PARTIE II
L'âme s'apaise, le vacarme des songes succombe au récital du silence. Plus aucune vague n'arrive à m'inonder, je sors l'esprit de l'eau. Je n'entends plus que les chants inertes de la nuit, les soupirs lointains des nébuleuses. Seuls les bruissements éphémères du noroît ponctuent ce néant de douceur. L'aquilon sillonne le néant, puis chancelle dans les flots bariolés du cours d'eau. Ses parfums glaciaux fredonnent le ciel et s'évanouissent dans l'abîme, bercés d'ondes et chamarrés de couleurs. L'ouragan s'estompe, la tempête se morfond dans les bras cérulés de la clémente Seine. Il ne reste que l'éclat pinchard des étoiles pour carillonner dans le noir.
Mais voilà que tout recommence. Mon crâne abrite la plus impétueuse des galernes. Les coulées translucides de mon âme s'écument d'un lin de nacre et commencent à s'étioler du manque de lumière. Les flots apaisés ne sont plus qu'acerbes grondements, les volutes des ondes déferlent dans mon esprit et tambourinent sur la paroi de mon front. L'océan s'agite et me domine, je coule. En moi, c'est un véritable chaos, mes angoisses sont comme un linceul à mes pensées. Les brumes de mes songes perdent pied dans leur propre mer, mon esprit se débat mais ne remonte plus à la surface, il sombre dans les abysses de ses chimères. Mon âme est en noyade constante, les torrents de mes fabulations me submergent. Mes craintes nourrissent l'albâtre des écueils à la surface de mes pensées diluviennes, l'olympe s'assombrit puis s'éloigne des précipices de mon esprit. Plus aucun de mes rêves ne verra les étoiles, plus aucun de mes soupirs ne pourra embrasser les orbes coruscantes de l'empyrée si mon propre ciel se dépare de lumière.
Alors je choisis de nager, de fendre mes pénombres pour goûter aux molles clartés de la nuit. Mes pensées lumineuses brassent l'opaline de mes peurs et se fraient un chemin vers la surface de mes doutes. Mon âme brille à nouveau de tout son éclat doré, l'espoir se propage jusque dans les sombres cavernes de mes tenaces brouillards. Mais l'ambre reste prisonnière de l'ombre, la tempête déchire l'océan et mes blêmes lueurs sont ballottées par la violence des courants.
Je discerne les brandons d'autres flambeaux se joindre aux blondes perles de mon âme. Leurs crépitements me semblent de familières cavatines, de charmantes mélodies chamoises si plaisantes à mes songeries. Les chants merveilleux plongent au plus profond de la mer déchaînée pour atteindre mon buste. Leurs flammes d'aurore viennent fredonner l'amour à mon cœur et bientôt, ses pulsations s'accordent aux vibrations des vagues. Je sens ma poitrine s'embraser et me brûler. Une ferveur alouvie sillonne mes veines et me consume la peau, je suis sous son emprise. Je la laisse m'enivrer de sa délicieuse chaleur, ses bourrasques fleurissent mon corps de prairies amarantes, de vastes champs de roses bourgeonnent ma nuque ardente. Une myriade de pétales écarlates s'envole dans le sillage des alizés de mon cœur, puis pénètre mon esprit et ses brumes d'ivoire. Les nuées d'aniline se consument en flocons de platine, la pluie de cendres s'épanche dans une mare d'or et de grenat qui prend possession de mon âme.
Le déluge s'arrête, les flots se retirent et laissent paraître de verdoyants coteaux gorgés de mes vagues à l'âme. Les alpages de mon être s'émaillent de rouges brillances, de ponceaux et de rosiers aussi vermeils que la tombée du jour. Les panaches d'étain s'effrangent au sein de mes limbes, l'éden s'offre désormais à mes songes. Les fauves lueurs de la nuit ne m'ont jamais paru si pures, abondantes de comètes et denses de bouquets d'étoiles. Les saintes lumières me submergent d'une douce mélancolie et je me surprends à m'alanguir devant ces fleurs blanches de l'univers. Les constellations me sourient, mais les ailes me manquent pour aller rire avec elles. Je me sens comme un miraculé de la mer, mais un naufragé du ciel.
« Enfin de retour sur terre, jeune matelot ? », plaisante le fleuve, néanmoins inquiet.
Ses paroles me parviennent comme une main tendue pour m'extirper des eaux. Je la saisis tant bien que mal, manquant de vaciller dans mes propres pensées, mais je suis à présent sauvé. J'ai trouvé une terre à mon océan sans fin. Si l'on désire les cieux depuis les abysses de l'océan, j'imagine que poser un pied à terre est une étape de l'ascension.
« L'odyssée a été périlleuse, réponds-je, mais j'ai bravé la tempête, enfin je crois. »
Mon visage garde les séquelles de mon ouragan, mes cheveux se dressent en bataille, mon front perle de sueur, mes joues se teignent d'incarnat, mes yeux bouillonnent autant que les vagues de la Seine. Je parais tout droit venu d'un autre monde.
Mes regards sondent l'intensité de la nuit et de ses empyrées d'ébène. Le contraste entre la brune placidité du firmament et les ténébreux orages de mon esprit est saisissant. Pas une once d'argenté dans le ciel, les nuages ont dépeuplé la sorgue. Seul un drap laiteux, une chimère éburnéenne couvre l'encoignure de la voûte céleste. Je crois percevoir les faisceaux d'une luisance sous cette couronne nébuleuse, sans doute l'éclat d'un astre, la lune. Seraient-ce tes rayons, beau luminaire des heures obscures, qui m'ont sauvé de la noyade ?
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