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𝟔𝟏. 𝐓𝐨𝐮𝐫𝐧𝐞-𝐭𝐨𝐢 𝐯𝐞𝐫𝐬 𝐥𝐞 𝐬𝐨𝐥𝐞𝐢𝐥, 𝐞𝐭 𝐥'𝐨𝐦𝐛𝐫𝐞 𝐬𝐞𝐫𝐚 𝐝𝐞𝐫𝐫𝐢𝐞𝐫𝐞 𝐭𝐨𝐢


Vendredi 31 janvier, Busan, Corée du Sud,

Nous sommes arrivés aux alentours de dix-sept heures à Suyeong, l'un des districts de Busan. Nous avons pris la voiture vers treize heures, et j'ai dormi pratiquement tout le trajet, épuisé de cette matinée riche en émotions. En ouvrant les yeux, j'ai été émerveillé de voir que le quartier n'a pas changé après toutes ces années. Toujours aussi animé, de jour comme de nuit ravivant les souvenirs de mon enfance. Je me souviens qu'avec mon frère, on allait se balader au bord de la plage jusqu'à pas d'heures. Et le soir, avec notre mère, on allait admirer la beauté colorée du pont Gwangan, digne d'une carte postale. Il est devenu un monument phare à la fin des travaux, attirant les photographes professionnels, comme amateurs. Et en prime, nous avions eu le bonheur de contempler les feux d'artifices, assis sur le sable blanc, en dégustant une glace en guise de gourmandise.

J'ai hâte de pouvoir me replonger dans ces souvenirs, reproduire ces activités en compagnie de mes amis. Prendre des photos et remplir mon album que je chérirais précieusement en secret.

C'est Connor qui a conduit tout le long du trajet. Sa voiture, ou plutôt leur Renault grand Koleos, est largement spacieuse pour nous accueillir tous les cinq, en plus de nos bagages et de mon fauteuil roulant. Il coupe le moteur une fois garé sur le parking privé, devant un grand immeuble donnant une vue imprenable sur la mer. En sortant du véhicule, leur réaction ne manque pas de me faire sourire. On dirait des enfants qui voient la mer pour la première fois de leur vie. Gabriel déplie mon fauteuil. J'ouvre la portière, prenant appui sur la poignée pour soulever mon corps. Je pose un pied au sol, puis le deuxième, me laissant ensuite tomber sur le coussin soulageant mon pauvre fessier. L'air est piquant tant il fait froid. Comme si une nuée d'insectes étaient en train de nous attaquer, sans parler du vent, bousculer par l'air marin nous frigorifiant sur place.

— Putain on se gêle les couilles dans ce bled ! jure Jason en s'empressant de sortir les bagages du coffre. Je vais perdre un testicule si on reste plus longtemps dehors !

Je ris, tandis qu'ils se mettent à courir jusqu'à l'entrée du bâtiment, tapant le code que je leur ai donné au préalable, pour y trouver refuge. Nous prenons l'ascenseur, priant intérieurement pour qu'il ne tombe pas en panne. Avant, j'évitais au maximum de monter dedans, maintenant, je n'ai plus le choix que de m'y faire et de combattre ma phobie.

Quel enfer.

Nous regagnons l'appartement, qui les laisse sans voix. Toutes les pièces donnent accès à l'extérieur via de petites terrasses, sur lesquelles sont installées des transats, permettant de savourer un bain de soleil lors des saisons estivales, mais aussi d'admirer le pont Gwangan sans avoir à louer une chambre d'hôtel hors de prix. Depuis ce spot, les feux d'artifices sont visibles, et j'ai hâte qu'ils puissent le découvrir. Je suis certain de faire des photos mémorables. Ils déposent les bagages dans la salle de séjour, le parquet est en bois, et comme je suis plus proche du sol qu'eux ne le sont, je peux apercevoir une fine pellicule de poussière le recouvrir. Il doit certainement y avoir des araignées, cachées quelque part, et j'en ai déjà des frissons rien que d'y penser.

— C'est vraiment incroyable, souffle Brice en avançant dans la pièce, la tête bougeant dans tous les sens. C'est à toi, maintenant ? Cette dinguerie t'appartient ?

Je souris en faisant tourner les roues de mon fauteuil pour arriver à son niveau.

— C'est l'un des héritages de ma mère, oui, réponds-je en regardant avec nostalgie la décoration qu'elle avait mise en place. Mon...

Je m'arrête dans ma lancée, avant de soupirer. Je racle ma gorge, déjà bien irritée en humidifiant mes lèvres.

— Il a acheté cet appartement en guise de cadeau de mariage. C'est d'ailleurs la seule chose qui lui a été offerte, et il n'a jamais mis les pieds ici, à part moi et mon frère, ajouté-je en m'approchant du buffet.

Je passe mon doigt dessus, récupérant une couche de poussière qui me fait éternuer.

— Ce logement nous revient donc. Mais, je crois qu'un bon nettoyage de printemps ne lui ferait pas de mal.

— Ne t'inquiète pas, on va s'en occuper, rétorque Connor en retirant sa veste en cuir qu'il pose sur l'une des chaises en bois. On va d'abord commander à manger, déballer nos affaires et après on s'y met. A cinq, ça devrait aller vite, non ?

— Je m'occupe de passer commande ! Vous pouvez déjà commencer le ménage, réplique Gabriel en allant poser ses fesses sur le canapé.

On le regarde, silencieux, malgré mon sourire aux lèvres, amusé. Gabriel a les yeux rivés sur son téléphone, jusqu'à ce que son attention se reporte sur nous. Il hausse un sourcil en croisant ses jambes.

— Bah alors ? Allez, allez, le ménage ne va pas se faire tout seul ! dit-il en secouant la main dans notre direction. Joshua va m'aider à choisir le menu de ce soir. Vous, au travail !


❃ ❃ ❃ ❃


Gabriel a dû nettoyer les toilettes et salles de bains après avoir perdu à pierre, feuille, ciseau avec son compagnon. Comment vous dire qu'il lui a fait la gueule toute la soirée, jusqu'à ce qu'on nous livre la commande, et que la nourriture sauve son humeur. Et son couple, par la même occasion. Nous avons mangé de la soupe de porc accompagnée de riz, avec des gâteaux de poissons, des nouilles de verre Bibim et des poches de tofu frit. C'était excellent, et ça faisait un moment que je n'avais pas mangé un repas complet. Cependant, le contrecoup de la route, du ménage et la digestion, nous ont mis K.O en seulement quelques minutes. Chaque chambre est équipée d'une salle de bains. Trois pièces à l'étage, et deux autres situées au niveau de la salle de séjour. Jason et Connor sont montés à l'étage, heureux d'avoir chacun leur propre intimité durant les trois prochaines semaines. Gabriel et Connor ont choisi la chambre à côté de la mienne pour les deux mois à venir.

Je suis content qu'ils aient pu trouver un compromis pour rester à mes côtés, le temps que je prenne mes repères, que je m'adapte à ce nouveau cadre de vie et surtout à la solitude. La présence de Jaekyung va énormément me manquer. Ma routine qui s'était installée à ses côtés va être chamboulée. Je vais être désorienté, perdu. Parfois douter de ma décision, vouloir abandonner, et je ne suis pas certain de pouvoir gérer toutes ces émotions si j'étais venu à me retrouver seul dans cette ville. D'ailleurs, c'est le silence totale dans l'appartement. Toutes les lumières sont éteintes. On peut entendre le mécanisme de l'horloge murale résonner dans le salon, affichant trois heures et demie du matin, accompagné des ronflements de mes amis. Malgré la fatigue, je n'arrive pas à dormir. Je ne fais que cogiter dans mon lit, à la recherche du corps de mon amant pour me réchauffer, en vain.

— Fais chier, murmuré-je en ouvrant les yeux.

Je me redresse dans le lit, passant ma main sur mon collier pour saisir les bagues et les serrer fermement. Comment vais-je faire ? Ça ne fait même pas vingt-quatre heures qu'on s'est séparé, et je souffre déjà de son absence. Je laisse échapper un long soupir. A quoi bon rester dans le lit si je ne trouve pas le sommeil ? Même pas cinq minutes après avoir quitté ma chambre, j'ouvre la baie vitrée, pour m'installer sur l'un des transats, emmitouflé dans un plaid trois fois trop grand pour moi, mais assez épais pour ne pas que je n'attrape pas froid. J'admire le pont, illuminé de mille feux, en plus des étoiles scintillantes dans le ciel. Je ne pense à rien, et pourtant, je sens sa présence à mes côtés. Mais pas celle de mon compagnon.

Un sourire sarcastique étire mes lèvres.

— Tu as le culot de me suivre jusqu'ici, dis-je sans détourner mon regard de la mer. Jusqu'à quand tu comptes me pourrir la vie ?

Il ne me répond pas. Pourtant, Ha-joon est bien là, assis à même le sol, à côté de moi.

— Je vais te tuer, ajouté-je d'un hochement de tête, déterminé. Je vais te détruire de ma vie, et tu ne pourras plus jamais m'atteindre. Tu ne pourras plus jamais me toucher dans mes rêves, dans mes pensées. Busan est ton terminus.

Suis-je devenu fou ? Peut-être, ou peut-être pas. Parler à ses traumatismes, c'est une manière de les extérioriser, tant qu'on ne se laisse pas emporter par leur énergie négative.

— Tu ne seras plus qu'un souvenir. Tes marques que tu m'as laissé vont disparaître avec toi. Mes larmes ne te seront plus destinées. Mes peines et mes souffrances non plus. Plus rien ne me rattachera à toi. C'est terminé, Ha-joon. Je n'ai plus peur de toi.

J'inspire profondément cet air glacial. Je détourne mon regard sur le côté. Il a disparu. Je ne sens plus sa présence. Mais ce n'est pas fini pour autant. Un traumatisme ne s'évapore pas en un claquement de doigt. Néanmoins, je suis fier de moi. Fier de ressentir cette détermination se répandre dans ma poitrine. Je commence peu à peu à me détacher de lui, et tout ça grâce à Jaekyung et à son amour. Grâce à ses mots, ses caresses, son attention, mais surtout, le consentement. C'est tellement important dans une relation, amicale comme amoureuse, de respecter le consentement d'autrui. Même au sein de la famille, les parents devraient prendre exemple et respecter l'intimité de leurs enfants. Les traumas intrafamiliaux sont à l'origine de ce manque de consentement, d'écoute et de compréhension.

Je ne me sens plus comme un objet. Je ne me sens plus comme une poupée de chiffons, sans âme, sans sentiments, sans le droit à la parole. Je me sens humain et aimé. Bordel, ce que ça fait du bien de le penser. Ce que ça fait du bien de voir mon évolution entre le début de mon histoire et le présent.

Soyez fier de vous. Soyez fier de vos accomplissements. Vous le méritez. Nous le méritons tous. Vous n'avez rien fait de mal. Vous n'avez rien fait. Ce sont eux, vos bourreaux de l'époque, vos ex partenaires les fautifs. Ce sont eux que nous devons blâmer. Eux que nous devons punir. Nous, nous sommes des survivants. Nous nous battons à notre rythme pour remonter à la surface de l'eau. Certains s'en sortent plus rapidement que d'autres, et il ne faut pas mettre leur parole en question, sous prétexte que leur traumatisme n'était peut-être pas si important que ça. La guérison n'est pas un concours. Nous avons chacun une force mentale différente. Certains survivants parviennent à atteindre la lumière, et d'autres continuent de sombrer dans l'obscurité, dix ans plus tard.

Un frisson me saisit et je m'enfonce un peu plus dans le plaid.

— Je rêve d'un chocolat chaud débordant de chantilly et de marshmallow, bredouillé-je dans ma barbe inexistante.

— Je savais que tu dirais ça.

Je réprimande un hoquet d'effroi en me tournant vers mon meilleur ami. Il me sourit, habillé d'un sweat à capuche gris, et d'un jogging noir appartenant à son compagnon. Dans ses mains se trouvent deux boissons, couvertes à souhait d'une bonne chantilly.

— Qu'est-ce que tu fais là ? Et pourquoi tu as ça dans tes mains ? le questionné-je, confus.

Gabriel vient prendre place à mes côtés, sur le transat de libre. Il pose les chocolats chauds au sol, avant de s'allonger, couvrant son corps avec le plaid que j'avais pris en plus, au cas où j'aurais eu trop froid.

— Je n'arrivais pas à fermer l'œil. Et je me suis douté que ce serait la même chose pour toi, répond-il en tournant le visage vers moi. Il te manque, n'est-ce pas ?

Je hoche la tête en détournant les yeux vers la mer.

— Les premiers jours vont être compliqués. Mais je sais que c'est un mal pour un bien. Que ce soit pour lui, ou pour moi.

Gabriel fredonne en attrapant sa boisson.

— Je ne sais pas si tu t'en rends compte, mais c'est énorme tout ce que tu as fait jusqu'à maintenant. Il ne te reste que quelques pièces du puzzle à assembler, et tu auras atteint ton objectif.

Je prends à mon tour la boisson, récupérant la cuillère coincée dans la chantilly. Je viens goûter à ce nuage sucré, saupoudré de cacao. C'est divin. Tellement meilleur que le café.

— Tu sais, il m'arrive encore de me demander si tout ça, n'est pas un rêve.

— Comment ça ? rétorque-t-il en haussant un sourcil.

— J'ai l'impression que rien de tout ça n'est réel, que je suis encore dans le coma, et que c'est juste le fruit de mon imagination, expliqué-je en savourant mon chocolat chaud, un peu trop bouillant pour ma langue et mon palais. Mais ça, tu vois, ça me remet vite les idées en place.

Gabriel glousse, en se brûlant à son tour. Il éclate de rire, avant que son expression ne redevienne sérieuse.

— Je t'ai entendu parler en entrant dans ta chambre. Tu t'adressais à...

— Mon passé, terminé-je en me redressant sur le transat. Mon psychologue, quelques jours avant mon départ, m'a dit que c'était important de faire face à nos démons. De ne pas avoir peur d'eux, parce qu'ils ne peuvent plus nous faire de mal. Ce qui s'est passé, s'est passé, je ne peux plus revenir en arrière. Tout ce que je peux faire, c'est aller de l'avant.

J'ajuste le plaid sur mes épaules pour ne pas qu'il glisse, et bois quelques gorgées de ma boisson.

— C'est me battre pour vivre ma vie comme je l'entends, et non comme mes démons l'ont décidé jusqu'à présent. C'est me battre pour que mon couple ne se brise pas. C'est me battre pour vous aussi.

— Joshua...

— Je n'ai plus mes jambes. Enfin, si, j'exagère un peu, me reprends-je en roulant des yeux. Je les sens toujours. Je peux me mettre debout, marcher quelques distances, mais sans plus. Je suis condamné à rester le cul assis sur un fauteuil roulant. Alors si en plus je laisse mon passé dicter mes actions, mes sentiments, je sombrerai encore dans ces eaux troubles.

Gabriel me regarde, silencieux. Sa chantilly est en train de fondre sur ses doigts. Il n'y prête pas d'attention.

— Mes jambes sont mon présent. Ce connard, et cette bande de clochards font partie de mon passé. Si je suis venu ici c'est pour m'en débarrasser définitivement. Et le dire à voix haute, leur dire que c'est terminé, fait partie du processus.

Il me sourit en hochant la tête.

— Je t'admire énormément, déclare Gabriel avec sincérité. Même quand tu tombes, tu trouves la force de te relever. Tu es incroyable, Joshua.

Ses mots font battre rapidement mon cœur contre ma poitrine. Je souris à mon tour, me sentant étrangement léger à l'intérieur de moi.

— Mais je constate aussi que Jaekyung a beaucoup déteint sur toi.

— Comment ça ?

— Tu jures beaucoup plus qu'avant ! C'est effrayant !

— Mais pas du tout ! m'offusqué-je en écarquillant les yeux.

Gabriel s'esclaffe une nouvelle fois en manquant de faire tomber sa boisson sur ses vêtements.

— Je devrais t'enregistrer à l'avenir ! Tu serais choqué d'entendre ces mots sortir de ta jolie bouche, mon cœur, dit-il en cachant un bâillement à l'aide de sa main.

Je secoue la tête en souriant. Mon regard contemple le reflet de la Lune sur cette toile en mouvement, bercé par le vent.

— On devrait aller se coucher. Demain on doit faire les courses pour les prochains jours, annoncé-je en sentant la fatigue prendre possession de moi.

— Tu as raison. Je dors avec toi ce soir.

Surpris, je fronce mes sourcils. Gabriel rit en retirant le plaid de ses jambes.

— C'est pour le punir de m'avoir fait récurer les chiottes. Il a l'air d'avoir oublié que je suis une princesse. Alors je lui remets les pendules à l'heure.

Je secoue une nouvelle fois la tête en me redressant à mon tour.

— Je sens que vous allez m'en faire voir de toutes les couleurs.

Nous rions en rejoignant la chambre. Nous nous glissons sous les draps après avoir allumé la télévision, le temps de terminer nos chocolats chauds. Nous nous enlaçons dans une douce étreinte. Gabriel ne met pas longtemps avant de sombrer dans les bras de Morphée. Je souris en le regardant, ma main s'enroule autour de mon collier. J'embrasse les bagues en murmurant :

— Bonne nuit, mon amour. Fais de beaux rêves.


❃ ❃ ❃ ❃


Deux semaines se sont écoulées depuis notre arrivée. Le temps passe tellement vite quand on est occupé et en présence de nos amis. La journée mon esprit est déconnecté le temps de nos activités, la nuit, il s'allume, tournant en boucle les mêmes souvenirs. Deux semaines, que je dors trois heures à tout casser. J'ai beau monter le chauffage, m'envelopper sous une couche de plaid en plus de mes draps, j'ai toujours aussi froid. Je passe la plupart de mes nuits sur la terrasse, à écouter les vagues frapper contre les rochers, à entendre la ville s'animer sans répit. Je sais que je suis en train de guérir, je le sens à l'intérieur de moi, et ce sentiment est particulièrement étrange. Durant ces derniers jours, j'ai appris à me débrouiller seul pour certaines tâches du quotidien, comme faire à manger par exemple. Étant en fauteuil, l'aménagement n'est pas adapté à ma hauteur. Jusqu'à maintenant c'était toujours Jaekyung qui préparait nos repas, parfois à l'avance pour que je ne sois pas embêté lorsqu'il s'absentait.

J'ai donc trouver une solution plutôt sportive je dois dire : prendre une chaise haute que j'installe devant les plaques de cuisson, et une autre chaise pour le plan de travail, où je coupe les légumes, la viande, avant de transvaser les aliments dans un récipient, descendre de la chaise pour m'asseoir sur mon fauteuil, récupérer le récipient, et rejoindre la deuxième chaise pour faire cuir les préparations.

Là, on ne peut pas dire que je ne fais pas travailler les bras, ni mes jambes au cours de la journée, mes muscles me le faisant savoir le lendemain avec de sublimes courbatures. Malgré le diagnostic du médecin, je continue la rééducation. Même si j'ai des séquelles neurologiques à vie, ça ne veut pas dire que je ne peux pas soulager mon confort, non ? C'est dur à encaisser, mais je ne veux pas baisser les bras. Pas après avoir parcouru tout ce chemin jusqu'ici. Toutefois, même en étant autant occupé la journée, à faire visiter Busan à mes amis, à manger des cochonneries à l'extérieur, à aller au karaoké ou quand même bien se balader sur le pont Gwangan, je ne parviens pas à fermer l'œil de la nuit. Je crois que ça se voit sur mon visage, avec ces cernes qui ont déposé leur bagage pour une durée indéterminée.

Je réalise à quel point je suis dépendant de Jaekyung. A quel point ma vie ne tourne plus qu'autour de lui, que sans lui, je suis perdu. Je réalise que j'ai placé tous mes espoirs en lui. Il était devenu mon ombre, et je paniquais à l'idée de me retrouver seul sans lui. Terrifié de perdre mes repères. C'est sans doute l'une des raisons qui cause mon trouble du sommeil. Mon corps apprend à se défaire de cet attachement émotionnel et c'est le bordel dans ma tête. Heureusement pour moi, j'ai un rendez-vous en visio ce matin avec mon psychologue, pour discuter de cette peur de l'abandon que j'ai développé au fil de ma relation. Amicale comme sentimentale. Il est important que je puisse m'en détacher, renforcer l'estime de soi, et ne plus vivre à travers les autres pour me sentir aimé.

Je ne regrette pas d'avoir fait venir mes amis avec moi à Busan. Au contraire. S'isoler aussi brutalement, du jour au lendemain, n'aurait rien eu de bénéfique pour moi. Ça aurait été l'hécatombe du point de vue psychologique, j'en ai conscience à présent, que j'ai pris la bonne décision.

Les premiers jours, Jason et Brice ont essayé de m'aider dans certaines tâches, mais ils se ravisaient assez vite, lorsque je leur adressais un sourire compatissant, leur faisant comprendre que leur présence n'était pas destinée à cet effet. Pour Gabriel et Connor c'était un peu compliqué pour eux aussi, de ranger leurs mains dans leur dos, pour ne pas empiéter sur mes efforts, même si ça ne partait pas d'une mauvaise attention.

Être aidé par moment, c'est agréable, ça soulage et donne du baume au cœur avec toute cette bienveillance, rendant mon handicap beaucoup moins contraignant. Mais je dois avant tout apprendre à être autonome dans les tâches que je peux accomplir. Et qui sait, peut-être que je m'inscrirai prochainement à la salle de sport pour renforcer mes muscles. Pour apprendre à aimer mon corps. Depuis que je suis en mobilité réduite, et que j'ai retrouvé l'appétit, je suis parvenu à reprendre du poids. Ce qui n'est pas une mauvaise chose en soi, mais je le vois, quand je me regarde dans le miroir, ces petits kilos, s'installer progressivement sur mon ventre et mes hanches. C'est dur de revoir les images de mon agression dans les vestiaires resurgir dans mon esprit. C'est dur d'y faire face pour quelques chiffres en trop, alors que mon corps n'est pas mon ennemi. Il est mon allié, et c'est grâce à lui que je me tiens debout, à vrai dire assis, devant la glace, à contempler mon reflet.

Ma main glisse sur ma peau dénudée. Les marques sont encore là, mais moins vives qu'avant. Elles commencent à s'estomper, et cette simple constatation me fait sourire, heureux et triste à la fois. Heureux d'aller de l'avant. Triste d'avoir autant torturé mon corps, à m'en gratter presque à sang la peau sous la douche, pour tenter de les faire disparaître. Triste d'avoir cessé de me nourrir, sans réellement le vouloir, pour pouvoir m'effacer.

— Cher corps, je te demande pardon. Pardonne-moi de t'avoir fait souffrir. Pardonne-moi pour ma négligence. Je te promets de prendre soin de toi, à présent. Je te promets de t'aimer et de m'aimer comme je suis. De ne pas avoir peur de prendre du poids. De ne pas avoir peur de mon image.

J'inspire profondément en sentant une douce chaleur se répandre dans ma poitrine.

— Aujourd'hui est un nouveau jour. Et grâce à toi je peux profiter de cette journée. Merci de me faire vivre.

Je rejoins la salle de séjour après avoir enfilé les vêtements de Jaekyung. Je crois qu'en venant ici, j'ai plus pris d'affaires à lui, que les miennes. Jason et Brice sont partis tôt dans la matinée. Connor les a déposés à la gare, avant de récupérer Gabriel pour aller visiter les quartiers-villages colorés de Gamcheon et Huinnyeoul, le temps de mon rendez-vous. Je me suis installé sur la terrasse, l'ordinateur posé sur la table basse. J'ai un cadre idyllique : le soleil, la plage, la mer qui est plutôt calme aujourd'hui, et, roulement de tambours, un Ice Américano pour changer.

Soyons honnêtes, c'est écœurant. On dirait du goudron avec des glaçons.

— Bonjour, Joshua. Je suis content que vous m'ayez proposé de poursuivre vos séances depuis Busan, s'exclame-t-il en posant ses mains sur son bureau, ses doigts s'entrelacent. Comment allez-vous aujourd'hui ?

Je lui adresse un sourire après avoir bu quelques gorgées de ma boisson.

— J'ai encore besoin de votre aide, dis-je en ajustant le plaid autour de mes épaules. Tant que je ne me laisserai pas libérer de mes démons, je ne pourrai pas arrêter les séances. Et comment je vais ?

Je détourne un instant le regard vers la mer, avant de reporter mon attention sur lui.

— Je me sens bien. Comme je me sens triste, ajouté-je en soupirant. Il me manque horriblement. J'ai l'impression qu'une partie de moi m'a été enlevée. Je me sens vide, comme comblé d'un autre côté. C'est assez compliqué à expliquer.

Il hoche la tête en me souriant.

— Je comprends tout à fait ce que vous voulez dire par là, Joshua. Et nous en avons déjà discuté la dernière fois. Ce manque, ce vide, c'est cette routine que vous avez instauré dans votre quotidien, en sa présence. Ce n'est pas quelque chose de mal, mais il ne faut pas non plus que ça vous empêche d'avancer. Il faut trouver le juste milieu, le bon équilibre dans vos sentiments pour accepter cette absence.

Je remus la tête de bas en haut en signe d'assentiment.

— J'avais déjà ressenti cette peur pour mon meilleur ami, et j'ai l'impression qu'elle s'est transmise sur Jaekyung. Cette distance était nécessaire pour que je puisse travailler sur ce problème. Mais j'ai dû mal à atteindre le noyau pour le faire disparaître.

— Vous avez du mal, parce que vous persistez dans ce schéma relationnel dysfonctionnel. Ce qui rend la tâche plus difficile, mais pas impossible. Vos relations délétères vous ont blessé, et d'autres blessures se sont accumulées avec le temps. Mais regardez-vous, Joshua.

Il me montre avec ses mains, un sourire aux lèvres.

— Vous êtes plus proche de la sortie que de l'entrée. Vous êtes une belle personne, avec un esprit tellement combatif. C'est admirable. Le positif commence à prendre le dessus sur le négatif dans votre esprit.

— Mais il y a encore trop de négatif, rétorqué-je en baissant les yeux.

— Vous avez déjà pensé à donner vie à vos émotions ?

Intrigué, je relève la tête pour capter son regard.

— Qu'est-ce que vous voulez dire par là ? Elles prennent déjà vie dans mes pensées, c'est déjà suffisant...

Il rit en se redressant sur son fauteuil.

— Donner vie à vos émotions, c'est leur donner du sens à travers une peinture par exemple. A travers des paroles de chanson, une poésie, la musique ou l'écrit. Certaines personnes trouvent refuge dans ces arts. C'est un peu comme une thérapie, une manière de comprendre par vous-mêmes vos peurs et vos douleurs.

— C'est vrai qu'il y a des chansons qui nous prennent aux tripes quand on les écoute, tellement qu'on s'identifie aux paroles, approuvé-je en reprenant ma boisson. Ca m'est déjà arrivé de pleurer. Même en lisant des livres, j'étais frappé par les mots qui résonnent en échos dans mon cœur. C'est troublant, de se sentir compris par des inconnus.

— Des inconnus qui expriment leurs émotions à travers leur art, commente-t-il, toujours le sourire aux lèvres. Vous devriez essayer. Mettez-vous au chant, à la peinture, à la musique. Dansez, écri...

Il se coupe dans sa lancée en fermant les yeux. Je glousse faiblement à sa réaction. Il secoue la tête en levant les yeux au ciel.

— Veuillez m'excuser, c'est le matin, c'est compliqué, dit-il en s'adossant contre son fauteuil. Mais vous comprenez ce que je veux dire. Cette peur que vous ressentez, ce vide qui vous ronge, essayez de le retranscrire sur une page blanche. Donnez-lui forme. Donnez-lui un sens pour mieux la comprendre. Comprendre vos angoisses vous permettra de mieux les guérir.

— Ca à l'air si simple dit comme ça, rétorqué-je en glissant une main sur ma nuque. Mais ça vaut le coup d'essayer. J'ai dix-huit mois à passer ici, j'aurais le temps de trouver la solution au remède.

— Je ne me fais aucun souci pour vous, Joshua. Vous avez les réponses à portée de vos mains. Ce n'est plus question de mois, avant que vous ne me disiez que vous ne voulez plus me voir.

Je glousse une nouvelle fois en m'affaissant un peu dans mon fauteuil. Mon sourire s'estompe peu à peu lorsqu'une pensée me traverse.

— Vous pensez que parler de mon viol et des violences que j'ai subi, à travers une chanson ou une peinture, pourrait aussi m'aider ? Ou ça pourrait justement empirer mon ressenti ?

— Se confronter à ses traumatismes, Joshua, c'est vouloir les laisser partir. Se confronter à ses peurs, c'est vouloir devenir plus fort pour qu'ils ne vous atteignent plus. Ça peut vous faire du mal oui, de leur donner vie. Mais ça peut aussi vous faire du bien de les extérioriser, de les coincer ailleurs que dans votre esprit. Après, libre à vous de les brûler pour les faire disparaître.

Je hausse les sourcils, un rictus s'étire sur le coin de mes lèvres.

— C'est vrai ? C'est légal ? Je peux les brûler ?

Le psychologue me fixe silencieusement le temps de quelques secondes, avant de comprendre mon sous-entendu. Il s'esclaffe en secouant la main devant son visage.

— Alors écoutez Joshua, ce serait radical effectivement. Éliminer le problème directement à la source serait probablement efficace, mais ça risquerait de vous attirer d'autres soucis. De vous à moi, même si j'ai bien compris que c'était de l'humour, le chant, la peinture ou l'écrit seraient plus judicieux et vous éviterez quelques années de prison.

J'humidifie mes lèvres en ne pouvant m'empêcher de sourire.

— Il semblerait que ce soient les seules solutions, oui. Tout ça à cause de ces...

Je me retiens, mais les mots eux, sont plus forts.

— Putain de saloperie de merde qui font du mal aux autres, craché-je en fronçant les sourcils. Je n'arrive pas à comprendre comment ils peuvent prendre du plaisir à détruire les gens. Comment ils peuvent être satisfaits des dégâts, des traumatismes qu'ils laissent à leurs victimes. Et en plus de tout ça, ils continuent de vivre normalement. Ils continuent de se regarder dans un miroir, en ayant le culot de se trouver beaux ! Pendant que nous, victimes de leur méchanceté, on se fait du mal. On se tue. On se déteste. On a envie de crever. On ne peut plus se regarder dans un miroir sans être dégoûtés de notre reflet. On ne peut plus penser, sans que leurs paroles ne surgissent, pour nous rabacher qu'on est des merdes.

Je suis essoufflé, mais il fallait que ça sorte. Je déglutis difficilement ma salive en reprenant mon souffle.

— Je n'arrive pas à comprendre, pourquoi c'est à nous d'encaisser. Pourquoi c'est nous qui devons vous consulter, et pas eux. J'ai la haine. J'ai la haine contre ceux qui m'ont fait du mal. J'ai la haine contre mon ex qui vit certainement sa bestlife, pendant que moi je me bats pour survivre. J'ai...

Je serre mes mains en forme de poings en sentant les larmes me saisir.

— J'ai envie de l'étriper. J'ai envie de lui crier tout ce que j'ai sur le cœur. J'ai envie de lui dire qu'il ne me fera plus jamais de mal. Qu'il ne me touchera plus jamais. Que c'est terminé. Qu'il n'aura plus jamais d'emprise sur moi, dis-je en sanglotant. J'ai envie de le tuer, je vous le jure. J'ai envie de le faire souffrir, comme il m'a fait souffrir, mais... Je sais que ce n'est pas la bonne solution. Je deviendrai ce qu'il est devenu, et je ne pourrai plus me regarder dans le miroir. Et pourtant, ce n'est pas l'envie qui me manque.

— Votre ressenti est tout à fait compréhensible, Joshua. Il est entendu, et accepté. N'ayez pas honte d'avoir ce genre de pensées. C'est le fruit de votre colère que vous avez emmagasiné jusqu'à aujourd'hui. On le sait, on le sent, que vous ne voulez pas lui faire du mal. On comprend que vous ayez envie de lui faire savoir toutes ces choses, mais est-ce vraiment nécessaire ?

Je secoue la tête en essuyant mes larmes.

— Non. Ça ne servirait à rien de lui dire en face. Il serait encore capable de rejeter la faute sur moi, plutôt que de se remettre en question. Je me ferai du mal pour rien.

— Exactement. Vous savez Joshua, j'en ai vu des tas de choses dans ma vie, et je peux vous assurer que ces personnes-là, ne trouveront jamais de problème chez eux. On aura beau leur prouver par A + B qu'ils ont tort, ils trouveront toujours un moyen de détourner l'attention sur eux, et de se positionner en tant que victimes. Alors ne cherchez pas à entrer en contact avec lui. Laissez-le où il est, et continuez d'avancer.

Je renifle en ne parvenant pas à retenir mes larmes de couler.

— Il y a un dicton qui dit ; tourne-toi vers le soleil, et l'ombre sera derrière toi. Méditez bien là-dessus, Joshua.

Je hoche la tête en prenant un mouchoir avant que la morve ne s'échappe de mon nez.

— Vous avez déjà accompli énormément de choses. Vous êtes bientôt arrivé à la fin, croyez-moi.

— Merci... Merci pour tout, murmuré-je en me raclant la gorge. Je vais essayer de me mettre à la peinture. Je sens que ça va être un désastre...

Il rit en changeant de position sur son siège.

— Voulez-vous me parler d'autres choses ?

— Pas aujourd'hui, non. Je pense que c'était suffisant, réponds-je en buvant quelques gorgées de ma boisson goudronnée. Je vous solliciterai en cas de besoin.

— Je reste à votre disposition pour toutes questions. Passez une très bonne journée, Joshua. Et n'oubliez pas, regardez toujours en direction du soleil.

J'approuve d'un mouvement de tête.

— Je n'oublierai pas. Passez une bonne journée également. A bientôt.

Sur ces derniers mots, nous mettons un terme à la consultation. Le silence prend place, bercé par le chant des vagues. Inéluctablement, mon regard se tourne vers cet astre de feu rayonnant dans le ciel. Sa chaleur me touche, me caresse, m'apaise. C'est doux, agréable. Je ferme les yeux en inspirant lentement, savourant ce moment de solitude. Si on m'avait dit qu'un jour j'apprécierais être seul, je n'y aurais jamais cru. Jamais. C'est tellement...

— Ma vie ! On est rentré ! s'exclame la voix de Gabriel. On a ramené des croissants !

Reposant... Enfin, ça l'est quand la tornade n'est pas là.

J'entends les pas s'approcher de la terrasse. Je me tourne dans sa direction, son sourire illuminant son visage disparaît progressivement.

— Est-ce que tout va bien ?

— Ouais... Ouais tout va bien, dis-je en me mouchant une dernière fois. J'ai eu les réponses à mes questionnements. Je n'ai plus qu'à passer à l'action.

— Ah ouais ? Et qu'est-ce que tu vas faire du coup ?

Je lui souris, déterminé.

— Je vais me mettre à la peinture.

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