𝟐𝟓. 𝐁𝐨𝐧𝐧𝐢𝐞 𝐚𝐧𝐝 𝐂𝐥𝐲𝐝𝐞
Je vous épargne cette journée de cours interminable. Huit heures dans un amphithéâtre avec le même professeur, incapable de pouvoir écrire avec ma main droite, et un meilleur ami qui charbonne pour deux. L'hécatombe ! Une fois la journée terminée, je redoute l'idée de rentrer chez moi. Tandis que mes amis, eux, ont prévu de sortir et de s'amuser. Je ressens de la tristesse, de ne pas pouvoir vivre comme eux, de ne pas oser profiter de la vie, sans avoir peur de rentrer chez moi en sachant pertinemment ce qui m'attend, si je ne respecte pas les règles instaurées.
Nous n'avons qu'une seule vie, Joshua. Rendons-la plus belle, ensemble...
La voix de Jaekyung résonne dans mon esprit, à défaut d'entendre celle de Ha-joon, qui devenue muette, au fil des jours.
Notre discussion matinale a comblé mon esprit durant toutes ces heures de cours, et notre pause méridienne, où il m'a aidé à manger, m'est restée ancrée dans la tête. Et je n'aurais jamais imaginé que de se voir recevoir la becquée par la personne pour qui vous avez développé un faible, est extrêmement satisfaisant et doux à la fois.
Ce qui n'a pas échappé à l'œil de mon cher meilleur ami, frémissant d'impatience de me passer à la casserole, car il est certain que je lui cache des choses vis-à-vis de lui.
En l'occurrence, ce n'est pas faux.
Je ne lui ai pas encore avoué ce que je ressens pour Jaekyung. Pour la simple et bonne raison que je me le cache à moi-même.
— Hé, Joshua ! Tu viens avec nous à la salle de boxe ? m'interpelle Connor, au moment où je m'apprête à monter dans le bus. Même si tu ne peux pas t'entraîner, ça te permettra d'observer le niveau des différents boxeurs. Allez, viens avec nous !
En entendant sa voix, je me retourne, l'observant s'approcher de moi, accompagné de Gabriel et de Jaekyung, avant de réaliser que le bus me passe sous le nez.
— Tu essayais de t'enfuir, ma vie ? s'exclame Gabriel d'un ton amusé, en attrapant mon bras autour du sien. Tu ne nous échapperas pas aussi facilement !
Je ne me suis pas rendu compte que je m'étais empressé de rejoindre l'arrêt de bus pour rentrer chez moi et éviter de provoquer une nouvelle dispute avec ma mère. Ma conscience agissant indépendamment de ma volonté.
Ce n'est pas en étant six pieds sous terre que l'on pourra profiter de la vie. Décidément, ses dernières paroles ont eu un impact important dans mon cœur, me faisant à présent douter de ce que je devrais faire ou non.
— Allez, viens avec nous, mon cœur ! Ça nous fera du bien de nous changer les idées ! En plus, j'ai super mal au cul d'être resté assis aussi longtemps, se plaignit-il d'une mine boudeuse.
— C'est étonnant, tu devrais avoir l'habitude, pourtant, lance Connor, d'un sourire enjôleur.
— Ce n'est pas ma faute si la chaise est plus dure que toi, rétorque Gabriel en retour.
Le rire de Jaekyung résonne à côté de moi, chatouillant mes tympans de sa douce mélodie.
— Réglez vos problèmes quand vous serez chez vous ! commente-t-il, avant de m'adresser un regard affectueux. Si tu te sens trop fatigué pour venir avec nous, on ne t'en voudra pas, tu sais ?
Il sait très bien ce qu'il sous-entend par là. Je l'ai parfaitement deviné.
— Oui, c'est vrai, je n'avais pas pensé que tu aimerais sans doute te reposer, après ta mésaventure, réalise Gabriel, avec un brin de culpabilité.
— Non mais, tout va bien ! répond-je pour bafouer leurs inquiétudes. Je vais venir ! Vous avez raison, ça me fera du bien de me changer les idées.
— Parfait ! Alors, allons-y ! annonce Connor avec un air enthousiasmé.
De toute évidence, ma mère — sous l'influence de mon père —, m'a seulement interdit les sorties en dehors des séances de sport. Je peux donc lui faire croire que je vais simplement faire du cardio, sans avoir besoin de solliciter ma main.
C'est ce que je lui envoie comme message, pour l'avertir que je ne rentre pas dans l'immédiat.
Parce que je voulais profiter de la vie, profiter de mes amis, et être avec lui.
❃ ❃ ❃ ❃
— Bah alors, Jaek ? On a perdu de la force ? taquine son coach, tandis que Jaekyung frappe de toutes ses forces contre le sac de sable.
J'ai déjà pu admirer, lors de son dernier combat avec Connor, à quel point ses muscles se contractent à chacune de ses actions, à quel point la puissance de ses coups résonne dans la salle en plusieurs échos. Cependant, à la remarque de son entraîneur, sur la précision de ses coups, ses traits se sont soudainement fermés, son regard noirci par la détermination, avant d'asséner un coup tellement puissant, qu'il perce le sac de frappe, faisant s'écouler le contenant, sous le regard médusé des autres boxeurs.
— Alors, coach ? J'ai toujours perdu ma force ? lui demande-t-il, en retirant ses gants de boxe, pour attraper sa bouteille d'eau.
— Non, mais tu devras me payer un nouveau sac, élucide-t-il, atterré. C'est le troisième en six mois.
Jaekyung sourit.
— Ça va, c'est seulement le troisième, réplique-t-il, essoufflé, en s'asseyant sur l'une des chaises située à mes côtés. Tu as l'air surpris. Tout va bien ?
Quelle question !
— Tu as littéralement crevé un sac de frappe. C'est... c'est incroyable d'avoir autant de force, dis-je, encore sous le choc. Moi j'arrive à peine à le faire bouger d'un millimètre.
— Josh, prononce-t-il en mettant quelques-unes de mes mèches de cheveux derrière mon oreille. Ce n'est pas le plus important dans la boxe. Je veux dire par là, que tu peux très bien avoir de la force, sans pour autant faire bouger un sac ou le crever. C'est la rapidité des coups le plus important, et tu commences déjà à maîtriser ça !
— J'aimerai vraiment devenir fort. Plus fort... avoué-je, faisant référence à une force mentale, plutôt qu'à une force physique.
— Pourquoi tu veux devenir plus fort, Joshua ? Qu'est-ce qui te pousse à vouloir te surpasser ?
Il n'est pas ignorant. Ces questions ne sont pas anodines, elles sont lourdes de sens. Je ferme les yeux, prenant une grande inspiration. Jaekyung continue.
— Pourquoi, Joshua ?
— Pour ne plus avoir peur de mon père... dis-je. Pour avoir enfin le courage de partir, de me défaire de ses chaînes.
Jaekyung s'immobilise, en me lançant un regard terriblement transperçant. Pour autant, il ne dit rien, attendant que je termine le fond de ma pensée. Parce que je suis enfin prêt à lui en parler.
— Il ne m'a jamais rien fait physiquement... poursuis-je, en me raclant la gorge. Mais psychologiquement parlant, il m'a détruit. Et il continuera de le faire, tant que je serais sous son toit...
Même si la volonté est là, il m'est difficile de poser les mots justes sur ce qu'il se passe chez moi. Ce n'est pas évident de prendre conscience qu'on est victime de manipulation, de domination maladive par ses propres parents, par son propre père.
— Est-ce que tu veux qu'on aille en discuter ailleurs ? Tu te sentiras certainement plus à l'aise.
J'acquiesce d'un hochement de tête.
— Viens avec moi, dit-il, en se levant de la chaise.
Il me tend sa main, que je prends sans hésitation, le laissant me guider jusqu'à l'une des salles de repos, située au fond du gymnase. Intimidé, je pensais qu'on nous regarderait comme des extraterrestres, mais en réalité, tous sont concentrés sur leur séance, s'en foutant complètement de ce qui se passe autour d'eux.
— On sera plus à l'aise ici pour parler, déclare-t-il, en fermant délicatement la porte derrière nous, tandis que j'observe la pièce d'un œil intrigué.
Elle est spacieuse, équipée de deux-trois machines à encas, principalement alimentées en barre protéinées, et d'un distributeur de boissons, lui aussi concentré sur les apports protéinés. Mais ce qui m'étonne le plus, c'est qu'elle est particulièrement bien insonorisée. La musique et les bruits des coups s'écrasant sur les sacs de frappe, se sont étouffés à mesure qu'il fermait la porte, avant qu'ils ne disparaissent totalement dans un silence inattendu.
— Tu peux t'asseoir, si tu veux, me propose-t-il gentiment.
— Non, merci, je vais rester debout, réfuté-je, en pivotant sur mes talons pour lui faire face, le regard brumeux. Tu sais, mon père a toujours été strict sur les décisions qu'il prend à mon sujet. Que ce soit sur le choix de mes études, de mes fréquentations et de mon avenir... Depuis tout petit déjà, il agissait comme ça avec mon grand-frère.
Jaekyung s'arrête à quelques centimètres de moi, sans pour autant me toucher. Il m'écoute, ses traits ne montrant aucune expression, mais son regard, lui, dit le contraire.
— Ramener une mauvaise note est impensable. Et celui qui a le malheur de le faire, réveille en lui une rage terrifiante. Mais jamais, il nous a frappés. Il nous faisait travailler deux fois plus, jusqu'à l'épuisement, continué-je, en sentant ma gorge se nouer. Mon père est un avocat de grande renommée. Il n'a jamais perdu un seul de ces procès, en quarante ans de carrière. Il a monté son entreprise, qu'il souhaite nous succéder lorsqu'il prendra sa retraite. Mais ni mon frère, ni moi, ne voulions suivre ces pas. C'est l'une des raisons pour laquelle mon grand-frère est parti lorsqu'il a atteint sa majorité, faisant de moi le bouc émissaire de mon paternel, qui...
— Tout va bien ? s'enquiert Jaekyung en fronçant les sourcils.
Mon cœur est sur le point d'imploser. Je le sens battre à pleine puissance contre ma cage thoracique, les pulsations résonnent dans ma tête. Mais je dois lui dire. Je ne peux pas m'arrêter, pas maintenant que j'ai libéré ma parole.
— Il veut que je me marie, à la fin de mes études, ajouté-je, en riant d'amertume. Il veut que je reproduise le même schéma qui lui a été imposé, de générations en générations. Il va jusqu'à contrôler ma vie personnelle pour sa simple satisfaction. Je le déteste... Je le déteste tellement...
Je tremble. Toutes ces émotions me percutent de plein fouet. Mais un sentiment, que je n'avais pas encore jamais éprouvé, fait son apparition ; le soulagement. Je me décharge de ce que j'ai trop longtemps mis sous silence, par crainte de représailles, par honte.
Jaekyung voit rouge. La colère émane de ses yeux, ses traits se crispent, mais sa rage ne m'est pas destinée. Je n'ose imaginer les idées fulminant dans son esprit, à l'égard de mon géniteur.
— Pourquoi tu ne pars pas, toi aussi ? me demande-t-il, d'une voix conciliante. Pars. Viens avec moi.
Enfuyons-nous comme Bonnie and Clyde... Mais outre cette métaphore, la réponse est plus complexe qu'il n'y paraît.
— J'ai peur... exposé-je au bord des larmes. J'ai peur de mon père, Jaekyung. Il m'effraie, il... Tu ne sais pas comment il est, tu ne l'as jamais vu être en colère. Et je suis incapable de l'affronter, incapable de m'imposer devant lui, parce que je suis faible devant lui... Parce que je suis putain de faiblard !
Je crie ces mots, laissant perler ces quelques gouttes de salinités le long de mes joues.
— Je ne suis qu'un bon à rien ! Tout ce dont je suis capable, c'est de me soumettre et de fermer ma gueule !
— C'est faux, Joshua ! proclame-t-il, en posant l'une de ses mains sur ma joue. Ce que tu vis n'est pas facile, mais ça ne fait en aucun cas de toi un bon à rien, ou un soumis ! Tu es beaucoup plus fort que tu ne le penses.
— C'est pourtant ce que je suis, sangloté-je, en me blottissant contre son toucher. Je n'arrive pas à me défaire de son emprise.
Jaekyung se tait. Il essaie tant bien que mal de me réconforter avec ses mots, mais il réalise à quel point je me suis convaincu d'être faible, d'être un incapable, voué à rester prisonnier jusqu'à la nuit des temps.
Tandis que je m'autorise à pleurer, me montrant vulnérable à ses yeux, je sens un bras s'enrouler autour de ma taille, me blottissant contre corps. Je pose instinctivement ma tête contre le haut de son épaule, à la naissance de son cou, étouffant mes sanglots contre sa peau.
— Quitte cette maison, Joshua. Viens vivre chez moi..., me murmure-t-il dans le creux de l'oreille. J'ai assez de place chez moi pour nous deux, et j'ai une chambre d'amis que tu peux prendre. Je...
— Non, Jaekyung ! Je ne peux pas... Je ne peux pas accepter ta proposition...
Il n'est pas seulement question de mon père dans cette histoire. Il y a mes sentiments, ce que je ressens pour lui, qui contribue à ce désastre émotionnel. C'est aussi une question de lui, de moi, et de nous. Je ne veux pas refaire les mêmes erreurs du passé, je ne veux pas qu'il devienne mon pansement pour soigner mes plaies.
— Joshua, s'il te plaît... Tu ne peux pas rester dans un environnement aussi toxique ! Tu ne peux pas le laisser continuer à te détruire comme il le fait actuellement, tente-t-il de me convaincre, affecté par la situation. Viens chez moi, tu y seras en sécurité, je te le promets...
— Tu ne comprends pas ! Il n'y a pas que ça !
Je m'écarte de lui, pour rencontrer son regard. Mon cœur se serre.
— Qu'y a-t-il d'autre, Joshua ? Qu'est-ce qui t'effraie autant ?
Dis-le !
— Nous, dévoilé-je, sanglotant. Je ne veux pas que tu souffres, Jaekyung. Je ne veux pas détruire la belle personne que tu es... Je ne veux pas reproduire les mêmes erreurs du passé. Je... Non, c'est tout bonnement impossible ! Je ne peux pas !
Jaekyung écarquille les yeux.
— De quoi tu parles ? De quelles erreurs tu parles ? questionne-t-il, ses mains se resserrant autour de ma taille.
C'est encore trop tôt pour parler de lui.
— Je ne peux pas, je ne peux pas, je ne peux pas ! répété-je à la suite, exténué.
Je ne veux pas qu'il soit dégoûté. Je ne veux pas qu'il m'abandonne, en apprenant que j'ai été souillé. Que je porte en moi la marque de mon viol.
— Joshua, regarde-moi, s'il te plaît ! s'écrit-il pour me faire sortir de ma transe.
Lorsqu'il parvient à capter mon attention, il pose sa main sur ma joue, la chaleur de son épiderme m'apaisent.
— Calme-toi et respire doucement. Tu es en sécurité avec moi.
— Jaekyung, on...
Je n'arrive plus à parler correctement, tout est chamboulé dans mon esprit, tout est sens dessus-dessous, tel un champ de batailles.
— Ça va, tout va bien, ne t'inquiète pas, dit-il d'une voix aussi basse qu'un murmure. Ne parle pas, pense juste à respirer pour le moment.
Il tente de m'apaiser en posant son front contre le mien, tout en caressant mes joues couvertes de larmes à l'aide de ses doigts.
— Jaekyung...
— Ouais... Qu'est-ce qu'il y a, petit cœur ? demande-t-il, toujours dans un murmure.
— Je...
Allez Joshua ! Ouvre-lui ton cœur !
— Tu me plais... parviens-je à prononcer, en le regardant droit dans les yeux. Tu me plais beaucoup, et ça m'effraie de ressentir ça, à nouveau...
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