint se leva de la chaise et se frotta les cheveux, soudainement très mal à l'aise.
- Mec, ce n'est pas une des brebis mais ta petite sœur.
Puis il ajouta pour excuser son ami :
- Ecoute Kally, faut pas te formaliser, il a perdu la mémoire. Avec le choc, enfin tu sais quoi...
Je posai mon sac sur le lit et je lui fis un sourire pour lui signifier que cela n'avait aucune importance.
- Ne t'inquiète pas Clint, je comprends.
Je comprenais surtout que des nanas étaient certainement passées pour le réconforter. Je tentai de dissiper des images érotiques de leurs ébats dans cette chambre. Je décidai finalement de déposer mon sac près de la porte d'entrée, sachant que le lit avait dû servir à autre chose que se reposer. Puis je m'approchai de Jex qui m'observait comme si j'étais le nouveau lapin de Pâques.
- Salut, dis-je timidement.
Il fronça les sourcils et lâcha un salut du bout des lèvres. Je ne devais pas me décourager. J'étais venue pour l'aide à retrouver la mémoire et il ne fallait pas le brusquer.
- Comment te sens-tu aujourd'hui ? demandai-je avec une voix des plus douces.
Mon frère se tourna vers son pote sans me répondre.
- Tu es sûr qu'elle est ma sœur ? Parce qu'il me semble que nous n'avons pas beaucoup de ressemblances.
Clint me lança de nouveau un regard gêné et lui répondit :
- C'est bien ta sœur pourtant.
Jex me jeta un regard suspicieux :
- Je n'ai pas ce nez moi. Et ce regard... elle fait peur.
Mon visage blanchit et je serrai mes poings pour ne pas l'étrangler. Il fallait surtout ne pas ajouter son meurtre sur ma liste de crimes alors que j'étais déjà responsable de son état de santé.
- Mouais... J'ai la sensation qu'il faut me méfier.
Je grinçais des dents, me retenant de le secouer pour que les cases de son cerveau retrouvent leur place. Calmons-nous... mon frère étant amnésique, je devais être patiente.
Je souris et je m'assis sur la chaise de Clint, m'efforçant de conserver une apparence sereine.
- Je t'assure, lorsque tes cheveux repousseront, nous auront une ressemblance : leur couleur.
Son visage se crispa une fraction de seconde mais mon œil expert avait capté une lueur de colère dans son regard. Jex prit les cartes et se mit à les battre. Clint s'avança et brisa le silence :
- Bon, je vous laisse cinq minutes. Je sors fumer. Je ne suis pas loin si tu as besoin de quelque chose mon frère.
Ils se tchéquèrent les poings et Clint sortit de la chambre. Je reportai mon regard sur Jex qui semblait ne pas vouloir discuter avec moi. Il posa ses cartes en petit tas puis en retourna une.
- Tu as bien dormi ? demandai-je d'un ton bienveillant.
Il replaça la carte dans le paquet et battit à nouveau les cartes.
- Comme un loir, répondit-il sèchement.
Je poursuivis la conversation avec l'effort surhumain de paraître sympa.
- Tu ne te souviens de rien ? Sur moi ou Matt, ou encore le club ?
Il s'arrêta de mélanger ses cartes et me fixa :
- Pas le moindre détail.
J'avais la forte sensation que quelque chose clochait dans son attitude. Il était un tantinet trop décontracté.
- Le médecin m'a expliqué que j'avais glissé car l'appartement était inondé, puis que j'avais eu un malaise à l'hôpital. C'est tout.
Il posa ses cartes en soupirant et se leva pour s'étendre dans le lit. Quand sa tête toucha le coussin, il grimaça de douleur. Mon cœur eut un pincement.
- Je me demande pourquoi l'appart était inondé. Tu as une idée ?
Toute ma volonté à lui faire retrouver la mémoire s'envola. Je n'avais qu'une hâte, celle de quitter la pièce tant la culpabilité était grande.
- C'était un accident. Quelqu'un a cassé le robinet...
- Tu penses que c'était volontaire ? demanda-t-il avec sérieux. Je suis inquiet. Peut-être que c'était une tentative d'assassinat.
Je me redressai, choquée pas ses mots.
- Non, pas du tout ! m'exclamai-je avec un peu trop de force.
Jex me fixa comme s'il avait épinglé le coupable.
- Tu le connais ?
- Qui ça ? répondis-je pour me donner un peu de temps pour trouver une réponse.
- L'imbécile qui s'est acharné sur le robinet.
Je me levai précipitamment de la chaise :
- Pas du tout ! Ecoute, je dois partir. Je reviendrai demain avec des biscuits.
- Ceux au citron s'il te plaît, ajouta-t-il.
Je stoppai mon élan et me retournai lentement vers lui, une lueur d'espoir dans les ténèbres.
- Tu te souviens de tes biscuits préférés ?
Il ferma les yeux et répondit d'un ton las.
- Non. Une boîte de biscuits traînait sur la petite table. Ils étaient au citron et ma foi, ils étaient très bons.
J'étais dépitée, tout espoir m'ayant quitté.
- Pas de soucis, je te les apporterai demain.
Je pris mon sac, accablée par le chagrin et le désarroi. La perspective de devoir affronter mon grand frère Matt ne m'enchantait guère mais je n'avais plus l'espoir d'échapper au peloton d'exécution.
- Tu pars ? demanda-t-il surpris.
Si je pouvais, je me mettrai même à cavaler... Désespérée, je tentai un dernier essai. Règle ultime de mon bouquin sur la survie : même au fond du trou, il y a une issue.
- Oui, j'ai... je ne sais pas si je peux te le dire.
Je pris une expression de gêne et une lueur d'inquiétude traversa son regard. Il mordait à l'hameçon.
- Je suis ton frère, tu peux tout me confier. Je suppose que les secrets n'existaient pas entre nous.
- C'est un peu délicat tout de même.
Il se redressa ne cachant plus son appréhension.
- Quoi ? insista-t-il un peu trop curieux.
- J'ai un copain, lâchai-je comme une bombe.
Une chape de plomb tomba dans la chambre. J'avais l'impression qu'il avait cessé de respirer. Tiens tiens...Je poursuivis.
- Un sex friend que je vois de temps en temps. C'est tout à fait commun de nos jours.
- Un sex friend ! s'exclama-t-il choqué. Mais il sort d'où ?
Le pauvre loulou, il était décomposé, anéanti. Il frisait l'arrêt cardiaque. Il se redressa complètement, proche du malaise.
- De Pincloyd ! Et pendant que tu étais hospitalisé, il a pris sa bécane pour me rejoindre et me soutenir dans ce moment difficile.
Je posai ma main sur son bras.
- Tu sais les femmes ont aussi des appétits sexuels. Le manque peut entraîner des perturbations psychiques graves.
- Des appétits sexuels, répéta-t-il en état de choc.
Je pris mon téléphone portable et je cherchai un message fictif.
- Norbert m'attend au Jujube Bar.
- Norbert ?... mais il a quel âge ?
- La cinquantaine je crois.
- Et vous avez... ?
- Coucher ensemble ?
Il tourna son visage vers moi au bord de l'évanouissement.
- Et bien oui ! dis-je en lui donnant une petite tape dans le dos. C'est un sex friend !
Je me mis à rire et je poursuivis de plus en plus amusée.
- Vous avez un point en commun : les tatouages. Il a en partout partout !
- Il est tatoué en plus ?
- Ben oui ! Même sur les fesses !
Il faillit tomber du lit. Il gobait tout : appât, hameçon, fil et canne à pêche.
- Ecoute, il faut que je parte. Ça fait un moment qu'il attend.
Je me penchai pour l'embrasser sur la joue.
- Je t'aime mon frère. J'ai la sensation que tu vas retrouver la mémoire très rapidement.
Il resta tétanisé sur son lit, une main sur la poitrine. Je lui jetai un dernier regard avant de sortir. J'étais témoin d'un miracle : mon frère venait de retrouver la mémoire. Je ne pouvais m'empêcher de sourire. Petit coquin, nous allons jouer.
Je pris l'ascenseur pour descendre et quand les portes s'ouvrirent, je vis le deuxième lascar près de la machine à café du hall d'entrée, sifflotant gaiement, tel un pinson. Il était si mignon avec cet air joyeux, tout confiant, heureux du mauvais tour qu'il avait manigancé avec mon traitre de frère. Un vrai bonheur sur pattes !
Il prit son café puis il se tourna pour prendre l'ascenseur. La surprise fût si grande quand il m'aperçut qu'il lâcha son gobelet. Le contenu s'écrasa sur ses chaussures flambantes neuves. Je jurai que ce n'était que le début de ses ennuis et que ce petit coquin me paierait sa farce.
Il secoua ses pieds en maugréant dans sa barbe, puis il jeta son gobelet vide dans une poubelle rageusement.
Je pris alors une attitude triste, complètement abattue et il me rejoignit, se composant soudainement une mine inquiète et compatissante. Quel comédien ! Il posa une main sur mon épaule pour me réconforter.
- Tu sais, il retrouvera un jour la mémoire. Le médecin est très confiant.
Je levai des yeux embués de larmes.
- Le voir ainsi... c'est si dur.
- Ouais, c'est sûr... La chute a été violente et c'est une chance que son crâne ne se soit pas fendu.
- Je pense que tu as raison. Mais le voir si pâle, dans un état de choc, à la limite de la crise cardiaque...
- À la limite de la crise cardiaque ? demanda-t-il en se figeant.
Le vent tournait. Une brise glaciale s'était levée et le joli pinson commença à piquer du nez, droit sur un tronc d'arbre.
- J'espère que ce sera passager, ajoutai-je.
Son téléphone bipa et il le sortit de la poche arrière de son jean. Il lut le message et se décomposa, commençant à perdre de son superbe panache. J'imaginais que mon frère devait lancer un message de détresse. Et la bise arrivait dans les prochains jours, avec la lame aiguisée de sa faux. Les têtes voleraient dans une danse macabre. Il fallait penser à acheter des cacahuètes pour regarder le spectacle. Mon frère Matt les dépècerait vivants.
- Je te laisse. On se voit ce soir ! lançai-je.
Il hocha la tête, trop abasourdi par le message qu'il avait reçu. Pauvre Président ! le voilà pataugeant dans la gadoue jusqu'au cou.
Je sortis sur le parking et regardais si les deux individus que j'avais croisé dans l'ascenseur m'attendaient. Mais il n'y avait aucune trace de leur présence. Ces hommes étaient dangereux et je ne connaissais pas leurs intentions. Il aurait été prudent d'en parler à un Harps, mais je craignais que le peu de liberté qu'on m'octroyait ne s'évapore.
Je descendis les marches et regagnai mon véhicule. Je jetai un dernier regard à l'hôpital, me sentant tout de même soulagée de savoir que la perte de mémoire n'était qu'un canular. Cependant, Matt arrivait dans deux jours et je craignais un retour entre les murs du manoir, avec pour chaperon ce terrible barbu...
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro