𝟔𝟒. 𝐋𝐞𝐬 𝐩𝐫𝐞𝐦𝐢𝐞𝐫𝐞𝐬 𝐥𝐢𝐠𝐧𝐞𝐬 𝐝𝐞 𝐦𝐨𝐧 𝐡𝐢𝐬𝐭𝐨𝐢𝐫𝐞
Mardi 14 octobre, Busan, Corée du Sud,
Six mois sont passés. Pourquoi un bond aussi loin dans le temps ? Tout simplement pour vous éviter de répéter inlassablement ce que je fais au quotidien. Et aussi pour éviter d'avoir trop de pages insignifiantes à lire. Notre vie est un perpétuel recommencement. Une boucle intemporelle. Nous réalisons les mêmes actions, nous plongeant dans une routine sans même nous en rendre compte. D'où l'importance des to do list, ou des organisateurs, qui m'ont permis, durant ces mois écoulés, de réaliser diverses activités sans sombrer dans la procrastination. Tous les jours je vais entre une heure et une heure et demie à la salle de sport. Après mon inscription, le plus dur me restait à venir. Comme aller récupérer ma carte d'adhérent directement à l'enseigne. J'ai beaucoup repoussé ce moment, angoissé à l'idée que l'on me juge en entrant dans la salle. Est-ce que d'autres personnes comme moi s'y trouveraient ? Est-ce que j'arriverai à m'en sortir avec toutes ces machines qui m'étaient totalement inconnues ? Est-ce que les autres adhérents pourraient me donner des conseils ? Toutes ces questions je me les suis posées les premiers jours.
J'étais perdu. Il y avait tellement de monde que je me sentais épié, jugé. J'avais l'impression que leurs regards se tournaient constamment sur moi. En réalité, ce n'était pas qu'une impression, mais j'ai appris bien plus tard que ce n'était pas par jugement. Le troisième jour suivant mon inscription, je restais sur les mêmes machines. Les plus faciles à utiliser. Comme le tirage dorsal par exemple. Un bon exercice pour renforcer la masse musculaire du haut du corps. Mais également les machines pour faire travailler les biceps et les triceps. Cependant, mes mouvements n'étaient pas adaptés, et je risquais de me blesser ou de n'y voir aucuns résultats. Je n'en savais rien, jusqu'à ce qu'un des sportifs vienne me voir pour me montrer quelles positions prendre pour avoir de meilleures sensations et surtout de meilleurs résultats. J'étais gêné. Je ne m'étais pas attendu à ce que l'on vienne me proposer de l'aide, me donner des conseils.
Plus les jours passaient, plus je devenais un habitué de la salle, ma peur se dissipant progressivement avec le temps. J'ai rencontré de nouvelles personnes, qui ne sont encore à ce jour que des connaissances de la salle. Je ne me sens pas encore prêt à les faire entrer dans ma vie, même s'ils se montrent particulièrement gentils et avenant avec moi. Et si on m'avait dit qu'un jour le sport renforcerait mon estime de soi, je n'y aurai jamais cru. Pourtant, c'est réel. Je ne me prive pas de nourriture. Je ne suis pas un régime particulier. Je mange ce qui me fait envie, même si ce sont des cochonneries, et je vais à la salle de sport tous les jours. Les courbatures n'en parlons même pas. Une véritable torture, et on a beau me dire de boire beaucoup d'eau, ça ne change rien. Ca fait un mal de chien, qu'on arrête de se mentir ! L'avantage, c'est que mon esprit cesse de fonctionner quand j'y vais. Je ne pense plus à rien, me focalisant uniquement sur mes séries. Comme tous ceux présents. Parfois je les sens, ces regards moqueurs, jugeurs, mais je n'y prête plus autant d'attention qu'avant. Ce ne sont qu'une minorité.
Pour ce qui est des sorties au cinéma, au bout de trois semaines je suis parvenu à aller voir Annabelle. Une horreur. Je n'ai jamais eu aussi peur de toute ma vie. Je crois même que j'étais le seul à crier. Note à moi-même ; ne plus jamais aller voir de films d'horreurs au cinéma. Ou du moins, pas tout seul, histoire qu'on soit à plusieurs pour crier. Je m'étais donc contenté de quelques films d'actions et d'animations pour faire passer le temps. Et après ça, je m'autorisais un petit restaurant, que je fais toujours, faisant encore abstraction du regard des gens. C'est triste quand même que les humains passent plus leur temps à regarder le cul des autres plutôt que de s'occuper du leur. Qu'est-ce que ça leur apporte de vouloir savoir ce qui m'est arrivé ? Qu'est-ce que ça va changer s'ils apprennent que j'ai fait une tentative de suicide et que c'est l'une des conséquences mon acte ? Est-ce qu'ils vont avoir de la pitié ? Je n'en veux pas. Est-ce qu'ils vont se mettre à me juger encore plus, en me disant que c'est bien fait pour ma gueule ? Je ne veux pas le savoir. Je n'ai pas besoin de connaître leur pensée.
Parfois, il faut apprendre à regarder ce qu'on a dans nos assiettes plutôt que de juger le plat des autres, en se disant que le nôtre est meilleur que les leurs.
J'ai abandonné la peinture. Ce n'est pas fait pour moi et je n'y trouve aucun réconfort, aucun soulagement. A part donner forme à mes démons, à leur attribuer une image, ça ne me soulageait pas au fond de moi. Je me suis donc mis à écrire dans les carnets que Gabriel m'a offerts. J'écris tout et n'importe quoi. Je décris le soleil, la mer, les odeurs, ce que j'ai mangé aujourd'hui. Ce que j'ai fait, ce qui m'a plu ou déçu et je les note parfois pour m'amuser. Je l'avais déjà remarqué, à quel point poser des mots me soulagent. Comme avec les lettres que j'écris pour Jaekyung. D'ailleurs en parlant de ça, il les a reçues... Gabriel a pu les lui donner lors des visites, et en retour, j'ai reçu les siennes. Je ne saurais vous décrire cet instant euphorique qui m'a traversé, lorsque je les ai lus pour la première fois. Les feuilles portent son parfum. Même encore maintenant, quand je les relis, je peux sentir son odeur. Cependant, la tristesse était bien présente. Les larmes ont coulé un bon nombre de fois, et j'ai supplié l'univers d'accélérer le temps pour que je puisse le retrouver. Je m'estime même heureux qu'on ait décidé de ne pas se voir. Je n'aurais pas pu tenir le coup à chaque séparation.
Le soir, quand la solitude se faisait plus douloureuse, je regardais les films et commençais les séries que Connor et Jaekyung apprécient. Ou j'écoutais les pistes audios que mon compagnon a enregistrées. Lorsque j'ai entendu sa voix résonner dans mes oreilles, mon cœur a cessé de battre à plusieurs reprises. Mélodieuse et grave à la fois, elle me transportait dans ces doux souvenirs que nous nous sommes créés. Il m'arrive même de relancer inlassablement les vocaux qu'il m'envoyait sur Kakao. Une manière pour moi de ne pas oublier sa voix. Une manière de l'avoir auprès de moi.
Au bout de deux mois passés seul, Jason et Brice sont revenus me voir. Deux par ci, deux par là, ils essayaient tant bien que mal de trouver du temps pour rester à mes côtés. J'étais heureux et touché par leur attention. Malheureusement, encore une fois, avec mon handicap, je n'ai pas pu les accompagner pour certaines visites locales. Comme les randonnées par exemple. Igidae et Taejongdae coastal walks sont une marche côtière très prisée par les coréens avec leurs sentiers littoraux, vous offrant une vue à couper le souffle. J'aurais aimé pouvoir faire ce geotrail Igidae, qui longe la mer et les falaises. Un jour, peut-être... Ils se sont également promenés au géoparc de Taejongdae se situant sur la pointe sud de l'île de Yeongdo. Ils m'ont montré les photos qu'ils ont prises, les panoramas sont juste magnifiques sur la mer, les forêts de pins noirs et les falaises. D'ailleurs, ils m'ont appris qu'il y a un petit train longeant la côte, et que la prochaine fois nous irons ensemble. Dites-vous que cette prochaine fois c'était le lendemain de leur retour. Ils voulaient à tout prix m'y emmener, et je n'ai pas regretté une seule seconde cette décision. Comme vous vous en doutez, j'ai pris un nombre incalculable de photos que j'ai fait imprimer et mis dans un nouvel album, sur lequel j'y ai mis quelques annotations et résumé de la journée. Nous nous sommes aussi rendus dans le quartier Jeonpo, réputé pour sa célèbre rue des cafés. Nous y sommes allés le soir, profitant d'une bonne ambiance et des pâtisseries locales. Je vous conseille d'y aller, vous ne le regretterez pas.
Outre toutes ces bonnes ondes positives, il m'est souvent arrivé d'avoir des instants de faiblesse. Surtout la nuit, la plupart du temps. Se battre constamment avec nos pensées négatives est épuisant. J'ai eu souvent l'envie de tout abandonner, de tout jeter par la fenêtre. Et lorsque ces émotions me traversaient, j'appelais Gabriel en premier. Une fois, ça s'était produit vers trois heures du matin, et il a répondu. J'étais en larmes à des kilomètres de lui, et nous avons passé la nuit à discuter, alors qu'il travaillait le lendemain. Je m'en voulais. Je m'étais senti coupable de l'avoir dérangé à une heure aussi tardive. Et quelques jours plus tard, il m'a fait la surprise avec Connor de me rendre visite. Ils ne sont pas restés longtemps, mais suffisamment pour balayer les doutes qui s'étaient à nouveau installés dans mon esprit. Je me souviens même que ce jour-là, Gabriel m'a conseillé d'écrire ce que je ressentais lorsqu'une crise d'angoisse prend possession de moi.
Quand ça s'est reproduit, je me suis installé sur la terrasse et j'ai écrit. Dix pages au total sur ce que j'éprouvais durant cette crise d'angoisse. Un bon exercice que j'ai réitéré et que je continue d'appliquer quand une émotion négative me submerge. Puis, j'ai développé cette méthode avec des pensées positives. J'ai commencé à manifester. A me lever le matin avec uniquement des pensées positives, à croire en moi. J'ai annoté chaque pensée d'une date, une façon de suivre chronologiquement mon évolution, et un jour... une idée m'a traversé l'esprit ; écrire ma vie, mon témoignage. Écrire ce que je ne suis pas capable de dire à l'oral.
Ce matin-là, je me suis réveillé avec le besoin irrépressible de prendre mon ordinateur, de m'installer sur la terrasse et d'écrire. J'ai allumé mon écran, ouvert une page Word, et j'ai regardé la page blanche pendant deux heures. Il y avait tellement de choses à écrire, tellement de choses à dire, que je ne savais ni par où, ni par quoi commencer. Et qu'est-ce que je voulais écrire exactement ? Qu'est-ce que je souhaitais transmettre à travers ces lignes ? Mon esprit est entré en ébullition et j'ai fermé la page Word. Je l'ai rouverte que le soir et sans comprendre ce qui était en train de m'arriver, mes doigts ont commencé à taper naturellement sur le clavier, donnant lieu à un premier paragraphe, au commencement de mon histoire ;
« D'aussi loin que je m'en souvienne, je n'avais encore jamais été témoin de cette vive expression, illuminant la tendresse de ses traits angéliques. On se connaît depuis des années, avons grandi ensemble, et c'est pourtant la première fois que je le vois être aussi éblouissant que le soleil, débordant d'une joie incessante, depuis qu'il s'est mis en couple avec un certain Connor Johnson ».
Gabriel. Je ne pouvais pas commencer à écrire sans parler de lui. Sans parler de la lumière qui est entrée dans ma vie et qui a tout chamboulé sur son passage. Il fallait un début à mon récit, et quoi de mieux que de parler de cette journée, de cette discussion qui a été l'élément déclencheur de toute cette histoire. Et s'il m'avait jamais parlé de ce camboy ? Et si je n'avais jamais cédé à la curiosité ce soir-là ? Où serais-je aujourd'hui ? Quel tournant aurait pris ma vie ? Je me suis posé ces questions en écrivant les premiers chapitres, réalisant à quel point une seule chose, un seul événement peut tout faire basculer dans votre quotidien. Celui-ci était un mal pour un bien, car d'une certaine manière, Gabriel m'a sauvé la vie.
Si tu lis ces mots Gabi, sache que je t'aime à en crever. Putain, ce que je t'aime. Je ne remercierai jamais assez la vie de t'avoir mis sur mon chemin. Josh et Gabi pour la vie, notre amitié est éternelle, mon ange gardien.
C'était dur d'écrire mon déni. C'était dur d'écrire ma prise de conscience, de replonger là où ça fait mal. Il y a des jours où j'ai cessé d'écrire. C'était trop douloureux, mais j'ai appris avec le temps qu'il ne faut pas avoir peur de plonger dans nos plaies pour pouvoir les guérir définitivement. Alors j'ai continué. J'ai rouvert mon ordinateur et j'ai poursuivi mon histoire. Parler de mon géniteur m'a permis de tourner la page sur son existence. Parler de ma mère comme je l'ai perçu, m'a crevé le cœur. Mais plus j'avance dans les chapitres, plus j'approche de la rédemption. Je prends conscience de certaines choses, de mon évolution, de mes progrès. Je réalise d'où je suis parti, et où est-ce que j'en suis arrivé aujourd'hui, grâce à eux. Grâce à mon petit-ami et mes amis. Ils sont ma détermination au quotidien. Ma dose d'adrénaline lorsque je me laisse sombrer dans une pensée négative. Je suis heureux de pouvoir les écrire. Heureux de pouvoir vous faire lire à quel point ils sont extraordinaires. A quel point ils rendent ma vie meilleure chaque jour que je passe à leurs côtés, même si des kilomètres nous séparent.
Huit mois aujourd'hui, que je suis à Busan. Bientôt un an. Bientôt les retrouvailles avec mon amant. Je n'arrive toujours pas à y croire. Le temps est passé vite, oui. Comme parfois j'ai l'impression que les minutes ne tournent plus. Concernant les sextoys, je n'ai toujours pas sauté le cap. Je me contente de les observer sur ma table de nuit, me sentant de moins en moins gêné par leur présence. D'ailleurs, aborder le sexe dans mon histoire m'aide à mieux me comprendre. Poser des mots sur mes viols, écrire les souvenirs de ces actes, me torturent comme me soulagent à la fois. Je suis vivant, bordel. J'ai survécu à toutes ces choses. Mon harcèlement, la pression psychologique de mon connard de géniteur, mes viols, mon suicide.
J'en ai vu des merdes, et je suis encore là. Je suis encore debout à vous écrire ces lignes, à vous témoigner mon histoire. A parler pour ceux qui ne peuvent plus le faire et dont nous oublierons jamais leur mémoire, ni leur combat. A ceux qui brillent désormais dans les étoiles, que l'on doit contempler pour admirer la beauté de leurs âmes. Ces guerriers et guerrières parties trop tôt, pour qui ces lignes leur sont dédiées.
Je ne saurais vous dire depuis combien de temps j'écris exactement. Tout ce que je sais, c'est que chaque jour les paragraphes s'accumulent, fermant peu à peu certaines de mes blessures. Parfois je pleure, parfois je ris, parfois je souris. Mais je suis en vie.
Aujourd'hui, il fait beau. L'automne a commencé à s'installer, Halloween approche à grands pas et j'ai hâte de pouvoir le fêter avec mes amis, qui ne vont plus tarder à arriver. Je me suis emmitouflé dans un gros pull en laine que j'ai commandé sur internet. Dans les teintes brunes, rappelant la saison, je l'ai accompagné d'un pantalon beige. Mes cheveux ont poussé depuis mon dernier passage j'ai le coiffeur, les attachant quotidiennement en un chignon déstructuré, avant d'enfiler ma veste et mes Dr, Martens noir mat. J'ai quelques courses à faire avant que les ogres ne débarquent et je me rends dans le seven eleven en face de chez moi. Je m'accapare d'un petit panier que je pose sur mes jambes, et dirigent les roues dans le rayon des nouilles instantanées. Je prends plusieurs boîtes et sachets de samyang buldak, les meilleurs sont à la carbonara, mais un conseil ; ne mettez jamais toute la sauce piquante à l'intérieur. Sauf si vous voulez rejoindre Tupac avant l'heure. Je prends également de quoi faire du jajangmyeon, le plat préféré de Jaekyung, que je cuisine régulièrement lorsqu'il me manque. Autrement dit ; tous les jours.
Ne me jugez pas.
Je mets tout dans le panier, en ajoutant des samgak kimbap, un encas triangulaire à base de riz, enveloppé d'une feuille d'algue, et garni avec du fromage, de l'avocat, du saumon etcetera... J'y ajoute quelques gâteaux, parce que je sais qu'on va passer notre temps à en manger devant la télévision. Une fois tous les aliments réunis, je rejoins la caisse, range tout dans un sachet que je dispose sur mes jambes et sors du magasin. Au même moment, par inadvertance, j'entre en collision avec deux hommes. Mes courses tombent au sol suite au choc. Je relève la tête dans l'optique de m'excuser, angoissé, mais mes membres se détendent lorsque mon regard se pose sur Jason et Brice.
— Bah alors ? On ne regarde pas où on va ! me taquine Brice, les mains dans les poches.
— On t'a vu dans le magasin. On voulait passer acheter quelques boissons avant de sonner chez toi. Comme quoi le monde est petit, ajoute Jason le sourire aux lèvres.
Je laisse un soupire de soulagement, ayant cru un instant que j'allais me manger une droite pour ce petit incident. Et je n'exagère pas. Les gens frappent pour tout et rien de nos jours. On peut mourir pour un regard de travers. Je m'apprête à me pencher pour ramasser mon sachet de course, mais ils me devancent.
Jason se redresse avec le contenant.
— Laisse-nous t'aider, pour une fois. Ca te ne fera pas de mal de souffler un peu.
Je souris en reposant mon dos contre le dossier de mon fauteuil.
— C'est très gentil, merci beaucoup, réponds-je en sentant une douce chaleur se répandre dans ma poitrine. Vous m'avez manqué. J'avais hâte que vous arriviez. Est-ce que Connor et Gabriel sont là, aussi ?
Brice vient m'enlacer, suivi de Jason avant que les deux, en même temps, me font un signe de tête en direction du parking.
— Ils sont en train de décharger les bagages.
— Et tu auras un meilleur ami avec qui faire la course pour les prochains jours.
Intrigué, je fronce mes sourcils.
— De quoi parlez-vous ?
Ils se mettent à rire.
— Il y a deux semaines de ça, on est allé au parc d'attractions tous les quatre. Gabriel s'est dit que ce serait une merveilleuse idée de faire du trampoline. Sauf que tu sais à quel point il est doué ?
Je sens déjà la bourde arriver.
— Il s'est explosé les deux jambes en se rattrapant. Il a dû se faire opérer de ces fractures et poser des plaques. Il a échappé belle quand même.
J'écarquille les yeux, choqué la nouvelle, tandis que ces cons se plient en deux, mort de rire.
— Tu vas le voir, glousse Jason en manquant d'air. Il a les deux jambes dans le plâtre. C'est à mourir de rire.
Pour ma part je ne rigole pas. Je n'étais pas au courant de cet épisode, et je leur ai fait signe de me suivre jusqu'au parking. Mon inquiétude se répand dans tout mon être, je sens mon cœur s'acharner contre ma poitrine, à tel point que j'ai l'impression qu'il va en sortir. Je les entends rire derrière moi, et lorsque j'arrive à la hauteur de leur voiture, le visage de Gabriel se tourne vers moi, un large sourire placardé sur ses lèvres. Il est assis sur un fauteuil, les deux jambes surélevé, plâtré. Il a l'air d'aller bien.
— Joshua ! Ma vie ! s'exclame-t-il en levant ses bras en l'air. Tu vas vu mon carrosse ? Il est incroyable, n'est-ce pas ? On va pouvoir faire la course toi et moi.
Connor lève les yeux au ciel. Lui par contre, il a l'air dépité, dépassé par la situation, même si un sourire amusé se loge dans le coin de ses lèvres.
— Vous n'êtes pas des meilleurs amis pour rien, dit-il en ramassant les bagages, aidé de Jason et Brice.
— Ah ça c'est sûr qu'on fait bien la paire, rétorque Gabriel en me faisant un clin d'œil. Mais qu'est-ce que ça fait mal au cul d'être toujours assis ! Je ne peux même pas me dégourdir les jambes, et ça me gratte dans les plâtres.
— Ca t'apprendra à avoir deux pieds gauches, réplique Brice, taquin.
Je ne peux m'empêcher de sourire, soulagé, en secouant la tête.
— Venez on va rentrer avant qu'il ne pleuve. Comme ça vous pourrez me raconter avec plus de détails cette merveilleuse journée !
❃ ❃ ❃ ❃
Effectivement, c'était une journée qui marquera les mémoires. Enfin, surtout les souvenirs de mes amis. Il y avait déjà eu plusieurs signes avant-coureur en début de journée, avertissant mon meilleur ami de faire attention à lui. Comme par exemple faire tomber deux verres à la suite, se brûler la main avec son lisseur, ou encore rater une marche dans l'escalier en colimaçon chez ses beaux-parents. Je pense que l'univers ne pouvait pas lui donner plus signes pour lui faire comprendre que quelque chose allait se produire. Heureusement, c'était plus de peur que de mal. Minimum six semaines de plâtre avant de retourner voir le chirurgien. Sans compter la rééducation qui va suivre, mais j'en suis tout de même soulagé qu'il n'ait rien eu de plus grave. Cependant, je n'ai pas pu m'empêcher de leur demander pourquoi ils ne m'ont pas tenu au courant le jour même de l'incident. Gabriel m'a répondu que c'était pour ne pas m'inquiéter, d'autant plus qu'ils allaient bientôt arriver, et qu'ils comptaient tout m'expliquer en face à face. Il s'est d'ailleurs excusé de ne pas me l'avoir dit plus tôt, chose que je ne lui reproche en aucun cas.
Au contraire, je n'aurais pas arrêté de m'inquiéter jusqu'à ce qu'ils me rejoignent à Busan.
Par la suite, nous nous sommes installés dans la salle de séjour après avoir préparé les nouilles instantanées que j'ai achetées au préalable, tout en discutant du programme des prochaines sorties. Du lait à la banane pour moi et Gabriel en guise de boisson, du Soju pour les autres, pour ne pas changer. La pluie n'a pas cessé de tomber de la journée, nous cloitrant dans l'appartement à jouer aux jeux de sociétés. Comme à son habitude, Jason est un très mauvais joueur. Dès qu'il perd une partie, il accuse tout de suite le jeu d'être frauduleux, et veut instaurer ses propres règles. Nous avons donc essayé au cours de la soirée de lui laisser une chance avec ses propres règles, et devinez quoi ? Il a encore perdu. Vexé, il est allé se réfugier sur la terrasse. Brice et Connor l'ont rejoint avec quelques bières et n'ont pas eu beaucoup de mal pour le faire rire. Quant à Gabriel, il m'a abandonné quelques secondes dans le salon pour aller récupérer quelque chose dans sa valise.
En me rejoignant, il m'adresse un large sourire.
— J'ai un petit quelque chose pour toi.
— Qu'est-ce que c'est ? demandé-je en haussant un sourcil.
Il me tend un sachet que je prends avec confusion. Lorsque je l'ouvre, mes yeux s'écarquillent en comptant pas moins de trente enveloppes. Si ce n'est pas plus.
— Mais c'est...
— Jaekyung, oui, me coupe-t-il, son sourire s'agrandissant. Quand nous sommes allés le voir, il m'a demandé de te donner ça. Moi-même j'étais choqué pour te dire.
Il se met à rire en attrapant son lait à la banane.
— De toute façon tu le verras en regardant, mais sur certaines enveloppes il y a une date précise où tu dois les ouvrir. Je crois que c'est un calendrier de l'avent pour Noël.
Mon rythme cardiaque s'accélère dans ma poitrine, en piochant quelques lettres dans le sachet. Je me décide à en ouvrir une, en présence de Gabriel, car je sens que je vais fondre en larmes d'une seconde à l'autre.
« Bonjour mon amour, j'espère que tu vas bien ?
Aujourd'hui, on est le 18 septembre et il n'y a pas un seul jour où je ne pense pas à toi. Tu me manques tellement. Ça va bientôt faire huit mois que j'ai commencé le service militaire. J'ai l'impression de me répéter dans chacune de mes lettres à compter les jours écoulés et les semaines qui nous restent avant de nous retrouver, et je te prie de m'excuser. Je me sens coupable de ne pas avoir beaucoup de choses à te raconter, chaque journée est redondante. La nourriture n'est pas mauvaise, heureusement, même si je suis certain que ta cuisine, elle, est exceptionnelle.
De mon côté, les nuits sont plutôt courtes. Il m'est difficile de trouver le sommeil sans t'avoir dans mes bras. J'aimerais tellement pouvoir t'embrasser, sentir ton parfum, te dire encore et encore que je t'aime, et ne plus jamais te quitter, mon amour. Tu sais, parfois les sirènes retentissent en plein milieu de la nuit, et on doit se dépêcher de nous préparer pour nous rendre sur les lieux. Jusqu'à maintenant, ce ne sont que des fausses alertes, dûes aux civils qui essaient de traverser la frontière. Le journée, je passe pas mal de temps à la salle de sport pour me défouler. Je m'occupe de vérifier si le matériel et les installations ne sont pas défectueux. Un vrai bordel tellement que c'est complexe.
Mais tu sais ce qui me motive tous les jours ? C'est toi. Ta détermination, ton courage, ta force mentale, ton sourire. Je t'imagine sans cesse dans mon esprit et c'est ce qui me permet de tenir. A mon retour, s'il te plait, laisse-moi te porter dans mes bras, t'emmener au bord de plage, et danser au clair de Lune, même sous la pluie. Laisse-moi t'aimer, à crier sur tous les toits mon amour pour toi. Je veux qu'à mon retour, le monde sache à quel point je suis fou de toi.
Tu te rends compte mon ange ? Dans dix mois approximativement, j'aurai fini mon service et je te rejoindrai à Busan. Dans 304 jours plus précisément. Je t'aime, Joshua. N'abandonne pas tes rêves. Crois-mois, ils se réaliseront tous un jour ou l'autre. Attends-moi encore un peu. Je ne serais plus très long.
Je t'écris ces mots en regardant les étoiles. Elles brillent beaucoup ce soir, c'est magnifique. Mais tu restes à mes yeux la plus belle de toutes ces constellations. Tu es mon étoile, Joshua, et je serais ta galaxie pour l'éternité. Tout comme je suis ton étoile, et toi mon univers tout entier. Alors ne cesse jamais de briller, mon amour.
A bientôt,
Je t'aime ».
Je ne parviens pas à lire les derniers mots. Ma vue est brouillée par une multitude de larmes qui coulent le long de mon visage. A cause de nos fauteuils, Gabriel ne peut pas m'enlacer comme il aimerait pouvoir le faire. Je l'entends râler en tentant de tendre les bras vers moi, et je me rapproche pour lui faciliter la tâche, posant ma tête contre son épaule. Je serre la lettre contre ma poitrine après avoir humer son parfum et y déposer mes lèvres, comme pour l'embrasser.
— Dans dix mois on sera à nouveau réuni, murmuré-je en me laissant bercer dans les bras de mon meilleur ami. Dans dix mois, plus rien ne pourra nous séparer.
— Tiens bon, Joshua. Vous avez déjà fait le plus dur.
Je hoche la tête en reniflant.
— Tu as raison, réponds-je en me redressant.
Je passe une main sur mon visage pour essuyer mes larmes.
— On va faire la fête.
— Hein ?
Je tourne la tête vers lui. Je souris.
— Ce soir, on va faire la fête toute la nuit.
❃ ❃ ❃ ❃
Quelle idée de merde sérieusement. J'aurai dû regarder mon planning au préalable, avant d'organiser une telle soirée à l'improviste. Pourtant, je me souviens me l'avoir dit dans un coin de ma tête ; tu as un rendez-vous avec ton psychologue demain matin, donc il faudra te coucher tôt. Oui, bien sûr. Résultat, nous nous sommes couchés aux alentours de sept heures du matin. Par chance, je n'ai pas bu d'alcool, ni Gabriel d'ailleurs, contrairement à mes amis qui se sont complètement torchés la mine au point de finir la tête dans les toilettes pour clôturer la soirée. Mon réveil a sonné à neuf heures et demie, et comment vous dire que ça a été un véritable combat entre mon corps et mon esprit pour réussir à me lever. Je vous épargne les images, mais je suis effrayant. Même un fantôme aurait peur de moi. Mes yeux sont explosés, rougis par la fatigue et le manque de sommeil. Mes cheveux sont emmêlés, ayant oublié de défaire mon chignon avant d'aller me coucher, et comme j'ai un sommeil agité, c'est une anarchie capillaire. Mes cernes sont présents, le teint pâle d'une envie de vomir. Car même si je n'ai pas bu une goutte de ce poison, je me suis explosé le bide de cochonnerie. Et ma voix, n'en parlons même pas.
Whitney Houston. Vous savez qui c'est, n'est-ce pas ? Pendant que les garçons faisaient une réunion dans les toilettes, nous avons mis Bodyguard à la télé avec Gabriel. « I will always you » s'est lancé et nous avons chanté à s'en arracher les cordes vocales. Tout ça pour vous dire, que je suis actuellement en visio avec mon psychologue, et je crois voir dans son regard qu'il hésite à appeler les pompiers. Malgré son sourire amusé ourlant le coin de ses lèvres.
— Vous souhaitez qu'on reporte notre rendez-vous ? Il serait préférable que vous vous reposiez.
Je glousse légèrement en secouant la tête.
— Non, ne vous inquiétez pas, ça va aller. J'irais me recoucher après, réponds-je en m'accaparant de ma boisson.
Qui n'est autre qu'une bonne tisane pour la digestion.
— Très bien, Joshua. Alors, comment allez-vous aujourd'hui ?
— Je suis explosé.
Nous rions et je tente du mieux que je peux de contenir un haut-le-cœur.
— Plus sérieusement, je vais bien aujourd'hui. Ces derniers mois, j'ai réalisé beaucoup de choses, et je suis fier de moi. Surtout quand je regarde mes planners et mes to do list que j'ai accompli. C'est motivant de voir tout ce que j'ai pu faire en seulement huit mois, ajouté-je en esquissant un sourire. Mais mentalement, il y a encore des choses que je n'ai pas réussi à guérir.
Il hoche la tête en se redressant sur sa chaise de jardin.
— Chaque chose en son temps, Joshua. Ce que vous avez déjà réalisé est remarquable, et vous avez raison d'être fier de vous. Même accomplir un seul de vos objectifs est déjà incroyable, dit-il, ses bras se croisant contre son torse. Souhaitez-vous me parler de ce qui vous tracasse encore ?
J'imite son action en ajustant mon plaid autour de mes épaules.
— Ces rêves... érotiques. Je continue à en faire. Il y a des moments où j'arrive à reprendre le dessus sur ces violences que je tente de normaliser. Et d'autres non. Puis, je n'ai toujours pas réussi à passer le cap, annoncé-je d'une voix peinée. Je sais que je dois le faire quand je me sentirai prêt. Et ce qui est étrange, c'est que je me sens prêt, mais j'ai peur.
— Peur d'avoir mal ?
— Peur d'avoir mal, oui. Mais peur de me faire du mal, aussi. Je ne veux pas reproduire les viols que j'ai vécus. Je ne veux pas reproduire les violences qu'il m'a infligées. Et je me dis, que si je me laisse aller dans cette pente, je crains de sombrer dans ce qui m'effraie.
— Ce qui est tout à fait normal de ressentir cette appréhension, Joshua, commente-t-il en attrapant sa tasse de café. Vous n'avez connu que la violence, comme je vous l'ai expliqué lors de nos dernières séances. Cependant, ce que vous devez à tout prix ancrer dans votre esprit, c'est que vous êtes le seul maître de votre propre corps. Personne ne peut vous faire du mal. Personne ne peut vous forcer. Si vous avez peur, vous pouvez tout arrêter, et recommencer une autre fois.
Je me racle la gorge avant de boire une nouvelle gorgée de ma boisson.
— En gros, il faut que j'essaie, c'est ça ? Il faut que j'essaie pour affronter cette peur.
— Tout comme vous avez affronté vos démons jusqu'à maintenant. Ça fait partie de la guérison.
— Je m'en doutais un peu, murmuré-je en sentant mon cœur battre lourdement dans ma poitrine. Des fois, je me dis que ce serait préférable que mon compagnon soit là pour m'accompagner. Que je me sentirais mieux en sa présence, mais ça voudrait dire, qu'encore une fois, je dépends de lui...
Mon psychologue m'arrête avec un mouvement de main.
— Ce n'est pas de la dépendance, Joshua. Il ne faut pas tout mélanger. Vous cherchez simplement du réconfort, du soutien pour réaliser cet acte. Le faire avec son partenaire nous rassure. On se sent en sécurité lorsqu'on est compris et écouté. On a donc plus d'assurance et de confiance en soi. Ça n'a rien à voir avec la dépendance. Et il n'y a pas de mal à vouloir attendre le retour de votre petit-ami.
Ses mots me percutent mais ils ne me font pas mal. Je les laisse glisser en moi. Je les accepte.
— C'est contradictoire, n'est-ce pas ? A la fois je veux le faire tout seul, et d'un autre, je veux attendre sa présence. C'est un vrai bordel dans ma tête, rié-je sans humour.
Je soupire en passant ma main sur mon visage.
— Ne vous prenez pas la tête, Joshua. Écoutez-vous. Ecoutez votre cœur. Qu'est-ce qu'il vous dit de faire ?
— De le faire, rétorqué-je en rencontrant son regard. Mon cœur me dit de le faire, mon esprit lui, il est complètement perdu.
Il sourit en mouvant la tête d'un air approbateur.
— Vous savez ce qu'il vous reste à faire ? Connectez votre cœur à votre esprit. Faites-vous confiance, Joshua. C'est vous qui avez les cartes en main. Vous êtes le seul à savoir que vous allez gagner.
J'étire mes bras avant de camoufler un bâillement du revers de ma main.
— Excusez-moi. La fatigue commence à reprendre le dessus.
— Ne vous inquiétez pas. De toute façon, nous avons fait le tour de votre question. Nous en reparlerons dans un mois, réplique-t-il en se penchant légèrement en avant. Vous avez fait d'énormes progrès Joshua. Soyez fier de vous. Continuez de croire en vous. Vous êtes sur la bonne voie.
— Merci beaucoup, rétorqué-je en esquissant un sourire.
— Allez vous reposer maintenant. Vous en avez besoin, conclut-il en gloussant. Au revoir, bonne journée.
— Au revoir, monsieur.
Nous mettons fin à l'appel et je laisse expirer un long soupir. Je connaissais déjà les réponses à mes questions, mais j'avais besoin de les entendre de vive voix, encore une fois. Je regagne ma chambre, silencieusement. Les ronflements accompagnent le mécanisme de l'horloge murale, me faisant sourire d'amusement. Ils ne sont pas prêts de se réveiller, mais qu'importe ? Nous avons tout le temps de profiter de notre présence ces prochains jours. Je parviens à me coucher et à me glisser sous les draps. Mes paupières sont lourdes, je ne vais pas tarder à m'endormir. Pourtant, mon regard fixe longuement la table de chevet, me décidant à ouvrir le tiroir pour en sortir le plug anal à perles.
Mon rythme cardiaque s'accélère. Je serre l'objet dans ma main, déterminé.
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