𝟒𝟗. 𝐋𝐚𝐢𝐬𝐬𝐞-𝐦𝐨𝐢 𝐝𝐞𝐯𝐞𝐧𝐢𝐫 𝐭𝐞𝐬 𝐣𝐚𝐦𝐛𝐞𝐬
Mardi 14 janvier, Séoul, Corée du Sud,
Tic-tac. Tic-tac.
Une vingtaine de minutes se sont écoulées depuis mon arrivée dans le cabinet du psychologue. Seuls les bruits de l'horloge murale résonnent dans l'enceinte de la pièce, aussi minimaliste que épurée dans son entièreté. Assis l'un en face de l'autre, je joue nerveusement avec mes doigts, face au silence présenté par l'homme. Il se contente de me regarder, les jambes croisées, un carnet et un stylo entre ses doigts. Il ne semble pas être dérangé par ce mutisme, et son expression sur ma personne ne me montre aucune once de gêne, ni d'impatience. Mon cœur bat au rythme du mécanisme de l'horloge. J'ai chaud. Tout comme je ressens un frisson glacial remonter le long de mon épine dorsale. Le résultat d'un sentiment provoqué par l'anxiété. Une sensation de ne pas me sentir à ma place dans cet environnement qui m'est encore inconnu.
Quand est-ce qu'il compte me parler ? Qu'est-ce qu'il attend exactement, en me fixant avec cet air sibyllin ? Troublé et de plus en plus angoissé, je finis par me racler la gorge, après avoir difficilement avalé ma salive.
— Excusez-moi, prononcé-je d'une voix intimidée, en captant immédiatement l'attention du psychologue. Mais est-ce que vous êtes muet ?
Surpris par ma question, il hausse les sourcils.
— Je suis désolé si je vous ai offensé... Mais depuis mon arrivée, il n'y a que votre secrétaire qui m'a adressé la parole... Alors, j'en ai conclu que vous...
Bon sang, tais-toi, Joshua ! Tu ne fais que t'enfoncer ! Un psychologue muet, tu as vu ça où ?
Un sourire se dessine sur ses lèvres.
— Est-ce votre première fois ?
Première quoi ? De quoi il parle ? me demandé-je, en montrant de la confusion.
— Est-ce que c'est la première fois que vous venez consulter un psychologue ? réitère-t-il avec un peu plus de précision.
— Oh ! soufflé-je. C'est le cas, oui... Désolé, je...
— Tout va bien, me rassure-t-il en posant son calepin, ainsi que son stylo, sur le rebord de la petite table chevet à proximité de son fauteuil. Je peux parfaitement comprendre que cette nouvelle situation peut perturber vos sens. Ce que nous allons faire en premier temps, c'est que vous allez prendre une grande inspiration, avant de tout expirer par la bouche, lentement, pour vous détendre. D'accord ?
En guise de réponse, je hoche la tête, en joignant mes mains moites l'une contre l'autre.
— Très bien. Allez-y. Inspirer, bloquer et expirer.
En suivant ses indications, j'exécute étape par étape, jusqu'à exhaler tout l'air de mes poumons.
— C'est parfait. Recommencez une dernière fois.
Qui l'aurait cru ? Qu'une simple méthode de respiration peut avoir autant d'impact sur l'anxiété ? En recommençant le processus, je perçois mon angoisse s'amenuiser progressivement en moi.
— Merci... murmuré-je, en levant les yeux vers lui.
— Je suis là pour ça aussi, Joshua, dit-il avec bienveillance.
Il se saisit à nouveau de son petit carnet, dans lequel il glisse son stylo en guise de marque-page.
— Pour faciliter cette première séance, je vais vous poser une question à laquelle vous devrez me répondre avec sincérité, déclare-t-il, en ouvrant une page vierge de son calepin. Comment est-ce que vous vous sentez ?
Quoi ? Mais c'est quoi, cette question ? pensé-je en tentant du mieux que je le peux de cacher mon expression dubitative.
— Euh... eh bien, je vais bien. Enfin, aujourd'hui, ça va, rétorqué-je avec hésitation. En plus... il fait beau, il y a du soleil...
C'est déroutant. De ne pas être en mesure de lire sur le visage du psychologue. Comme s'il y avait un filtre, un masque, une carapace le rendant inexpressif.
Quelques coups de crayon attirent mon attention, avant qu'il ne pose sa main sur sa cuisse.
— Aujourd'hui, vous allez bien ?
— Oui... articulé-je, en plissant faiblement les sourcils.
Je suis perdu. Je ne comprends pas le sens de ses questions. À vrai dire, je ne mens pas vraiment quand je dis qu'aujourd'hui, je me sens un peu mieux qu'hier.
— Je vais donc vous répéter la question. Comment allez-vous ?
Je m'affaisse un peu plus dans mon fauteuil roulant, lorsqu'un drôle de sentiment se répand dans ma poitrine. Comme une porte qui vient de s'entrouvrir. Une parfaite illustration d'une brèche secouée par le tremblement de mes sentiments.
Inconsciemment, mes yeux se gorgent de larmes.
— J'ai connu des jours meilleurs... Il y a des moments où je ne vais pas bien, et d'autres où je me sens vraiment bien, commenté-je sans réaliser que je continue d'invalider mon mal-être.
Le psychologue refait la même action, en se mettant à crayonner quelque chose d'impossible à déchiffrer sur son carnet, pour ensuite l'abandonner sur la table de chevet.
— Joshua. Regardez-moi, s'il vous plaît.
D'un souffle tremblant, je dévie mes yeux humides vers lui.
— C'est fini, Joshua. Tout est terminé.
Pour une personne lambda, ces mots n'auraient eu aucune signification. Pour moi, ça sonne intérieurement comme une libération. C'est fini ? Ça y est ? Je n'ai plus besoin de me cacher, ni de réprimer mes sentiments ? Je n'ai plus la nécessité de faire semblant aux yeux des autres, pour ne pas attirer leur pitié ? Est-ce que je peux enfin lever le masque sous lequel je dépéris ? Un masque que j'ai longtemps acquis comme allié, pour me protéger des personnes qui me sont chères, de moi-même. Pour ne pas les empoisonner avec mon venin.
Il m'accorde une nouvelle fois un sourire, accompagné d'un faible mouvement de tête.
— Comment allez-vous ? Comment allez-vous, Joshua ?
Une vague d'émotions me submerge, m'emportant avec elle dans un tourbillon infernal. Mon cœur est en chute libre dans ma poitrine et les larmes se sont mises à couler d'elles-mêmes le long de mon visage. Je veux parler. Je veux répondre. Mais tout ce dont je suis capable lors de cette première séance, n'est que de pleurer à n'en plus finir. Toutefois, ce ne sont pas des larmes de tristesse. Ni de douleur. Ce sont des fragments de mon âme. Des parties de ma vie abîmées par le temps, par la méchanceté des gens. Ce n'est qu'une simple interrogation. Des mots que l'on prononce par principe, et que l'on juge parfois dénués de sens, et qui, pourtant, me frappent là où j'ai mal.
Est-ce que je vais bien ? Non. Non, je ne vais pas bien. J'ai toujours cette envie de mourir au fond de moi. J'entends toujours l'appel du néant m'attirer vers lui comme le chant d'une sirène. L'appel du vide et du silence. La seule différence avec autrefois, c'est qu'une main est enroulée autour de mon poignet, m'empêchant de me laisser sombrer dans l'abîme de la Mort. Cette main représentant mon amant, mes amis, ainsi que l'aide du psychologue à qui je viens d'ouvrir les maux de mon cœur.
— C'est très bien, Joshua, me félicite-t-il en me donnant des mouchoirs. Libérez-vous de ce qui vous ronge intérieurement. Parlez, si vous voulez parler. Pleurez, si vous voulez pleurer. Vous êtes en sécurité entre ces quatre murs. Vous êtes libre de pouvoir vous exprimer comme vous le souhaitez. On a tout notre temps, mais je vous promets, que tout ceci sera bientôt derrière vous.
❃ ❃ ❃ ❃
Cette première séance est éprouvante, où seules mes larmes et mes sanglots prennent la parole pour exprimer mes souffrances. Pendant une heure au total, je ne fais que pleurer sans prendre en considération le fait que je suis en train de me défaire progressivement de mes démons. N'allons pas trop vite non plus dans de bêtes conclusions hâtives. Ce n'est simplement que le début de plusieurs séances qui vont me guider jusqu'aux cendres de ma renaissance. Lorsque je reprends mes esprits, le psychologue me félicite une seconde fois pour avoir fissuré les dernières chaînes me tenant encore prisonnier dans les profondeurs de mes souvenirs ;
— Nous allons mettre un terme à cette première séance, me dit-il en gribouillant sur son carnet. Vous venez de franchir l'une des étapes les plus importantes sur le chemin de votre guérison.
— C'est déjà terminé ? déclaré-je avec étonnement. Mais... je n'ai même pas parlé...
À vrai dire, je suis tellement vidé de mes forces, que je ne souhaite qu'une seule chose ; rentrer chez moi au plus vite pour me glisser sous les draps et me laisser bercer par un doux sommeil tant convoité.
Il me sourit.
— Vous en avez suffisamment dit sans vous en rendre compte. D'autant plus qu'il vaut mieux prendre tout votre temps, que de vouloir aller trop vite. Ne brûlez pas les étapes, Joshua. Nous nous reverrons la semaine prochaine, le même jour, à la même heure. Est-ce que cela vous convient ?
— Oui, c'est parfait. De toute façon, je n'ai rien à faire de mes journées... dis-je dans un soupir. Nous allons donc nous voir toutes les semaines ?
— Une fois par semaine, oui, confirme-t-il en se levant de son fauteuil. Après, ce sera à vous de décider de la fréquence de vos séances.
Comment ne pas vouloir brûler les étapes ? C'est plus fort que moi d'espérer m'en sortir le plus rapidement possible. Pour moi, mais aussi pour lui. Pour eux. Mon compagnon, mes amis, ma mère et mon frère. Je veux désespérément chasser de mon corps mes démons. Me débarrasser de ces parasites qui ont élu domicile dans mon esprit, me torturant jour et nuit à leur guise.
Faisant de moi leur marionnette personnelle.
— D'accord, murmuré-je en baissant les yeux.
— Vous pouvez rentrer chez vous, Joshua. Reposez-vous bien. En attendant notre prochaine rencontre, je vais vous demander de faire un petit exercice chez vous.
Je relève le regard à son intention.
— Quel genre d'exercice ?
— Tous les matins, à votre réveil, vous allez vous regarder dans le miroir et vous poser cette question : « Comment vais-je, aujourd'hui ? ». Et vous allez y répondre avec honnêteté.
C'est complètement débile... pensé-je.
— Je... Excusez-moi, mais je ne comprends pas ce que ça va m'apporter de me poser, et de répondre à cette question. Quel est le but, exactement ?
Aucun jugement n'est lisible dans son regard. Ni même dans ce sourire qu'il esquisse du coin des lèvres.
— Si je vous donne la réponse, Joshua, ne pensez-vous pas que cela n'aurait aucun intérêt de faire cet exercice ?
Évidemment que cela n'aurait plus aucun intérêt si j'obtenais la solution sans même avoir essayé de la trouver par moi-même. Puis, à force de trop y penser, un rougissement de honte prend place sur mes pommettes.
— Il n'y a aucun mal à vouloir savoir, Joshua. Pensez juste à faire cet exercice et à noter sur un carnet ou une feuille ce que vous avez répondu, en y mettant la date pour vous repérer dans le temps, reprit-il en se dirigeant vers la porte de son bureau. Nous en reparlerons la semaine prochaine.
Après ce rendez-vous, Gabriel ne m'a pas laissé le choix, en nous emmenant jusqu'au service de rééducation. J'ai pourtant protesté, en lui proposant d'y aller une prochaine fois, pour la simple et bonne raison que je suis terrifié de ce que peut dire le spécialiste en me faisant passer des examens pour voir l'aspect visuel de mes muscles. Il y a une progression, mais ils restent encore fins et fragiles, rendant la marche difficile, au risque de m'effondrer sous le poids de mon corps.
Cependant, je ne peux m'en prendre qu'à moi-même.
Je suis le seul fautif dans cette perte de motricité. Mais je ne compte pas baisser les bras, même si c'est difficile. Je me vois découvrir le monde aux côtés de mon petit-ami. Profiter de la vie, de la découverte de lieux insolites, de la beauté des paysages que nous offre la Terre, sans être limité par un putain de fauteuil roulant. Et Jaekyung m'aide tous les jours. Chaque matin, chaque soir, il me demande d'essayer de marcher un peu. Il se tient derrière moi, pour veiller à ce que je ne tombe pas. Et quand je refuse par manque d'envie, épuisé par une nuit mouvementée, il s'occupe de me masser les jambes et de leur faire faire des exercices pour tenter de garder un muscle en activité.
Peut-être qu'il devrait me forcer un peu plus la main ? Non... Ce serait purement égoïste de lui reprocher quoique ce soit, alors qu'il en fait déjà assez pour moi.
Tout ça, c'était entièrement de ma faute. Uniquement la mienne et non celle des autres.
Comment vous dire, que lorsque nous sommes entrés dans le service de rééducation, je suis tout de suite accueilli par quelques-unes des infirmières qui se sont occupées de moi durant mon coma. Elles se rappellent de moi, ou plutôt, de mon homme qui est resté collé à mon chevet jusqu'à mon réveil. Touchées par cet amour et cette dévotion, elles ne peuvent pas oublier un visage. Toutefois, toute cette générosité, tous leurs mots aussi doux et bienveillants à mon intention ne jouent pas en ma faveur.
C'est même l'effet contraire.
Je me retrouve à culpabiliser de ne pas avoir assez fait depuis ma sortie de l'hôpital. Je me déteste de m'être laissé submerger par la noirceur de mon subconscient. Par la mort de ma mère. Par mon passé, mes démons. Et comme je l'ai présagé, ou espéré du plus profond de mon être, le spécialiste en question ne peut pas me recevoir aujourd'hui. Nous sommes obligés de prendre un rendez-vous pour une consultation, chose que Gabriel s'est empressé de faire à l'accueil, pour poser une date et une heure, le même jour que ma prochaine visite chez le psychologue.
Après ça, nous nous sommes mis en route ver son appartement, sans que l'un de nous deux n'engage une conversation pour mettre un terme à ce silence de plomb.
❃ ❃ ❃ ❃
— Tu me fais la tête ?
À cette soudaine interrogation, j'écarquille les yeux.
— Te faire la tête ? Mais pourquoi te ferais-je la tête ?
Il hausse les épaules, en arrêtant le moteur de sa voiture.
— Je me suis dit que tu m'en voulais sûrement de t'avoir forcé à aller dans le service, et d'avoir pris un rendez-vous pour toi... répond-il en tournant son regard vers moi. Alors que ça se voyait parfaitement bien que tu n'en avais pas envie.
— Non, Gabriel ! Ce n'est pas que je n'en avais pas envie... Enfin... peut-être un peu, révélé-je avec un brin d'hésitation. Mais c'est surtout parce que je suis putain de terrifié par ce qu'il pourrait m'annoncer... J'ai... Bordel, j'ai tellement peur, Gabriel.
Avec prudence, il vint prendre une de mes mains dans la sienne.
— Oui... C'est normal que tu aies peur. C'est normal que tu sois terrifié, et c'est une réaction parfaitement humaine ! Mais sache que peu importe ce que le médecin te dira, nous serons là pour toi, mon cœur. Toujours là, à tes côtés.
Qu'importe ce qu'il dira ? Ça sonne tellement facile dans la bouche de mon meilleur ami, que j'ai du mal à y croire. Tellement facile d'entendre ça venant d'une personne qui ne saura jamais ce que l'on ressent lorsque l'on perd partiellement l'usage de nos jambes. Cependant, je ne peux pas lui en vouloir, mais le pardonner, oui. Pardonner son ignorance. Pardonner sa maladresse. Car après tout, il m'a toujours soutenu, jusqu'à maintenant. Il m'a toujours protégé et aidé dans n'importe quelle situation.
Toujours.
— Avec... ou sans jambes, Joshua, tu resteras toujours la même personne, ajoute-t-il en resserrant son étreinte autour de ma main. Et on pourra continuer à faire tellement de choses ensemble ! Je te le promets !
Promettre. Je crois qu'on a tous tendance à promettre des choses dont on n'est même pas sûr de pouvoir tenir jusqu'au bout. De promettre des choses que l'on finit par oublier, avec le temps. Du moins, c'est ce qui arrive quand ce ne sont que des paroles en l'air. Quand elles sont prononcées dans l'unique but de faire plaisir à son interlocuteur, sans savoir que cette personne n'oubliera jamais cette promesse.
Sans savoir que l'on peut détruire une vie, juste avec une promesse...
— Quelles choses ? questionné-je le cœur serré, en rencontrant ses yeux. Dis-moi quelles choses je pourrai être en mesure de faire en étant coincé dans un putain de fauteuil roulant ? Dis-moi ce que je pourrai faire, si je ne peux plus marcher comme avant ?
Il semble être pris de court. Puis, son regard se fait plus sérieux et impassible.
— Tu sais ce qu'on va faire ? On va d'abord sortir de cette bagnole pour commencer, ensuite on va rentrer chez moi et se poser devant la télé avec un bon chocolat chaud.
— Tu ne réponds pas à ma question.
Un faible sourire se dessine sur ses lèvres.
— Joshua, s'il te plaît, prends le temps d'y réfléchir par toi-même. Qu'est-ce que tu seras encore capable de faire ou non ?
Dites-moi que je rêve ?
— Tu ne vas quand même pas te mettre à parler comme mon psy ?
— Je pourrai te donner des exemples, oui. Je pourrais. Mais ne serait-ce pas mieux que ce soit toi qui le fasse ? Pourquoi ne serais-tu plus en mesure de faire certaines choses ? Pourquoi tu penses que tu ne pourrais plus vivre sans tes jambes ?
Exacerbé, je soupire en secouant la tête.
— Vous allez me rendre dingue avec toutes vos questions, riposté-je, en amenant mes mains à mes tempes. J'en ai presque la migraine. Je... laisse tomber, je n'aurais pas dû te demander ça. Excuse-moi...
Il glisse son bras autour de mes épaules, pour me rapprocher de lui, avant d'écraser ses lèvres sur le haut de mon front.
— Pose-toi juste les bonnes questions, mon cœur, murmure-t-il contre ma peau. Tu te rendras très vite compte de certaines choses. Et je suis convaincu que les séances avec le psy vont grandement t'aider !
Je souris à mon tour.
Un sourire vide d'émotion.
— C'est parce que je pense trop négativement, que je n'arrive pas à voir le positif ? prononcé-je sur une intonation particulièrement basse. Pourtant, j'ai envie de m'en sortir, donc je ne comprends pas... Je vous le jure que je veux m'en sortir...
— Tu vois, tu viens déjà de trouver une réponse à ta question, souligne-t-il en venant me pincer la joue. Le positif attire le positif, le négatif attire le négatif. Essaie de changer tes questions en les remplaçant par des phrases positives, ça t'aidera à changer ta vision de toi-même !
En voyant sur mes traits que je suis confus, Gabriel se met à rire.
— Je vais résumer grossièrement la chose, mais par exemple, au lieu de te dire : « Est-ce que je suis capable de le faire ? », dis-toi plutôt : « Je suis capable d'y arriver ». Évidemment, il faut suffisamment y croire pour que ça fonctionne. Il ne faut pas juste le prononcer et attendre que ça se passe comme si tu faisais un vœu à un génie, après avoir frotté contre sa lampe, argumente-t-il, en détachant sa ceinture, puis la mienne. Tout est une question de mindset, mon cœur. Il faut d'abord que tu y croies. Que tu croies en toi.
— Tu dirais la même chose à une personne dépressive ? Je veux dire, est-ce que tu lui dirais : Change tes idées négatives par des idées positives ?
Il ne prend pas le temps de réfléchir, qu'il me répond immédiatement :
— Oui. Ça peut paraître complètement absurde, mais oui. Parce que si je tiens réellement à quelqu'un, je ferai tout pour l'aider, coûte que coûte. Je ferai tout pour l'aider à remonter à la surface de l'eau, et l'empêcher de se noyer.
Face à mon silence, il ajoute :
— Je ne suis pas parfait, Joshua. Je ne pense pas avoir les paroles les plus sages du monde. Je ne pense pas avoir raison sur tout non plus, et parfois j'ai tort. Je ne suis pas non plus un Dieu, putain. Et pourtant... pourtant, j'aimerai tellement avoir un super pouvoir pour te soulager et te retirer tout ce mal en toi...
Il se met soudainement à pleurer.
— Déteste-moi si j'en fais trop. Hurle-moi dessus si tu en as marre de moi. Mais sache que je ne t'abandonnerai jamais. Et que si tu tombes, je tomberai avec toi !
— Gabriel... chuchoté-je en sentant une boule de tristesse s'installer dans ma gorge.
— Si je dois devenir tes jambes, alors je le ferai. Parce que je ne te laisserai plus jamais sombrer !
Nous nous sommes tous les deux regardés dans le blanc des yeux, et je suis certain, que l'un comme l'autre, on n'y voit strictement rien sous cette couche d'eau plombant notre vision.
Encore aujourd'hui, je repense à ses paroles, et je me dis que j'ai de la chance d'avoir un meilleur ami comme lui dans ma vie. Le monde est cruel. Tout comme la vie peut être belle. Des gens naissent sans jambes, sans bras, voire même sans ces quatre membres qui nous constituent. Des personnes se font amputer d'un bras ou d'une jambe, suite à une maladie ou un accident. Et d'autres perdent l'usage d'un membre, suite à un traumatisme. Malgré tout, une seule et unique chose les unit, et font d'eux ce qu'ils sont aujourd'hui : la force mentale. Celle qui leur a permis de se relever. Mais aussi l'amour et le soutien inconditionnel de leurs proches. On n'obtient rien sans se battre.
C'est difficile à écrire, difficile peut-être à croire, mais nous sommes les seuls à pouvoir faire de nous, ce que nous sommes aujourd'hui.
Des survivants. Des guerriers.
— Allez, rentrons avant qu'on ne se prenne une saucé en pleine gueule, émet-il en venant se frotter les yeux pour essuyer ses larmes.
— Tu as raison... En plus, il y a des gens qui nous regardent bizarrement, ils doivent se demander pourquoi deux cons sont en train de chialer dans une voiture, humorisé-je en essuyant à mon tour les perles d'eau débordant de mes yeux.
Après avoir ouvert la portière, Gabriel se tourne vers moi.
— Ne bouge pas, je vais chercher ton fauteuil dans le coffre.
Un silence succinct ses mots, le temps d'un échange de regards. S'ensuit d'un fou rire de nous deux, contrastant avec l'atmosphère qui s'était installée quelques minutes plutôt.
— Oh merde, oublie ce que je viens de dire, mon chat, je reviens tout de suite !
Il s'éclipse hors de la voiture pour se diriger vers le coffre. Et dans l'attente de son arrivée, je continue de faiblement rire face à sa bourde. J'aurais pu mal le prendre, oui. J'aurais pu me sentir blessé ou vexé. Néanmoins, même si cela est difficile à concevoir pour moi, il faut que j'admette, dans un coin de ma tête, que ce serait certainement mon quotidien à partir d'aujourd'hui, et qu'il vaut mieux en rire qu'en pleurer. Que si jamais je viens réellement à ne plus jamais retrouver à cent pour cent l'usage, je pourrai continuer à marcher à travers celles de Gabriel, mais aussi celles de mon homme.
Un jour, je vais finir par comprendre que la liberté ne se résume pas à pouvoir marcher. Que la liberté est bien plus vaste qu'il n'y paraît. Un jour, je pourrai dire que je vois la beauté du monde d'un œil différent, d'une manière aussi pure et sincère que la plupart des gens. Là où ils verront une couleur fade et monochrome, j'y verrai un flamboyant arc-en-ciel.
❃ ❃ ❃ ❃
Mon amour : Comment vas-tu, mon ange ? Ta première séance s'est bien passée ? Je voulais juste te prévenir que ce soir, j'essaierai de ne pas rentrer trop tard, on m'a invité à une soirée. J'y passerai pour dire bonjour et boire un verre, et après je rentre. Tu me manques énormément, mon trésor. J'ai hâte de te retrouver.
Absorbé par la lecture du message, je ne fais pas état de la présence de mon meilleur ami, se trouvant juste derrière moi. Seul le canapé où j'ai actuellement le cul assis dessus, nous sépare l'un de l'autre.
— Mon trésor. C'est si romantique, commente-t-il avec un brin d'amusement. Il sait comment te parler, c'est adorable.
Dans un cri d'effroi, je me retourne pour lui faire face.
— Depuis quand es-tu derrière moi ? Tu n'étais pas censé préparer les chocolats chauds ? haleté-je, le cœur battant à cent à l'heure contre ma poitrine. Tu m'as fait peur ! J'ai cru que j'allais mourir d'un arrêt cardiaque !
Il glousse en contournant le sofa pour se joindre à mes côtés, jusqu'à ce que je vois dans ses mains, deux tasses remplies de chocolat chaud avec un supplément chantilly pour la gourmandise.
— Quelle drama Queen ! Je t'aurais fait du bouche-à-bouche, mon trésor, me taquine-t-il en me tendant l'une des tasses bien chaudes.
— Tais-toi ! grommelé-je dans ma barbe inexistante. Mais... merci pour le chocolat.
J'ajoute ces mots d'une mine boudeuse, en prenant la tasse entre mes deux mains.
— J'en avais bien besoin...
— Avec plaisir, répond Gabriel avant de tremper ses lèvres dans la chantilly. Du coup, tu comptes lui répondre ? Ou tu veux le laisser en « vu », histoire de lui montrer ton côté bad boy, je me fais désirer ?
— Oh merde ! m'exclamé-je en posant d'un mouvement précipité la tasse sur le rebord de la table basse. C'est à cause de toi, là ! Tu m'as perturbé en me faisant peur !
Je récupère mon téléphone dans la foulée, ouvrant la conversation avec mon amant, pour lui répondre :
Joshua : Hey mon amour, je vais...
Mes doigts cessent de bouger sur le clavier, lorsque la question — que le psychologue a répétée à plusieurs reprises — refait surface dans mon esprit.
Comment allez-vous ?
Suite à ce léger blocage, qui n'est pas passé inaperçu aux yeux de mon meilleur ami, je me remet à tapoter sur les touches du clavier :
Joshua : Hey mon amour, je vais bien. Je suis avec Gabriel, on est chez lui pour le reste de la journée. J'espère que de ton côté tout va bien avec Connor ?
Non, je ne veux pas l'inquiéter en le sachant loin de moi. Si je devais lui répondre sincèrement, je préfère le faire en face à face, plutôt que par message. Cependant, je suis une nouvelle fois bloqué dans ma lancée.
— Qu'est-ce qu'il y a, Joshua ? Quelque chose ne va pas ?
— Jaekyung ne sera pas avec moi, ce soir. Enfin, une partie de la soirée... J'ai juste peur de me retrouver tout seul... avoué-je en me sentant ridicule d'être aussi faible face à la peur du noir.
Peur que le reste de mes démons n'en profitent pour sortir des ténèbres dans les moments où je suis le plus vulnérable psychologiquement.
— Tu peux rester ici sans problème ! réplique-t-il, ses lèvres étant couvertes de chantilly. Tu as juste à lui dire que tu dors chez moi et qu'il peut même te rejoindre ici, après la soirée !
Un sentiment de soulagement se répand soudainement dans ma poitrine
— Tu es vraiment un amour ! Merci beaucoup, mon ange, m'exclamé-je, avant de reporter mon attention sur le message.
Pendant que je réponds à mon homme, je peux partiellement entendre Gabriel réfléchir à voix haute, en se marmonnant à lui-même : Je ne savais pas qu'il y avait une soirée ce soir. C'est qui, qui l'a organisée ? C'est vrai que c'est une question que j'aurais pu me poser. Mais au final, qu'est-ce que cela m'apporterait de savoir chez qui il se rend, ce soir ? Il a le droit de s'amuser, de profiter de ses amis et de boire un peu, tout en faisant attention à sa consommation de boisson alcoolisée. Surtout après ce qu'il s'était produit la veille, à la salle de boxe.
Jaekyung a besoin de se changer les idées.
Joshua : Profite, et amuse-toi bien ! Mais, s'il te plaît, fais attention à toi... Ne bois pas trop d'alcool, vu que tu reprends la route après :( Gabriel m'a proposé de dormir chez lui, et j'ai accepté. Rejoins-moi ici quand tu partiras de la soirée, je te veux auprès de moi... Je t'aime, mon amour <3
— Ça y est ? Tu lui as fait ta déclaration ? me chambre-t-il, en faisant bouger ses sourcils de manière suggestive.
— Mais tu as fini ? m'exclamé-je, les joues en surchauffe. Tu vas voir, toi ! Je vais te faire avaler d'une traite tout ton chocolat chaud !
Il pouffe de rire.
— Ça va, j'ai l'habitude de tout avaler d'une traite, me lance-t-il, en accompagnant ses mots d'un petit clin d'œil.
Vous voyez, Gabriel était — et est toujours — le type de personne à faire des allusions au sexe dans n'importe quelle situation.
Inépuisable.
— Oh seigneur ! lâché-je en me couvrant les oreilles de mes mains. Je ne veux pas connaître tes talents en matière de descente ! Et tu sais très bien à quoi je fais référence !
— Évidemment que je le sais, commente-t-il en gloussant face à ma réaction. D'ailleurs, je lui ai clairement pompé son âme hier soir. Il a fait un reset complet de toute sa vie.
Au fur à mesure qu'il prononce ces mots, je deviens aussi rouge que la tasse de Noël qu'il tient dans ses mains, aux motifs de cerf et de sapin.
— Gabriel ! grondé-je, en ne sachant plus où me mettre. S'il te plaît... Je ne me sens pas encore totalement à l'aise avec ce sujet, même si Jaekyung et moi, on...
— Vous l'avez fait ? me coupe-t-il, en partant dans les aigus à la fin de sa phrase.
Pardon ? Comment ça ? Est-ce aussi lisible sur mon visage ? La honte !
— Alors, vous avez ouvert le carton ensemble ? questionne-t-il avec un sourire suffisant.
— Le carton ? répété-je.
Son sourire s'accentue.
— Bande de coquinous ! Mais je suis tellement heureux pour toi que Jaekyung ait réussi à te mettre à l'aise et en confiance avec lui ! s'emporte-t-il avec des étoiles dans les yeux. Je ne m'attendais pas à ce que vous utilisiez les...
Avant qu'il ne puisse terminer sa phrase, je pose ma main sur sa bouche.
— Gabriel. Nous n'avons pas ouvert le carton. Et il n'y a eu aucune pénétration, corrigé-je, en rougissant lorsque je me mets à repenser à cette fameuse nuit.
— Oh ? souffle-t-il contre la paume de ma main. Qéceqovouzavefé ? (qu'est-ce que vous avez fait ?), bafouille-t-il.
Intimidé, je détourne les yeux vers le tapis blanc du salon.
— On... on s'est juste caressés. Je l'ai d'abord branlé, dis-je, en sentant mon cœur s'affoler. Et après, il m'a juste caressé, sans me toucher le.... Jusqu'à me faire... jouir... C'est... c'est tout ce qui s'est passé...
Gabriel s'éloigne de mon toucher, en agrandissant son regard d'un air émerveillé.
— Mais c'est formidable pour la première fois ! C'est beau, c'est touchant, c'est romantique ! C'est...
— Gabriel, s'il te plaît, répliqué-je en lui coupant une nouvelle fois la parole. Je...
Les traits de mon meilleur ami se détendent à mes mots.
— Hé, tout va bien mon cœur, me rassure-t-il, en se rapprochant de moi. Tu as le droit d'avoir une vie sexuelle. Tu as le droit d'être épanoui, sexuellement parlant. Surtout après ce que tu...
— Après ce que j'ai vécu, oui, terminé-je en serrant mes mains en forme de poings sur le haut de mes cuisses. Ha-joon m'a violé. Il a abusé de moi.
C'est déchirant, mais quelque part, tout aussi fascinant, de voir comment un visage peut changer d'expression en une fraction de secondes.
— Joshua...
— Je n'ai pas honte de le dire, notifié-je en rencontrant son regard. J'ai mis du temps à l'admettre, à le réaliser, même si au fond de moi, je suis certain que je le savais depuis le début. C'est en quelque sorte une victoire, n'est-ce pas ?
Avec émotion, il me répond d'un hochement de tête.
— Je n'ai pas non plus honte de révéler que nous l'avons fait, Jaekyung et moi, même s'il n'y a pas eu de pénétration, ajouté-je entre deux puissants battements de cœur. Je suis heureux d'avoir franchi ce cap. Heureux d'avoir vaincu mon impuissance grâce à lui. Mais, il y a encore tellement de choses qui m'effraient au sujet du sexe... Tellement de choses que j'ai peur de faire, alors que je sais qu'il ne me fera jamais de mal...
— C'est normal, Joshua. C'est normal d'avoir peur, et il faut te laisser du temps, réagit-il en déposant son chocolat chaud à côté du mien. Ne précipite pas les choses. Prends le temps d'écouter ton corps, d'écouter ton cœur, et de juger le moment où tu te sentiras prêt à essayer une nouvelle chose !
Essayer de nouvelles choses ? Ce n'est pas comme si je n'y ai jamais pensé. En toute honnêteté, toutes les horreurs que Ha-joon a pu me faire subir, je veux du plus profond de mon être les transformer en un meilleur souvenir avec Jaekyung. Par exemple : la fellation. Cet acte buccal qui m'a traumatisé jusque dans mes entrailles, je veux la reproduire avec mon homme. Je désire effacer ce mauvais souvenir pour en créer un autre, plus doux, plus agréable.
Mais je suis terrifié.
Tellement terrifié.
— Écoute, mon chat, ce que je t'ai mis dans ce carton, ce sont des sextoys, spécifie Gabriel, sans savoir que cette annonce me gêne.
Des sextoys ? Ai-je bien entendu ce qu'il vient de dire ?
Ça va servir à te faire fermer ta jolie bouche.
Non, pas maintenant ! me répété-je intérieurement, en secouant faiblement la tête. Sors de ma tête !
— Joshua ? chuchote-t-il avec hésitation. Est-ce que j'ai fait quelque chose que je n'aurais pas dû faire ?
Je tremble en sentant ma gorge se nouer.
— Non, non, réfuté-je d'une voix étranglée. C'est... C'est juste que Ha-joon utilisait aussi des sextoys sur moi...
Et je n'en ai pas gardé un merveilleux souvenir, conclué-je dans mon esprit.
— Je suis désolé ! s'excuse immédiatement mon meilleur ami, en me prenant dans ses bras. Putain, je suis vraiment con ! Si j'avais su, j'aurais au moins attendu que tu m'en parles, avant de te donner ce foutu carton !
— Ce n'est pas grave... murmuré-je en tentant de maîtriser cette soudaine crise d'angoisse.
— Bien sûr que si que ça l'est ! me contredit-il. J'aurais dû demander ton approbation avant de le faire... Je voulais juste... J'espérais juste que ça t'aide à te réapproprier ton corps...
Me réapproprier mon corps ? Avec des sextoys ? Est-ce vraiment possible ? Peut-on réellement recréer un lien entre notre corps et notre esprit, avec un simple jouet sexuel ?
— Je suis vraiment désolé, mon ange, réitère Gabriel d'une mine attristé. Je ne savais pas... que... Que ce fils de pute t'avait aussi obligé à...
— Comment aurais-tu pu le deviner ?
Malgré le tremblement de mes mains, je prends son visage en coupe pour l'obliger à me regarder.
— Tu n'as pas à te blâmer pour ça, dis-je en lui adressant un mince sourire. Surtout pas en pensant que ça pourrait m'aider... C'est juste que... C'est encore un sujet sensible pour moi...
— Bien sûr ! Bien sûr, mon chat ! On en parlera plus tard ! rétorque-t-il subitement, en posant ses mains par-dessus les miennes. En attendant, on va boire nos chocolats chauds, avant qu'ils ne refroidissent, tout en se faisant un marathon Harry Potter ! Est-ce que ça te va ? Ou veux-tu mettre autre chose ?
D'un mouvement de tête, je réponds :
— Non, c'est parfait comme programme ! Puis, au moins, on sera encore debout quand Jaekyung nous rejoindra...
Intérieurement, cette soirée ne me présage rien de bon. Comme un sixième sens qui tente de me dire quelque chose. Je suis inquiet pour mon homme, même si j'essaie du mieux que je peux, de le camoufler aux yeux de mon meilleur ami. Il m'est impossible de ne pas penser une seule seconde à lui. Mais surtout à la manière dont il doit se sentir à l'heure actuelle. Car au fond de moi, il m'est douloureusement possible de la sentir...
Sa souffrance, qu'il a transformée en silence.
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