𝟑𝟐. 𝐍𝐞 𝐦'𝐚𝐛𝐚𝐧𝐝𝐨𝐧𝐧𝐞 𝐩𝐚𝐬 !
Jeudi 12 décembre, Séoul, Corée du Sud,
La période de réadaptation est une phase importante à la suite d'un réveil, après plus ou moins un long coma. Cette phase de rééducation consiste à réapprendre au patient, avec des exercices tels que la kinésithérapie, orthophonie, ergothérapie et de psychologie, à retrouver la capacité motrice physique et psychologique qu'il avait avant le drame. Cependant, selon la gravité des séquelles encourues et ayant provoqué le coma, chaque patient s'en sort avec des pourcentages de réussites différentes.
Il est important que je souligne cette information, car un coma a de lourdes conséquences sur le physique et le mental d'une personne.
La liste est longue et fastidieuse, à tel point que durant le premier mois de ma rééducation, j'ai peiné à reprendre confiance en moi, à avoir une détermination, qui n'a fait que de dégringoler, à mesure que je ne voyais aucune amélioration sur mes capacités à me déplacer seul, sur mes jambes, tremblantes comme des échasses à chaque fois qu'elles devaient porter le poids de mon corps. J'aurais pu perdre toute motivation, tout espoir de m'en sortir un jour, mais c'était sans compter sur le soutien inconditionnel de mon petit-ami, de mon meilleur ami et de mes amis, qui venaient régulièrement me voir pour m'encourager, comme si on était dans un match de basket ou de football.
Je me suis amusé à les appeler les cheerleaders. Il ne manquait plus que des froufrous de couleur rose fluo dans leurs mains, et le tour était joué. J'en rigole encore en y repensant, mais sans eux, sans leur soutien quotidien, je ne sais pas si j'aurais pu réussir à me relever et à reprendre goût à la vie.
Durant la phase de mon coma, qui a été particulièrement longue, un kiné est venu me voir fréquemment pour masser mes jambes, mes bras, leurs faire faire des exercices réguliers pour empêcher les muscles de mon corps de s'atrophier, au risque de ne plus pouvoir du tout les utiliser, si jamais c'était arrivé. Ces séances répétitives ont été particulièrement bénéfiques pour ma rééducation, car en l'espace d'un mois et demi, j'ai réussi à recouvrir l'usage complet de mes bras, de mes mains, de mes doigts, et pouvoir tenir des objets, sans qu'ils ne tombent, et surtout, pouvoir me laver sans que quelqu'un ne le fasse à ma place, retrouvant un peu de mon intimité.
Retrouvant un semblant d'indépendance, même si je suis encore loin de la victoire. Car quand je dois prendre ma douche, il m'est indispensable d'utiliser un tabouret sur lequel m'asseoir pour ne pas faire une mauvaise chute sur le carrelage.
Trois semaines après mon réveil. Nous sommes à présent au mois de décembre, là où la neige a commencé à recouvrir de sa douce poudreuse les rues de Séoul, nous emportant dans une ambiance magique aux douces nuances dorés et étincelantes, émanant des décorations festives, suspendues au-dessus des avenues et des ruelles, ainsi que sur les lampadaires, illuminent, d'une féérie indescriptible, les yeux des enfants, comme des plus grands.
Et les miens.
Jaekyung m'emmène faire un tour sur mon carrosse de fortune dans allées du marché de Noël, débordant de diverses stands de friandises, de vins chauds et chocolats chauds, des crêpes, ainsi que des gaufres faisant frémir mes papilles gustatives à en presque baver, tant mon estomac réclamait de goûter à chacune de ces merveilles.
Je goûte à tout. En passant par le vin chaud, me rappelant à quel point je ne tiens pas du tout l'alcool, le jus de pomme chaud à la cannelle, qui n'est pas vraiment bon, dit en passant et le thé aux épices de Noël que je n'ai pas du tout aimé ! Je les remplace tous rapidement par un bon chocolat chaud dans l'une de mes mains, et une crêpe débordante à souhait de nutella dans l'autre, avant de réaliser, quelques secondes plus tard, que je suis emmitouflé comme un bonhomme michelin, les couches superposées des vêtements m'empêchant de lever les bras jusqu'à mes lèvres.
— Tu as besoin d'aide, mon cœur ? me demande-t-il, un brin amusé, en me voyant galérer et m'énerver, parce que je n'arrive pas à taper un croc dans cette maudite crêpe.
— Non ? Tu crois ? rouspété-je, en lui jetant un regard noir, le dévisageant de la tête aux pieds.
Jaekyung se met à glousser, en posant son gobelet de vin chaud sur le rebord d'une table en hauteur, pour venir se saisir de ma crêpe, le nutella fondant sur ses doigts.
— Tu ne vas quand même pas m'en vouloir parce que j'ai pris soin de te couvrir correctement, pour que tu n'attrapes pas froid ? souligne-t-il, en arquant un de ses sourcils avec son satané sourire goguenard affiché sur le coin de ses lèvres.
— Je te jure, Jaekyung, que je suis à deux doigts de te rouler dessus, si tu ne me fais pas goûter à ma crêpe !
— Monsieur fait des menaces ?
— Jaekyung ! râlé-je, d'une intonation plus ferme, pour lui faire comprendre que ma patience à des limites. Par ta faute, je ne peux même pas plier les bras à cause des couches de tissus ! Je galérais déjà avec une main pour boire ces boissons, là, c'est encore pire !
— La nourriture est-elle donc plus importante que moi ? répond-il, en se penchant à mon niveau pour se rapprocher de mon visage, et faire glisser le bout de ma crêpe contre mes lèvres.
Je me lèche les babines d'un coup de langue furtif, tandis que mon regard suit à la lettre les mouvements de ma crêpe, sous les gloussements irrésistibles de Jaekyung.
— Non, mais tu devrais te voir, c'est à mourir de rire, mon ange, commente-t-il sans prendre en compte la faim, illustrée par les gargouillements de mon estomac.
Sans plus attendre, tel un animal en proie à sa prochaine victime en mouvement, je tape mon meilleur croc dans la crêpe, pinçant par la même occasion, à l'aide de mes dents, l'extrémité de l'un de ses doigts.
— Aïe ! Mais Joshua ! se plaint-il, surpris, en reculant sa main pour vérifier qu'il ne saigne pas. Tu avais tant faim que...
Il se tait. Ses yeux scrutent mon visage aux traits enfantins, heureux de ma connerie, pendant que je mâche avec fierté mon bout de crêpe. Le nutella orne à présent l'intégralité de mes lèvres, tel un bambin dégustant avec passion son quatre heures, comme si c'était un plat étoilé.
— Attends, ne bouge pas !
Ça tombe bien, je ne peux pas marcher.
Il sort son téléphone de sa poche arrière, avant de prendre une photo de moi, couvert de pâte à tartiner au chocolat.
— Ce sera ma nouvelle photo en guise de fond d'écran. Tu es adorablement craquant dessus.
Je rougis, devenant aussi rouge qu'une tomate prenant un bain de soleil.
— Tu t'en es mis partout, en plus, ajoute-t-il avec amusement, retirant à l'aide de son pouce, cette couche de nutella, qu'il essuie sur la serviette en papier.
— Tu es méchant avec moi, marmonné-je, sous le ton de l'humour.
Il hausse un sourcil.
— Je suis méchant ? répète-t-il d'une voix innocente, en nettoyant ma main, également couverte de nutella. Et que dois-je faire pour me faire pardonner de mon insolence ?
— M'embrasser, dis-je, sans montrer la moindre hésitation à ma demande.
Il cesse tout mouvement, son regard ténébreux plonge dans le mien, un sourire plus charmeur contemple le coin de ses lèvres, que je souhaite ardemment avoir sur les miennes.
— Monsieur a des goûts de luxe. Mais je te comprends, j'ai très souvent envie de m'embrasser quand je me vois dans un miroir.
— Tu es con ! soufflé-je d'une mine boudeuse, en lui tapant gentiment le haut de son épaule. Tu gâches tout ! En plus, regarde, il commence à...
Il commence à neiger. Voilà ce que je voulais dire avec émerveillement, lorsqu'il scelle nos lèvres ensemble — après s'être délicatement saisi de mon visage entre ses mains —, dans un baiser, à la fois froid par la température extérieure sur nos peaux, et chaud par l'humidité englobant notre intimité, dans laquelle nos langues se délient, se caressent impudiquement, à faire en pâlir les rageux de l'amour.
Pendant cet échange aux allures de chocolat chaud dégoulinant de tendresse, je sens que quelque chose le tracasse, intérieurement. Quelque chose extérieur à ma situation et qui m'affecte par la même occasion. Cependant, il est tellement préoccupé par ma santé, par ma rééducation pluridisciplinaire prenant une grande partie de son temps et de ses journées, qu'il oublie peu à peu ses propres sentiments, ses propres craintes et douleurs qui le hantent continuellement, malgré les années déjà écoulées.
Je l'ai déjà remarqué, il y a quelques jours, mais je ne savais pas comment aborder ce sujet qui doit être encore sensible dans l'une des failles de son cœur.
Nous avons donc clôturé cette fabuleuse journée sous les flocons de neige, par une balade aux alentours du parc Namsan, transporté dans un paysage intemporel sous les couches de neige poudreuse. Nous empruntons uniquement les petites routes plates et aussi accessibles aux fauteuils roulants, du fait de la particularité de ce parc, principalement destiné aux amateurs et passionnés de randonnées.
Ce qui m'attriste encore plus, c'est de ne pas pouvoir gravir cette montagne située en plein cœur de Séoul, et d'atteindre, au delà de cette nature peuplée d'une dense forêt et plantes en tout genre, de la vie sauvage qui y règne, ces points culminants au fur à mesure de la montée, vous offrant une échappée imprenable sur la ville et les diverses montagnes en fond à perte de vue. Et plus on monte, plus le panorama qui s'offre à nous est spectaculaire. Puis, pour les plus téméraires en guise de randonnée, si vous parvenez à atteindre le sommet de la montagne Namsan, vous pourrez admirer, dans toute sa splendeur, la Seoul Tower perchée au sommet du Mont.
Je ne vais pas m'éterniser plus longtemps à son sujet, car il y a encore énormément de choses à citer par rapport à la N Tower et les multiples activités qu'on peut y retrouver tout autour. Mais je suis tout de même triste de devoir me contenter des petites routes enneigées en guise de promenade de gaieté, alors qu'une randonnée avec Jaekyung aurait été incroyable à ses côtés.
Je pense même que cela se voit parfaitement bien sur mon visage et mon regard peiné, qui a du mal à profiter du spectacle de l'hiver.
— Ne t'inquiètes pas, mon ange, murmure-t-il près de mon oreille, après avoir déposé un tendre baiser contre ma tempe. On aura tout le temps de profiter de ces beaux paysages quand tu en auras totalement terminé avec ta rééducation. Et puis, on en profite aussi, à notre manière, non ?
— Oui, mais...
— Qu'est-ce qui ne va pas ? Qu'est-ce qui te tracasse ?
— Et si je n'arrive plus jamais à marcher ? Et si je suis voué à rester cloué dans un fauteuil roulant pour le restant de mes jours ? réponds-je, attristé.
Jaekyung bloque les freins de mon fauteuil, avant de se positionner devant moi.
Il sourit.
— Alors, je t'emmènerai dans des endroits qui te seront accessibles, quitte à prendre l'avion pour te faire voyager et rêver comme tu le mérites, parce qu'il n'y a pas besoin de faire comme tout le monde pour profiter de la vie, Joshua, rétorque-t-il, en ajustant le bonnet de laine sur mes oreilles, rougies par le froid. Je te le promets, mon ange, que peu importe ce qu'il en adviendra pour tes jambes, je ferai tout ce qu'il faut pour que tu puisses profiter de la vie à son maximum. Quitte à devenir tes jambes.
Mes yeux me piquent. Toutefois, les larmes menaçant de s'évader du coin de mes œil sont immédiatement séchées par les mains de Jaekyung.
— Tout ce que je veux, là, maintenant, c'est que je puisse rentrer chez nous, murmuré-je en me mordillant la lèvre inférieure. Je n'en peux plus de l'hôpital. Je veux continuer la rééducation, chez nous.
— Je sais, mon ange... Je comprends parfaitement ce que tu ressens, murmure-t-il en venant couvrir mon visage de plusieurs petits baisers, aussi doux que prudents. On rentrera bientôt, je te le promets.
❃ ❃ ❃ ❃
Lundi 23 décembre, Séoul, Corée du Sud,
Durant la semaine accueillant les derniers préparatifs de Noël, Jaekyung se montre moins présent lors des visites. Quelques jours après mon réveil, Gabriel m'avait offert un nouveau téléphone, étant donné que le mien est porté disparu dans le fleuve Han, et que de toute évidence, il devait être hors d'utilisation.
Ce petit bijou de la technologie me permet de rester en contact avec Jaekyung, même durant la nuit, lorsqu'il doit rentrer chez lui, car l'hôpital ne permet pas qu'il y reste, sachant qu'il a déjà l'opportunité d'être avec moi durant toute la journée. Mais cette semaine-là, il ne répond plus à mes messages, me sentant complètement démuni dans mon lit d'hôpital.
S'est-il finalement lassé de moi ? Lassé d'un homme qu'il doit se coltiner au quotidien dans son fauteuil roulant ? Etrangement, je ne lui en voudrais pas, si c'est le cas. Je ne pourrai pas lui en vouloir d'avoir choisi de vivre pleinement sa vie, loin d'un fardeau.
Nous sommes le vingt-trois décembre, et je suis seul dans cette chambre. Seul avec plusieurs questionnements me torturant l'esprit à cause de la distance qu'il a créée entre nous.
Pourquoi si soudainement ?
Je me suis habitué à sa présence. Je me suis habitué à ses baisers, à ses caresses, à son réconfort et à la douceur qu'il m'accorde sans limite. Je me suis habitué à ses bouquets de fleurs et ses petites friandises qu'il me ramène chaque matin, le sourire aux lèvres. Et je me suis également habitué à ses je t'aime qu'il me murmure inlassablement dans le creux de mon oreille, à ses je t'aime qu'il me déclare lorsque nos lèvres sont liées dans un énième baiser endiablé par le désir ardent de nos corps trop longtemps séparés.
Il m'a embarqué dans cette routine, dans laquelle je me sens en sécurité, pour désormais laisser un énorme vide en plein milieu de mon cœur.
Je suis bloqué dans un dilemme. Lui envoyer des messages pour savoir ce que j'avais fait de mal, ou bien, ne rien lui envoyer et attendre que ce soit lui, le premier, à revenir vers moi. Je veux prendre de ses nouvelles et d'un autre, je ne veux pas me montrer encombrant, au risque qu'il ne se lasse réellement de moi, si je me montre trop imposant dans sa vie. Mais c'est plus fort que moi, je veux savoir où il est. Je veux savoir pourquoi il m'ignore, pourquoi ses paroles sonnent douloureusement comme des mensonges.
J'ai mal, terriblement mal dans ma poitrine, et je ne me rends nullement compte que je ne fais que pleurer au point d'en avoir la migraine, jusqu'à ce que je ne finisse par appeler Gabriel, car je n'en peux plus d'être submergé de douleur.
— Hey, mon cœur ! Comment vas...
Il s'arrête de parler en m'entendant sangloter à l'autre bout de l'appareil.
— Joshua ! Qu'est-ce qui ne va pas ? Qu'est-ce qui se passe ? s'emballe-t-il, paniqué.
— Jaekyung...
Je ne parviens pas à répondre. Mes mots sont bouffés par mes pleurs.
— Jaekyung ? répète-t-il d'une intonation de voix interloquée, mélangée à de l'incompréhension. Qu'est-ce qu'il y a avec Jaekyung ? Il lui est arrivé quelque chose ?
— Je ne sais pas, bafouillé-je en secouant la tête. Ça fait cinq jours qu'il n'est pas venu me rendre visite et qu'il ne répond plus à mes messages, ni à mes appels. Je ne sais pas pourquoi...
— Attends, quoi ? s'écrie-t-il d'étonnement. Dis-moi que c'est une blague ?
Si seulement ça n'était qu'une plaisanterie de mauvais goût.
Malheureusement, c'est la vérité.
— Je me sens si seul, Gabriel... Je me sens tellement seul. Il me manque, il me manque tellement, continué-je de sangloter.
— Je vais aller voir Connor pour savoir s'il sait où il peut se trouver ! Mais je te garantis que si je le croise avant lui, je lui arrache la tête ! menace-t-il sur une intonation de voix qui ne laisse aucun doute sur le fond de ses pensées. Je me dépêche de faire ça vite, et je te rejoins à l'hôpital, ne t'inquiètes pas !
— Mais tu ne travailles pas, aujourd'hui ? lui demandé-je, en sentant tout de même une vague de réconfort m'envelopper.
— Pas aujourd'hui, non ! J'étais en train de repeindre ma chambre, mais ça attendra plus tard, ce n'est pas le plus important, dit-il, en mélangeant un peu d'humour à sa voix crispée par l'énervement. Je vais raccrocher, mais vraiment, ne t'inquiètes pas, ma vie, je serai bientôt là !
Aussitôt dit, aussitôt fait. Gabriel franchit la porte de ma chambre une vingtaine de plus tard. Il me prend dans ses bras, dans une puissante et ferme étreinte, dans laquelle je me suis permis de fondre à nouveau en larmes, comme si mon monde s'écroulait une nouvelle fois autour de moi.
— Je suis là, mon cœur... Je suis là, me chuchote-t-il, en me berçant délicatement dans ses bras. J'ai demandé à Connor, s'il sait pourquoi Jaekyung est injoignable, en lui expliquant la situation. Il pense savoir où il est, et...
— Et quoi ? le coupé-je en sanglotant. Il m'a réellement abandonné ?
Gabriel secoue la tête.
— Pas du tout ! me contredit-il subitement. Crois-moi, il ne t'a pas abandonné !
— Qu'est-ce que tu en sais ? rétorqué-je en fronçant faiblement des sourcils. Tu dis ça comme si tu savais quelque chose...
Gabriel n'est pas doué pour mentir, cela se voit dans son regard que j'ai raison.
— Fais-moi confiance, Joshua. Jaekyung ne t'a pas abandonné, commente-t-il avec assurance, en s'asseyant sur le rebord du lit, sans pour autant lâcher notre étreinte. Il va revenir, crois-moi.
— Pourquoi ? Pourquoi tu ne veux rien me dire ? Pourquoi je dois être le seul à n'être au courant de rien ?
Quel euphémisme, de me plaindre du silence de Jaekyung, alors qu'il a accepté le mien, sans broncher.
Quel égoïste.
— Parce que Connor m'a demandé de lui faire confiance, et j'ai confiance en mon petit-ami, me répond-il en tentant, en vain, d'essuyer mes larmes qui ne font que de couler tel un robinet ouvert.
— Il ne m'aime plus, c'est ça ? conclué-je, hâtivement. Il s'est lassé de moi, pas vrai ? Parce que je n'arrive pas à marcher ? Je suis devenu un fardeau pour lui et il s'est enfui... Il a eu raison, en fait...
— Non et non ! Je t'interdis de dire ça, Josh ! réfute-t-il pour me contredire. S'il te plaît, fais confiance à Connor, il connaît mieux Jaekyung que nous deux ! Et Jaekyung t'aime. Il t'aime vraiment plus que tout au monde, crois-moi.
J'aurais aimé que ce soit aussi simple que ça. J'aurais aimé boire ses paroles sans émettre le moindre doute.
Gabriel a essayé tant bien que mal, durant toute l'après-midi, de me changer les idées, en me racontant les mésaventures qu'il a rencontré avec Connor lors de leur week-end à Incheon. Plus précisément de cette fameuse nuit, où ils ont loué un Airbnb, situé juste en bas d'un réseau de prostitution. Ils ont tout entendu de leurs ébats avec leurs clients, au vu de l'isolation qui était aussi fine qu'un bout de carton ; ou bien, en me racontant des blagues auxquelles j'aurais pu rire à gorge déployée, si mon mental n'était pas descendu au plus bas dans mes chaussettes, m'empêchant de profiter pleinement de sa présence.
Dehors, le ciel commence à se vêtir de sa robe céleste. Le moment des au revoir approche, et je sens ma gorge se nouer à l'idée de me retrouver seul, une fois de plus.
— Même si je dois partir, n'hésite pas à m'envoyer des messages, d'accord ? dit Gabriel en rassemblant ses affaires. Même si je ne réponds pas dans l'immédiat, envoies-moi des messages, j'y répondrai, ok ?
Je fredonne en hochant faiblement de la tête.
— Je t'aime, Joshua. Je t'aime tellement.
— Je t'aime aussi, Gabi... Rentre bien.
Ce sont sur ces dernières paroles que nous nous sommes quittés, dans une nouvelle étreinte à laquelle on ne souhaitait pas y mettre fin. Puis, il y eut ces petits baisers sur le front de chacun, un dernier « je t'aime », un dernier « au revoir », suivi d'un : « bonne nuit », avant que le silence ne reprenne les rênes de son règne dans cette pièce désormais vide, comme mon cœur.
D'ailleurs, je ne me souviens plus combien de temps je suis resté seul, assis dans mon lit, à réfléchir au sens de ma vie, à me demander ce qu'ils savent à propos de Jaekyung, et les raisons pour lesquelles il a cessé de me répondre du jour au lendemain, cessant de venir me voir à l'hôpital. Mais cet instant de solitude m'a permis de mieux comprendre les sentiments que je porte à son égard. De comprendre que je ne me vois pas faire ma vie sans lui. Que je ne me vois pas avancer sans l'avoir à mes côtés, sans être auprès de lui. Que je souhaite me réveiller dans le même lit que lui, de me loger dans ses bras lorsque nous serions assis sur le canapé de notre salon à regarder une série ou un film.
Cela m'a permis de réaliser à quel point je suis tombé amoureux de lui. A quel point je viens de découvrir la vraie signification de ce qu'est l'amour, et de le ressentir pour la personne qui nous est destinée depuis le début. J'aime Jaekyung, et en prendre réellement conscience dans cette situation, est la pire des choses que j'aurais pu imaginer. Néanmoins, ce moment de solitude oppressante prend fin lorsque la porte coulissante de ma chambre glisse avec lenteur, permettant à mon regard de s'y attarder pour y apercevoir — au fur et à mesure — une grande silhouette, qui se définit de plus en plus comme étant celle de Jaekyung.
Quand mon cerveau comprend qu'il s'agit réellement de lui, une soudaine montée de rage et de colère s'empare de moi. Je me saisis du coussin sur lequel mon dos est installé, pour le lui balancer en pleine figure.
— Où est-ce que tu étais ? m'écrié-je, sans lui laisser le temps de s'exprimer. Tu m'as laissé sans nouvelles de toi pendant cinq jours ! J'étais inquiet ! Terriblement inquiet qu'il te soit arrivé quelque chose ! Pourquoi tu ne répondais plus à mes messages ? Pourquoi ce silence ?
Jaekyung ne répond rien. Il est aussi muet qu'une tombe. Il se contente de rester planté à l'entrée de la chambre, telle une statue. Il n'esquive pas le coussin que je lui ai lancé, et qu'il aurait parfaitement pu attraper sans difficulté. C'est d'ailleurs ce détail qui m'interpelle, me faisant me calmer à mesure que les minutes défilent, silencieusement. Son regard est vide, ses traits marqués par les cernes et le passage de sanglots incessants. Puis, mes yeux descendent jusqu'à ses mains. Elles sont rouges, usées, comme s'il avait frappé inlassablement contre quelque chose, et sur lesquelles il y a du sang.
Du sang séché.
— Jaekyung ! Mais qu'est-ce qui t'es arrivé ? Pourquoi tes mains sont dans cet...
Je me tais, lorsque je le vois se déplacer depuis la porte, jusqu'à mon lit. Il s'effondre de tout son poids dans mes bras, nichant son visage dans le creux de mon cou. Je ne sais pas quoi dire, je ne sais pas comment réagir, ni comment gérer mes émotions. Je sens son souffle chaud s'écraser contre ma peau, ainsi que ses bras m'envelopper dans une forte étreinte. Je l'entend vaguement pleurer dans mes bras, pour ensuite se laisser emporter par des sanglots me rappelant bien des choses, des souffrances que j'ai pu endurer.
Son corps est pris de soubresauts, le faisant trembler contre le mien. J'englobe à mon tour sa taille avec l'un de mes bras, tout en glissant ma main de libre dans sa dense et longue chevelure de jais.
J'ai là, contre moi, un homme complètement détruit et bouffé par des marques d'un passé douloureux, qu'il a tenté de camoufler derrière un masque qui se brise à chaque fois qu'il se trouve confronté à ce jour fatidique...
Un homme détruit par des marques encore vives dans son cœur, saignant sans relâche depuis toutes ces années.
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