𝟐𝟔. 𝐔𝐧 𝐞𝐧𝐝𝐫𝐨𝐢𝐭 𝐜𝐨𝐧𝐧𝐮 𝐝𝐞 𝐧𝐨𝐮𝐬 𝐬𝐞𝐮𝐥
Jaekyung me dévisage d'un air ébahi le temps de quelques secondes, inapte à prononcer le moindre mot, la moindre phrase pouvant balayer mes craintes dans l'immédiat. Il faut être dépourvu de bon sens et d'une certaine intelligence, pour ne pas se rendre compte qu'il ne s'attendait pas à cette réponse de ma part, même si au fond de lui, il l'avait deviné.
Toutefois, l'entendre de vive voix est une tout autre sensation pour lui.
— Peur de quoi, Joshua ? dit-il, en effleurant délicatement le bout de son nez contre le mien. Dis-moi, de quoi as-tu peur ?
De tout. J'ai peur de découvrir ce qu'est le véritable amour. Peur de m'auto-détruire et de te faire souffrir.
— Joshua, écoute-moi, s'il te plaît, reprend-il, en constatant que je ne suis pas en mesure de lui répondre. Je ne sais pas ce qui t'effraie autant, mais sache que je ne te laisserai jamais retourner dans ce putain de merdier. Pas une deuxième fois, non. Quoi qui t'effraie autant, nous arriverons à le surmonter ensemble. Quoi qui te fasse peur, quoi qui te fasse douter, je ferais en sorte de l'effacer. Mais crois-moi, qu'ensemble, nous arriverons à surmonter tes peurs.
Ses mots me bouleversent. Il n'y a pas l'ombre d'un mensonge, pas un semblant de manipulation, pas d'arrières-pensées, rien de compromettant qui pourrait me faire sombrer à nouveau dans cette eau trouble, dans laquelle Ha-joon a tenté de m'y noyer à plusieurs reprises, pour que je lui appartienne pour l'éternité.
Corps et âme.
C'est foutrement angoissant, mais tout aussi fascinant, d'un certain point de vue, de voir comment la vie peut nous faire déchanter en un claquement de doigt. De voir comment elle peut nous faire vivre des émotions dignes des montagnes russes. Des rencontres, des amitiés, une famille, tout ce à quoi on tient ou déteste peut basculer du jour au lendemain, et parfois, sans possibilité de faire marche arrière pour empêcher l'inévitable de se produire sous nos yeux impuissants.
Puis, souvent, de manière totalement inopinée et imprévisible, elle peut vous mettre sur le chemin des personnes extraordinaires, vous offrant de nouvelles rencontres, de nouvelles expériences et opportunités. Une possibilité de nous reconstruire et d'aller de l'avant le cœur plus léger.
L'inconnu nous fait peur, nous alarme lorsque nous sommes incapables de voir ce qui nous attend au-delà de cette porte close, qui se dresse devant nous, sans cadenas, sans serrure. C'est le cœur battant à vive allure, la respiration saccadée et presque coupée, que nous nous demandons si ce qu'il y a derrière cette cabalistique barrière est bon pour nous, est synonyme de résurrection. Nous nous posons mille et une questions, provoquant un ouragan destructeur dans notre esprit, nous poussant parfois à faire demi-tour dans ce couloir, les épaules voûtées de désespoir, à nous éloigner de cet accès, qui reste toujours là, à portée de main. Car nous revenons sans cesse devant cette issue, dans l'espoir d'y trouver le courage de franchir cette frontière entre le passé, le présent et le futur, qui n'est autre que l'arc de notre vie.
Je m'y suis arrêté à maintes reprises, devant cette porte, la main levée et figée dans les airs, retenu depuis tant d'années par les lianes de mon passé, m'empêchant de trouver la force de les détruire pour avancer. Mais un jour, une vive lueur a émané de l'autre côté de cet ésotérique passage, m'attirant peu à peu vers elle, faisant disparaître ces liens dans d'infimes particules de poussières.
C'était toi cette lueur, Jaekyung. Toi qui m'attendais de l'autre côté, apportant cette touche de couleur à ma vie de teintée de gris.
— J'aimerai pouvoir te dire que tout ira bien, ajoute-t-il, pour combler le silence de mes mots. J'aimerais pouvoir te dire que la vie sera plus belle à mes côtés, que tu seras enfin heureux, que plus personne ne te fera de mal. Mais, si on n'essaie pas, Joshua, on ne le saura jamais...
Mon monde s'effondre. Jaekyung pleure.
— S'il te plaît, viens avec moi, ne...
— Je ne peux pas, l'interromps-je, en empoignant le tissu de son débardeur.
— Joshua...
— Je ne peux pas venir chez toi sans rien, le coupé-je une seconde fois. J'ai besoin de mes affaires, j'ai besoin de mes repères. Je ne peux pas partir comme ça...
Je sens sous le bout de mes doigts, ses muscles se détendre, au fur et à mesure que l'atmosphère s'amenuise, faisant redescendre le stress accumulé à l'intérieur de lui. Pour autant, il ne lâche pas la pression qu'il exerce autour de ma taille, à l'aide de son bras, comme s'il craignait que je ne décide de m'enfuir à la seconde où il relâcherait son emprise. Une emprise dans laquelle je me sens terriblement bien, en sécurité, dans ses bras musclés cachant au-delà de cette apparence estimable à celle d'Adonis, un cœur rempli d'une immense tendresse incommensurable.
— D'accord, répond-il, en esquissant un large sourire, contrastant avec ses larmes. Je te déposerais devant chez toi et je t'attendrais, le temps que tu rassembles tes affaires.
— Non, ne m'attends pas devant chez moi, s'il te plaît, m'y opposé-je, saisi d'un étrange sentiment que je peine à comprendre.
Un danger ? Mais quel danger ?
— Donne-moi juste ton adresse, s'il te plaît, et je prendrai le bus ou un taxi pour venir jusque chez toi, ajouté-je, en amenant ma main à son visage, pour effacer les vestiges de ses pleurs.
Jaekyung semble sceptique face à ma demande.
— Appelle-moi ou envoie-moi un message quand tu es chez toi, et quand tu pars de chez toi, commente-t-il, en sortant son portable de la poche de son short.
Il écrit, tout en caressant le milieu de mon dos. Une simple action qui a pour effet de m'apaiser, me faisant frissonner à chaque fois que je sens le bout de ses doigts suivre la courbe de ma colonne vertébrale.
— Je viens de t'envoyer mon adresse par message, comme ça, tu pourras m'appeler à tout moment, me dit-il, en rangeant par la suite son portable, là où il l'a pris précédemment.
J'acquiesce d'un mouvement de tête, en revenant me blottir dans ses bras. Je ferme complètement mes paupières pour apprécier cette douce chaleur, exhalant de son corps, pour fusionner avec la mienne.
Vous savez, je n'aurais jamais imaginé qu'un jour, j'aurais eu ce courage de franchir cette porte et de m'aventurer de l'autre côté, sans savoir de quoi l'avenir est fait. Le courage de prendre aveuglément sa main et de le laisser me guider à travers l'inconnu, pour bâtir les murs d'une nouvelle vie, d'un renouveau. Me libérant de ces chaînes qui rongent et déchirent la chair, à mesure que je tire dessus pour m'en défaire.
Pour vous dire à quel point je me sens si bien dans ses bras, les yeux toujours clos, je ne remarque pas qu'il s'est penché près de mon oreille, avant que je ne sente sa respiration chatouiller mon épiderme, me faisant frissonner de contentement.
— Donc... Tu as un faible pour moi ? murmure-t-il d'une voix suave et mélodieuse. Redis-le moi, encore une fois...
Je deviens rouge comme une pivoine, le maudissant de me faire autant d'effet.
— Tu es vicieux... balbutié-je, en rencontrant son regard goguenard.
Son visage n'est qu'à quelques centimètres du mien, faisant de cette proximité une véritable fournaise à l'intérieur de mon corps.
— Tu...
— C'est donc là que vous êtes partis vous cacher ?
La voix de Gabriel surgit de nulle part, nous faisant sursauter tous les deux d'effroi. On s'éloigne brusquement l'un de l'autre pour créer un semblant d'espace. Jaekyung se racle la gorge, troublé, tout en glissant l'une de ses mains derrière sa nuque.
Une habitude pour illustrer son embarras.
Pour ma part, mon regard est braqué sur mon meilleur ami, le maudissant également de jaillir sans crier gare. Et je pense que si j'avais eu l'occasion de me voir dans un miroir à cet instant, tout mon corps devait être couvert de plusieurs nuances de rouge. Je ne vous épargne pas non plus mon état intérieur, qui bouillonne tel un volcan prêt à entrer en éruption.
J'aurais tellement aimé que le sol s'ouvre sous mes pieds !
— On vous cherchait partout, avec Connor. On voulait savoir si vous vouliez venir manger avec nous ? dit-il, en nous adressant un large sourire espiègle.
— Hm... Joshua, tu veux... ? me demande Jaekyung.
— Ouais... Bien sûr ! Je commençais à avoir faim en plus, gloussé-je pour dissiper le malaise.
— Parfait ! se réjouit mon abruti de meilleur ami. Je vais le prévenir ! Ne tardez pas à nous rejoindre !
La porte se referme derrière lui, nous permettant, à Jaekyung et moi, de laisser échapper un long soupir de soulagement, me retenant d'une main sur la table située derrière moi, pour ne pas perdre l'équilibre.
— Putain, jure-t-il, en passant une main sur son visage, avant d'éclater de rire. Il a un radar au cul ou quoi ?
— Je suis désolé, murmuré-je, à son plus grand étonnement.
Il se fige.
— Mais pourquoi tu t'excuses ?
— Parce que je lui ai dit pour notre sortie. Je lui ai dit qu'on était en rendez-vous... Je sais que je peux lui faire confiance, qu'il ne dira rien, mais je n'ai pas pensé à toi et au fait que tu aurais aimé que ça reste entre nous...
Confus, il arque un de ses sourcil.
— Et quel est le rapport avec le fait qu'il soit venu nous interrompre, encore une fois ? questionne-t-il avec un brin d'amusement, tout en réduisant la distance qu'on s'était créée. Tu te tracasses beaucoup trop l'esprit, et souvent pour pas grand-chose, Joshua. Puis, pour te rassurer, ça ne me dérange aucunement que tu en parles autour de toi, car je compte bien t'emmener à nouveau en rencard, et autant de fois que tu me le permettras.
Comme d'habitude, tu t'es fait des films pour rien ! Sale con.
— Je ne sais pas pourquoi j'ai pensé ça. Je me suis dit que tu serais sûrement en colère si tu venais à l'apprendre...
— Sache que ça ne me gêne absolument pas, bien au contraire, rétorque-t-il d'une voix réconfortante. Allons les rejoindre, avant qu'ils ne viennent à deux, cette fois-ci.
Je lui adresse un sourire en guise de réponse. En réalité, je n'ai pas peur que les autres nous voient ensemble. Je suis terrifié de la réaction de mon père, s'il apprend que je fréquente un garçon, connaissant son aversion pour les homosexuels.
Mais pourquoi en fais-je tout un pataquès ? Puisque tout va prendre fin d'ici quelques heures.
Tout va s'arrêter.
❃ ❃ ❃ ❃
Avec du recul, je me dis que Jaekyung n'était pas dupe, qu'il a senti que quelque chose n'allait pas — que quelque chose allait se produire, ce soir-là.
Nous avons tous, à l'intérieur de nous, ce qu'on appelle un sixième sens, il est plus présent chez les femmes, que les hommes, nous permettant de déceler certains dangers de la vie quotidienne. Nous permettant d'éviter certains chemins malfaisants. Voire même de percevoir chez une personne ses mauvaises intentions, lorsque nous avons déjà été confronté à ce type d'individus dans le passé. Mais parfois, nous sommes tellement aveuglé par l'espoir d'échapper à un perpétuel recommencement, que nous tombons inlassablement dans le piège.
Je sais à présent, que c'est ce qu'il a ressenti, lorsqu'il a arrêté la voiture à quelques mètres de mon habitation. Son regard emplit d'inquiétude et de crainte.
Parce qu'il l'a déjà vécu.
Je me souviens de ses mots, quand il a essayé de me convaincre désespérément d'oublier mes affaires, qu'il m'en achèterai des nouvelles une fois chez lui. Que je pourrais me reconstruire un nouvel environnement dans la chambre d'amis qui m'attendait.
Je me souviens qu'il a tenté, pendant une vingtaine de minutes, de me dissuader de rentrer chez moi, en vain. À savoir, que ce qui s'est passé en franchissant le pas de la porte, n'était en rien de sa faute. Et pourtant, encore au jour d'aujourd'hui, cette soirée ne s'effacera jamais de nos esprits.
Cette nuit allait marquer le début de mon envol, de ma liberté.
Permettez-moi juste de vous dire que si vous êtes sensible à ce sujet, je m'en excuse. Je m'excuse de ce que vous allez lire. Les violences conjugales sont monnaie courante dans certains foyers. Au sein d'un environnement qui est censé être notre refuge, notre sécurité, notre épanouissement, notre fierté, et non, notre Enfer.
Les violences homophobes le sont également, et nous savons que bons nombres d'adolescents en souffrent.
À présent, laissez-moi vous raconter cette fameuse nuit, là où la pluie s'est subitement mise à tomber, comme si le ciel pleurait en avance nos souffrances.
La voiture de Jaekyung s'éloigne de moi. Je l'observe partir au loin, se transformant petit à petit en un petit faisceau lumineux, avant de disparaître à travers la pluie battante. Je cours entre les gouttes jusqu'au hall d'entrée pour m'y réfugier, avant de pénétrer dans l'ascenseur, là où une multitude de questions se bousculent dans ma tête.
Comment est-ce que je vais annoncer à ma mère que je quitte la maison, ce soir ? Comment est-ce que je vais affronter son regard, lorsque je prononcerai ces mots ? Il faut que ça cesse. Il faut que je mette fin à cet emprisonnement. Je ne suis plus seul. De merveilleuses personnes sont entrées dans ma vie, prêtes à tout pour m'aider à m'évader, à reprendre ma vie en main.
À devenir l'acteur et non le spectateur.
Je parviens à l'étage désiré, me laissant guider par mes pas jusqu'à la porte de mon appartement, dont je crois, l'espace d'un instant, qu'elle est peinte de rouge. Ce rouge, étrangement identique à celui du sang. Je papillonne deux-trois fois des yeux, avant de réaliser que ce n'était qu'une illusion.
Certainement la fatigue. Alors que c'est en réalité le premier signal d'alarme de mon sixième sens.
Je m'imagine déjà les foudres de ma mère s'écraser sur moi, telle la colère de Zeus, tout comme la nuit dernière. Après tout, une simple gifle ne peut plus m'atteindre au point où j'en suis. Car je suis enfin proche du dénouement de ma propre vie, du commencement d'une nouvelle ère.
J'entre le code d'une main particulièrement tremblante, avant d'entendre ce fameux « clic », m'informant que la porte est déverrouillée. J'hésite. Je repense aux mots de Jaekyung, me demandant si ce n'est pas préférable de tout oublier, comme il me l'a suggéré. Mais mon égo ne veut pas se dégonfler. Il était temps que je l'affronte, que je lui prouve que je suis devenu plus fort qu'elle ne le pense.
Je franchis le pas de la porte, après avoir pris une grande inspiration. Je m'enfonce, comme à mon habitude, dans cette atmosphère si froide et glaciale, qu'elle m'en donne la chair de poule.
L'ambiance ressemblant à s'y méprendre à celle d'une morgue.
Ça manquait de vie, ça manquait de couleur.
— Mère ? appelé-je, curieux de ne pas la voir dans les parages. Je dois vous parler, mère !
Je m'aventure dans la salle de séjour, incertain. Mon cœur tambourine contre ma cage thoracique. Quelque chose ne va pas. Mon instinct me dit de fuir, mais la raison m'en empêche. La mort imprègne les lieux, mettant tous mes sens en ébullition.
— Mère ? appelé-je à nouveau dans un froncement de sourcils.
Je jette mon sac en bandoulière sur le canapé, avant d'être attiré par des voix étouffées, provenant de la chambre de mes parents. Je me dirige d'un pas silencieux vers le couloir, me paralysant d'effroi, lorsque mes yeux se posent sur la valise de mon père traînant au milieu du chemin.
Il est de retour ? Déjà ?
Je me souviens que la porte de la chambre de mes parents était entrouverte, me permettant d'entendre plus clairement les pleurs de ma mère, avant que mon père n'en sorte, une ceinture à la main, tâchée de sang.
— Non ! hurle-t-elle. Vas-t'en Joshua ! Pars !
Ses cris transpercent les ténèbres, mais lorsque je reprends mes esprits, il est trop tard. Un premier coup de poing s'abat sévèrement contre mon visage, me faisant perdre l'équilibre. Mon dos heurte le mur, une main posée sur ma blessure.
— Où est-ce que tu étais passé ? Sale morveux ! grogne-t-il, en empoignant une bonne partie de mes cheveux, pour me tirer la tête vers l'arrière.
Du sang. Il y a du sang qui tombe en fine goutte sur le parquet du couloir. Est-ce le sien ? Non, il n'est pas blessé. Alors, serait-ce le mien ?
— Qu'est-ce que je t'avais dit ? De ne pas sortir en dehors de tes séances de sport !
— J'étais au sport, marmonné-je difficilement, en état de choc, incapable de comprendre ce qui est en train de se passer.
— Menteur ! répond-il dans un nouvel excès de colère.
Il me frappe à nouveau, cette fois-ci avec sa ceinture, sous le regard meurtri de ma mère. Une fois, deux fois, trois fois, avant qu'il ne me jette au sol. Je gémis de douleur, mon visage me lance. J'ai mal, terriblement mal.
— Arrête ! Je t'en supplie, arrête !
Ma mère tente d'intervenir malgré son faible gabarit, en se saisissant du bras de mon père pour l'empêcher de me frapper.
— Toi, tu la fermes ! Tu es incapable de faire ton rôle de mère correctement ! Pourtant, tu as eu tout le temps nécessaire pour l'apprendre, vu que tu ne travailles pas ! crache-t-il, en la giflant.
Le coup résonne dans le couloir.
Qu'est-il en train de se passer ? Pourquoi ai-je autant mal au visage ?
Etalé sur sol, telle une vieille serpillère abandonnée, je tente de me relever en prenant appui contre le mur, pour ne pas défaillir.
— Où est-ce que tu crois aller comme ça ?
— Je pars, lui réponds-je, en me dirigeant vers ma chambre — toujours dans l'optique de rassembler mes affaires.
Cependant, au même moment, mon père me rattrape, en empoignant ma main blessée dans la sienne, qu'il serre avec férocité. Je hurle de douleur.
— Tu pars ? Tu pars ? s'égosille-t-il, en me regardant tomber au sol, mon visage baignant sous un torrent de larmes.
— Père ! Cessez ! Ça fait mal, je vous en conjure !
Il sourit.
— J'arrêterai uniquement quand je serais sûr que tu auras compris la leçon ! Debout. Dans ta chambre. Et baisse ton pantalon.
Un frisson d'horreur me parcourt l'épine dorsale.
— Non, je vous en supplie, non ! Laissez-moi partir ! adjuré-je, en sanglotant.
Ses yeux brillent d'une excitation indescriptible. Est-il en train de prendre du plaisir à nous frapper ?
Enfuis-toi ! Enfuis-toi tout de suite ! implore mon instinct.
— Je n'en peux plus de vivre ici, laissez-moi partir !
— Il en est hors de question, Joshua ! réfute-t-il en se daignant enfin de lâcher ma main, dont les points de suture se sont ouverts sous la pression exercée par sa force. Tu ne vas nulle part, crois-moi ! C'en est fini de tes conneries, fini de tes semblants d'amis ! Tu vas finir tes études, et tu vas te marier, comme il est convenu !
Stop ! S'en est assez !
— Non ! hurlé-je à mon tour, en parvenant à me relever. Je n'en peux plus de cette vie ! Je n'en peux plus de toutes vos décisions à la con ! J'en ai assez que vous contrôliez ma vie ! Je ne veux pas me marier, et encore moins reprendre les rênes d'un monde qui ne m'intéresse pas ! Je ne veux rien de tout ça !
Mon père hausse l'un de ses sourcils, tout en étant pris d'un rire, résonnant diabolique au fond de sa gorge.
— Que veux-tu, alors ?
— Vivre ! Je veux simplement vivre ! dis-je entre plusieurs sanglots.
— N'aurais-tu pas rencontré quelqu'un, par hasard ?
En posant cette question, il s'approche de moi, réduisant la distance entre nous. Je déglutis difficilement ma salive, le regard effrayé, ne faisant que confirmer les dires de mon paternel, qui s'esclaffe de plus belle.
Il n'est plus lui-même. Il est tellement submergé par la colère, qu'il en est méconnaissable.
— Comment s'appelle-t-elle, mon fils ? Peut-être que je l'accepterai si elle me convient.
Silence. Mon visage se décompose, comprenant que l'on vient d'entrer sur un terrain glissant. D'un bref coup d'œil, je vois sa main se resserrer autour de sa ceinture.
— Comment s'appelle-t-elle ? répète-t-il d'une voix glaciale.
Sa mâchoire est tellement crispée qu'il pourrait se briser une dent. Mais je refuse d'y répondre. Il n'est même plus question d'aller récupérer mes affaires. Il est désormais temps de m'enfuir au plus vite de cet endroit.
— Ne me dites pas que mon fils est une saloperie d'homo ? élucide-t-il, avant d'écraser son poing contre le mur, à quelques centimètres de mon visage. Un putain de pédé qui se fait enculer !
Ma mère commence à reprendre ses esprits, suite à la violente gifle que mon père lui a assénée sans regret, un peu plus tôt. Je la vois se relever, silencieusement, s'armant d'un vase trônant fièrement sur l'une des étagères fleuries, avant de le briser sur l'arrière du crâne de mon père.
Il y a du sang. Du sang partout. Cette couleur rouge qui n'a de cessé d'apparaître sous mes yeux, à plusieurs reprises.
— Ne le touche pas ! hurle-t-elle.
Mon père gémit de douleur en se tenant l'arrière de la tête, faiblement étourdi par cette action.
— Va-t'en, Joshua ! Pars ! me crit-elle dessus, en me poussant brusquement vers la sortie, manquant de m'effondrer à plusieurs reprises.
— Maman, non ! Maman ! refusé-je, horrifié de la laisser seule dans cet enfer, tandis qu'elle déploie toute sa force pour m'y faire sortir. Maman !
Je pousse un cri de terreur, lorsque mon père surgit de derrière elle. Il l'attrape par les cheveux, la traînant au sol, avant de déchaîner sur elle toute sa haine. Je me souviens être tombé à la renverse, spectateur de ce démon défigurant ma mère, sous mes yeux. Le sang gicle, elle suffoque. Mais ce n'est pas suffisant pour lui. Il ne l'a pas assez frappé, qu'il recommence, encore et encore.
Rouge. Je vois rouge.
Du fer. L'odeur du fer enveloppe la pièce.
L'hémoglobine coule à flot. Elle recouvre mes mains, mes vêtements, le sol, les murs. Elle a repeint ce gris monochrome, de tâches rougeâtre par milliers.
Je m'en rappelle comme si c'était hier. Mon corps parvient à me lever et à prendre la fuite. Mon esprit n'est plus là. Il bouge par instinct, pour sa survie. Je me précipite vers l'ascenseur, appuyant à maintes reprises, sur le bouton, pour fermer les portes, avant que mon père ne puisse me rattraper. Les portes se ferment. L'ascenseur descend. Je m'effondre. Je prends conscience de ce qui vient de se passer, hurlant à m'en arracher les poumons, de ne pas avoir su protéger ma mère, comme elle l'a fait pour moi.
Mourir.
Une fois dehors, je me suis mis à courir dans les rues désertes, frappé par une pluie violente et abondante. Les gouttes s'écrasent douloureusement sur mon visage, ressemblant, à s'y méprendre, à de petites aiguilles, réveillant une multitude d'afflictions dans tout mon corps. Je ne sais pas où je vais. Je cours sans me retourner. Je cours dans l'espoir de m'éloigner le plus possible de ce chaos, craignant que mon père soit parti à ma recherche, pour me tuer.
Pour en finir.
Même au bord de l'essoufflement et de l'évanouissement, je continue de dévaler les rues à une vitesse fulgurante, manquant de me faire renverser à plusieurs reprises, au moment où je traverse les passages piétons, aux feux rouges.
Rouge.
Cette couleur ne me quitte plus, elle me suit. Elle me colle à la peau.
Fuis ! Fuis le plus loin possible ! Là où il ne peut pas te retrouver !
Je poursuis ma course sans relâche. Je ne saurais vous dire combien de mètres j'ai parcourus depuis mon domicile, mais je finis par m'arrêter. Je manque d'air. Mes poumons agonisent, mon cœur souffre. Je respire bruyamment, penché en avant, les mains posées sur mes genoux.
Je suis sur un pont, qui me rappelle vaguement quelque chose. C'est bon, je me souviens. Le pont Banpo.
Jaekyung.
— Réponds, s'il te plaît, murmuré-je, en tremblant de tout mon être, après avoir composé son numéro de téléphone.
La pluie ne cesse de s'abattre sur moi, trempant mes vêtements qui me collent à la peau. Je fais les cent pas dans cette allée dépourvu de monde — alors qu'en temps normal, elle est noire de monde —, mon cellulaire contre mon oreille, entendant ce bip incessant qui se répète dans le vide, jusqu'à ce qu'une voix féminine ne m'annonce que je suis sur le répondeur de mon destinataire.
— Non Jaekyung, je t'en supplie, réponds-moi ! sangloté-je en composant une nouvelle fois son numéro, en vain.
Puis, dans une piètre tentative, je tente d'appeler Gabriel, dans l'espoir de tomber sur sa jolie voix, dans l'espoir d'y trouver de l'aide. Mais, ce soir-là, la vie en a décidé autrement. Elle a choisi de me laisser seul, face à mon triste sort, face à ma solitude. Privé des personnes qui me sont devenues chères.
Privé d'un espoir de survie.
— Je suis désolé, tellement désolé ! hurlé-je, en me laissant tomber sur les genoux.
Je serre fermement mon téléphone dans ma main. Mon cœur me fait mal, horriblement mal dans ma poitrine, en plus de battre extrêmement vite. Je n'arrive pas à le maîtriser. Je cherche du regard une potentielle âme, mais il n'y a rien.
Je suis seul.
C'est donc ainsi que ma vie va prendre fin ?
Seul.
Je me relève, les vêtements collés à ma peau, mes cheveux plaqués contre mon visage, regardant l'horizon qui se dresse devant moi. Je contemple, rêveur, cette étendue lointaine du fleuve Han, s'étendant à perte de vue, secoué par la pluie — digne des tempêtes tropicales. Et tout refait surface à l'intérieur de moi, telle une balle de ping-pong que l'on se renvoie sans relâche. Tout repasse en boucle sous mes yeux, ne me laissant aucun moment de répit.
Comme si c'était le dernier jour de ma vie.
Je me souviens, ce soir-là, m'être laissé attiré par une étrange voix, lointaine, comme venue d'ailleurs. Je l'entend m'appeler. Elle me dit de monter sur la rambarde sécurisant le pont. Je l'entend me dire de sauter, de me laisser porter par les fonds du fleuve. Que c'est dans cette eau trouble, que j'y trouverai la paix et le réconfort tant convoités.
Alors, je suis monté.
J'escalade la rambarde. Je me mets debout sur cette dernière, sentant le vent me pousser faiblement d'avant en arrière. Je manque plusieurs fois de perdre l'équilibre, le regard figé sur l'horizon.
Soudain, une petite lueur fend les nuages, la Lune cherchant à se monter. Le ciel finit par s'éclaircir, la pluie s'estompe. Les nuages se dispersent pour laisser place à cette sublime robe étoilée, que j'ai aimé admirer...
À tes côtés.
Dans le creux de ma main, mon téléphone vibre.
C'était toi, mon amour.
Toi qui m'appelle, lorsque la tempête se termine. Je me souviens avoir répondu, et ta voix affolée est venue rompre le silence.
— Joshua ? Joshua, qu'est-ce qui se passe ? as-tu demandé, terrifié. Joshua !
Je souris.
— Jaekyung... ai-je murmuré, ne sentant plus mes larmes couler le long de mes joues. Jaekyung, si tu savais comme le ciel est magnifique ce soir...
— Où est-ce que tu es, Joshua ? Je viens te chercher tout de suite ! m'as-tu dis, entendant, en guise de bruit de fond, des objets tomber, voler, me signifiant que tu étais en train de te préparer. Où es-tu ?
Mon cœur souffre.
— Il y a une musique qui est passée à la radio... ai-je répondu, en commençant à me sentir intérieurement aussi léger qu'une plume. Un endroit connu de nous seuls, tu t'en rappelles ?
— Putain, Joshua ! as-tu juré d'une voix sanglotante, essoufflée, comprenant que tu étais en train de courir. Je viens te chercher, je suis en route, Joshua ! Je serai bientôt là, alors attendez-moi ! J'arrive !
Mon sourire s'étire un peu plus sur le coin de mes lèvres. Mes yeux eux, continuent de pleurer.
Pourquoi devrais-je continuer de vivre ? Plus rien n'avait de sens, plus rien.
— Reste au téléphone avec moi. Reste avec moi, je t'en prie ! as-tu prononcé, par-dessus tes essoufflements.
— Est-ce que tu crois en l'amour, Jaekyung ?
— Bien sûr ! Bien sûr que j'y crois, Joshua ! Pourquoi ? Pourquoi me poses-tu cette question ?
Parce que je crois...
— J'aimerais tant... J'aimerais tant trouver un amour sincère..., ai-je sangloté. J'aimerais tant pouvoir être heureux, Jaekyung...
Je t'entends pleurer à ton tour, et je crois que ce son est ce qu'il y a de plus déchirant à entendre.
— Joshua... Joshua, écoute-moi ! L'amour ne se trouve pas. L'amour ne se trouve pas, il se construit ! m'as-tu répondu, en pleurant à chaudes larmes. L'amour se fait à deux, Joshua !
— Tu crois ? ai-je demandé, une lueur d'espoir me traverse. Tu crois que c'est possible ?
— Bien sûr que c'est possible, Joshua ! S'il te plaît, laisse-moi te prouver que c'est possible ! Faisons-le ensemble, construisons notre amour ensemble !
Construire notre amour, ensemble.
C'est impossible, du moins, pas dans ce monde-là.
— Je n'y arriverai pas... Jaekyung...
— Joshua ! Joshua, je suis bientôt là ! Ne raccroche pas, je t'en prie ! Je te promets qu'on y arrivera ! Je te le promets !
Pardon.
— Tu ne comprends pas... ai-je murmuré, sans pouvoir contenir mes nouvelles larmes. J'y ai cru, j'ai tenté d'y croire... Je pensais pouvoir y arriver, mais...
C'était impossible pour moi. Plus rien n'était possible.
— Merci pour tout, Jaekyung. Ne change jamais. Tu es une très belle personne... Tu mérites tellement quelqu'un à ta hauteur, quelqu'un de fort... Pardonne-moi...
Pardonne-moi d'avoir été si faible.
Les profondeurs m'appellent. Il est temps pour moi de prendre mon envol.
Alors, j'ai déployé mes ailes, et j'ai sauté.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro