𝟔𝟐. 𝐍𝐨𝐮𝐬 𝐬𝐨𝐦𝐦𝐞𝐬 𝐝𝐞𝐬 𝐬𝐮𝐫𝐯𝐢𝐯𝐚𝐧𝐭𝐬
Les premiers coups de peinture touchent la toile. Mes mains bougent toutes seules. Je ne réfléchis pas, je laisse mon corps s'exprimer. Mes émotions parlent à travers mes doigts, peignant sans savoir ce que je cherche à représenter sur cette page blanche. Je sais seulement que je ressens le besoin de me vider l'esprit, de mettre en lumière ce qui se passe dans ma tête. Illustrer un sentiment. Donner vie à mes démons. J'ai mes écouteurs. « You don't own me » de SAYGRACE avec G-Eazy passe actuellement dans mon répertoire. Je suis seul dans la salle de séjour. Gabriel et Connor sont partis au Blueline Park, une attraction fun et touristique, après leur visite matinale aux quartiers-villages colorés. Vous montez à bord d'une petite capsule, nommée « Sky Capsule », ou à bord du « Beach Train », et vous pourrez profiter d'une magnifique vue sur la mer et la plage de Haeundae.
Une sortie en amoureux. J'en serais presque envieux.
Ma main continue de mouvoir dans tous les sens. Je trempe mon pinceau dans l'eau, puis dans la peinture et je reviens l'étaler au rythme de la musique. Les paroles me heurtent, elles résonnent échos dans mon cœur ;
You don't own me
I'm not just one of your many toys
You don't own me
Don't say I can't go with other boys
Ce passage ouvre l'une de mes plaies. Il fait mal, mais je continue. Mes mouvements sont plus saccadés, plus puissants, moins précis. Mais qu'importe, j'ai besoin d'extérioriser d'une autre manière qu'à travers mes larmes. Je quitte la toile, je replonge le pinceau dans l'eau puis dans la peinture, et je continue. Parfois je m'éclabousse tellement que j'écrase la pointe sur le tissu. J'en ai peut-être plus sur moi que sur le tableau. Puis, ces nouvelles paroles me percutent de plein fouet ;
I don't tell you what to say
I don't tell you what to do
So just let me be myself
That's all I ask of you
I'm young and I love to be young
I'm free and I love to be free
To live my life the way I want
To say and do whatever I please
J'ai envie de les crier. J'ai envie de les faire sortir de mes tripes. Je fronce mes sourcils, en accélérant les mouvements, jusqu'à ce que par inadvertance, je donne un coup contre le verre, renversant le contenant sur le parquet. Je sursaute en écarquillant les yeux lorsque je prends conscience de ma bêtise. Je retire mes écouteurs en retenant des jurons à travers mes lèvres, récupérant un bout d'essuie-tout, et me penche pour absorber l'eau, manquant de tomber à plusieurs reprises de ma chaise tellement que je suis aussi souple qu'un poteau électrique. En me redressant, j'observe ma peinture. L'œuvre représentant ma colère, ma rage d'avoir été privé de ma liberté durant toutes ces années. Mes émotions que j'éprouve à leur égard, que ce soit envers mon géniteur ou envers mon ex. Je réalise ce que j'ai peins. Mon cœur s'emballe. Il n'y a pas une once de couleur, seulement du noir et du gris qui se battent en duel. Les traits ne sont pas discernables, tout est mélangé, mais à travers cet amas de fil filiforme je distinct parfaitement ce que je ressens à l'intérieur de moi ; le chaos. Tout ce que mon âme n'a cessé de me crier en silence. Mais c'est étrange, il manque quelque chose. Je ne me sens pas totalement libéré. Ça bloque quelque part. Mais quoi ? Qu'est-ce qui m'empêche d'y voir le bout du tunnel ? Je soupire, mes bras retombent contre mon corps, tandis que je continue de contempler mon travail.
— Qu'est-ce qui coince ? chuchoté-je en venant masser ma poitrine, comme pour faire dissiper la pression dans mon plexus. Qu'est-ce que je dois faire de plus ?
Je soupire une nouvelle fois en retirant la toile du support. Je la pose par terre, là où j'ai éparpillé des morceaux de journaux. Je me saisis d'une nouvelle toile et tente d'y déchiffrer quelque chose sur cette page blanche. Un indice, un signe. « You're somebody else » de Flora Cash se met en route dans mes oreilles. Je ferme les yeux et inspire une profonde inspiration, laissant les paroles glisser en moi. Cette fois, je les accepte. Ça ne sert à rien de se renfermer, il faut les laisser couler.
Quand je rouvre mes yeux, je pars remettre de l'eau dans mon verre. En revenant à ma place, je plonge mon pinceau dans le liquide, visualisant une autre de mes émotions. La tristesse. Je décide comme pour la précédente, de laisser mon corps parler. De ne pas réfléchir. Mes mains bougent d'elles-mêmes et les premières lignes se tracent. Toujours de noir et de gris. Aveuglément. Je ne vois rien de ce que je suis en train de faire, comme si un voile s'était posé sur mes yeux. Un frisson me parcourt à l'entente des chœurs de la musique. Mon corps continue de bouger. Une larme menace de tomber, la tristesse est bien présente. Je me laisse aller. J'expire un souffle tremblant en poursuivant ma lancée. Mais encore une fois ce n'est pas suffisant. Ça ne plonge pas totalement au plus profond de mon être, ça reste en superficie. C'en est presque frustrant.
— Comment ils font les autres ? dis-je en levant les yeux de mon pinceau. Comment font-ils pour exprimer leurs émotions ?
Mon regard croise mon esquisse. Elle est bouleversante. Elle me saisit les entrailles. Inconsciemment, je lui ai donné une forme humaine. Les traits sont flous, arrachés, en désordre, mais on discerne bien une silhouette. Je me suis représenté, dans mes états les plus vulnérables, prenant conscience que cette émotion est omniprésente dans mon subconscient.
— Ça ne change rien. Ça ne me fait rien, ajouté-je d'un air dépité en jetant le pinceau dans le verre. C'est vraiment de la merde.
Ne te décourage pas, putain ! Si ce n'est pas la peinture qui va t'aider à extérioriser l'intégralité de tes émotions, alors ce sera autre chose !
— Je vais me prendre une bière, commenté-je en passant de la chaise à mon fauteuil.
Je me dirige vers la cuisine, ouvre le frigo et prend la première canette qui me passe sous le nez. Je bois quelques gorgées avant de grimacer en sentant le liquide amer glisser dans ma gorge. Comment les gens peuvent apprécier de boire de la pisse pétillante ? Ça a la même couleur, la même odeur presque, quoique ça se rapproche plus du vomi, et en prime, ça pique. Horrible. Ecoeurant. Je regrette. Je pose aussitôt la canette sur le rebord de la table, l'alcool ce n'est vraiment pas fait pour moi, mais au moment où je m'apprête à vider l'arme du crime, la porte s'ouvre.
— C'était trop bien, Joshua ! Je crois que je vais venir vivre à Busan !
Surpris de les voir rentrer maintenant, je jette un coup d'œil à l'horloge murale, affichant vingt-et-une heures trente. Déjà ? Je n'ai pas vu la journée passer. Entre ma séance avec le psy, le shopping qu'on a fait pour récupérer tout ce dont j'avais besoin pour la peinture, plus ma session artistique qui s'est avérée être une réelle catastrophe, je n'ai pas eu le temps de dire ouf, qu'il fait déjà nuit.
— Qu'est-ce que tu fais ? questionne-t-il en me rejoignant dans la cuisine. Tu fais à...
Il s'arrête dans sa lancée. Je suis pris en flagrant délit.
— Attends, tu étais en train de boire une bière ?
— J'ai essayé, ouais.
— Et ?
— C'est horrible, gloussé-je en lui tendant la bière. Tu veux la finir, je l'ai à peine entamée.
Gabriel s'approche de moi pour prendre la bouteille. Il me fixe attentivement, un petit sourire se dessine sur ses lèvres. Mais c'est Connor qui prend la parole.
— Tu t'es battu avec le pot de peinture ?
— Pourquoi ? J'en ai pleins le visage ?
— On dirait un dalmatien, glousse Gabriel en manquant de cracher sa bière. Tu devrais aller te regarder dans le miroir, et surtout te débarbouiller avant que tu ne gardes à les enlever.
Je secoue la tête en souriant.
— Au fait, avec Connor on veut manger au restaurant, au bord de mer. Tu viens avec nous.
— Je ne sais...
— Ce n'était pas une question, mon cœur, me coupe-t-il d'une douce voix. Ca fait plusieurs soirs que tu restes seul, soit devant la télé, soit dans ta chambre avec tes livres, et je respecte totalement ton choix. Mais ce soir, tu nous accompagnes. Ça te fera du bien de te vider un peu l'esprit.
J'humidifie mes lèvres tandis que mon sourire s'accentue.
— J'imagine que je n'ai pas le choix ?
— Pas cette fois, non, rétorque-t-il en me faisant un clin d'œil.
Il pivote sur ses talons, se dirigeant dans la salle de séjour, là où j'ai installé toute mon artillerie pour la peinture. Il s'arrête devant les toiles, qu'il observe silencieusement. Je le rejoins, m'arrêtant à ses côtés.
— Qu'est-ce que tu en penses ? dis-je en tentant de déchiffrer l'expression de ses traits.
— J'en dis que c'est plutôt pas mal pour une première fois, répond-il en se penchant pour mieux comprendre les esquisses. Elles sont toutes les deux différentes. Je veux dire, pour celle-ci par exemple.
Il pointe du doigt celle que j'ai couchée sur les papiers journaux.
— Les traits sont plus durs, plus fermes. On dirait presque que tu as voulu la déchirer. Et pour celle-là, les traits sont plus fins, mais tout aussi fermes quand même. Je ne sais pas comment expliquer, mais on ressent bien le côté colère, et le côté... triste.
Je hoche la tête en étant surpris qu'il ait réussi à comprendre mes émotions à travers mes coups de crayons, tellement que les représentations sont catastrophiques. Même un enfant de six ans dessine certainement mieux que moi.
— J'ai juste réussi à leur donner une forme. Ça n'a rien changé à ce que je ressens au fond de moi.
— Tu pensais que ça ferait effet immédiatement ? rétorque-t-il en haussant les sourcils. Il faut du temps, Joshua, pour évacuer tout ce que tu as dans ton cœur. Après, peut-être que ce n'est pas la méthode qu'il te faut, mais tu verras ça avec le temps. N'abandonne pas, d'accord ?
— Tu as sans doute raison, dis-je en regardant la toile encore disposée sur le support.
Gabriel boit quelques gorgées de sa bière.
— Tu devrais lui mettre un peu de rouge à lèvres et de blush sur ta peinture. Ça larendrait moins triste.
Je fronce les sourcils en rencontrant son regard.
— Ce n'est pas le but justement ? Retranscrire la tristesse, c'est pour que ce soit triste.
— Effectivement, mais vu qu'il s'agit de tes émotions, tu peux décider toi-même d'égayer cette part d'ombre, non ? Ça ne coûte rien d'essayer.
Il n'a pas tort. Pourquoi transcrire une émotion si ce n'est pas pour la changer ? Mon but étant de dissiper le négatif pour que le positif prenne l'ascendant. Par curiosité, je me saisis du pinceau, je le trempe dans l'eau, avant de piocher un peu de rouge que je viens étaler à certains endroits. Une bouche rouge, des pommettes roses, et Gabriel s'est amusé à rajouter des yeux bleus. Ce n'est plus la tristesse qui est représentée, mais très clairement le personnage d'une paralysie du sommeil. Un cauchemar.
— C'est horrible, dit-il en regrettant son idée.
Cependant, je ne peux m'empêcher de sourire en la regardant.
— Elle a l'air moins triste quand même.
Gabriel fredonne en hochant la tête.
— Comme quoi, il suffit d'une seule chose pour changer une émotion, commente-t-il en jetant un coup d'œil à sa montre. Oh merde ! On ne va pas tarder à se préparer, sinon mon mec va nous engueuler lorsqu'il aura fini de prendre sa douche !
— Tu as raison. Surtout que j'ai du pain sur la planche qui m'attend !
Je me dirige vers ma chambre, ne me doutant pas une seule seconde que mon cas est plus critique que je ne le pense. C'est lorsque je croise mon reflet dans le miroir, que je prends conscience de l'ampleur des dégâts.
Pitié, faîtes en sorte que je ne garde pas de trace !
❃ ❃ ❃ ❃
Il m'a fallu une heure, et un supplément d'huile de coude pour venir à bout de ces éclaboussures. J'en avais partout sur le visage, le cou, et même les cheveux ! Si je me souviens bien, il y a encore des restes qui ne voulaient plus partir, et on a dû couper les extrémités avec un ciseau de cuisine... La honte. Plus jamais je ferai de la peinture, notez-le bien ! Heureusement pour moi que mes cheveux bouclent, ça camoufle un peu le désastre capillaire. Lorsque nous sommes arrivés au restaurant, spécialisé dans les barbecues coréens, j'ai été agréablement surpris par ce cadre paradisiaque. Gabriel et Connor ont réservé une table donnant vue sur la plage et le pont Gwangan. Si vous êtes amateurs, amatrices de viandes, que vous voulez visiter Busan, et contempler un paysage digne d'une carte postale, je vous conseille le Seokhwayeon korean bbq, une enseigne locale. Vous me remercierez plus tard. Le seul inconvénient, c'est l'accès handicapés. Il n'y en a pas. Ce sont mes amis, avec la force de leurs bras, qui ont dû me porter pour accéder au restaurant. Cependant, la nourriture est vraiment incroyable, tout est frais et la viande est de qualité. Autant vous dire qu'on se pète actuellement le bide, accompagné de Soju pour Connor et Gabriel et d'un soda pour ma part.
Malgré tout, il y a un détail qui me turlupine. Je n'y ai pas prêté attention en arrivant, mais plus le temps passe, et plus j'ai l'impression qu'on est entouré de couples. Mon regard balaie la salle d'une œillade furtive et mon impression se confirme. Il n'y a que notre table, où l'on se retrouve à trois. Quel jour sommes-nous ? Même sur la plage, je peux voir des couples se prélasser, prendre des photos. Sur le chemin aussi, entre l'appartement et le restaurant. Interloqué, je sors mon téléphone de la poche de ma poche. Mon cœur chute lourdement dans ma poitrine.
— Quatorze février... murmuré-je dans ma barbe inexistante.
— Ça ne va pas, Joshua ? me questionne Gabriel en ayant remarqué mon changement d'expression. Tu ne te sens pas bien ?
Je relève la tête vers lui. Mes yeux jonglent entre mon meilleur ami et son compagnon.
— On est le quatorze février, réitéré-je en éclaircissant ma voix.
Gabriel pose ses baguettes en m'adressant un petit sourire.
— Je savais que tu allais t'en rendre compte dans la soirée, et je ne voulais pas que tu sois tout seul, me dit-il en se sentant un peu coupable. Tu aurais été triste de ne pas pouvoir le fêter avec Jaekyung...
— Ne lui en veux pas, intervient Connor en attrapant sa bouteille de Soju. Et ça ne me dérange pas. Je dis ça avant qu'une pensée te traverse l'esprit.
Je baisse les yeux vers mon assiette, l'air maussade.
— Vous n'êtiez pas obligé... C'est votre journée... Vous êtes déjà avec moi la plupart du temps...
Connor boit quelques gorgées de sa boisson, avant de reposer la bouteille.
— Sache que si ça avait été l'inverse, j'aurais fait la même pour Jaekyung. Même si je sais qu'avec lui j'aurais galéré pour lui faire bouger son cul, dit-il en levant les yeux au ciel, amusé. Alors ne te morfonds pas sur ton sort et profite de la soirée.
— Chéri ! se plaint Gabriel en lui tapant l'épaule. Ne lui dis pas ça comme ça !
Je secoue la tête en gloussant légèrement.
— Ce n'est rien. Il a raison, commenté-je à travers un soupir. Je m'en serai rendu compte à la maison, et je serai en train de pleurer. Je me connais.
— Josh...
— Il y a déjà son anniversaire que je n'ai pas pu fêter, vu que j'étais dans le coma. A Noël, je n'ai pas pu lui offrir de cadeaux, fais-je remarquer en comptant sur mes doigts. La, je ne peux fêter la Saint-Valentin avec lui, son prochain anniversaire non plus. Noël non plus, et la prochaine Saint-Valentin pareille et, attendez, son autre anniversaire aussi. Alors oui, je me serais mis à pleurer cette nuit en pensant à toutes ces fêtes que je ne passerai pas à ses côtés...
Et j'ai déjà envie de chialer, pensé-je en me raclant la gorge.
Ils me regardent, silencieux. Une lueur de culpabilité traverse leurs gemmes. Gabriel s'apprête à rétorquer quelque chose, je le devance.
— Mais, merci, ajouté-je en prenant mon soda. Merci d'avoir pensé à moi en m'emmenant avec vous. Ça me touche énormément. Avec le temps j'arriverai mieux à encaisser son absence. Ça ne fait que deux semaines, et je sais que je pourrai rattraper le temps perdu lorsqu'il sera de retour.
— Exactement, commente mon meilleur ami en esquissant un plus large sourire. Puis, je t'assure que le temps va passer rapidement. La preuve, j'ai l'impression que Jason et Brice sont passés en coup de vent.
En y repensant, je ne peux m'empêcher de rire. Ils ont tellement fait les fous, à toujours organiser des sorties à droites à gauches, à prévoir des karaokés à la maison, jouer à Mario bros sur la télévision, aux jeux de sociétés, qui d'ailleurs, Jason est un très mauvais joueur au monopoly, que je n'ai pas vu le temps défiler sous mes yeux. Je sais pertinemment que ces prochains mois vont également s'écouler à une vitesse fulgurante aux côtés de Connor et Gabriel, mais ce qui m'inquiète le plus, c'est le après. Il faut à tout prix que je m'organise une routine, une to do list de choses à faire dans la journée pour ne pas dérailler.
— Bon, mis à part ça, reprend Connor en levant sa bouteille de Soju. Trinquons en cette magnifique soirée, et aux prochaines que la vie nous permettra de vivre. Je vous aime.
La vie. Elle ne tient vraiment qu'à un fil. Tout peut partir en fumée en une fraction de seconde. Nous ne sommes que des pions sur un échiquier, à attendre que ce soit notre tour de disparaître. Alors profitez de chaque instant. Profitez de chaque moment avec vos proches. N'attendez pas demain pour dire je t'aime aux personnes que vous aimez. N'attendez pas demain pour réaliser vos rêves, sous prétexte que vous avez tout l'avenir devant vous. On ne sait pas de quoi est fait demain. N'ayez pas de remords. N'ayez pas de regrets. Aimez-vous, et vous aimerez la vie. Croyez en vous et en vos rêves. Ne laissez personne vous faire croire le contraire, c'est vous les stars de votre vie.
Ne cessez jamais de briller. Vous êtes incroyables.
— Il est complètement torché, constate Gabriel en se retenant de rire.
— Je crois bien oui, commenté-je à travers un gloussement, en levant mon verre à mon tour. Mais je vous aime, aussi. Bande de fous.
Nous rions en trinquant nos verres. Au même moment, près du pont Gwangan, plusieurs millions d'étincelles de couleurs variées explosent dans le ciel. Les étincelles s'enchaînent. Nos âmes vibrent de ce spectacle grandiose, zébrant la nuit étoilée de leur passage. Mes yeux pétillent d'effervescence, me faisant retourner en enfance. Le monde cesse de tourner. Plus personne ne parle, obnubilé par ces marques colorées s'ancrent à jamais dans nos mémoires. Le bouquet final couvre à présent une bonne partie de cette robe céleste, empêchant l'obscurité d'y régner. Il y a tellement de choses à voir que je bouge la tête de chaque côté, pour ne rien manquer de cette beauté éphémère. Mon cœur s'emporte dans ma poitrine, mes émotions se bousculent dans ma tête. Une larme coule sur ma joue. C'est magique. C'est beau. C'est éternel.
Bordel, ce que la vie est belle.
❃ ❃ ❃ ❃
Allongé sur mon lit, les draps recouvrant mon corps du parfum de lavande que j'aime tant, je fais tourner les pages de mon album photo. Quelle merveilleuse idée j'ai eu en l'emportant avec moi. Je souris, depuis une bonne dizaine de minutes, en regardant les photos. Sur aucune d'elles il n'est sérieux, toujours à faire le con et à prendre des positions bizarres qui me font rire à mesure que j'avance dans l'album. Plus je le regarde, plus je tombe amoureux une seconde fois. Je repense à la foi où il m'a raconté que je lui ai rentré dedans dans les couloirs de l'université, que ça a été en quelque sorte, notre première rencontre. Je semblais être en panique, ce qui était le cas, et je ne lui ai adressé aucun regard avant de m'enfuir de son champ de vision. J'ai eu du mal à y croire au début, parce que je ne me souviens pas du timbre de sa voix ce jour-là, tant mes oreilles bourdonnaient à cause de l'angoisse. Cet ange, qu'il a mentionné dans l'un de ses shows, c'était moi. Ce qui s'était passé ce jour-là n'était pas une coïncidence pour moi. Ça n'existe pas. Rien n'est fait au hasard. Chaque rencontre, chaque moment à sa signification. Son importance.
Que se serait-il passé si j'avais croisé son regard à cet instant ? Que serait-il passé dans ma vie ? Est-ce que ça aurait changé le cours des choses ? Est-ce que j'aurais quand même sauté de ce pont ? Tant de questions qui resteront sans réponse. Mais qu'importe, à quoi bon se torturer l'esprit ? Aujourd'hui, je suis vivant, à Busan, au bord de la mer, à guérir mon cœur et mon âme pour le retrouver. Je continue de cultiver mon amour pour lui, de chérir chaleureusement chaque moment partagé dans mes pensées. C'est le plus important, l'instant présent.
Ma main glisse sur l'une des photos. Nous sommes au Lotte World, il tient une peluche Minnie dans ses bras musclés. Il est à la fois mignon et terriblement sexy. J'en perds la tête. Son toucher me manque. Ses baisers me manquent. Son souffle se manque. Tout me manque. Son rire, ses mots doux, ses caresses. Entendre son cœur battre contre mon oreille. J'attrape les bagues accrochées à mon collier, je les amène à mes lèvres pour y déposer de petits baisers. Je pose l'album à plat sur ma poitrine, comme pour étreindre son corps contre le mien. Je ferme les yeux en souriant. J'imagine ses bras m'enlacer. Je sens son corps se coller au mien, réchauffant ma peau gelée de son absence. Sans comprendre comment c'est possible, je sens ses lèvres se poser sur mon front, devinant ce sourire suffisant sur le coin de ses commissures. Il est là, contre moi, et je me laisse bercer par cette illusion qui soulage mon cœur.
— Joyeuse Saint-Valentin, mon amour. Nous serons bientôt réunis, murmuré-je en me blottissant dans cette chaleur qui finit par disparaître, balayer par ce courant d'air frais provenant de la baie vitrée.
Je rouvre mes yeux et un soupir s'échappe d'entre mes lèvres. Je me redresse dans le lit, dans l'optique de fermer la vitre coulissante. Cependant, mon regard est attiré par une silhouette, cachée dans l'ombre, dans un coin de la pièce. Ha-joon est de nouveau là. Mais je ne ressens aucune peur. Je ne ressens aucune angoisse de sa présence. Plus le temps passe, plus sa présence s'efface. Mais il est encore là, comme s'il me restait une dernière chose à accomplir pour briser les dernières chaînes qui nous lient. Il ne parle pas. Sa voix ne résonne plus dans ma tête. Il se contente de m'observer, tel un chasseur qui épie sa proie. Peut-être pense-t-il que je vais à nouveau sombrer dans ses souvenirs ? Peut-être pense-t-il qu'il a encore une chance de manipuler mes pensées ? Ça aurait pu être le cas, si Jaekyung n'était pas entré dans ma vie. Si ses mots ne prenaient pas le dessus sur ce qu'il a essayé de me faire croire.
Je m'assois sur mon fauteuil et m'approche de la baie vitrée que je ferme, mettant fin à cette fraîcheur. Mon visage se tourne vers lui. Il n'a pas bougé, contrairement à avant, où il venait murmurer dans mon oreille ses odieuses paroles. Où il venait me tourmenter jour comme nuit, satisfait de l'emprise qu'il continuait à exercer sur moi.
Ce soir-là, c'est moi qui me suis approché de lui. J'ai tendu la main et je l'ai touché du bout de mes doigts. Sa silhouette disparaît dans un amas de fumée. Un courant d'air me frôle et une étrange chaleur se diffuse dans ma poitrine. C'est utopique n'est-ce pas ? Pourtant, c'est ce que j'ai ressenti en l'affrontant, en touchant ce qui a causé ma perte, reprenant les rênes de ce qui m'avait été arraché contre mon gré ; ma vie. Mes sentiments. Mes décisions. Mes pensées. Moi. Ce n'est pas fini. J'ai encore du chemin à parcourir, des plaies à refermer. Un sourire se dessine sur mes lèvres. La liberté m'est bientôt à portée de main. Mes yeux se tournent vers le miroir, je me regarde. J'ai une tête à faire peur avec mes cernes, mais mon sourire ne s'efface pas.
— Tu as le droit de vivre. Tu as le droit de rire. Tu as le droit de respirer, me dis-je à moi-même, mes iris s'assombrissent de détermination. Tu as le droit d'espérer. Tu as le droit d'avancer, de te battre. Tu as le droit d'aimer.
Ma gorge se serre. Je secoue la tête pour faire disparaître ce sentiment. Je reprends le dessus sur cette part d'ombre.
— Tu as été violé, détruit, battu. Mais tu as le droit de te relever. Tu as le droit de remonter à la surface et de regagner le rivage. Tu n'es pas seul. La vie est belle. La vie est cruelle, mais tu n'es pas seul. Tu n'es pas une merde.
J'expire un souffle tremblant.
— Je... Je ne suis pas une merde. Je ne suis plus seul. J'ai le droit de vivre, de rire, et de respirer. Personne n'a le droit de me dire quoi faire. Personne n'a le droit de remettre ma parole en question.
Mon cœur s'emporte dans ma cage thoracique. Mes mains se resserrent sur les roues.
— Je vais y arriver. Il me faut encore du temps, mais je vais y arriver.
Mes mains glissent sur mon ventre. Je le caresse par-dessus mon pyjama. Elles s'attardent sur ma poitrine, mes bras, mon cou, mon visage, mes jambes. Je fais chanceler le bout de mes doigts sur ces dernières. Ma peau frissonne à mon toucher. C'est bon de se sentir vivant. C'est bon d'être vivant. Mon corps est différent, mais je commence à l'accepter, mis à part mes fesses qui souffrent d'être assise à longueur de journée. J'en ai parfois même des fourmis au cul... Mais je ris à cette pensée. Je me contemple en riant, alors qu'avant je me regardais en pleurant. Est-ce Busan qui me fait cet effet ? Est-ce toi maman, qui me partage ta force là où tu es ?
Je déglutis difficilement ma salive. Ces mots sont durs à prononcer. Ils sont sur le bout de ma langue et ne demandent qu'à sortir. Est-ce trop tôt pour les dire ? Non. Il n'y a pas de date indiquée pour se dire à longueur de journée. Il n'y a pas de limite proscrit, pour qu'une victime de viol puisse se le dire. Alors je relève la tête, j'affronte mon regard. J'inspire une profonde respiration.
Sois fier de toi mon amour. Sois fier de tout ce que tu as accompli jusqu'à aujourd'hui. Tu es incroyable. Tu es tellement fort, la voix de Jaekyung surgit dans mes pensées. Une larme se loge dans le coin de l'œil. Pour une fois, elle attend mon autorisation.
— Je suis fier de moi. Je suis fier de qui je suis, prononcé-je d'une voix étranglée par un sanglot.
Je finis par céder. J'accepte cette émotion qui prend le dessus. Je m'autorise à pleurer. On ne devrait pas avoir honte d'être fier de nous. On ne devrait pas avoir honte de s'en sortir. On ne devrait pas avoir honte de vouloir vivre. Soyons fiers de qui nous sommes. Soyons fiers de nos combats.
Nous sommes des survivants.
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