Quand Elena était partie, Alix avait pleuré. Elle ne l'avouerait jamais, parce qu'Alix était le genre de femme qui prétendait ne jamais pleurer. Elle était ce genre de femme qui voulait paraître forte en toutes circonstances. Bien sûr, elle était triste pour sa fille, bien sûr, elle aurait voulu lui éviter cette douleur qu'elle ne connaissait que trop bien. Mais Alix voulait qu'elle soit forte, elle espérait de tout son cœur que sa fille ne lui ressemblerait jamais. Alors, Alix avait pleuré en silence. Puis elle s'était préparée pour un énième rendez-vous avec son banquier. Ces rendez-vous, elle les connaissait par cœur. Il lui dirait de faire attention, il voudrait élaborer un plan avec elle, il la sermonnerait un peu. Puis ils se diraient au revoir cordialement.

-Bonjour monsieur Mazé.

-Madame Millet, entrez.

-Je vous l'ai dit cent fois, appelez-moi Alix. Bon c'est quoi le problème du jour ?

-Madame Millet, vous ne savez pas gérer un budget.

-Alix. J'en suis tout à fait capable, je l'ai fait pendant des années. Ça ne m'intéresse plus c'est tout. C'est ennuyeux.

-Ce n'est pas d'un passe-temps dont je vous parle, c'est de votre manière de vivre, c'est vital madame Millet.

-Alix. La nourriture c'est vital. L'eau aussi. L'amour pour certain, bien que je trouve ça ridicule. Le chocolat c'est carrément vital. Une bonne bouteille c'est vital. Un budget c'est vital. Gérer son budget c'est tout au plus pratique.

-Madame... Alix, vous n'êtes jamais sérieuse lors de nos rendez-vous.

-Et vous vous l'êtes trop. C'est quoi votre nom ?

-Monsieur Mazé.

-Allez je ne vous ai pas demandé votre adresse.

-Simon. On peut revenir au sujet qui nous intéresse ?

-Qui vous intéresse Simon, moi ça m'ennuie. C'est vos enfants ?

Alix tenait dans ses mains la photo de deux enfants identiques, assis sur le sol, riant aux éclats.

-Oui.

-Ils ont quel âge ?

-Madame Millet !

Simon était exaspéré. Cette femme l'épuisait à chaque rendez-vous. Elle ne s'arrêtait jamais de parler de tout sauf de l'objet du rendez-vous. Elle posait question sur question. Simon était un homme sérieux. Il ne riait plus depuis des années, ne sortait plus non plus.

-Alix. J'ai un beau prénom autant l'utiliser.

-Alix, concrètement vous comptez faire quoi pour votre budget ?

-Pour lui pas grand-chose, en revanche pour moi, c'est une autre question. Je sors demain soir, vous voulez venir ? Ça pourrait être amusant.

-Ce n'est pas professionnel.

-Mais si, vous me parlerait de tous vos trucs de budget et de placements et vous me ferait la morale. Vous verrez ce sera marrant.

-Je ne peux pas accepter.

-Vous ne voulez pas, c'est différent.

Alix ne s'avouait jamais vaincu. Si elle voulait quelque chose, elle faisait tout pour l'obtenir. Et elle avait décidé qu'elle ne sortirait pas seule demain soir. Simon était un homme charmant après tout, elle s'étonnait de ne pas l'avoir remarqué plus tôt. Il avait besoin de s'amuser un peu et de sourire. Jamais elle ne l'avait vu sourire, pourtant voilà des années qu'elle le connaissait maintenant.

-Simon, je crois bien que vous êtes la personne avec qui j'ai le plus de contact en ce bas monde. C'est un peu triste à dire mais c'est la vérité. Je crois que c'est assez réciproque à en juger par la constance de nos rendez-vous « professionnels », lui dit-elle en mimant des guillemets avec ses doigts.

Simon ne put réprimer un faible sourire. Et pourtant c'était tristement vrai. Cette femme il la voyait plus que son propre fils, il l'appelait, avait rendez-vous avec elle.

-Alors je pense que nous pouvons bien nous accorder une petite soirée. Rien d'extravagant, de la musique, un bar, un verre et une discussion. Vous parlez budget et je n'écouterais pas comme toujours. Je changerais de sujet et vous n'écouterez pas non plus. On va s'amuser et si ce n'est pas le cas, on ne renouvelle jamais l'expérience.

Alix attendit une réponse qui tardait à venir. Mais elle savait se montrer convaincante, elle l'avait même vu esquisser un sourire et ça, c'était le signe qu'un petit miracle se préparait.

-Une soirée.

-Une seule soirée Simon.

-Entendu.

-Je vous dis à demain soir alors, 19h au Blue Fire.

-C'est noté, à demain madame... Alix.