10 | 'AQUARIUM'
L'aquarium. Tu n'y allais pas, jamais. Ta sœur trouvait que les animaux y étaient trop mal traités, alors qu'elle non plus n'y avait jamais réellement posé les pieds. Tes parents trouvaient que ça coûtait trop d'argent pour ce que c'était, que l'on pouvait voir les poissons à la mer. Ils préféraient se serrer la ceinture, alors que vous aviez quand même les moyens de partir jusqu'en France à chacune des grandes vacances.
Pour autant, à la mer, excepté le gris des crevettes et les vers de sable, tu ne t'étais jamais réellement trouvé face à face avec les deux yeux écarquillés d'un poisson, alors que toi, derrière ton masque et ton tuba d'enfant, tu l'aurais observé avec les mêmes orbes vitreuses déformées par les remous de l'eau.
Arrêté devant l'aquarium, aujourd'hui, tu avais enfin l'impression de pouvoir observer ces poisson qu'on t'avait promis une fois enfant. Tout doucement, tu effleuras la vitre devant la raie manta qui glissait devant toi.
« Touche pas trop la vitre, te prévint Yoichi, C'est pas bon pour les poissons.
— T'inquiètes pas, je sais, tu lui souris, et laissas tes doigts suivre le mouvement fluide du poisson, ton toucher fantôme contre la vitre.
— Tu veux continuer de regarder les raies ? tu savais ce qui t'attendait, et malgré le ballet émerveillé qui éclairait ton visage, tu secouas la tête.
— Non, on peut aller voir tes langoustes, ton ton était presque moqueur, plutôt taquin, mais devant son enthousiasme hâtif, ton sourire ne pouvait être que sincère. »
Il attrapa ta main, laçant vos doigts ensemble, avant de t'entraîner à travers les dédales marins, ignorant poissons tropicaux et dauphins. Passant entre les foules obnubilées par les tours que faisaient les cétacés, il vous entraîna dans les recoins désintéressés de l'aquarium. Alors qu'il fonçait vers ses langoustes préférées, tu eus une petite pensée pour tous les petits poissons et mollusques mal aimés.
Tu te penchas vers un homard bleu, solitaire, qui préféra fuir dans l'obscurité plutôt que de te faire face. Il restait dans l'ombre, laissait les stars du royaume marin illuminer le visage des touristes, acceptant le silence qui lui était adressé. Il n'était peut-être pas si différent que toi ; par rapport à tes camarades, tu ne valais pas mieux qu'un homard bleu. Qu'un homard bleu, qu'une crevette, qu'une anémone ou qu'une langouste. Tes amis étaient des dauphins, des raies, des tortues marines. On les exposait, les mettait en avant, leur laissait la lumière et les autorisait à laisser libre court à leur talent pour le grand plaisir des spectateurs.
Tu te tournas vers Yoichi. Il était béat devant les langoustes ; ses mains le démangeaient, ne demandaient qu'à se plaquer contre la vitre, le tentant d'agir comme un enfant devant une façade des merveilles. Il était un dauphin, lui aussi. Gracieux, souriant et charmant.
« T/p ! T'as vu les langoustes ? s'extasia-t-il en se tournant vers toi, Elles sont incroyables, je pourrais les regarder toute la journée !
Tu te redressas pour aller le rejoindre. Les langoustes panulirus japonicus. Son animal préféré, pour une raison qui t'était encore trop obscure.
— Elles sont mignonnes, oui.
— Elles sont trop drôles, je les adore, reprit-il en trépignant sur place.
— T'as une peluche de langouste dans ta chambre, pas vrai ? Je crois l'avoir vue, jeudi, hésitas-tu, ce à quoi il acquiesça vivement. »
Si Yoichi était un dauphin, dans la chaîne du standing marin, tu étais une langouste.
Visiblement, c'était ce qu'il préférait. Il n'avait d'yeux que pour elles. S'il y avait bien une personne pour les aimer, c'était lui. Étrangement, en le voyant alors admirer leurs pattes, tu compris qu'il était ta bonne personne, celui qui te comprendrait le mieux, t'accepterait qu'importe tes échecs, doutes, ou classements.
« Je t'aime, lui balanças-tu. »
Il eut l'air surpris d'une telle déclaration dans un contexte aussi contraint. Son attention précédemment donnée à toutes ces langoustes te fut maintenant adressée.
Ses yeux étaient aussi profonds que les fonds marins, que l'obscurité de l'eau dans laquelle baignait les crustacés. T'y plonger ne t'avait jamais semblé aussi possible, aussi proche et aussi littéral.
Quand il se concentrait, tu avais l'impression que ses yeux prenaient une teinte plus claire, qu'ils brillaient d'une autre manière ; ils se rapprochaient de la surface, s'adonnaient au plaisir solaire et à l'aboutissement de ses réflexions.
Tu aimais ses yeux, et la manière dont tu n'arrivais pas à y voir ton propre reflet. À travers son regard, seule subsistait son âme, qui t'était offerte librement.
« Moi aussi je t'aime, répondit-il, comme si c'était un mécanisme. Tu crus que ton cœur allait exploser. Il sortit son téléphone pour prendre quelques photos des langoustes, Tu veux qu'on aille voir autre chose ? Elles ne bougent pas beaucoup.
— Ne t'inquiète pas, on peut rester là un peu si tu veux, le rassuras-tu, J'ai juste envie de voir les requins et les loutres.
— Les requins ?
— Ils sont incompris. Et aussi, c'est impressionnant. J'ai envie de voir le type de requins qu'ils ont ici. »
Yoichi hocha la tête, et, jetant un dernier regard à ses crustacés préférés, te tira par la main à nouveau. Il se repérait mieux, savait où aller. Tu te laissas guider. Quand vous arrivâtes devant les requins, tu restas béat. La vitre devant vous était immense, semblait s'étendre jusqu'au bout du monde, à tel point que tu n'en voyais ni le bout, ni le fond.
Dans l'aquarium dansaient requins scies et requins marteaux, mais celui qui t'impressionna le plus, celui qui se différenciait des autres et qui attisait angoisses et recul, c'était le requin blanc.
« Incroyable, soufflas-tu devant l'étendue d'eau sous tes yeux. Isagi acquiesça.
— C'est un peu plus époustouflant que les petits aquariums des langoustes.
— Il y a tellement d'eau, j'ai l'impression que je pourrais me noyer. »
Sa poigne sur ta main se raffermit, son pouce commença à glisser contre ta peau, la caressant doucement.
Ce ne fut pour autant pas dans l'eau que tu te noyas ; les requins étaient plus prestigieux, plus attendus que les crustacés, et la foule qui s'y trouvait n'y fut donc que plus dense. Ce n'était plus que vous, seuls avec vos pensées et les crustacés. Et en entendant des murmures derrière votre passage, tu sentis qu'ils étaient dirigés vers vous.
Peut-être était-ce juste une angoisse étrange, celle de penser que chaque passant inconnu te jugeait sur chacun de tes faits et gestes, alors même que tu tentais de vivre tranquillement. Tu te retournas pour observer les visiteurs, et sentis ton cœur s'éteindre en remarquant un jeune homme qui détournait le regard rapidement, comme s'il avait été repéré. Peut-être que ce n'était pas juste l'anxiété qui jouait de ses tours et tentait de manipuler tes instincts. Vous regardaient-ils parceque vous vous teniez la main ? Parceque vous étiez deux garçons ? Ou alors était-ce parcequ'Isagi commençait à être reconnu, que les gens murmuraient et le pointaient du doigt en l'apercevant ? Le voir tenir la main de quelqu'un était-il assourdissant ?
« Ça va ? il se pencha vers ton oreille. Tu devais avoir commencé à te retourner, le regard fuyant et vaquant dans toutes les directions. Il l'avait remarqué.
— J'ai l'impression qu'on nous regarde, tu t'arrêtas, pour te corriger, Qu'on te regarde.
— Ah bon ?
— T'as pas remarqué ?
— Je regardais les requins. Ou toi. Pas les autres.
Tu lui donnas un coup dans l'épaule, faiblard, alors que tes joues rosissaient. Il ricana.
— T'es bête. T'as pas senti les regards ? Entendu les gens murmurer ?
— Je ne me suis pas focalisé sur ça, répéta-t-il. Il était maintenant entièrement tourné vers toi.
— Au début j'ai juste cru que j'étais paranoïaque, avouas-tu, Mais j'ai vu quelqu'un détourner le regard quand je l'ai croisé.
— Hm, il scanna les environs, aperçut un groupe de filles de votre âge se mettre à piailler et paniquer une fois que ses iris se posèrent sur elles, Tu penses qu'elles me reconnaissent ?
— T'es étrangement modeste, pour un égoïste, te moquas-tu à demi-mot. Ton sourire n'était qu'à moitié honnête, Évidemment qu'elles te reconnaissent, idiot. T'es connu.
Il resta silencieux ; conflictuel, oscillant entre la fierté et le malaise.
— Tu veux qu'on aille voir les loutres ?
— Maintenant ? »
Il opina de la tête, et cette fois-ci, au lieu de t'attraper la main pour te guider entre les couloirs vitrés, il saisit ton poignet fermement, et commença à courir. Tu faillis trébucher, te rattrapas et tes pieds ne réussirent pas à suivre sa cadence spontanée.
Il te tira, ignorant ton regard traînant vers les phoques et otaries, t'attirant devant les loutres jusqu'à te cacher dans un recoin. Plaqué entre deux murs, tu restas muet, les yeux grands comme des soucoupes.
« Je suis content d'être reconnu, tu sais. En rentrant du Blue Lock, avant de prendre le train, y'a un enfant qui est venu me parler. Ça m'a rapproché de mon but, de mes rêves. C'est comme un bond en avant, te murmura-t-il. Tu hochas la tête face à sa confession, et le laissas continuer, Mais j'ai peur du regard des gens, sur ma vie. Et je n'ai pas envie que les gens deviennent oppressants. Comme là.
— Tu ne l'aurais pas remarqué si je t'avais pas fait la remarque ...
— Je n'ai pas envie que des gens m'inspectent quand je suis avec toi. C'est privé, il enfouit son visage dans le creux de ta nuque.
— Tu te prends trop la tête, Yoichi, tu commenças à lui caresser les cheveux tranquillement.
— Tu penses ?
— Mais oui. Tu finiras connu dans tous les cas, j'y crois fermement. Autant commencer à vivre qu'importe l'avis des autres.
— C'est drôle que ça soit toi qui dise ça, il releva la tête pour t'observer.
— Je sais, mais faut bien te réconforter, pour appuyer tes dires, tu te penchas pour l'embrasser, Allez, on oublie ça, si tu veux bien ? Ça m'a juste stressé de me savoir observé, mais j'ignorerai maintenant.
— Parfait. Tu veux voir les loutres ?
— Les loutres qui se font des câlins ! Je veux voir ! tu t'exclamas, et attendit qu'il se détache de toi pour t'avancer vers le bassin. »
Tu commenças à rire avec Yoichi, à lui pointer les deux loutres qui se faisaient des papouilles, qui oscillaient au milieu de l'eau tranquillement. Il s'esclaffa, et répondit qu'elles étaient votre équivalent. Épaule contre épaule, les yeux rieurs, les lèvres amusées, vous decidâtes de vous abandonner à vos envies, à votre vie. Ce fut jusqu'à ce que des chuchotements parviennent une nouvelle fois jusqu'à tes oreilles. Tu voulais les ignorer, mais ils étaient cette fois-ci bien trop proches, et quand tu décidas de tourner la tête pour en examiner la source, tu te trouvas nez à nez avec une adolescente poussée vers vous par ses amies. Tu restas interloqué.
Ses cheveux ébène étaient en pétard, et alors que Yoichi se retournait à son tour, elle tenta de les lisser frénétiquement. Ses yeux étaient rivés vers le sol tant elle était gênée, et bien que ses lèvres bougent, aucun son n'en sortait. Elle était plus petite que vous deux, fragile. Pourtant, malgré sa frêle apparence, tu ne pouvais t'empêcher de rester sur tes gardes ; ton instinct t'empêchait d'être cordial, comme si tu savais précisément ce qui était sur le point de se dérouler devant toi.
« Euh ... Euh, bredouilla-t-elle, Tu es Isagi Yoichi, pas vrai ? Je t'ai vu à la télé. »
Tu t'en étais douté, mais tes sourcils se froncèrent tellement qu'ils laissèrent apparaître une ride du lion. Un regard levé au ciel, et les bras croisés, tu faillis t'adosser contre la vitre tant tu étais désabusé. Le regard d'Isagi était vague, se balançant entre son visage embarrassé et ton air lassé.
« Oui, je peux t'aider ?
— Ah, elle était tendue, tellement refermée que ça te fit grimacer. Ses muscles devaient saillir sous sa peau, contractés et fébriles, Je voulais te dire que je t'avais beaucoup apprécié et ... Et je voulais savoir si je pouvais avoir ton numéro de téléphone.
Si les situations comme celles-ci s'apprêtaient à devenir ta routine, tu n'étais pas sûr que tu puisses t'y acclimater.
— Désolé, je suis en couple, il avait l'air encore plus gêné qu'elle, et son expression incommodée t'arracha un sourire.
Ses joues explosèrent de couleur, et elle te jeta un coup d'œil de détresse.
— Et toi ?
— Pardon ? t'étonnas-tu. Tu ne t'étais pas attendu à un tel revirement.
— Je peux avoir ton numéro ?
Au vu de la manière dont tu étais traité comme un second choix, tu allais t'offusquer, au bord de l'indignation, mais Isagi te coupa l'herbe sous le pied.
— Je suis en couple avec lui, trancha-t-il un peu trop sèchement. »
Muette, elle n'osa rien répondre. Après une éternité de marbre, où elle resta figée, elle finit par prendre un pas de recul, puis un autre. Après un autre moment douloureusement long, elle rajouta une ribambelle d'excuses avant de s'enfuir en courant pour rejoindre ses amies, cachant son visage entre ses mains.
Après son passage, aucun de vous n'osa rouvrir la bouche. Abasourdi, tes lèvres étaient restées scellées. Quand une loutre commença à s'agiter dans l'eau, tu finis par te retourner vers Yoichi.
« Jaloux ? simplement, tu lâchas ce mot sans rien rajouter.
Il enfonça ses mains dans ses poches, et toujours aussi rationnel et terre à terre, répondit :
— Évidemment. Et déçu qu'elle t'ait pris pour un second choix.
Finalement, tu éclatas de rire. Ça avait été si absurde, tu ne pouvais t'empêcher de te tenir les côtes tant les rires te prenaient, tant ils s'imposaient sur tes abdominaux, comme deux mains trop baladeuses et moqueuses. Isagi t'avait rejoint bien assez vite, riant en t'entendant rire, craquant définitivement après avoir gardé un calme sidéral au long de cette conversation. Ensemble, vous riiez, vous vous esclaffiez, et répétiez la scène de manière exagérée. Le téléphone collé à sa main, ton petit ami le secouait dans tous les sens, et les larmes te montèrent finalement aux yeux.
Comme les loutres qui barbotaient dans le bassin, s'éclaboussaient, jouaient et couinaient ensemble, vous vous amusiez, vous appuyiez l'un sur l'autre et vous aimiez. En les discernant dans ton champ de vision, tu décidas de ne pas leur porter plus d'attention alors que tu étais au bord de la crise de larmes tant Isagi te faisait rire dans ses mimiques et réactions. Pour autant, tu ne pouvais t'empêcher d'y penser ; peut-être qu'il n'était pas un dauphin, et que tu n'étais pas une langouste.
Peut-être que vous étiez des loutres : au moins dans votre amour, vous étiez similaires. Vous étiez égaux, et vous fichiez du regard extérieur.
NDA : t/p quand il devient un second choix éhonté après qu'on ait essayé de lui chourave son bf
Aquarium dates ʕ ꈍᴥꈍʔ
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro