𝟐𝟐. 𝐔𝐧𝐞 𝐬𝐨𝐮𝐟𝐟𝐫𝐚𝐧𝐜𝐞 𝐩𝐚𝐫𝐚𝐝𝐨𝐱𝐚𝐥𝐞
— Où est-ce que tu étais passé ? hurle ma mère, au même moment où je ferme la porte derrière moi. Tu ne sais pas à quel point je me suis inquiétée pour toi ! J'ai dû déranger ton père au travail pour savoir s'il savait quelque chose !
— Je vous ai laissé un mot sur la table avant de sortir, mère, réponds-je, en me déchaussant, avant que sa main ne vienne s'écraser contre ma joue.
Une sensation de picotement et de brûlure me saisit instantanément, me figeant sur place.
— Ne me parle pas sur ce ton condescendant, Joshua ! Ton père t'a pourtant dit de ne pas sortir en dehors de tes séances de sport ! dit-elle, en continuant de hurler sur moi.
Mais son regard n'est pas imprégné de haine, non. Il est dominé par la peur, car elle savait aussi bien que moi, que nous serions tous les deux à passer un mauvais quart d'heure, lorsque mon père rentrera de son déplacement.
— Va dans ta chambre ! Tu ne sortiras plus, sauf pour tes séances de sport. Fini les sorties avec tes amis ! Ce n'est pas ainsi que tu dois te comporter ! As-tu oublié que dans moins de deux, tu vas rencontrer ta future épouse ?
— Mais je m'en fous de ça ! hurlé-je, à mon tour, proche du gouffre. Est-ce que vous savez seulement, si j'en ai envie ? Non ! Vous n'en savez rien, parce que vous ne me l'avez jamais demandé ! Alors, foutez-moi la paix avec ça ! Je ne me marierai jamais ! Vous ne dicterez plus jamais mon avenir !
Je me précipite dans ma chambre pour m'y enfermer à double tour. Mon sac est jeté sans ménagement contre le mur, avant d'attraper mes cheveux en deux grosses poignées, que je tire de toutes mes forces pour me faire du mal, ailleurs que dans mon cœur. Ma mère m'a suivi, criant à travers la porte, qu'elle frappe sans relâche.
— Joshua ! Ton père et moi, nous ne t'avons jamais éduqué comme ça ! Quand il rentrera, il y aura de nouvelles règles à respecter, tant que tu seras sous notre toit !
Je ne l'écoute pas, du moins, je fais abstraction de ses hurlements incessants, en les camouflant par la destruction de ma chambre.
Je vous déteste, je vous déteste ! crié-je dans ma tête, en jetant au sol tout ce qui se trouve sur mon bureau.
J'ai mal, terriblement mal à l'intérieur de moi. Mon cœur me rabâche que je ne suis qu'un idiot, qu'un faiblard incapable de prendre ses couilles en main pour s'affirmer. Mon cerveau, lui, me répète que ça ne va jamais s'arrêter si je continue ainsi, que c'est moi qui désire que cette situation perdure.
Que c'est moi, le fautif dans cette histoire.
Si seulement ils pouvaient disparaître, tout irait pour le mieux. Si seulement je pouvais tout effacer, tout aurait été différent. Cette soirée a été si merveilleuse, encore mieux que je ne l'avais espéré, que je suis anéanti qu'elle se soit vue déchirée en mille morceaux sous mes yeux.
— Je vous déteste ! Toi et père, je vous déteste !
Dans un mouvement désespéré, j'écrase mon poing, dans ce qui me paraît, sur le coup, être du verre, l'ayant confondu avec le sac de frappe contre lequel je me défoule à chacune de mes séances de boxe. Je réalise après quelques secondes d'absence, que je viens de frapper dans mon miroir, lorsque les premiers bouts de verre s'éparpillent sur le sol, et qu'un liquide chaud, rouge et épais a commencé à couler le long de mon bras.
Je venais de m'ouvrir la main, à défaut de m'être ouvert le cœur.
❃ ❃ ❃ ❃
— Je vais enlever ton bandage pour pouvoir voir la plaie. Si jamais ça te fait mal, n'hésite pas à me le dire, d'accord ? dit le jeune interne, qui vient de me prendre en charge, après plus de quatre heures d'attente à l'hôpital.
Quatre heures à compresser du mieux que je peux la plaie, pour ne pas me vider de mon sang. Il est donc cinq heures du matin et je ne souhaite qu'une seule chose ; retrouver mon lit et pour plonger dans les bras de Morphée, en espérant ne jamais me réveiller.
La douleur n'est pas désagréable, mais elle n'est pas agréable non plus. Ironiquement, elle me fait du bien intérieurement, dans le sens où je ressens cette affliction ailleurs que dans mon cœur et mon esprit. Un moment de répit, que j'affectionne tout particulièrement, à défaut de me faire du mal volontairement.
— Tu as eu de la chance, commente l'infirmier, en examinant ma plaie de plus près, après l'avoir nettoyée. Tu aurais pu te sectionner un tendon, si ça avait été plus profond. Là, ce n'est que superficiel. Quelques points de sutures, et tu pourras sortir.
— D'accord, merci... réponds-je en camouflant un bâillement.
Je somnole légèrement sur le siège, ma main posée à plat sur une sorte de tablette à roulettes, où tous les instruments sont encore protégés par un plastique. Il y a une seringue, une aiguille en forme d'hameçon pour la pêche, ainsi que du fil, pour les points de suture. Mais également diverses bouteilles avec des substances aux noms indéchiffrables.
— Je vais anesthésier localement ta blessure pour ne pas que tu aies mal durant la procédure, déclare-t-il, en s'apprêtant à prendre la seringue et une petite fiole, avant que je ne réagisse.
— Non, il n'y a pas besoin d'anesthésier, s'il vous plaît. Vous pouvez le faire sans, je vous assure. Je gère plutôt bien la douleur...
Ce qui n'est pas faux.
D'ailleurs, j'ai appris à travers les livres, que les personnes souffrant d'une dépression sévère, d'un mal-être insurmontable, d'une souffrance indescriptible, sont généralement beaucoup moins sensibles à la douleur. Ou du moins, ils y trouvent une certaine forme de plaisir, de satisfaction à ressentir une douleur à un autre endroit que celle qui leur fait perdre la raison.
C'est triste, en y repensant, de se rendre compte que l'on devient insensible à certaines choses, à quelque chose qui fait de nous des êtres humains, avec des sentiments. Mais plus la souffrance est intense, plus on finit par s'y habituer, au point de devenir aussi vide qu'une coquille, aussi vide que le néant, ne ressentant rien, pas même l'amour.
Je crois même que ce fut l'un de mes premiers déclics, ce soir-là.
Je ne veux pas devenir cette coquille abandonnée et échouée sur le bord de la plage, vouée à rester seule pour l'éternité, balayée d'un endroit à l'autre par le rythme des vagues dans une spirale sans fin.
Parce qu'il y a vous...
Toi, et Gabriel.
— Tu es vraiment sûr de toi ? me demande-t-il, peu convaincu. J'ai au moins une dizaine de points de suture à faire...
Mais même en sachant que vous êtes là, j'ai besoin de ressentir cette douleur pour apaiser les mœurs de mon cœur.
Pardonnez-moi.
— Oui, vraiment, alors allez-y, s'il vous plaît. J'aimerai pouvoir rentrer chez moi... lui dis-je sur une intonation à la fois douce et irritée.
— Ok, d'accord, mais si jamais ça fait trop mal, n'hésite pas à me le dire, rétorque-t-il, en préparant le matériel pour la suture. Tu t'appelles comment ?
Qu'est-ce que ça peut lui faire ?
— Joshua. Kim Joshua, réponds-je, en le regardant insérer le fil dans l'aiguille. Et vous ?
— Kang Seong-min, me dit-il, en m'adressant un sourire, que je peux parfaitement deviner derrière son masque chirurgical. Mais tu peux me tutoyer, tu sais, je pense que nous devons avoir le même âge.
— Je n'ai que dix-neuf ans...
— Oh ? souffle-t-il d'un air agréablement surpris. Alors, non, je suis un peu plus âgé que toi.
Il commence à me suturer la plaie, tout en me jetant quelques regards pour s'assurer que je ne souffre pas en silence.
— Qu'est-ce qui s'est passé ? Tu t'es ouvert la main avec quoi ?
Je souris, en comprenant son envie de discuter pour me distraire, pour que je me concentre uniquement sur sa personne, et non sur ce qu'il est en train de faire. Et je le remercie, pour ça.
— Avec un miroir, il m'a échappé des mains et j'ai voulu le rattraper, mens-je sur la fin, mais pas sur le début.
— Et pour la marque sur ta joue ? lance-t-il dans la foulée, me faisant prendre conscience que la gifle que ma mère m'a laissé une trace aux nuances rosées en dessous de la pommette.
— Oh, ça ? Ce n'est rien, murmuré-je, en posant ma main libre sur ma joue.
Je n'entre pas plus entrer dans les détails, car de toute évidence, je ne peux pas nier que c'est une marque de main bien nette, ancrée sur ma peau.
L'infirmier se contente de fredonner, tout en terminant soigneusement et méticuleusement les points de suture. Il clôture par un nœud sur la base, qu'il coupe à l'aide de son petit ciseau, pour ensuite désinfecter l'ensemble. Je l'observe prendre par la suite une sorte de film assez gras, envelopper le tout dans un petit bandage pour ne pas me salir.
Ça y est, c'est enfin fini, je vais pouvoir rentrer chez moi, pensé-je. Chez eux...
— Tu sais, Joshua, il existe des centres d'aides pour les jeunes en difficulté, déclare soudainement l'infirmier, en jetant son matériel usagé dans une poubelle adaptée. Des foyers, des organisations, qui sont là pour t'apporter de l'aide. Je peux te donner leurs numéros.
Aurait-il compris ?
— C'est vraiment gentil de votre part, mais je n'ai pas besoin d'aide, merci... refusé-je, en me levant du siège.
Je m'apprête à rejoindre le hall d'entrée, lorsqu'une main me saisit le poignet.
— Oui, tu as sans doute raison, réplique-t-il d'une voix peinée, en me lâchant pour fouiller dans sa blouse et en sortir un post-it, sur lequel il écrit quelques notes. Je sais que tu es majeur, que tu es un jeune adulte, mais on a tous besoin d'aide, un jour ou l'autre, et c'est mon métier d'aider les gens. Alors, prends-le, et n'hésite surtout pas à contacter l'un de ces services, en cas de besoin.
Je fixe, le temps de quelques secondes, ce petit bout de papier, me décidant au final à le prendre pour le glisser dans la poche arrière de mon pantalon, couvert de mon sang. Et je ne vous parle même pas de ma chemise, qui en est tout aussi recouverte.
— Merci beaucoup, Seong-min, réponds-je, en accompagnant mes mots d'une faible inclinaison, pivotant sur mes talons dans la seconde qui suit pour sortir de cet endroit, anxiogène pour ma personne.
En arrivant sur le parking de l'hôpital, je vois avec surprise ma mère, debout à côté de la voiture, m'ayant attendue à mon plus grand étonnement, après toutes ces heures d'attente interminable.
Lorsque nous rentrons à la maison, il est à présent six heures trente du matin. L'heure à laquelle je dois, en temps normal, me réveiller pour me préparer, prendre le petit-déjeuner et aller en cours. Sauf que cette fois-ci, ce matin-là, je ne prends pas la peine de me glisser sous les draps, et encore moins de me changer, sombrant dans les bras de Morphée, avec mes vêtements souillés de mon propre sang.
❃ ❃ ❃ ❃
Jeudi 27 juin, Séoul, Corée du Sud,
Mon portable ne cesse d'émettre ces petits bourdonnements contre ma table de nuit, à chaque message que je reçois. Au début, je n'y prête pas attention, plongé dans un sommeil assez profond, avant que les vibrations ne se fassent plus persistantes, dûes aux appels à répétitions, me sortant de ma léthargie. Je marmonne des mots inaudibles, maudissant quiconque me dérange, tout en tâtonnant à l'aveugle sur la table de chevet, à la recherche de mon téléphone.
Le visage enfoui dans mon coussin, j'ouvre un seul œil, et regarde tant bien que mal, la cause de mon réveil.
Gabriel (appels manqués) - x15
Messages de Gabriel (35)
Sur le coup, je ne comprends pas pourquoi Gabriel me harcèle avec autant de messages et d'appels, remarquant par la même occasion que j'ai reçu plusieurs notifications de Kakao, au nom de Jaekyung :
Appels manqués (5)
Messages de Jaekyung (10)
Puis, lorsque ma vue est suffisamment stabilisée pour me permettre de lire les messages, je prends compte de l'heure, qui affiche quatorze heures quinze, signifiant que j'ai raté le coche pour les cours de cet après-midi.
— Merde ! soufflé-je, en me redressant beaucoup trop vite dans mon lit, provoquant une soudaine chute de tension.
Je m'écroule, rebondissant sur le matelas, alors que des étoiles scintillent dans mon champ de vision. J'attends une bonne dizaine de minutes, avant de me redresser dans une nouvelle tentative, cette fois-ci, plus lente et prudente, en faisant attention de ne pas écraser ma main blessée, sur le rebord du lit.
Pourquoi ma mère ne m'a-t-elle pas réveillé ? Encore dans le flou, pour ne pas dire la tête dans le cul, je décide de répondre en premier lieu aux messages de Gabriel et de Jaekyung. Je dois absolument les rassurer pour éviter qu'ils ne s'imaginent quoi que ce soit de grave. Et je ne voulais pas que Jaekyung pense que je l'ignore, surtout pas après notre soirée, qui fut tant merveilleuse à mes yeux.
La plus belle que je n'ai jamais vécue.
Joshua : Désolé mon chat, je viens de me lever, je n'avais pas mis mon réveil.
Joshua : Ne t'inquiètes pas, tout va bien... enfin, je t'expliquerai plus tard ! J'ai dû aller à l'hôpital, cette nuit.
Envoie-je à Gabriel. « Ne t'inquiètes pas » et « hôpital » dans la même phrase n'est pas la meilleure idée que j'aie pu avoir, car dans la seconde qui suit, il m'appelle, pour la seizième fois.
— Putain Joshua, tu es sérieux ? s'écrie Gabriel dans la panique. Qu'est-ce qui t'est arrivé ? C'est grave ? Comment est-ce que tu te sens ?
— Tout va bien ! Je me suis juste ouvert un peu la main en faisant tomber mon miroir, réponds-je, en réitérant ce vieux mensonge. Et en rentrant chez moi, j'ai oublié de mettre mon réveil. Désolé de vous avoir inquiétés...
Je l'entends soupirer de soulagement.
— Je suis rassuré que tu n'aies rien eu de plus grave. Est-ce qu'on t'a fait beaucoup de points de suture ?
Je m'en veux de l'avoir autant inquiété.
— Une dizaine. J'en ai pour une semaine à peu près, le temps que ça se cicatrise correctement.
Je suis dépité. Car ça veut dire que pendant une à deux semaines environ, je ne pourrais pas aller à mes cours de boxe. Je ne pourrais plus le voir en dehors de l'université.
— Oh mon cœur, repose-toi bien ! Je vais prendre tes cours pour aujourd'hui, dit-il, en sentant sa voix changer peu à peu de ton, devenant un peu plus joyeuse. Est-ce que tu seras là demain ?
— Je serai là, sans faute, promis ! J'espère que tu vas bien, toi ? lui demandé-je, en esquissant un doux sourire. Et dis voir, est-ce que Jaekyung est dans les parages ?
— Jaekyung ? Non, il est en cours avec Connor là, me dit-il d'un air déconfit. Notre prof à nous est en retard, du coup, là, je suis dans l'amphi, à attendre qu'il arrive. Tu me manques trop...
— Ah d'accord, je lui enverrai un message alors, pour ne pas qu'il s'inquiète. Et, tu me manques aussi Gabi.... J'ai tellement de choses à te raconter par rapport à ma sortie d'hier soir.
Je l'entends inspirer bruyamment.
— Ta sortie ? Où ça ?
Même sans le voir, j'imagine très bien l'expression de son visage. Un air confus et presque vexé de ne pas être au courant de mon fabuleux premier rencard.
— Eh bien... Jaekyung m'a invité au cinéma hier soir, révélé-je, d'une voix discrète. On est allés voir le film Titanic, qui était à nouveau diffusé, puis après, on s'est installés au bord du fleuve Han pour manger des pizzas qu'on s'est partagé. Et pour finir, on est allés au Koriko café, à Yeonman-dong pour discuter encore un peu, avant qu'il ne me ramène chez moi.
Pendant un instant, je n'entends que le rythme de sa respiration contre mon oreille. Est-il choqué de cette nouvelle ? Après tout, ça ne serait pas étonnant. Il ne s'est certainement pas attendu à ce que j'accepte le rencard d'un autre garçon après ma dernière relation qui, je le répète, était un véritable désastre, que je ne souhaite à personne, même pas à mon pire ennemi.
— Tu... Quoi ? finit-il par répondre, en bégayant d'étonnement. Il t'a invité à un rendez-vous ? C'était comment ? Il est toujours aussi gentil ? Dis-moi tout, Joshua, je veux tout savoir de comment ça s'est passé avec lui !
Attendez, est-ce que j'ai le droit d'en parler ? Est-ce que Jaekyung serait d'accord pour que j'en parle avec Gabriel ? J'aurais dû me poser les questions beaucoup plus tôt, mais c'est désormais trop tard pour faire machine arrière et effacer ce petit moment d'incertitude, à l'idée que cela puisse le frustrer.
— Est-ce que je pourrais t'en parler plus tard, mon chat ? dis-je pour changer de sujet. Je dois désinfecter la plaie et ranger le bordel qu'il y a dans ma chambre. On pourra s'appeler ce soir, pour en discuter ?
— Tu n'es pas drôle, se plaignit-il, en faisant sûrement cette mine boudeuse. Mais pas de soucis ! Je comprends ! De toute façon, je comptais t'appeler à nouveau ce soir, donc on fait comme ça. Je t'aime ma vie, à plus tard !
— Je t'aime aussi, Gabi, très fort, lui réponds-je, avant de mettre fin à notre appel et d'expirer un long, très long soupir d'exaspération envers ma personne.
Tu n'es vraiment qu'un pauvre idiot... pensé-je, me souvenant subitement des messages de Jaekyung, que je n'ai toujours pas ouverts. Chose que je m'empresse de faire.
Jaek à 1h30 : Je te souhaite de passer une bonne nuit. J'espère que tout va bien pour toi ? Sache que je suis là si tu as besoin de parler. Dors bien, petite étoile.
Jaek à 1h45 : Est-ce que tout va bien ?
Jaek à 7h15 : J'imagine que tu dois encore dormir. J'espère que tout va bien pour toi.
Jaek à 11h45 : Joshua ? Est-ce que ça va ? Je suis inquiet de ne pas avoir de tes nouvelles...
Jaek à 13h : Désolé de t'envoyer encore un message, mais je suis vraiment inquiet pour toi.
Petite étoile... Ce surnom peu habituel et venant d'autant plus de sa part, fait rater à mon cœur un stupide battement, avant de repartir à vive allure, telle une gazelle contre ma cage thoracique, me procurant par la même occasion un sentiment de peine et de culpabilité, de voir à quel point il s'est inquiété pour moi, de ne pas avoir de mes nouvelles, ni de réponses à ses appels.
J'entre un message, tapotant comme je le peux avec mon pouce gauche, aussi rapide qu'un escargot. Je vérifie de ne pas avoir fait d'erreur de frappe, avant de l'envoyer.
Jo✩Gabi : Coucou Jaekyung, je suis désolé de te répondre que maintenant. J'ai oublié de mettre mon réveil et mon portable était en mode silencieux, donc je n'ai pas entendu tes appels, ni tes messages. Sache que je vais bien. J'espère que tu ne m'en veux pas ? Je suis vraiment désolé...
En attendant qu'il me réponde, je me laisse tomber en arrière, rebondissant une nouvelle fois sur le matelas. Je fixe longuement le plafond ressassant les images de la veille. Tout était si parfait, tout, dans les moindres détails. Il n'y a rien de cette soirée que je n'ai pas apprécié. La séance de cinéma, où nous nous sommes retrouvés, collés l'un à l'autre, enveloppé de son bras. Ma tête posée contre son épaule, comme les scènes que l'on peut voir dans les films ou les dramas coréens, est quelque chose que j'aimerai réitérer avec lui.
Avoir sa veste sur moi pour me protéger du froid de la climatisation, son parfum qui se diffuse agréablement dans mes narines et son étreinte, dans laquelle je me suis senti en sécurité, m'ont fait me sentir comme sur un petit nuage flottant dans les airs à l'écart de tout danger. Et son rire, cette douceur mélodieuse et féerique qu'est son rire, me fait sourire, rien qu'en y repensant, en me souvenant de ces petites vibrations, que j'ai ressenti quand j'avais ma tête posée contre son torse vers la fin du film.
Notre petite virée au bord du fleuve Han a été un véritable coup de cœur pour moi. Comme je vous l'ai dit, je n'y étais encore jamais allé, que ce soit de jour, comme de nuit. Alors, quand j'ai vu pour la première fois, ce paysage tout droit sorti d'un animé, de par la beauté du lieu et des animations qu'il y a couramment le soir, je fus inéluctablement amoureux de cet endroit. Il faut le voir, pour y croire ! Si vous venez un jour en Corée du Sud, je vous conseille d'y aller ! Il y a tellement de choses que l'on peut faire aux alentours du fleuve et que j'ignorais totalement encore à ce jour. Comme pique-niquer ou camper, louer des vélos et se balader le long du fleuve, ou bien - comme nous l'avions fait -, s'installer sur une bordure d'herbe fraîchement coupée pour admirer la fontaine arc-en-ciel du pont Banpo, nous offrant un spectacle des plus magnifiques de jeux d'eau et de lumières, accompagné d'une musique, accommodante pour la soirée.
Sans oublier le ciel, qui a décidé de nous gâter, en se vêtissant de sa somptueuse robe étoilée.
Petite étoile... En répétant ce surnom, je commence à me demander s'il a contemplé le ciel comme je l'ai fait, ou bien s'il m'a simplement regardé.
— oui, c'est magnifique... murmuré-je à voix haute la réponse de Jaekyung.
Je passe ma main saine sur mon visage, effleurant ma peau du bout de mes doigts. Cette dernière chauffe, prenant conscience que c'était moi, la belle étoile à ses yeux. Je suis parti tellement loin dans mes souvenirs, qu'il m'a fallu quelques secondes pour sentir les vibrations de mon téléphone, recevant un appel, dont je m'empresse de répondre, lorsque je vois son nom s'afficher.
— Salut, Jaekyung, dis-je, en me raclant la gorge. Est-ce que tu vas bien ?
— C'est plutôt moi qui devrais te demander comment tu vas, me répond-il dans la foulée. Je viens de croiser Gabriel, qu'est-ce qui s'est passé ? Avec quoi tu t'es blessé la main ?
Merde ! Comment j'ai pu oublier d'omettre ce détail dans mes précédents messages ?
— Eh bien, en rangeant un peu le bazard dans ma chambre, j'ai tapé contre mon miroir. Il a perdu l'équilibre, j'ai voulu le rattraper et ça m'a ouvert la main...
Un tonnerre d'applaudissement pour ce mensonge de merde ! La prochaine étape, c'est le podium !
— Putain, Joshua ! Tu te rends compte que c'est super dangereux ? réplique-t-il, sur une intonation sèche, ne faisant qu'accroître son inquiétude. Tu aurais pu te retrouver avec un tendon sanctionné, ou pire encore !
— Je sais... Je suis désolé... balbutié-je, en pensant l'avoir mis en colère. Je n'ai pas réfléchi. J'ai pensé bien faire sur le coup mais, je m'en suis rendu compte qu'après, que c'était vraiment stupide. Je suis désolé...
Pour le coup, c'est ce que je dis. Même si la version des faits est différente, j'ai réellement agi sur l'instant T, me laissant envahir par mes sentiments, ma rage, au point de frapper contre un miroir, sans réfléchir une seule seconde aux conséquences que cela entraînerait. Je m'effraie moi-même, de ne pas être capable de contrôler mes émotions, faisant de moi un danger pour les autres, mais surtout... pour moi-même.
Une bombe qui attend le moment propice pour exploser.
— Non, attends Joshua ! réplique aussitôt Jaekyung, éprouvant subitement de l'affolement. Je ne disais pas ça pour te faire culpabiliser. J'étais juste tellement inquiet pour toi de ne pas avoir eu de tes nouvelles, et je le suis d'autant plus de savoir que tu as été blessé, cette nuit.
— Pardon, Jaekyung... Je ne voulais pas que tu t'inquiètes autant pour moi. J'ai tout gâché...
— De quoi tu parles ? Joshua, écoute-moi, tu n'as rien gâché, me contredit-il, en prenant une voix plus posée. Je ne sais pas pourquoi, ni comment tu es parti imaginer une telle chose, mais c'est totalement faux, crois-moi.
— Parce que je ne pourrais pas venir aux séances de sport, pas avant une à deux semaines... ajouté-je, avec un terrible pincement au cœur.
— Ce n'est pas grave ça, Joshua. Le plus important, c'est que tu te reposes et que tu soignes correctement ta main avant de revenir, d'accord ? C'est toi la priorité. Pense à toi, avant de penser aux autres.
Bien sûr qu'il ne peut pas comprendre si je ne m'exprime pas. J'ai terriblement envie de le lui dire. J'ai tellement envie de lui dire à quel point ces séances sont importantes pour moi. À quel point je suis d'être en sa compagnie.
Qu'il est devenu mon échappatoire, mon refuge.
— Joshua, reprend-il, en m'entendant sangloter. Parle-moi, s'il te plaît. Dis-moi ce qui ne va pas.
— Je crois que je suis un peu sous pression, ces derniers temps, commenté-je, en reniflant. Je vais profiter de cette journée pour me reposer et demain, ça ira mieux. Je te le promets.
— D'accord, dit-il, sans se montrer insistant. On se voit demain alors ?
— Oui, on se voit demain, acquiescé-je, en souriant bêtement. Et je tenais à te dire que j'ai beaucoup aimé cette soirée...
— C'est totalement réciproque. Je vais te laisser te reposer. Je ne te dérange pas plus longtemps. À demain, Joshua.
— À demain, lui soufflé-je dans le micro du téléphone, avant de regarder mon portable, affichant désormais un écran noir.
Je peux comprendre à quel point ça peut être frustrant pour vous de voir que je suis incapable d'avouer la vérité sur ce qui me tourmente au quotidien. Mais dîtes-vous, que vous aussi, vous côtoyez certainement des personnes, qui n'osent pas se dévoiler à vous, par peur de vous déranger. Ou bien, qu'ils veulent simplement affronter seuls, ces lourdes épreuves.
Je suis dans cette optique-là, de battre mes propres démons par moi-même, avant de chercher de l'aide en cas de défaite, sans me dire que l'inverse aurait été la meilleure des solutions pour y parvenir. Nous sommes beaucoup à refouler nos sentiments, à minimiser ce que l'on vit, parce qu'on nous l'a appris, pour ne pas déranger, sous prétexte qu'il y a pire dans la vie que nos petits soucis.
Qu'il y a plus grave que nos états d'âmes.
Alors, nous nous mettons sous silence, refoulant nos émotions, en pensant que c'est la meilleure chose à faire, tout en attendant le moment fatidique de cette histoire.
En attendant la liberté.
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