𝟐𝟏. 𝐑𝐨𝐬𝐞 𝐚𝐮𝐫𝐚𝐢𝐭 𝐩𝐮 𝐬𝐚𝐮𝐯𝐞𝐫 𝐉𝐚𝐜𝐤
Je ne saurais vous dire combien de temps cela fait que nous sommes assis, l'un en face de l'autre, dans ce petit café aux allures de cocooning, là où le temps s'est suspendu, loin de cet environnement toxique qui m'attend à la maison. Nous avons continué nos échanges de discussions, dévoilant nos petits péchés mignons, sans qu'il n'y ait le moindre jugement désagréable dans nos regards.
Jaekyung me parle vaguement de son passé, notamment de ses années au lycée, où il a étudié dans un établissement dans la banlieue de Séoul, où la popularité s'est fait connaître pour le mauvais comportement des élèves et le peu de réussite qui en dégageait. Il ne s'attarde pas plus sur le sujet, me laissant quelques zones d'ombres, éveillant en moi une pointe de curiosité. Mais je ne suis pas le mieux placé pour lui reprocher quoique ce soit à ce sujet, à garder pour soi des secrets inavouables.
Nous avons tous des secrets, des choses que l'on compte garder bien au chaud au fond de nous, jusqu'à la mort. Pour l'éternité. Toutefois, un élément que j'ai omis de lui demander surgit subitement dans mon esprit. Hésitant, je me mordille les lèvres avant de prendre mon courage à deux mains.
— Est-ce que je peux te poser une question ?
— Bien sûr. Qu'est-ce que tu aimerais savoir ?
Ne le fais pas, ne le fais pas, ne le fais pas. Tu vas te ridiculiser ! pensé-je en faisant tourner ma cuillère dans la tasse vide.
— Est-ce que, mon lapin, est un surnom que Connor utilise régulièrement ?
Ma bouche a été plus rapide que mon esprit, et je n'ose pas le regarder dans les yeux, désirant prendre mes jambes à mon cou pour m'enfuir le plus rapidement possible de cette situation horripilante.
— Ce putain de surnom, commente-t-il dans un faible gloussement. Cet abruti m'a donné ce surnom au collège. A l'époque, j'avais les deux dents de devant un peu trop avancé, ce qui me faisait ressembler à un putain de lapin. Depuis, c'est un surnom qui est resté entre nous. Mais je te rassure à l'avance, ça n'a jamais été un problème pour moi.
— As-tu d'autres surnoms ? ajouté-je, curieux.
Jaekyung se racle soudainement la gorge, en amenant une main à sa nuque, qu'il frotte, me faisant comprendre qu'il n'est pas à l'aise avec ce sujet.
— Tu n'es pas obligé de répondre. Oublie ce que je viens de dire.
— Tu es adorable, commente-t-il, en m'adressant un regard attendri. Mais de toute évidence, tu risques de les entendre, tôt ou tard, avec cette bande d'abrutis. Du coup, j'ai bien deux-trois autres surnoms qu'ils m'ont attribués, tels que Jack, Roméo, ou...
Il laisse la fin de sa phrase en suspens, avant de reprendre dans un faible soupir exaspéré :
— Jacquouille la couille...
Aucune réaction ne me vient dans l'immédiat, me contentant de le regarder d'un air ébahi, le temps d'assimiler les informations, avant que je ne sois pris d'un rire que je tente de dissimuler, en vain, derrière l'une de mes mains.
Jaekyung s'adosse contre le dos de sa chaise, les bras croisés contre son torse musclé. Sa langue s'enfonce dans sa joue, d'une expression amusée.
— Qu'est-ce qui est drôle, hm ? me demande-t-il d'une voix grave.
— Je ne me moque pas, tu sais...
Mensonge.
— Mh-mh, fredonne-t-il, sans pour autant me quitter des yeux, me sentant nu à travers son regard crépusculaire. C'est le surnom « Jacquouille » qui te fait rire ?
J'essaie du mieux que je peux de garder mon sérieux, de ne pas défaillir face à lui. Cependant, lorsqu'il prononce à nouveau ce terrible mot, je me pince les lèvres entre elles pour contenir un gloussement, au point d'en avoir les larmes aux yeux.
— Pourquoi t'ont-ils donné ce surnom ? parviens-je à articuler dans un faible bégaiement.
— Tout simplement parce que Lucas, ce petit frenchie de merde, trouve que mon prénom rime parfaitement bien avec couille.
— Je dirais qu'il n'a pas vraiment tort...
Putain. Quel con.
Voilà qui je suis réellement quand je ne porte pas un masque invisible ; un boulet de service. Et je remarque que je le suis de plus en plus, avec lui, baissant les armes, me montrant moins intimidé, moins renfermé sur moi-même.
C'est donc avec étonnement, que Jaekyung arque un de ses sourcils face à ma réponse.
— Je vois que monsieur prend de plus en plus ses aises en ma compagnie, commente-t-il, un sourire en coin. Mais ça me plaît, Joshua. J'aime savoir que tu te sentes bien avec moi.
Pourquoi fait-il soudainement chaud ? Qui a allumé le chauffage ? Suis-je en train de faire une crise d'angoisse ? Non, ce n'est pas ça. Je pourrai la reconnaître entre mille si s'en était une. C'est autre chose qui perturbe mes sens. Un sentiment inconnu qui m'effraie, tout comme il me fait me sentir agréablement bien.
Quel paroxysme.
— Et toi, Joshua ? As-tu des surnoms en particulier ? enchaîne-t-il pour changer de sujet.
Je pose mes mains sur mes joues pour les refroidir.
— Je n'en ai pas beaucoup, rétorqué-je timidement. Gabriel m'appelle de temps en temps Jojo, ou ma vie... enfin... des choses comme ça...
— Jojo ? répète-t-il, interloqué, avant de reprendre une expression attendrissante. C'est mignon. Tout comme toi.
Faites qu'il cesse, pensé-je fortement, alors que mes pommettes sont sur le point d'imploser.
— Du coup, pourquoi avoir choisi cette filière pour tes études, si c'est la littérature que tu aimes tant ? dit-il une nouvelle fois pour changer de sujet.
Cette simple question fait chuter drastiquement la pression dans mon corps. Mon sourire s'efface et mon regard se perd dans le vide. J'entends une chaise grincer, suivie de quelques pas, avant qu'une main ne vienne se glisser dans la mienne.
Jaekyung s'est accroupi, se mettant en position d'infériorité, pour me montrer avec sincérité son inquiétude à mon égard.
— Excuse-moi. J'imagine que...
— C'est un choix de mes parents, réponds-je sur une intonation monotone, le regard abattu. Selon eux, c'est ce qu'il y a de mieux pour assurer mon avenir. Que la littérature ne me mènera nulle part à par à l'échec. Tout ça pour une question de succession.
— Je suis désolé, je ne voulais vraiment pas que cette question te mine le moral, déclare-t-il, en resserrant son emprise sur ma main.
Son regard ne trompe pas. Une dizaine de questions brûlent à l'intérieur de lui, au sujet de mes parents, qu'à travers son geste, il aimerait tant pouvoir faire quelque chose pour m'aider. Sa bienveillance me touche, mais la seule personne qui puisse faire quelque chose pour m'aider, n'est autre que moi-même.
Je suis le seul à pouvoir changer le cours des choses, à briser cette fameuse lignée du destin pour reprendre le contrôle de ma propre vie. Mais je suis encore trop faible pour y parvenir.
— Ce n'est rien, tu n'as pas à t'excuser, dis-je, en esquissant un faux sourire.
Mes yeux se gorgent de larmes, que j'essuie du revers de ma main pour ne pas éclater en sanglots. Les traits de Jaekyung se crispent d'impuissance, se sentant démuni face à la détresse que je peine à dissimuler.
Il n'est pas dupe, loin de là. Il a bien compris que c'est bien plus qu'une simple décision de succession.
— Joshua, tu sais que je suis là pour t'écouter, si jamais tu désires en parler, me rappelle-t-il, en se redressant, certainement parce que la position est devenue inconfortable pour ses genoux.
Si je prononce un seul mot dans cet état, je sais par avance que je vais m'effondrer en larmes, et je ne souhaite pas que la même chose qui s'est produite une heure plus tôt, ne se reproduise dans ce petit café de quartier. La honte me submerge, en me souvenant de la manière dont j'ai éclaté en sanglots dans ses bras, et la façon dont j'ai crié mon mal-être, alors que d'autres personnes se trouvaient autour de nous.
En regardant l'heure affichée sur l'écran de déverrouillage de mon cellulaire, je m'aperçois d'une dizaine d'appels manqués de mes géniteurs, ne les ayant pas entendus, au vu du fait que j'ai mis ce dernier sous silencieux; pour ne pas être dérangé tout au long de cette soirée.
Il est une heure trente du matin. L'heure de mon décès.
— Est-ce que tu peux me ramener chez moi ? tenté-je d'articuler convenablement. Je ne me sens pas très bien, je crois que la fatigue prend le dessus sur moi...
Une excuse bidon pour fuir, qu'il ne relève pas.
— Bien sûr, mais tu ne veux pas plus tôt te reposer chez moi ? J'ai une chambre d'amis que tu peux emprunter. En plus, on n'a pas cours demain matin, alors, je pourrai te déposer chez toi dans la matinée, me propose-t-il, en comprenant bien que quelque chose ne va pas.
Que quelque chose, ou quelqu'un, me terrorise.
— C'est vraiment très gentil de ta part... réponds-je, en me levant à mon tour. Mais je veux juste rentrer chez moi, s'il te plaît.
Je ne veux pas qu'il s'en prenne à toi.
❃ ❃ ❃ ❃
Mes mains tremblent, mes jambes tremblent, tout mon corps est pris de soubresauts, à mesure que l'on se rapproche de mon domicile. Je suis certain que c'est ma mère qui a appelé mon père en ne me voyant pas rentrer à la maison. Je ne peux pas lui en vouloir de s'inquiéter en tant que mère, mais je sais que cet appel va me causer beaucoup de tort, lorsque je devrai confronter mon père, m'ayant formellement interdit de sortir, mis-à-part pour mes séances de sport.
Nous n'avons pas échangé un seul mot dans la voiture. Jaekyung se concentre sur la route, malgré son inquiétude envers moi Je pense aussi qu'à ce moment-là, il tente désespérément du mieux qu'il peut de se retenir de faire demi-tour sur le champ, et de me ramener chez lui pour ma sécurité.
Car il savait mieux que quiconque qu'il était en train de me ramener dans la gueule du loup, et qu'il ne pouvait rien faire pour y remédier. Savoir et ne pouvoir rien faire pour agir étaient deux choses qui pouvaient vous mettre hors de vous, vous rendant impuissant face à une situation.
Parce que lui aussi, était une âme brisée.
— Tu peux t'arrêter ici, s'il te plaît... murmuré-je, en lui montrant du doigt le bas-côté de la route, faiblement éclairée par les lampadaires.
Il fronce les sourcils, perplexe.
— Là ? Tu es sûr ? Ce n'est même pas éclairé, tu peux te faire agresser à tout moment. Tu ne veux pas plus tôt que je te dépose en face de chez toi ? Ça me rassurerait...
C'est pour toi, que je demande ça.
C'est à lui que je pense. A sa sécurité, car je ne veux en aucun cas qu'il n'ait des ennuis par ma faute, si jamais une personne du voisinage ne s'amuse à dévoiler à mon paternel le moindre de mes faits et gestes.
— S'il te plaît, Jaekyung, gare-toi ici, insisté-je sur une intonation un peu plus sérieuse.
— D'accord, dit-il simplement, sans entrer dans un conflit.
Il coupe le contact du moteur. L'obscurité envahit l'habitacle, nous rendant invisible dans la pénombre. Un silence s'installe, il est dérangeant, déstabilisant.
— Merci pour ce rencard, déclaré-je pour mettre fin à ce mutisme. J'ai vraiment passé une agréable soirée en ta compagnie...
Tout ce que je dis est sincère et je veux qu'il le sache.
— Joshua, est-ce que tout va bien chez toi ? me demande-t-il, sans savoir que sa question vient de me glacer le sang. Est-ce que je peux faire quelque chose pour t'aider ? Est-ce que tu as besoin d'appeler quelqu'un en particulier ?
N'importe qui aurait réagi de la même manière que lui. Seules les personnes je-m'en-foutistes n'auraient rien dit ou n'auraient tenté de rien faire pour vous aider. Ils auraient simplement fermé les yeux et seraient partis, comme si de rien n'était. Mais pas lui, quitte à se montrer insistant envers moi. Malheureusement, je suis tellement terrifié, apeuré et aveuglé par les représailles de mon paternel, et par la pression psychologique qu'il exerce sur moi, que j'en suis venu à refuser sa main. Cette main qui aurait pu être ma délivrance. Celle qui m'aurait emmené dans un endroit où seul l'amour, la confiance et la compréhension est de mise.
Celle, qui aurait pu me sauver, ce soir-là.
— Tout va bien, Jaekyung, dis-je, en lui adressant un faible sourire, faiblement discernable grâce à la faible luminosité de la Lune. On se voit demain en cours, de toute façon.
Il hésite.
— Ouais... Ouais, je sais, mais...
Il se tait quelques secondes, avant de secouer la tête, laissant un soupir s'échapper d'entre ses lèvres.
— Je ne veux pas qu'on te fasse du mal, je ne veux pas qu'on s'en prenne à toi. Alors, viens avec moi, s'il te plait.
— Je ne peux pas...
— S'il...
— Je ne peux pas, Jaekyung, réitéré-je en retenant mes larmes.
Silence. Seule la pluie battante contre le parebrise est audible, résonnant dans l'habitacle. Je parviens tout de même à percevoir sa respiration. Elle est lourde et saccadée. En jetant un coup d'œil à son visage, je vois sa bouche s'ouvrir et se fermer à plusieurs reprises, comme s'il voulait dire quelque chose, mais qu'il se résigne à le faire.
Au moment où je m'apprête à lui dire au revoir, il me devance, en disant :
— Si jamais tu cherches un endroit pour te réfugier, tu sais que tu peux venir toquer à ma porte, à n'importe quel moment.
Ce sont là, des mots que j'avais besoin d'entendre. Des mots, qui même à travers mon désarroi, me murmurent que je ne suis pas seul. Que je ne suis plus seul, malgré le fait que je ne puisse briser d'un claquement de doigt, l'emprise qu'a mon père sur moi.
Non, c'était bien plus compliqué que cela.
— Merci beaucoup, Jaekyung... Je t'en suis extrêmement reconnaissant, dis-je avec sincérité, tout en appuyant sur la poignée de porte pour l'ouvrir et sortir du véhicule.
Jaekyung imite mon geste, me rejoignant de l'autre côté de la voiture, comme s'il avait peur de me quitter. Comme s'il attendait, au fond de lui, une petite lueur d'espoir, en vain.
— Tu sais, j'ai bien réfléchi, et je crois que Rose aurait pu laisser une place à Jack sur cette putain de planche, prononce-t-il, en se tenant devant moi. Et qu'ils auraient pu être sauvés, tous les deux.
Il faut être vraiment un idiot pour ne pas comprendre l'allusion qui se cache dans ses mots. C'est si... romantique.
Mais les vraies histoires d'amour ont rarement une jolie fin, n'est-ce pas ?
— Je pense qu'au final, c'est toi qui a raison, le contredis-je, en lui adressant un doux sourire. C'est scientifiquement prouvé. Leur poids aurait été trop lourd pour cette planche, et ils seraient tombés tous les deux dans le froid glacial de l'océan, avant de sombrer à jamais pour l'éternité.
— Joshua...
— Merci pour cette agréable soirée, Jaekyung, ajouté-je en avançant d'un pas vers lui. Prends soin de toi.
Je me mets sur la pointe des pieds, et embrasse sa joue dans un élan de confiance que je n'aurais jamais eu quelques semaines plus tôt.
Jaekyung se fige, surpris de mon action. Toutefois, il reprend assez vite ses esprits, déposant délicatement ses mains de part et d'autre de mon visage. Ses lèvres se posent à leur tour sur le haut de mon crâne, embrassant la naissance de mes cheveux par la même occasion, dans un geste pur et délicat.
— Fais attention à toi, murmure-t-il, effleurant ses lèvres contre mon front pour faire durer cet échange, que ni l'un ni l'autre, ne veut arrêter.
Mais toutes les bonnes choses ont une fin.
— Rentre bien. Je te promets que ça va aller pour moi, lui dis-je, en m'éloignant à contrecœur de son étreinte. Passe une bonne soirée, à demain.
J'avance vers l'entrée de l'immeuble, n'ayant pas attendu qu'il me réponde, même si mon âme me hurle de suivre mon cœur, me suppliant de me retourner. Les larmes, que j'ai trop longtemps retenues, coulent d'elles-mêmes le long de mon visage.
Ce n'est pas un adieu, du moins, pas maintenant.
Si j'étais resté un peu plus longtemps à ses côtés, j'aurais pu entendre ces quelques mots qu'il a prononcé dans un murmure :
— Ne cesse jamais de briller, ma belle étoile.
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