01 - Maudite ou malchanceuse ? Telle est la question !
J'ai toujours su que je ne vivrais pas longtemps—
Tout le monde l'a toujours su. Au moment où je suis née, à l'instant même où j'ai ouvert les yeux pour la première fois — tous ont réalisé que j'étais maudite.
Il y a très peu de gens qui sont réellement maudits par les Déesses. Plusieurs s'exclament en plaisantant qu'ils doivent l'être après avoir passé une journée difficile. Mais la malchance de ces gens là s'estompe toujours avec le temps. Ma malédiction à moi, elle est ancré dans ma peau, dans mes veines, et je suis née avec.
Je suis née malade.
Il y a si peu de Fae qui naissent malades que ces êtres-ci ont forcément été maudits par les Déesses.
Ma maladie ne m'a pas affecté à l'instant même où j'ai ouvert les yeux pour la première fois. Ce dont je suis atteinte est un phénomène si rare que personne n'a jamais pris la peine de le nommer ou de tenter de le comprendre entièrement. Le patient n'a pas de symptômes précis, sa vie en tant que telle n'en est pas affectée. Le virus peut se propager à n'importe quel moment, il est dormant.
Il peut se décider de se propager dans les jours, les mois ou les années qui suivent la naissance. Mais peu importe le temps qu'il met à se présenter, il emporte toujours sa victime avec lui. Ceux qui sont atteints de cette maladie connaissent tous le même sort: une mort certaine et précipitée. Même les puissants mages et guérisseurs qui habitent Lloyda ne sont jamais parvenus à trouver un remède.
Enfin, c'est faux. Il existe un remède — un remède à tous les maux du monde, une solution à toutes les blessures que les Fae peuvent connaitre. Une plante sous le nom de Cerys qui ne fleurit qu'une fois tout les cent ans. Dès qu'elle éclôt, celui ou celle qui la consomme se retrouve guéri de n'importe quelle maladie.
Le seul problème ? Les seuls détenteurs de cette plante sont les Farah. Les Farah, le clan d'Enfants de la Lune qui ont juré qu'ils prendraient un jour possession des Sept Empires sous le nom de la Déesse de Lune. Des lunatiques dont la culte ne connaît que le language de la violence et du sang.
— Qu'est-ce que tu lis ?
Je sursaute. Ma main droite se porte à mon coeur et ma tête vire vers la provenance de la voix. Callum se tient dans mon champ de vision, un air innocent ancré dans ses traits comme s'il ne sait pas qu'il vient de me ficher la frousse de ma vie. Mes yeux se plissent. Seul le regard de mon frère, brillant d'un éclat de malice qu'il tente avec peine de dissimuler, m'indique qu'il a parfaitement conscience de la peur qu'il vient de me causer.
— Encore le même bouquin sur nos histoires ancestrales ? demande-t-il en observant par dessus mon épaule le livre déposé sur mes genoux. Lora, je te dis, ce n'est pas à ta centième lecture de ce truc que tu trouveras une illumination.
Je soupire, abaissant mes épaules, et referme l'ouvrage après avoir placé un signet à la page où j'ai arrêté ma lecture. Je le pose sur la table de chevet à ma droite, et Callum perçoit le test comme une invitation à venir s'asseoir à côté de moi. Je me décale pour lui laisser de la place alors qu'il s'enfonce disgracieusement dans le divan.
— Je sais, avoué-je en passant une main dans mes cheveux bleus en un geste familier. Je ne cesse d'espérer pouvoir trouver un indice sur pourquoi je suis maudite.
Callum claque sa langue contre son palais et fronce ses sourcils pour accentuer sa désapprobation. Je me retiens de lui dire d'arrêter de répéter le geste s'il ne veut pas que les plis dans son front deviennent permanent. Tous les traits de son visage m'indiquent qu'il ne veut pas plaisanter.
— Tu n'es pas maudite, petite soeur, m'affirme-t-il en venant m'offrir une légère tape dans le dos, se voulant être réconfortant. Tu es malchanceuse, mais pas maudite. Si les Déesses te voulaient réellement morte, elles n'auraient pas fait en sorte que l'on réussisse à trouver un remède.
Pas plus tard que la semaine dernière, mon frère Roan, l'aîné de notre fratrie de sept, était revenu au château d'un périple dans le royaume voisin, Lyra, le Couvent de la Lune où il était allé rencontrer sa future épouse, une des filles du Roi Ranera. Et dans le creux de sa bourse se trouvaient des graines de la plante Cerys. Comment il les a trouvé, même lui ne savait pas vraiment. Sur son chemin de retour, il a trouvé la bourse. Un miracle, avaient clamé mes parents et tout le royaume entier. Une bénédiction des Déesses, une seconde chance que l'on m'offrait.
— Tu sais que je crois aussi peu que toi aux Déesses. Nous n'avons aucune preuve de leur existence à l'exception des légendes qui circulent sur leur sujet et il n'y a eu aucune apparition de leur part depuis des siècles. Mais je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il y a peut-être une part de vérité dans les récits sacrés. Depuis que je suis tombée malade, j'ai l'impression d'avoir besoin d'en apprendre plus sur les Sept Déesses, au cas où.
Callum se perd dans ses pensées, ses yeux fixés sur le livre de nos légendes ancestrales. D'un coup, son regard s'illumine, prend vie et son visage s'orne d'un sourire en coin malicieux.
— Les Déesses ne t'ont pas maudite... De ce que j'en sais, elles l'ont fait pour me rendre service.
J'hausse mes sourcils, incrédule. Sa voix est entrecoupée d'un gloussement qui ne me présage rien de bon. Son visage enfantin et le pétillement dans ses yeux bruns le trahissent même s'il tente de préserver un air sérieux. Que vas-t-il encore me sortir ?
— Elles l'ont assurément fait pour que je puisse être meilleur que toi au combat. Imagine, je vais avoir un siècle pour m'entraîner et perfectionner ma technique pendant que tu dormiras. Un siècle ! Cent ans d'avance, tu ne pourras jamais rattraper ça !
Je grimaçais, secouant ma tête. Son idiotie me surprendrait toujours. Malgré moi, un sourire prend naissance au creux de mon visage.
— Il te faudrait au moins cinq cent ans avant de pouvoir commencer à égaler mes talents de guerrière. Et même là, tu ne ferais que m'arriver à la cheville.
Callum pouffe, venant ébouriffé mes cheveux. J'écarte sa main de mes cheveux du mieux de je le peux. Ria, ma servante, a passé près d'une heure ce matin à les peaufiner. Il fallait que j'aborde ma plus belle coiffure pour ma dernière journée avant mon sommeil, s'est-elle justifiée.
— Sérieusement, repris-je. Qu'est-ce que tu fais ici ?
Mon frère a des choses plus importantes — mais beaucoup moins amusantes — à faire que de me tenir compagnie.
— Père voulait te voir avant son départ, avoue-t-il en un soupire, s'étirant de tout son long. Il ne sera pas là pour te souhaiter bon sommeil.
Je n'ai pas besoin de poser la question: mes yeux s'en occupent et Callum comprend.
— Il prévoit aller à Lyra pour discuter avec le Roi Ranera. Apparemment, il y a quelque-uns de ses sujets qui ne respectent pas les frontières.
Il n'existe qu'un seul groupe d'individus habitant le Couvent de la Lune qui pouvait correspondre à ce que mon frère vient de décrire.
— Tu parles des Farah ?
— Père ne les a pas mentionné, mais qui d'autre est-ce que ça pourrait être ?
Les Farah sont un groupe de Fae qui, bien qu'ils soient originaires de Lyra, n'obéissent aux règles d'aucun couvent. Un groupe de bêtes, de monstres sanguinaires qui ont l'audace d'affirmer que leurs gestes sont la volonté de la Déesse de la Lune.
Aux dernières nouvelles, ils étaient stationnés quelque part au sud de Lyra. Il y a quelques années, le Roi Ranera les a chassé à travers l'entièreté du royaume, tentant de les anéantir une fois pour toutes. Sans succès.
— Pourquoi t'en parler à toi ?
Il n'y a aucune méchanceté dans la question — juste une curiosité simple. Callum n'était pas le genre à attirer des confidences de la part de notre père.
— Il ne m'a rien dit à moi — il en a parlé à Roan. Je me trouvais juste dans les parages quand ils ont eu cette belle petite conversation.
— Callum !
Mon expression outrée l'amuse.
— Quoi ? S'ils voulaient garder ces informations secrètes, ils n'avaient qu'à pas avoir cette conversation dans un endroit où d'autres personnes pouvaient les entendre.
— Laisse-moi deviner: ils ont eu cette conversation au beau milieu d'un couloir ?
— Non, pas exactement. Ils étaient dans le bureau de père, et je faisais juste passé par là... Je n'ai pas pu m'empêcher d'entendre la conversation.
Je secoue ma tête, exaspérée. Un moment de silence s'impose entre nous. M'éclaircissant la gorge, je m'enquis d'une inquiétude qui ne m'a pas lâché depuis la mention de Lyra.
— Si les Farah commencent à venir ici, à Nejma, c'est sûrement parce qu'ils prévoient d'essayer d'envahir une énième fois.
— Et alors ? Lora, ils ont essayé d'envahir des centaines de fois.
— Ils sont assez une menace pour que les autres empires prennent des mesures de sécurité contre eux. Si père se rend jusqu'à Lyra, c'est sûrement—
— Élora Nejmel. Respire. Tu n'as pas à t'en faire, et tu le sais. Père ne part même pas une journée. Il sera revenu pour la Coronation demain au coucher du soleil. Si c'était aussi important, il passerait plus de temps à Lyra, tu ne penses pas ?
J'acquiesce, seulement à moitié convaincue.
La Coronation. Mon esprit est si préoccupé ces temps-ci que je l'ai presque oublié. Lorsque le dernier des sept héritiers d'un famille royal atteint la majorité, il est coutume de couronner le nouveau roi ou la nouvelle reine du royaume. J'aurais mes dix-huit ans demain et donc l'évènement se déroulera en fin de journée, même si je n'y assisterai pas puisque je serais déjà endormie.
La Coronation, en principe, n'a rien de compliqué. Dans la Salle du Trône, les sept héritiers se placent en une ligne horizontale, du plus âgé au plus jeune, devant l'ancien souverain et celui-ci choisi alors sa succession. Si un héritier est rejeté, on lui récite un texte sacré qui l'empêchera à jamais de s'asseoir sur le trône.
La cérémonie se fait toujours une première fois au coucher du soleil dans l'intimité de la famille royale, et puis une seconde fois à la vue de tout le royaume le lendemain matin.
Mais la cérémonie représente plus un respect de notre culture qu'autre chose. Aucun souverain n'a choisi une succession autre que l'aîné de la fratrie depuis des siècles. Ainsi, tout le royaume est déjà au courant que, demain, Roan sera couronné. Étant le plus âgé, il a été éduqué depuis sa naissance pour être en mesure de remplir parfaitement son futur rôle.
— Allez, s'exclame Callum, manquant de me faire sursauter à nouveau. On ne veut pas faire attendre père.
Mon frère se lève et je suis son mouvement. Mes jambes tremblotent légèrement sous moi, supportant difficilement mon poids. Je tente d'avancer d'un pas au moment même où mes genoux cèdent et— tombe. Callum me rattrape de justesse, et me soulève avec aisance, me prenant dans ses bras avant de se diriger vers les bureaux de père. Il ne fait pas de commentaire et je lui en suis plus que reconnaissante.
Il y a des jours où personne ne pourrait deviner que j'étais malade. Des jours où moi-même je doutais être atteinte de quoique ce soit. Et puis il y d'autres jours où je peux à peine me tenir sur mes deux jambes, où même respirer me devient douloureux.
Aujourd'hui est une de ces journées là.
Tournant dans un couloir, nous croisons un garde qui se propose à m'amener lui-même jusqu'à père. Le garde prend la relève de Callum, passant ses bras sous moi pour me transporter. Il y a longtemps que j'ai cessé de me sentir embrassée par ce genre de choses. Me sentir honteuse n'aurait rien changer à ma condition. Et puis, je pouvais penser à plusieurs choses pires que de se faire transporter dans les bras musclés des gardes du château.
Mon esprit ne dérive pas de nouveau vers ma malédiction alors que le garde m'apporte jusqu'aux appartements de mon père.
Il me faut un certain temps pour me rendre compte que l'intervention de Callum, qu'il le sache ou non, m'a empêché de sombrer dans la mélancolie.
Merci d'avoir lu le premier chapitre de Queen Of Ruins! L'histoire commence un peu doucement, mais ne vous inquiétez pas, on rentre dans l'action dès le prochain chapitre. Je suis un peu incertaine concernant ce chapitre: je suis restée éveillée jusqu'à tard dans la nuit pour en finaliser l'écriture, et je n'ai pas eu la force de le relire au complet — s'il vous plaît, si vous remarquez des fautes ou des incohérences, signalez-les!
Que pensez-vous d'Élora? Comment trouvez-vous son personnage?
Quels sont vos avis sur les relations d'Élora avec Callum, son frère?
Le prochain chapitre devrait arriver dans le début de la semaine prochaine. En attendant, je vous dit à la prochaine ^^
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