𝟓𝟑. 𝐋𝐞𝐬 𝐜𝐨𝐧𝐬𝐞𝐪𝐮𝐞𝐧𝐜𝐞𝐬 𝐝'𝐮𝐧𝐞 𝐚𝐝𝐨𝐥𝐞𝐬𝐜𝐞𝐧𝐜𝐞 𝐛𝐫𝐢𝐬𝐞𝐞
Qu'est-il en train de se passer ? Tout est devenu soudainement étrange, dès l'instant où ces mots sont sortis de sa bouche. J'ai comme la sensation d'être là, sans être là. Il m'est pourtant possible de sentir la douceur de ses mains chaudes et puissantes me caresser le visage, mélangé à la douleur hésitante et prudente de ses gestes, dont je perçois la frayeur le posséder. Toutefois, malgré la vision plus que déchirante de mon amant, torturant mon cœur d'affliction, mon corps ne réagit plus à mes désirs. Mes oreilles bourdonnent, enveloppant mes tympans d'une fine pellicule insonorisant. Mes pensées s'égarent dans de vagues souvenirs, embrumant mes sens d'un épais brouillard opaque.
Je crois que le pire dans cette situation, fut le simple fait de pouvoir visualiser ses lèvres se mouvoir dans le vide, me donnant cette dérangeante impression qu'il était en train de me parler, tout en pleurant à torrent, sans pour autant pouvoir l'entendre, ni réagir pour lui venir en aide.
Je me souviens avoir eu la terrible envie de le prendre dans mes bras, de me jeter contre son corps en lui criant à quel point je l'aime. Qu'il n'avait pas à avoir honte de quoique ce soit. Que je serais toujours là pour le soutenir, qu'importe les épreuves qu'il a dû endurer, qu'importe ce qui pourrait nous arriver, et qu'importe ce qui se dressera devant nous dans notre futur.
Puisque ensemble, nous serons indestructibles.
Je me suis tellement convaincu qu'il me trompait, qu'il m'est difficile d'assimiler la véracité de sa confidence, outre les hurlements de mon cœur qui tentent de m'en dissuader. Je me suis honteusement persuadé qu'il a trouvé une nouvelle raison de vivre, un nouveau souffle d'espoir l'attendant patiemment en dehors de ces murs imprégnés de nos souffrances. Un nouvel amour plus fort et plus sincère que le nôtre, pour lequel je suis prêt à tout, pour lui rendre sa liberté, et ainsi le voir s'épanouir en jouissant de la vie sous un nouveau jour. Mais surtout, pour qu'il ne soit plus prisonnier d'un fardeau qui n'est autre que ma propre existence.
Cependant, l'importance de ces mots suffit à tout faire basculer dans mon esprit :
Camboy. BJ Golden. Pourquoi ces termes me semblaient-ils si familiers ? Pourquoi mon cerveau refuse de faire le lien entre lui et cet homme masqué ? Tout simplement, parce que la réponse est là, juste sous mes yeux.
Depuis le début...
— Joshua ? s'écrit-il.
Sans doute pour la énième fois.
— Bébé ? Bordel est-ce que tu m'entends ?
En reprenant brusquement mes esprits, j'inspire une profonde respiration, remplissant mes poumons criant d'agonie. Je n'ai pas réalisé que je me suis arrêté de respirer le temps de cette absence qui m'a semblé durer une éternité.
— Bébé... ? souffle-t-il, d'un air soulagé. T-tu es avec moi ? Tu es revenu à toi ?
Il tremble d'inquiétude.
— Qu'est-ce... qu'est-ce que tu m'as dit ? parviens-je seulement à prononcer malgré ma confusion.
Perdu et à la fois terrifié par mon interrogation, il s'approche avec appréhension de mon visage.
— Est-ce que... tu me détestes ? Est-ce que... tu as honte de moi ? me demande-t-il, hésitant. Je... je suis sincèrement désolé de ne pas te l'avoir dit plus tôt...
— Jaekyung...
— Je suis tellement désolé de t'avoir cacher tout ça pendant tout ce temps, reprend mon bien-aimé d'une voix étranglée. J'aurais dû tout te dire dès l'instant où l'on s'est rapproché. Dès l'instant où nos sentiments étaient devenus réciproques. Mais j'avais tellement peur que tu t'en aille en apprenant la vérité, que je te dégoûte et que tu n'ai plus envie de moi, que j'ai décidé à mon triste sort d'enfouir ce secret à jamais dans mon cœur...
— Chéri...
Il secoue la tête en fondant sous un nouveau torrent de larmes.
— Je comprendrai ta décision... Qu'importe soit-elle... Je suis désolé de ne pas t'avoir dit que j'étais un camboy... Un... un de ces mec qui vend son putain de corps sur les réseaux sociaux... Tu dois être déçu, hein ? Qui... qui serait fier de sortir avec quelqu'un comme moi ?
Il esquisse un sourire meurtri en rencontrant mon regard.
— Est-ce que j'ai détruit cette image idyllique que tu t'es faite de moi ? Est-ce que j'ai brisé tes rêves de voir en moi l'homme tant désiré à tes yeux ? Si c'est le cas, j'en suis profondément désolé, mon amour. Pardonne-moi de te faire autant souffrir... Pardonne-moi de ne pas avoir été à la hauteur de tes attentes...
C'est l'une des pires tortures qui puissent exister. Chacun de ses mots, chacune de ses phrases sortant de sa bouche, agissent comme un coup de poignard dans mon organe thoracique. C'est donc ainsi qu'il se qualifie ? C'est de cette façon qu'il se voit dans un miroir ? Avec dégoût et mépris de sa propre personne ? Moi qui ai toujours cru, jusqu'à récemment, qu'il a une confiance inébranlable envers lui-même, au point de l'envier pour cette qualité, je ne me suis pas rendu compte que je me trompais sur toute la ligne.
Il est abîmé intérieurement, rongé par les remords et les regrets de son passé. Et pourtant, il n'en a jamais montré la moindre faiblesse, ni le moindre soupçon, pouvant éveiller nos incertitudes à son égard.
Pendant tout ce temps, l'homme que j'ai tant aimé s'auto-détruisait en m'aidant dans ma guérison.
— Hé... bébé... tu pleures, murmure-t-il.
Sa voix est si délicate et voluptueuse, contrastant durement avec les cris de nos âmes écorchées.
— Je suis vraiment désolé... Je ne sais que te faire pleurer à chaque fois... Je suis...
Je ne lui laisse pas le temps de terminer sa phrase. Je l'attire sur moi en tirant de toutes mes forces sur ses avant-bras. Dans un hoquet de surprise, Jaekyung se retrouve à califourchon sur mes cuisses, sa taille enveloppée par mes bras et mon visage enfoui contre sa poitrine. Dans la poursuite de mon action qui ne le laisse guère indifférent, je survole son torse de mes lèvres, finissant par l'embrasser de doux baisers, par-dessus la fine couche de vêtement me séparant de la chaleur enivrante de son épiderme.
— Mais... Joshua, Attends ! s'étonne-t-il, confus. Qu'est-ce que tu fais ?
— J'embrasse ton cœur.
Il se raidit et je sens sa stupéfaction.
— Pourquoi est-ce que tu fais ça ? Ni lui, ni moi ne...
— Parce qu'il a trop souffert durant ces dernières années, le devançé-je à brûle-pourpoint. Alors, je le parsème de baisers, pour qu'il se sente enfin aimé. Tout comme toi tu mérites d'être aimé, Jaekyung.
— Non, c'est...
Il secoue la tête, tentant certainement de rejeter mes propos. Je me surprends moi-même à esquisser un sourire morose en me voyant à travers son refus de croire à une telle chose. C'est impensable pour lui d'être aimé après ce qu'il vient de révéler. Impensable pour lui, qu'une personne assez saine d'esprit, puisse accepter que son partenaire se soit prostitué à un moment de sa vie.
Mais qui sommes-nous pour juger le passé et le présent de quelqu'un ? Qui sommes-nous pour décider qui mérite d'être aimé ou non pour une action quelconque ? La réponse est personne. On ne parle évidemment pas de meurtre ou de viol. On parle d'une personne qui a tellement souffert dans sa vie, qui a rencontré tant d'épreuves insoutenables, que son seul échappatoire fut la prostitution. Une façon pour lui de se sentir vivant à travers le sexe.
Mais, tout ceci n'est qu'une infime partie de l'iceberg. Le plus sombre reste à venir...
A cet instant, je me pose mille et une questions à son sujet. Je ne connais rien de lui, rien de son vécu, mis à part ce que ses parents lui ont fait vivre. Il est tel un inconnu pour lequel je suis tombé éperdument amoureux de son âme et de ses mots. Je prends conscience de mon égoïsme, de mes actes ayant blessé son cœur quand je lui ai balancé en pleine figure que j'étais épuisé de ses mensonges, jusqu'à prendre la décision de nous éloigner pour mieux se retrouver.
Quel idiot j'ai été...
— N'essaie même pas de me faire changer de discours !
Je resserre mon emprise autour de sa taille, empêchant toute tentative d'évasion.
— Même... même si j'ai encore du mal à réaliser que l'homme que j'aime est aussi l'homme mystérieux dont je regardais les lives, tu n'as en rien détruit de l'image parfaite que je me suis faite de toi. Tu n'as pas non plus brisé mes rêves, loin de là. Tu es, et tu resteras toujours Jeon Jaekyung. L'homme pour qui mon cœur a cédé et ce pour l'éternité. J'en fais le serment... De t'aimer à l'infini.
Je laisse mes émotions m'emporter, par la sincérité de mes sentiments, que je n'ai pas anticipé la bourde que je viens de faire. Avouer à mon homme que je suis l'un de ses spectateurs me fait réaliser que je vais en chier pour creuser ma propre tombe avec un fauteuil en guise de jambes.
Mais... Attendez... Plusieurs flashbacks me reviennent brusquement en mémoire, des détails insignifiants qui ont en réalité toutes leurs importances. Comme son sourire. Comment n'ai-je jamais fait le rapprochement avec celui du camboy ? Son masque ne camoufle que la partie supérieure de son visage, laissant le champ libre à ses lèvres et à son menton. Mais il n'avait pas de grain beauté. Il devait certainement le cacher avec du maquillage. Mais ce n'est pas tout. Je me souviens de ses messages que je recevais précipitamment à la suite d'un live coupé à la hâte. Simple coïncidence ? C'est ce dont je me suis convaincu à ce moment-là, mais qui est loin de l'être. Il réduisait de plus en plus souvent ses lives, pour passer plus de temps avec moi, et cela ne m'a jamais interpellé.
Même un aveugle l'aurait pourtant vu ! Puis, il y a eu ses fameux posts sur son profil, lorsque je rangeais mes papiers, interpellé par le prélèvement d'un site que j'avais mis aux oubliettes. Encore une fois, je me suis montré assez idiot pour ne pas avoir compris qu'il s'agissait de moi dans chacun de ses messages destinés. Chaque date concordait étrangement avec chaque étape de ma convalescence. De ma tentative de suicide, jusqu'à ma sortie de l'hôpital.
Tout était là, sous mes yeux, jusqu'à mon interaction soudaine avec le camboy. Recevoir un message de cet homme masqué, me faisant le reproche d'avoir regardé son live, aurait dû me mettre la puce à l'oreille. Son mensonge de cette soi-disante soirée chez Hye-jin prend tout son sens. Toutes les pièces du puzzle s'assemblent dans mon esprit, ne faisant plus aucun doute sur l'authenticité de sa confession.
Jaekyung est bien et bel BJ Golden.
Lorsque je vois son sourire s'étirer sur ses lèvres noyées par ses larmes, j'ai su.
— Tu... tu le savais depuis le début que je regardais tes lives ? lui demandé-je choqué.
— Comment ne pas le deviner ? Tu es le seul à prendre un identifiant identique à celui de ton Kakako. Puis, dans ta façon d'écrire et de t'exprimer. Je peux te reconnaître entre mille...
— Je ne l'ai pas pris à l'identique ! me défendé-je. J'ai changé la fin.
— C'est la même chose...
Accablé par un sentiment de honte à mon égard, je pose mes mains sur mon visage, camouflant mon désarroi.
— Tu... Pendant tout ce temps, tu le savais et tu ne m'en as jamais parlé. Si... si tu l'avais fait on...
Non, tais-toi, Joshua ! Ce n'est pas le moment pour lui faire des reproches !
— Je sais... murmure-t-il avec une grimace.
Bravo ! Tu peux être fier de...
— Tu as entièrement raison. Si je l'avais fait plus tôt, on en serait pas là actuellement, à se déchirer mutuellement par ma faute... Je suis...
— Non ! le coupé-je en prenant son visage entre mes mains. Non, n'en dis pas plus, s'il te plait...
Silence.
— Enfin, je veux dire, vaut mieux tard que jamais, n'est-ce pas ?
Je tente du mieux que je le peux de ramasser les pots cassés, réussissant à lui extorquer un nouveau sourire.
— Alors... Tu ne me détestes pas ? dit-il d'une voix chevrotante.
— Est-ce que tu m'as au moins écouté ? m'offusqué-je en arquant un sourcil. Chéri... Je te le répéterai autant de fois qu'il le faudra. Je le crierais même sur tout le toit si je devais le faire pour que tu me crois. Je t'aime comme je n'ai jamais aimé personne, et je suis maintenant plus que convaincu, que tu es mon premier amour, et je veux que tu sois le dernier. Tu m'as accepté avec mes défauts, avec mes traumatismes. Tu as accepté mes crises d'angoisse, de colère et de tristesse. Tu as fait abstraction de tes souffrances pour m'aider à supporter les miennes, alors...
Ma voix déraille, prise d'assaut par des hoquets incontrôlables.
— Joshua...
— Alors ne me demande pas si je te déteste ! m'écrié-je au bord des larmes. Comment pourrais-je te détester ? Comment pourrais-je haïr l'homme qui est devenu ma lumière dans l'obscurité ? Ma raison de vivre ? Je ne pourrais jamais te maudire. Jamais ! Qu'importe ce que tu as pu faire dans le passé, qu'importe que tu ais été un camboy, cela ne fait pas de toi une mauvaise personne. Cela ne fait pas de toi un être détestable. Tu es l'homme que j'aime, l'homme qui ne m'a jamais abandonné. On s'est peut-être égaré vers la fin... mais... mais...
Mon corps est submergé par des soubresauts lorsque mes sanglots sont devenus impossibles à contenir. Nous pleurons ensemble. Enlacés dans les bras de l'autre dans l'espoir d'atténuer nos souffrances. Il est mon refuge, mon guide dans la noirceur des ténèbres. Il est devenu mon bol d'air frais, mon petit jardin secret dans lequel j'aime me blottir pour m'y sentir en sécurité.
Il est devenu mon univers, ma galaxie. Et je suis son étoile.
— Mais on se retrouve enfin, terminé-je en m'éclaircissant la gorge. Tu veux connaître l'un de mes rêves ? Je le fais régulièrement ces temps-ci, surtout lorsque tu me prends dans tes bras pour t'endormir.
Il m'observe silencieusement à travers ses larmes.
— C'est un magnifique rêve, et à chaque fois j'ai l'impression d'y être réellement. Même en m'y replongeant, j'arrivais à ressentir la chaleur envelopper nos corps sous une fine brise chargée d'odeur saline. Au début, je nous voyais marcher main dans la main, nos pieds s'enfonçant dans le sable blanc des Maldives, bercé par le rythme des vagues s'écrasant sur la plage. L'odeur de la mer prenait possession de mon odorat, me faisant oublier par la suite que je ne sentais plus le sable sous mes pieds.
— Trésor...
— Mon rêve s'est en quelque sorte amélioré, me suis-je mis à plaisanter. Lorsque j'ai pris conscience que je ne marcherai plus jamais comme avant, que c'était terminé de cet espoir mensonger. A défaut de ne pas pouvoir marcher main dans la main, tu te débattais comme tu le pouvais pour faire avancer mon fauteuil dans le sable, et... nous permettre de rejoindre l'hôtel de mariage dressé sur cette magnifique plage. On ne pouvait pas rêver mieux comme paysage de carte postale. Devant nous, on pouvait admirer ce spectaculaire coucher de soleil, teintant le ciel d'un magique bleu azur au sous-teintes rose orangé, et c'est ainsi que je te disais oui pour la vie.
Si quelques minutes auparavant, Jaekyung était persuadé que notre relation était vouée à l'échec, à cet instant, son expression stupéfaite dominée par des traits émus prouvant qu'il s'est trompé. Et moi aussi...
Ses mains prennent place sur mes joues, caressant ma peau tout en balayant les larmes continuant de couler. Il se penche pour réduire l'infime espace séparant nos visages. Ses lèvres effleurent les miennes comme pour faire perdurer ce moment intime. Son souffle chaud s'écrase dans ma bouche lorsque je tente de l'embrasser, mais disparaît aussitôt, lorsqu'il s'éloigne promptement en esquissant un sourire espiègle pour me tester. C'est différent de d'habitude. Je repense à nos baisers, à nos caresses voilées de désirs qui ne ressemblent à rien à ce qui est en train de se passer.
Est-ce dû au fait que nos âmes se sont perdues durant cette absence de chaleur ? Probablement. Mais maintenant que l'on s'est retrouvé, je compte effacer chaque parcelle d'ombres qui l'ont fait sombrer dans la crainte et l'incertitude. Il a besoin de moi, autant que moi, j'ai besoin de lui. C'est désormais à mon tour de lui offrir tout l'amour que je porte pour lui, de le combler de joie et de bonheur.
— Je t'aime, Jaekyung.
C'est enfin le moment de réaliser tout ce dont j'avais rêvé à ses côtés. Comme prononcer ces mots dans un moment aussi privé que celui-ci, contrairement à la fois où je les lui ai déclaré, contre toute attente, empli d'une puissante vague d'émotions. J'ai pensé à plusieurs façons de le lui dire, comme lui chuchoter dans le creux de l'oreille avant qu'il ne s'endorme, ou en guise de bonjour, lors du réveil.
— Je suis prêt à tout entendre de ton passé, à tout découvrir de l'homme que j'aime, ajouté-je en capturant ses lèvres dans un baiser volé. Alors, ne t'enfuis plus, mon amour. Reste à mes côtés car moi-aussi, je peux t'épauler...
Il hoche la tête en s'efforçant de ne pas céder à de nouveaux sanglots.
— Je te dirais tout ce que tu as à savoir, tu as ma parole, souffle-t-il tout bas. J'avais tellement peur de te perdre si je te disais la vérité... Parce que je t'aime à en crever. Et chaque jour, je me surprends à t'aimer un peu plus qu'hier, et bien moins que demain...
J'esquisse un sourire attendri.
— Tu sais... j'ai eu le temps de lire beaucoup de livres pendant ton coma, et l'inspiration de ce poème en fait partie. Puisque c'est ainsi que je vois mon amour pour toi. Et je sais qu'il ne s'arrêtera jamais de s'accroître, qu'à chaque fois que je pose mon regard sur toi, j'ai l'impression de tomber une nouvelle fois amoureux, et de redécouvrir ce qu'est le véritable sens d'aimer.
Malgré cette merveilleuse déclaration, je perds subitement mon sourire.
— Je suis désolé, chuchoté-je, le cœur lourd. Je suis désolé d'avoir douté de toi... Désolé d'avoir eu la mauvaise pensée que tu me trompais... Alors que...
— Ce n'est pas ta faute, conteste-t-il, aussi peiné que moi. Tu avais toutes les raisons de le croire au vu de mes absences répétées durant la nuit, et de mes retours à l'aube. C'est moi qui suis désolé de t'avoir tourmenté avec cette idée... Désolé de t'avoir laissé seul dans cette épreuve...
J'inspire profondément en l'attirant contre moi pour enfouir mon nez dans son cou. Je prends une bouffée de son parfum, d'une partie de lui que je mémorisais à jamais dans mon esprit.
— J'ai tant de questions à te poser, tant de réponses à connaître qui me font si peur.
— Mais je serai là pour te consoler, mon ange.
C'est à moi de te consoler, idiot, pensé-je sans pour autant le lâcher, craignant qu'il ne m'échappe des mains si je me sépare de sa chaleur.
Nous restons ainsi, blotti l'un contre l'autre, sans qu'aucun de nous ne prenne la parole. Je me contente d'écouter la mélodie de son cœur, accompagné de ses caresses sur mon corps qui me font frissonner de plaisir. En réalité, je profite de ce silence pour réfléchir, car malgré les questions qui se bousculent dans ma tête, je ne sais pas par où, ni par quoi commencer. Qu'est-ce que je dois lui demander en premier ? Qu'est-ce que je veux réellement savoir à son sujet ?
Soudain, une question évidente me vient à l'esprit.
— Chéri ?
Jaekyung fredonne.
— Il y a quelque chose qui me turlupine au sujet de ton travail de camboy. Tu me parlais de ton studio d'enregistrement pour faire les vidéos, mais où est-ce qu'il est exactement ? Depuis que j'ai emménagé avec toi dans cet appartement, je n'ai jamais vu un seul matériel de tournage, ni le même décor que tu avais en fond sur tes vidéos, ce qui explique sans doute pourquoi je ne m'étais douté de rien...
Il s'éloigne de notre étreinte pour me regarder, faisant chuter mon cœur de désaccord à cette décision.
— Je vais te montrer où il est.
Il se lève de mes cuisses pour aller chercher mon fauteuil, avant de m'aider à m'y installer. Le siège dur me fait grimacer d'une faible douleur interpelle mon amant.
— Tout va bien, mon ange ?
— Oui, oui, le rassuré-je. C'est juste le fauteuil qui n'est plus confortable...
— Qu'a dit le médecin ? Il t'a examiné aujourd'hui ?
— On en discutera plus tard.
— Mais, Joshua...
— S'il te plait, le coupé-je doucement en faisant tourner le fauteuil vers lui. Ce n'est pas le plus important actuellement. On pourra en discuter après, d'accord ?
Il obtempère d'un hochement de tête, en contournant le fauteuil pour se positionner derrière moi, le poussant jusqu'à la porte d'entrée sans que l'on ne s'arrête pour récupérer nos vestes et enfiler nos chaussures.
— Euh... Mon amour... on ne devrait pas se changer avant de sortir ? Il fait encore froid dehors, lui fais-je remarquer lorsqu'il ouvre la porte.
Il ne répond rien, en poussant une nouvelle fois le fauteuil, nous retrouvant à présent sur le palier du dernier étage comportant trois autres portes ; deux appartements et l'ascenseur. Avec étonnement, nous passons devant l'ascenseur en nous rapprochant de l'appartement situé en face dû notre. Et même si mon cerveau a tout de suite compris ce qu'il y a derrière cette porte, je mets beaucoup plus de temps que lui à traiter l'information, ne voulant pas croire une seule seconde que son studio d'enregistrement est juste à côté de nous, à une porte près.
— Je sais à quoi tu penses, mon ange. Mais non, tu ne te trompes pas, mon studio est bien derrière cette porte.
Je tourne le visage vers lui. Il rencontre mon regard, et m'adresse un sourire attristé.
— Je... je n'ai pas vraiment pris le temps de le ranger et de faire le ménage, donc je te prie de bien vouloir m'excuser pour le foutoir auquel tu vas assister.
Sur ces belles paroles, il s'approche du boîtier électronique pour entrer le code d'accès, nous permettant d'entrer dans l'appartement. La première chose qui me frappe de plein fouet, est cette odeur oppressante de cigarette mélangée à la poussière qui ont imprégné les lieux. Je me mets subitement à tousser, cachant mon nez et ma bouche à l'aide de ma main pour protéger ma gorge, ainsi que mes poumons, de ces picotements irritants.
— Pardon, mon amour ! Je vais ouvrir la fenêtre !
Il s'empresse d'aérer la pièce principale après avoir appuyé sur l'interrupteur pour éclairer la chambre faisant aussi office de cuisine. Mon regard se perd un instant sur l'agencement de son bureau, découvrant pour la première fois avec quel matériel il filme tous ses shows. Je suis surpris de constater qu'il possède deux écrans d'ordinateur, en plus de son microphone statique. Certainement qu'avec l'un, il a un plan visuel sur la caméra retour, et qu'avec le deuxième, il voit toute la conversation du Chat défiler sous ses yeux.
En observant plus attentivement son coin de tournage, je remarque que tout est couvert d'une épaisse couche de poussière. Et je suis certain que si je fouille plus minutieusement chaque recoin de cette zone, je vais tomber sur un nid d'araignée ayant pondu des œufs. Rien que d'y penser, un long frisson d'effroi remonte le long de mon épine dorsale.
Quelle horreur !
— Ça ne va pas, trésor ?
Je grimace sans m'en rendre compte, encore perdu dans mon image d'araignée me grimpant sur les pieds.
— Est-ce que... ça te dégoûte de le voir en vrai... ?
— Hein ? soufflé-je d'incompréhension.
Seulement, quand je relève le regard vers son visage, mon cœur chute une nouvelle fois en remarquant cette expression de tristesse s'accaparer ses traits.
— Mon amour, pardon ! Je me suis juste égaré dans mes pensées, répliqué-je, affolé. Je suis désolé que tu t'es imaginé autre chose ! C'est juste... c'est juste qu'en regardant ton bureau être couvert de toute cette poussière, j'ai eu la sensation que des araignées étaient en train de monter sur moi.
Je grimace une nouvelle fois en sentant le toucher d'un insecte sur ma peau. Puis, son rire auquel je ne m'attendais pas, brise le malaise qui s'est installé entre nous suite à ce léger quiproquo.
— Il n'y a vraiment que toi pour imaginer de telles choses, plaisante-t-il en s'approchant de moi. Quoique, pour tout te dire, il y a sans doute des locataires non déclarés qui se sont installés dans ce studio.
— Je prends ça pour un compliment, rétorqué-je en accentuant mon dégoût face aux potentiels insectes habitant illégalement les lieux.
C'est l'une de mes pires phobies. Durant une fraction de seconde, mon regard se perd en direction du parquet flottant, sur lequel gisent plusieurs cadavres de canettes de bières et de bouteilles de soju, entre lesquelles sont éparpillés des mégots de cigarettes entamés jusqu'au filtre. Il y a notamment des paquets de chips vides, ainsi que des emballages de gâteaux bourrés de glucose auxquels il ne touche pas habituellement pour ne pas casser sa diète sportive.
Son hygiène de vie de ces dernières semaines est plus que déplorable. Combien de paquets de cigarettes s'est-il mis à fumer du jour au lendemain ? Combien de litre d'alcool son foie s'est vu être gavé du matin au soir, sans crier gare ? Et ses reins ? Est-ce qu'ils fonctionnent correctement après toute cette maltraitance soudaine ? Est-ce même les seules choses qu'il avait consommées ? Cette vision et ces pensées sont beaucoup plus douloureuses que ces insectes et ce tas de poussière insignifiants.
— Mon ange, je... J'aurais peut-être dû ranger avant de...
Il se tait lorsqu'il me voit secouer la tête en faisant un stop de la main.
— Non, bien au contraire, murmuré-je d'une voix tremblotante. Je devais voir ça de mes propres yeux. Voir dans quelle... misère... tu t'es mis sans que je ne me doute que c'était à ce point désastreux.
— Joshua...
— Est-ce que... est-ce que tu as pris des substances illicites ? réussis-je à lui demander avec un brin d'hésitation.
— Quoi ? s'écrie-t-il, l'air effarouché. Non ! Bien sûr que non, mon ange ! Je te promets que je n'y ai pas touché !
J'exhale un soupir de soulagement.
— Tu m'en vois rassuré... J'ai eu si peur que tu plonges dans cette addiction. Même si l'alcool et la cigarette en font partie...
— Je te le promets mon amour, que je vais arrêter toutes ces conneries !
Il s'effondre sur ses genoux en posant ses mains sur mes cuisses.
— Tu as ma parole ! Je vais me reprendre sérieusement en main ! Je vais jeter toutes ces merdes pour repartir sur de bonnes bases et ne plus te décevoir... Je te le promets, Joshua... Je te le promets !
Il sanglote, le visage enfoui entre mes jambes.
— Jaekyung... l'appelé-je doucement.
Mais il ne réagit pas.
— Mon amour, regarde-moi, s'il te plait, insisté-je d'une voix toujours douce.
Cette fois-ci, il se décide à lever la tête vers moi, se forçant à rencontrer mon regard.
— Je te crois. Je crois en tes promesses, en ta volonté de vouloir te reprendre en main. Mais, avant de vouloir faire quoique ce soit, on doit parler. Tu dois tout me dire pour que je puisse t'apporter mon aide, sans craindre une nouvelle rechute. Est-ce que... est-ce que tu es d'accord avec ça ?
— Oui, hoche-t-il vivement la tête, en essuyant ses larmes. Oui, on va parler comme je t'ai promis de le faire. Je vais tout te raconter depuis le début, et ce dans les moindre détails pour que tu puisses comprendre la raison du pourquoi j'ai sombré dans cette merde dès mon adolescence...
Je me souviens que cela m'avait été impensable d'imaginer un adolescent se perdre dans le travail du sexe. Dans les vidéos cam sur les réseaux sociaux. Et pourtant, combien de mineurs sombrent chaque année dans la prostitution ? Combien d'entre eux deviennent dépendant de l'alcool et des drogues illicites, pour tenter de s'évader d'une situation familiale, ou d'un passé les ayant torturés ? Pour tenter de combler une trop grande solitude, qui les rongent intérieurement ?
Beaucoup trop. Et il en faisait malheureusement partie...
— Je pense, mon amour, que nous devrions retourner dans nôtre appartement, me chuchote-t-il dans le creux de l'oreille. Tu n'es pas à l'aise dans cette pièce, et je ne veux pas que tu te sentes oppressé pour le reste de la soirée...
Il se relève sur ses jambes, en venant embrasser mon front par la même occasion.
— On sera mieux dans notre chambre, d'accord ?
Je lui attrape abruptement le bras pour l'attirer vers moi.
— Non, attends ! Ce... ce n'est pas ça... balbutié-je en agitant la tête. Je ne suis pas mal à l'aise par rapport à ça, et je ne suis pas mal à l'aise tout court... C'est... c'est juste le simple fait de penser que...
Je n'arrive pas à terminer ma phrase, trop accablé par mes émotions.
— Je comprends, trésor. Je comprends... Mais, on va quand même rentrer chez nous, on y sera beaucoup mieux. Je ne veux pas que tu attrapes froid, OK ? Je laisserai mon studio s'aérer le temps qu'on discute, comme ça je pourrai venir le nettoyer plus tard.
— D'accord... murmuré-je d'un sourire triste.
❃❃❃❃
Nous sommes assis l'un à côté de l'autre contre la tête du lit. En rentrant, Jaekyung n'a pas pu s'empêcher de m'emmitoufler dans un plaid à double épaisseur, et de réchauffer mes pieds en leur mettant des grosses chaussettes polaires à tête de cerfs et aux motifs de sucre d'orge, par crainte que je ne tombe malade au vu de ma santé qui s'est fragilisée avec le temps, mais surtout à cause de la fatigue. Sans que je ne lui demande quoi que ce soit, il est allé nous préparer des chocolats chauds, à défaut de ceux du Koriko Café ayant refroidis, en nous rapportant les viennoiseries qui nous rappellent notre tout premier rencard. Et même si toutes ses petites attentions me font énormément plaisir, elles me font tout aussi mal au fond de moi, car même dans cette situation qui le concerne, il prend le temps d'être à mes petits soins en faisant abstraction de ses émotions.
Par ailleurs, il a allumé la télévision de notre chambre pour mettre un faux feu de cheminée sur YouTube, ainsi qu'une petite musique de fond pour briser le silence qui le met sûrement en état de stress. Je l'observe faire, aussi muet qu'une tombe, sachant pertinemment qu'il a besoin de se créer un cocon dans lequel il se sent en sécurité avant d'aborder le sujet fatidique.
Après avoir établi son petit nid, il revient s'asseoir à mes côtés. Et c'est là que nous en sommes. A attendre celui qui va parler en premier. Il est nerveux. Je peux sentir ses ondes négatives émaner de lui, et je n'ai pas besoin de détourner mon regard sur ses mains pour savoir qu'il est en train de jouer avec ses doigts pour tenter de canaliser son anxiété. Je suis même certain que si je ne tenais pas compte des crépitements de la cheminée et de la musique en fond sonore, je pourrais percevoir ses battements de cœur frapper lourdement contre sa poitrine. Sans que cette action ne soit préméditée, nous tournons simultanément le visage vers l'autre, en prononçant :
— Mon amour...
— Trésor !
Un léger blanc succinct à notre interaction, et je souris pour le rassurer, en venant glisser l'une de mes mains dans les siennes, me rendant compte à quel point elles sont devenues moites.
— Prends ton temps. Prends tout le temps dont tu as besoin.
— Je pense que j'ai suffisamment attendu depuis tout ce temps, me répond-il en serrant fortement ma main. Ce n'est juste pas facile de me replonger dans le passé, de me remémorer par où tout a commencé...
— Alors, va à ton rythme, lui intimé-je délicatement.
Il hoche la tête en amenant ma main à ses lèvres, qu'il parseme de baisers tout en la caressant avec la pulpe de son pouce.
— Elle est si douce... et si chaude... C'est agréable.
— En même temps, vu comment tu as fait de mon corps un wrap avec le plaid et les chaussetes, je ne peux être qu'en ébullition, le taquiné-je pour détendre l'atmosphère.
Il glousse faiblement, avant d'embrasser la paume de ma main, remontant jusqu'à la bague de promesse.
Je le fixe.
Il me regarde.
— Tu te souviens de la discussion qu'on a eu à Noël ?
Mon cœur loupe un battement en comprenant que le sujet est lancé. Je fredonne en remuant la tête de haut en bas en signe d'assentiment.
— Je t'avais raconté le jour où mes parents m'ont mis à la porte après avoir fait mon coming-out. Je t'ai aussi dit que j'ai trouvé refuge chez les parents de Connor.
— Je me souviens de tout ça, oui...
— Eh bien...
Il se racle la gorge pour s'éclaircir la voix.
— C'est à partir de là que j'ai complètement sombré. C'est incompréhensible, n'est-ce pas ? De partir en couilles, alors qu'une famille incroyable m'a pris sous son aile. Qu'ils m'ont nourris, logé et blanchi sans attendre quoique ce soit en retour de ma part. Qu'ils m'ont accepté et aimé sans que je ne sois leur propre fils...
— Jaekyung, non...
— C'est justement à cause de tout ça, de ce trop plein d'amour, de cette gentillesse débordante et de ce respect que je n'avais jamais eu, que j'ai fini par péter une durite. Mais c'était aussi en partie à cause de toute la haine et la rancœur que je portais envers mes géniteurs.
Il s'interrompt en broyant ma main dans les siennes. Mais je ne relève pas ce détail. Je peux supporter cette douleur si ça lui permet de se soulager.
— Ça s'est fait progressivement, et non du jour au lendemain. Ça a commencé par mon mauvais comportement à l'école envers mes camarades et mes professeurs. Je me mettais en colère pour tout et rien. Je me battais même pour un regard de travers, pour une blague de mauvais goût. En y repensant, j'ai honte du comportement que j'ai pu avoir, et de tous les rendez-vous que le proviseur a demandé aux parents de Connor pour les sermonner de ma mauvaise éducation...
— Ce n'était pas ta faute, commenté-je au bord des larmes.
Il esquissa un sourire n'exprimant pas la joie.
— Mais c'est quand même de ma faute, si les parents de Connor ont eu une mauvaise réputation au sein des parents d'élèves. Et pourtant... ils ne m'ont jamais engueulé. Ils ne m'ont jamais remonté les bretelles. Ils disaient me comprendre, et qu'ils allaient m'aider à guérir mes blessures, reprend-il d'une voix éraillée par les émotions. C'est ce qu'ils ont essayé de faire. Ils m'ont payé des séances chez un psychologue, à qui je ne parlais même pas. On ne faisait que se regarder dans le blanc des yeux, jusqu'à ce qu'il annonce que la séance était terminée.
Son récit n'est pas seulement dur à entendre. C'est tout aussi difficile pour mon cœur d'absorber toute la peine, toute la tristesse de mon homme qui se diffusait à travers notre toucher. Je suis comme qui dirais-je, devenu une éponge.
— Je leur ai fait croire que tout se passait bien avec le psychologue, car je savais qu'il y avait un secret professionnel à tenir, et qu'il ne pouvait pas leur dire que nos séances ne menaient à rien. Peut-être parce que lui aussi espérait que je finisse par parler. Et... peut-être que ça aurait été le cas, si je n'avais pas goûté à l'alcool pour la première fois de ma vie.
La tension se relâche dans ses muscles, libérant ma main de cette pression. Le temps d'une demi-seconde, j'ai la sensation que mon sang s'écoule à nouveau dans mes veines.
— Il y avait une soirée organisée par des camarades de classe, pour fêter la fin de notre année scolaire, poursuit-il. Je n'avais jamais goûté à l'alcool, et normalement aucun de nous n'aurait dû en avoir en sa possession. Mais tu connais la jeunesse... on bafoue les règles pour impressionner les copains... J'ai donc bu mes premiers verres, et ce fut la première fois que j'ai ressenti une aussi douce chaleur se répandre dans ma poitrine, me réchauffant intérieurement. Comme si... elle comblait ce vide sans y laisser la moindre faille.
Il rencontre à nouveau mon regard.
— Je me sentais en parfaite harmonie avec mon corps. Mais, dès lors où les effets de l'alcool ont commencé à se dissiper, ce vide réapparu aussitôt, et je sus à cet instant ce que je devais faire pour le combler à nouveau.
— C'est là que ton addiction à l'alcool a commencé...
— Oui, affirme-t-il. Avec l'argent de poche qu'ils me donnaient, je m'achetais des bouteilles en cachette. Il y avait une épicerie connue du collège, où le vendeur s'en foutait royalement de vendre de l'alcool à des mineurs. Tant qu'il brassait de l'argent, ça l'arrangeait. Alors j'ai commencé à boire régulièrement. Le matin, avant d'aller en cours. Dans les toilettes entre deux heures de temps libre, puisque j'avais dilué de l'alcool dans une bouteille d'eau pour ne pas me faire remarquer. Et le soir, après avoir dîner, en me cachant dans la salle de bains.
— Mon amour...
Il se tourne complètement vers moi pour venir poser une main sur ma joue. Elle est humide à cause des larmes.
— Puis, ce qui devait arriver arriva. L'alcool ne me faisait plus d'effet. Je m'étais tellement habitué à ce poison que je ne ressentais plus rien. C'était comme si je buvais de l'eau et rien d'autre. Alors pendant plusieurs jours, j'ai été malade.
— Comment ça ?
— Trésor, mon corps était littéralement en manque d'alcool, m'éclaire-t-il doucement. J'ai commencé à présenter des symptômes, tels que la fièvre, des nausées, des vomissements et des tremblements. Les parents de Connor ont tout de suite pensé à la grippe. Alors on m'a mis sous traitement. J'ai eu de chance de ne pas avoir eu d'effet secondaire. Mais, une fois que j'étais rétabli, j'étais devenu encore pire qu'avant. Je ne leur parlais plus. Je m'étais renfermé sur moi-même en souhaitant me faire du mal. Et cette envie prenait de plus en plus son importance, jusqu'à ce que j'aille voir l'élève chez qui on avait fait la soirée, pour lui demander s'il connaissait quelque chose de plus fort que l'alcool.
Ce que je crains fortement au fond de moi, sort de sa bouche.
— Il s'était mis à sourire, en me disant qu'il avait effectivement quelque chose de plus fort, mais qu'il fallait que je paie pour l'avoir. Alors, je lui ai donné l'argent que j'avais sur moi, et en retour, il m'a donné un petit sachet dans lequel il y avait de la poudre. Il m'a expliqué comment l'utiliser, surtout pour un débutant comme moi, pour éviter une certaine overdose. J'avais dix-sept ans, quand j'ai pris pour la première fois de la drogue. Les effets ont été immédiats dès la première prise. J'avais l'impression de planer, que mon corps était devenu aussi léger qu'une plume, qu'il pouvait flotter dans les airs. C'était tellement doux et agréable. Je me sentais bien.
— Tu savais quelle substance c'était ?
Il secoue la tête.
— Non. Je pense même que c'était un mélange à bas prix. De la merde quoi. Et je suis tombé dans cette nouvelle addiction. Je dépensais tout mon argent de poche pour m'en procurer, toutes les semaines. Puis, tous les deux jours. Jusqu'à ce que ce soit tous les jours. Quand j'y repense, j'ai envie de me foutre des claques dans la gueule. J'avais un tel culot que j'allais quémander de l'argent dès que j'en avais plus, jusqu'à ce qu'ils ont refusé de m'en donner, sans que je leur donne une explication valable. Je crois qu'ils avaient compris depuis un moment que quelque chose n'allait pas, mais qu'ils ne savaient pas comment aborder le sujet sans avoir peur de me braquer.
— Et... qu'est-ce que tu leur a dit ?
— Rien du tout, dit-il en haussant les épaules. Je n'ai rien pu leur dire. Mais, je savais qu'il fallait que je trouve une issue au plus vite.
— Qu'as-tu fait ? lui demandé-je en ayant l'impression qu'il a besoin que je parle pour continuer.
— Comme pour l'alcool. J'ai attendu que les effets se dissipent, car je n'avais pas trouvé d'autres solutions pour combler ce trou béant dans ma poitrine. Par la suite, j'ai repris les cours, et un jour, j'ai accepté de me rendre chez une fille de ma classe qui avait soi-disant besoin d'aide pour un DM de math.
Mes yeux s'écarquillent de stupeur en comprenant où il veut en venir.
— Tu...
— Oui. J'ai couché avec cette fille, confirme-t-il. J'ai couché avec elle, en ayant pensé une fraction de seconde que mes géniteurs avaient certainement raison à mon sujet. Que la société avait raison en ce qui concerne les couples hétéros. Alors j'ai baisé cette fille, sans y prendre réellement de plaisir. Et quand j'ai réalisé ce que j'étais en train de faire, j'ai vomi sur elle.
Ma bouche s'ouvre à ses derniers mots qui me laissent sans voix.
— Après ça, je ressentais ce besoin vital de me laver. Je n'avais rien contre cette fille. Elle était adorable, et très gentille. Elle était aussi très jolie, mais sexuellement parlant, elle ne m'attirait pas... Puis, un jour, je m'étais décidé à me rendre dans un bar gay. Je connaissais mon attirance pour les hommes, mais je voulais être certain que ce soit le cas. Je voulais être sur que je n'allais pas me mettre à vomir sur un pauvre type, et réaliser qu'en fait c'est le sexe qui me dégoûtait.
— C'est dans ce bar, que tu as eu ta première relation sexuelle avec un homme ?
Il approuve ma question d'un pincement de lèvres.
— Evidemment, tout ce que je suis en train de te raconter mon ange, ça s'est déroulé sur plusieurs mois, voire une année entière.
— J'imagine bien, mon amour, rétorqué-je en me rapprochant de lui. Mais tu en as vécu des choses, pour le garçon que tu étais...
— Tu te doutes bien, que c'est à partir de ce moment-là, que j'ai sombré dans ce que je suis actuellement ; une pute.
— Jaekyung ! m'exclamé-je de surprise. Ne dis pas ça !
— Et pourtant c'est ce que je suis. Une putain. J'ai commencé à l'être à mes dix-sept ans, en couchant avec des hommes de tout âge dans les toilettes du bar. Je ne gagnais rien en retour, je n'étais pas payé pour qu'ils profitent de mon corps. Je couchais avec eux, parce que le sexe me permettait d'oublier le temps d'un instant la sale merde que j'étais devenu. Parfois, ils me faisaient mal. Ils me faisaient faire des choses auxquelles je n'aurais jamais imaginé. Il m'arrivait de saigner après un rapport. Parce qu'à ce moment-là, c'était moi qui me faisait prendre par ces types. Je n'étais pas le dominant. J'étais le dominé. Et je voulais qu'ils réduisent mon corps en miettes, qu'ils me fassent souffrir, même si je savais pertinemment que le sexe n'allait jamais combler le vide qui était en moi. La douleur me permettait juste de me sentir vivant.
Savoir qu'il a autant souffert par le passé me rend comme une âme en peine. Et même si j'essaie de rester fort pour lui jusqu'à maintenant, mes lamentations ont raison de moi.
— Mon ange... chuchote-t-il. Je suis... désolé...
J'éclate en sanglots dans ses bras.
— Non, non et non ! Ce n'est pas à toi de t'excuser ! Tout ça, tout ce qui t'es arrivé, c'est à cause de tes parents, m'emporté-je à travers mes pleurs. C'est à cause d'eux que tu as autant souffert ! Ce sont des pourritures !
— Bébé, calme-toi, me dit-il d'une voix basse. Tout va bien maintenant. Je vais bien.
— Non, tu ne vas pas bien ! protesté-je, furieux.
Il prend mon visage entre ses mains en posant son front contre le mien. Son sourire contrastant avec l'expression attristée de mes traits.
— Je t'assure, mon amour, que je vais bien à présent. Et laisse-moi continuer, pour que tu comprennes mieux ce que je veux dire.
En mouvant simplement la tête pour lui donner mon approbation, je me blotti un peu plus dans ses bras, me murant dans un silence crispé pour lui permettre de poursuivre son récit.
— Je ne buvais plus. Je ne me droguais plus, et ça été facile pour moi de m'en débarrasser, puisque je n'avais pas été dépendant très longtemps de ces merdes. Les parents de Connor ne se doutaient plus de rien, ni même, mon meilleur ami. J'attendais avec impatience la fin de semaine pour retourner dans ce bar gay, où j'avais commencé à avoir une réputation de mec facile à baiser. Jusqu'à ce qu'un jour, l'un d'entre eux me file un billet pour la pipe que je lui avais faite. Je ne demandais pas d'argent, mais au fil du temps, ils étaient plusieurs à m'en donner pour profiter de mon corps. J'étais heureux de gagner tout ce fric aussi facilement, car je me disais que j'allais enfin pouvoir offrir quelque chose aux parents de Connor, et les remercier de m'avoir pris sous leur aile.
Il caresse mon dos, dessinant des formes que je ne parviens pas à déchiffrer.
— Sauf que j'étais devenu avide d'argent. Je voulais gagner plus, pour pouvoir leur offrir quelque chose d'aussi précieux que leur gentillesse et leur amour. Jusqu'à mes dix-huit ans, j'ai vendu mon corps à des types qui étaient devenus mes clients réguliers, en leur imposant une seule condition : le préservatif. Je ne voulais pas choper de merde, et même les fellations étaient sous vide. Ils m'emmenaient chez eux pour que ce soit plus intime que dans les chiottes d'un bar. Mais, je faisais tout de même des prises de sang tous les trois mois, pour m'assurer que tout allait bien.
— Ils étaient... enfin... Ils étaient gentils avec toi ? osé-je demander en me mordant les lèvres.
— Ils avaient tout intérêt à l'être, sinon je leur collais une droite. Mais... Je doute que pour un homme qui a tendance à être plus facilement manipulable et moins imposant niveau carrure, ce ne soit le cas. Dans ce monde-là, tout n'est pas rose. C'est même plus sombre, plus noir que ça. J'ai eu de la chance d'avoir pu imposer certaines de mes conditions.
— Je vois...
— Puis, un soir, je m'étais rendu chez l'un de mes clients. On a fait notre affaire, et à la fin je l'ai vu prendre son téléphone pour aller sur un site que je ne connaissais pas avant. Je lui ai demandé curieusement de quoi il s'agissait, et il m'a expliqué que c'était un site où était regroupé une centaine, voir des milliers d'hommes qui se filmaient dans leur chambre, et qui gagnaient de l'argent juste en faisant ça.
Je relève la tête vers lui pour rencontrer son regard.
— Camtv... murmuré-je.
— Ouais... reprend-il. Je n'y croyais pas au début. Comment des mecs comme eux pouvaient-ils gagner autant d'argent juste en se filmant ? C'était trop facile pour être réel. Alors, je me suis dit que j'allais essayer pour voir, jusqu'à ce que je me rende compte que je n'avais pas assez de matériel pour le faire. J'avais besoin d'une caméra, d'un micro, mais aussi de me créer un personnage pour ne pas qu'on me reconnaisse.
— Comment tu as fait ? le questionné-je tout en caressant ses cheveux.
— Eh bien, comme je n'étais pas encore majeur, j'avais le droit à des petits jobs étudiants dans des petites boutiques. Ça ne payait pas de mine, mais ça me permettait quand même de mettre de l'argent de côté. J'ai arrêté de voir mes clients, car je n'avais plus de temps entre les cours et mes petits boulots. Evidemment, mentalement, ce n'était toujours pas ça. J'avais toujours des idées noires, des envies de replonger dans l'alcool, et ces autres merdes, mais je me disais que devenir camboy allait me changer la vie. Que je n'aurais plus besoin de vendre mon corps à des mecs pour me sentir vivant. Que j'allais être enfin heureux.
— Mais... il te fallait bien un endroit où filmer ? Je veux dire, comme tu étais chez Connor, et que sa chambre était à côté de la tienne, tu ne pouvais pas filmer comme tu le voulais ?
Il hoche la tête.
— J'ai eu de la chance qu'à ce moment-là, lui et moi, nous devions prendre des logements étudiants pour notre rentrée prochaine à l'université. Et, comme tu le sais déjà, Connor était déjà à fond sur Gabriel, et il voulait son propre logement pour pouvoir l'inviter chez lui. Ce qui fait qu'avec mes économies, et l'aide de ses parents, j'ai pu avoir mon propre petit studio. Et c'est là qu'est né...
— BJ Golden... le coupé-je dans un murmure.
— J'étais loin d'imaginer le tournant qu'allait prendre ma vie en me lançant sur cette application. J'ai commencé à me filmer tous les soirs, à la même heure, en proposant des contenus différents. Je pense que c'est ce qui a attiré les spectateurs. Je prenais le temps de lire le Chat, de réagir à leurs commentaires, de les faire se sentir intéressants. Je le faisais avec sincérité parce que ça me plaisait de voir autant de monde regarder mes lives. A chaque show je me sentais comblé, et ça durait parfois des heures, jusqu'à ce que je doive couper le live et revenir à la réalité. C'est-à-dire, complètement seul dans mon pauvre studio accompagné de mes démons. Il n'y avait personne autour de moi, personne qui m'attendait. Il n'y avait que moi, et mon trou béant dans la poitrine.
Il soupire longuement avant de reprendre :
— Finalement, tout ce que m'a apporté être camboy, n'était que la célébrité sur cette plateforme et l'argent, mais en aucun cas le bonheur et la liberté.
Il remonte ses mains sur mon visage, avant de m'embrasser avec fougue. J'écarquille les yeux, ne m'étant pas attendu à cette action, ni même eu le temps de répondre à son baiser, qu'il s'est déjà éloigné de mes lèvres, me laissant le souffle coupé.
— Et puis un jour, tu es apparu dans ma vie, et tu as tout chamboulé, déclare-t-il avec une vive émotion. La première fois que je t'ai vu, c'était à la rentrée. J'étais avec Connor, on s'apprêtait à rejoindre notre bâtiment lorsque mes yeux se sont posés sur toi. Tu étais tellement magnifique, que mon cœur s'est mis à faire n'importe quoi.
A ses mots, je sens une étrange chaleur se répandre dans mon corps en se localisant fortement sur mes joues. Mon cœur lui aussi, se met à dérailler dans ma poitrine.
— Au départ, je me suis demandé si ce n'était pas à cause des merdes que j'avais pris avant, et qui commençaient à détruire mes organes. Mais en fait, non. J'ai réalisé avec le temps, que j'avais eu un coup de foudre pour toi, rien qu'en te regardant.
Il rit.
— Je sais ce que tu vas dire, que c'est complètement ringard et cliché, mais c'est la vérité. Tu as été, et tu es toujours la plus belle créature qui m'a été permis de voir dans ma vie. Je voulais tellement venir te parler que je ne savais pas comment m'y prendre sans avoir peur de te faire fuir, car tu me semblait particulièrement craintif. Et je ne voulais pas te faire peur. Le soir, dès que je terminais un live, je pensais déjà à comment j'allais t'aborder le lendemain. Mais... je n'ai jamais sauté le pas...
— Jaekyung...
— Alors je m'étais contenté de t'observer dans mon coin et te voir rire aux blagues de ton meilleur ami. Je te voyais fuir le regard des autres, fuir leur contact quand ils s'approchaient de toi. Ton comportement m'intriguait, me faisant me questionner sur ce qui a pu t'arriver pour que tu sois aussi méfiant envers les autres. Et c'est ce qui m'a fait le plus hésiter pour venir te parler.
Je baisse les yeux en me sentant honteux.
— Je... je suis désolé...
— Ne t'excuse pas, trésor, me contredit-il en me forçant à le regarder. Tu n'y étais pour rien, non plus. Toi aussi, tu as vécu des choses impardonnables de ton... connard de père, et... de cette saloperie de fils de pute qui t'a fait du mal. Tu étais autant blessé que moi, ce qui expliquait ta réticence à t'ouvrir aux autres.
Il caresse mes joues en frottant son nez contre le mien.
— Mais, lorsque j'ai pu te parler pour la première fois lors de ce match de basket, j'ai réalisé que je ne m'étais pas trompé à ton sujet.
— Qu'est-ce que tu veux dire par là ?
— Que sous cette dense chevelure qui cachait ton visage, il y avait un diamant brut qui n'attendait que d'être poli pour dévoiler toute sa beauté.
Contre toute attente, je deviens aussi rouge qu'une pivoine, sentant mon corps s'embraser sous une chaleur écrasante.
— N'importe quoi ! maugréé-je en lui tapant l'épaule. Je ne suis pas un diamant brut ! Tu ne dis que des conneries !
Il rit une nouvelle fois. Et cette fois-ci, c'était un vrai rire.
— C'est toi qui ne te rend pas compte de la valeur que tu possèdes, mon amour, rétorque-t-il dans un murmure. Dès que je t'ai vu pour la première fois, tu as balayé toute la noirceur de mon cœur. Il n'y a pas une seule minute, une seule seconde où je ne pensais pas à toi. Tu hantais toutes mes pensées et c'est grâce à toi que je ne sombrais plus dans le néant. Et quand on s'est échangé nos noms sur Kakao, je n'avais qu'une hâte, c'était de t'envoyer des messages dès que l'occasion se présenter.
— Tu... tu n'étais pas gêné quand j'envoyais des commentaires sur tes lives ?
Surpris, il hausse les sourcils.
— Gêné ? Absolument pas. Au contraire, j'étais heureux de te voir dans le Chat, car tu brillais à travers tous ces commentaires insignifiants. Eux n'étaient là que pour me voir me déshabiller et faire mon show, ce qui était compréhensible après tout. Mais toi, tu étais là pour me voir moi, et ça... c'était l'une des plus belles choses qui m'a rendu encore plus accro à toi. Tu voyais l'humain qui se cachait derrière un masque, et non un jouet sexuel.
— C'est pour cette raison que tu coupais tes lives à la va-vite pour me parler ?
— Putain... jute-t-il en s'humidifiant les lèvres. Qu'est-ce que j'en avais ma claque de faire tous ses lives. C'était devenue une corvée pour moi. Tout ce que je voulais c'était pouvoir te parler jusque tard dans la nuit, jusqu'à ce que tu t'endormes. Alors, même si ça m'a apporté quelques ennuis avec le patron du site, j'écourtais mes lives pour pouvoir t'envoyer des messages.
Je réprimande un hoquet de surprise à cette révélation.
— Comment ça, ça t'a apporté des ennuis ? Qu'est-ce qu'il a fait ?
— Rien de bien méchant, trésor. Juste quelques menaces par ci, par là. Du style : je vais te faire descendre dans le classement, si tu ne reprends pas tes show correctement, me dit-il en imitant l'intonation de son supérieur. Parce que dans l'histoire, je ne suis pas le seul à gagner de l'argent. Lui aussi se faisait une marge sur nos prestations. Et j'étais l'un de ces... meilleurs produits de consommation.
La façon dont il se qualifie me rend malade au point d'en avoir l'estomac noué. Jaekyung n'est pas un putain d'objet !
— Alors... le jour où tu as...
Il hésite à prononcer ces mots.
— Le jour où j'ai fait ma tentative de suicide, l'aidé-je dans sa lancée.
Il inspire une profonde respiration.
— Ce jour-là, j'ai annoncé à mon patron que je suspendais mon activité pour une durée indéterminée. Au début, je pensais que ça allait me manquer un petit peu étant donné que j'ai fait ça pendant plus d'un an et demi, mais rien. Je n'ai rien ressenti à part du soulagement de m'être enfin débarrassé de toute cette merde.
Il m'embrasse une nouvelle fois, et cette fois-ci, plus longuement que précédemment, me permettant d'y répondre à mon tour avec hâte. Le toucher de ses lèvres contre les miennes me brûle intérieurement, faisant fondre la glace qui s'est accaparé de mon cœur durant son absence. Mais à mon plus grand désarroi, un courant d'air frais me caresse les lippes lorsqu'il met fin à notre baiser.
— Parce que j'avais enfin trouvé un sens à mon existence, ajoute-t-il. Une raison de me lever chaque matin avec le sourire, et de me coucher chaque soir en espérant que le soleil se lève le plus rapidement possible pour te retrouver. J'avais trouvé en toi la raison de tous mes désirs, de tous mes rêves que je comptais réaliser à tes côtés. Et j'ai eu peur... si peur de te perdre. J'ai cru me voir mourir pendant que tu étais dans le coma, car il me manquait la source d'oxygène qui me maintenait en vie.
Mon corps tremble de tout son soûl. Il est trop tard pour avoir des regrets, puisque le mal est déjà fait. Mais, je ne peux m'empêcher de me demander ce qui se serait passé, si je l'avais attendu, ce soir-là ? Quel tournant ma vie aurait-elle pris, s'il était arrivé à temps pour me sauver ? Est-ce que nous en serions là, actuellement ? Est-ce que notre amour serait aussi puissant que maintenant ? Même si cette décision m'a privé définitivement de mes jambes, elle m'a tout aussi bien ouvert les yeux sur le véritable sens de la vie. A quel point elle est si précieuse. Et à quel point elle peut être belle et savoureuse. Derrière ce geste de désespoir, j'ai brisé les personnes que j'aime le plus au monde. Ils auraient pu me détester. Ils auraient pu m'engueuler, me haïr, voire même, me tourner le dos lors de mon réveil. Mais aucun d'eux n'a fait une telle chose.
Pas même toi, qui avait pourtant tout entendu...
— J'étais prêt à te rejoindre dans l'au-delà, si tu avais décidé de t'en aller, me chuchote-t-il en embrassant mon visage couvert de mes larmes.
— Ne dis pas une telle chose !
— A quoi bon rester, si ma vie n'avait plus eu de sens sans toi ? Elle n'en avait déjà pas avant. J'errais sans but précis, sans savoir où elle déciderait de me mener. Puis, elle m'a mené jusqu'à toi, mon amour. Et c'est là que j'ai compris pourquoi je devais vivre. Il n'y a qu'avec toi que je veux la poursuivre, et vieillir jusqu'à devenir ces vieux aigris assis sur un banc, à critiquer les passants à longueur de journée.
Je me surprends à rire, alors que j'ai une terrible envie de le gifler.
— Mais je n'ai pas eu besoin de le faire, puisque tu t'es réveillé, et voilà où nous en sommes, aujourd'hui. On a traversé des sales merdes tous les deux. On a vécu des choses qui nous ont laissé des plaies ouvertes, et d'autres des cicatrices. Mais je te promets, mon amour, que nous parviendrons ensemble, à toutes les refermer.
Mon cœur tape comme un fou contre ma poitrine.
— Je t'aime, Joshua. Je t'aime plus que tout au monde.
— Moi aussi, je t'aime. Alors s'il te plaît, embrasse-moi, maintenant. Parce que je souffre de ne pas avoir senti ta présence auprès de moi.
Sans plus attendre, il fond sur mes lèvres avec voracité, ne me laissant aucune opportunité de reprendre ma respiration. J'halète dans sa bouche, nos souffles chauds se mélangeant entre eux en plus de nos salives. Ce n'est pas un baiser amoureux, c'est un baiser affamé. Nos corps se réclament, désireux de sentir la chaleur corporelle de l'autre. Il se place au-dessus de moi, me retirant le plaid qui m'étouffe dans cette chaleur accablante. Et si je sens son sexe pousser contre mon aine, je ne doute aucunement sur le fait que le mien se sens également à l'étroit sous la couche de vêtement. Pris d'un soudain excès de confiance, je m'empare de ses fesses que je serre avec force, lui arrachant ce doux gémissement qui vient tordre mes entrailles d'excitation. Lorsqu'il s'éloigne pour reprendre son souffle, un fil de salive joint nos lèvres, comme si elles ne souhaitaient guère être séparées.
Mais il brise ce lien d'un coup de langue furtif.
— Tout à l'heure, ce que tu m'as dit, c'était bien une demande ? dit-il en enlaçant nos doigts ensembles, nos bagues se frottant l'une contre l'autre.
Malgré l'arrêt de mes cellules grises suite à cette montée d'adrénaline, je reprends une part de lucidité à sa question.
— Tout dépend ce que tu comptes me répondre, commenté-je, essoufflé.
Il sourit en se penchant pour lier nos lèvres dans un nouveau baiser endiablé.
— Joshua...
— Oui ?
— Je veux que tu me fasses l'amour.
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