1
En effet, c'était pouilleux ici. Rues sales de pauvres ou trop faiblards pour travailler, ils rampaient par terre à mendier quelques sous, de quoi survivre. Certains arrivant à attraper les chevilles des plus robustes ou des indemnes de châtiment corporel, ils les regardaient, la peine dans le regard avant de s'écarter et de tracer leurs routes.
Et puis l'odeur, n'en parlons pas. Je peinais à garder un visage impassible, pour ne pas paraitre trop louche parmi les habitants du village. Quel était son nom déjà ? Ignoble ville ? J'allais l'appeler comme ça. Les trognons de pommes par terre, des fruits entamés et laissés à l'abandon que les oiseaux ou fourmis dégustaient, eux aussi affamés.
Le brouhaha, notons bien le brouhaha excédent de la rue marchande. Typique d'un marché mais dont les voix éraillées m'agressaient les oreilles. Parfois, je regrettais d'avoir eu don d'une bonne ouïe et d'un odorat affuté. C'était fort regrettable en sentant certaines personnes qui ne prenaient pas le peine de s'isoler pour faire leurs besoins, contrairement à la capitale ou dans la ville voisine. Ils empestaient la pisse et les déjections, là je fronçais du nez, c'était trop insupportable.
Le seul point positif de ce village grotesque et minable, c'était les échoppes visibles et ouvertes à peine mon regard s'échappait du marché à peine peuplé de personnes ayant les moyens de s'acheter le strict minimum : la nourriture. En fait, c'était les seuls stands marchands qui accueillaient des gens d'ici, les autres se faisaient accostés par les nobles du village d'à côté.
N'ayant pas envie de dépenser des milles et des cents dans un objet, dit précieux, dans leur village, ils venaient ici pour obtenir plus et moins cher. Ils se reconnaissaient comme le nez au milieu du visage : vêtus de leurs vêtements couteux et distingués, ils détonnaient de part leurs couleurs clairs et chatoyantes. Du bleu par-ci, rose par-là, seuls les cheveux de certains étaient foncés.
Et puis leurs regards, n'en parlons pas, méprisants au plus haut point. Ils grimaçaient en passant trop près d'une personne de rang inférieur et couverte de crasses, n'ayant pas les moyens de se procurés de l'eau à tout bout de champs. Rares étaient les âmes assez naïves pour complimenter leurs apparences. Leurs réponses : ils ricanaient entre eux avant de reluqués ladite personne et de s'en aller en rigolant de leurs dédains.
Je critiquais, mais j'étais devenu comme eux. Dédaigneux. Il y avait de quoi, j'étais beau et immortel, rien ne pouvait m'atteindre et encore moins le fléau de l'humanité : la maladie. Ça me faisait rire de les voir s'affaiblir à vue d'oeil, jusqu'à la peau sur les os, les yeux globuleux. Ils ne ressemblaient à rien alors que je brillais de beauté. N'était-ce pas satisfaisant ? Moi, j'y croyais dur comme fer.
J'avais coupé mes cheveux, le mois dernier. La tignasse courte au dessus de ma nuque, je sentais chaque souffle du vent venir me soulever la base de mes tiffes. Et le blond de mes mèches resplendissaient au soleil. Comme aujourd'hui. Je ressemblais à de l'or, entendis-je sur ma droite en dépassant un stand miteux. J'avais souris en coin. je valais plus que de l'or, mais j'admettais que la couleur était de bon goût.
On me regardait passer, parce qu'on ne m'avait jamais vu. On me détaillait pour se rappeler du seul noble bien toiletté qui portait du noir aujourd'hui. Pas que ce soit ma couleur de prédilection, mais c'était une teinte qui ne se tâchait pas. Le seul détail qui détonnait, c'était ma bague de lune. Vide de magie, à tout moment je pouvais cramer jusqu'à l'os. Alors le temps me pressait un peu à ne pas m'attarder à contempler l'immondité des lieux.
En fait, je ne trouvais pas mon marchand. Son stand était pourtant voyant, mais aujourd'hui je ne le voyais pas. Je l'avais rencontré, l'année dernière, en début d'année pour l'achat primordial de ma protection d'immortel. Foutue calamité, j'étais obligé de porter une foutue bague sertie d'une pierre rare et couteuse pour rester dans le monde hilarant des mortels.
J'avais favorisé la pierre de lune, transparente et se trouvant en haut des montagnes du Nord, elle valait une petite fortune mais sa dose de magie s'évaporait trop vite comparé au rubis. Si le rubis était destiné aux gens comme moi, la pierre de lune, c'était pour les sorcières. Ces maudits monstres avaient le monopole de ses vertus et ça me rendait vert, plus que quand je n'avais pas mangé.
J'avais espoir, qu'aujourd'hui enfin, je mettrais la main sur un vrai rubis, une vraie pierre de protection et pas un toc de la même couleur, que les marchands escrocs vendaient à prix coutant. C'était limite s'ils ne demandaient pas le contrat de la vente de son âme en échange. Je n'en avais jamais fait l'acquisition pour la simple et bonne raison que le toc, ça ne fonctionnait pas sur nous. Mais ça ravissait les humains qui n'y connaissaient rien.
En tout cas, j'avais l'information d'une source sûre que le marchand en question avait cette véritable pierre. Couleur sang vif et pas pourpre comme les fausses. Sauf que le trouver était comme chercher une goutte de sang dans du vin, c'était pratiquement impossible. Il y avait trop de brouhaha et d'odeur pour me fier à mes sens. Ils étaient aussi inutiles que les chasseurs avec leurs vieilles balles en bronze.
Et j'étais irrité, je n'avais pas mangé depuis une semaine. Mon coeur glacé me hurlait famine et ça faisait des jours que je l'ignorais. Les vaches du coin n'étaient pas assez appétissantes pour que j'y puisse me nourrir d'une. Et c'était hors de question que j'approche un loup. Autant que je mordille un os puant et moisie, ça revenait au même. C'était ignoble et l'idée me donnait envie de vomir.
J'avançais plus par empressement de ne pas me prendre les rayons du soleil en pleine face et devenir une torche humaine, que par envie de trouver un sorcier de pacotille qui me vendrait ma pierre à un prix exorbitant. J'avais une dette sur la conscience et ça m'agaçait encore plus.
Ce fut presque un miracle qu'après de longues interminables minutes de marches, je tombe enfin sur l'odeur escomptée : celle des herbes brûlées pour se protéger des autres. J'aurais presque béni ces maudits magiciens si j'avais été encore apte à aller dans une église sans avoir l'impression de me recevoir des coeur d'aiguilles faites d'eau bénite qui me transperçaient.
J'avais immédiatement tourné la tête sur ma gauche, là où un stand sombre se tenait devant une taverne au logo de coyote. C'était bien ma veine en constatant que personne n'était devant. Ce n'était pas bien difficile de comprendre pourquoi, l'enchantement à l'entrée éloignait par instinct les humains. Deux petits luminaires brûlant des sortes d'encens qui m'agressaient agréablement le nez, comparée à l'odeur de crasses des gens. Au fond je souriais. Enfin une odeur de mon monde.
En m'approchant, j'avais remarqué la fleur séchée accrochée à la branche soutenant une petite bâche, j'en aurais presque souris. Un druide ? On ne me l'avait pas dis, ça. Les mains dans le dos, le torse trop bombé pour être respectueux du vendeur, je m'avançais immédiatement vers la petite table dressée pour la vente. Une sorte de tissu velvet protégeait une table de fortune en bois tendre, typique de chez eux. Une braise sur cette matière et tout partait en fumée. Idéal pour fuir les humains ingrats qui voulaient leurs morts car terrorisés de leurs dons.
Ce fut un homme d'une quarantaine d'année qui avait relevé la tête vers moi, un monocle sur l'oeil gauche, ils avaient les yeux d'un bleu profond qui me rappelait la nuit, une de celle d'été. Il était modestement habillé, comparé aux fortunés dans les environs. Une chemise brune à peine lacée sur le haut de son buste, une portait tout de même un gros collier avec une petite bourse opaque de cuir, qui cachait surement une énumère protection anti nous.
"- Enfant de la nuit, me saluait-il sans bonté de coeur, le regard droit.
- Anatol le sorcier, nommais-je de par ma source."
Je n'y fus pas invité, mais j'avais quand même posé à plat mes mains sur la table. Une exigence de leurs espèces pour montrer qu'on ne leur ferait pas de mal. Il ne détendit pas ses traits pour autant. Après tout, j'étais un nouveau né, assez jeune qui plus est, j'étais à ses yeux instables et potentiellement dangereux pour sa sécurité. Bien que vivant vieux, les sorciers n'étaient pas très robuste s'ils se faisaient malencontreusement mordre.
L'idée m'était passée par la tête, histoire d'obtenir mon précieux bien sans avoir à payer. Mais les deux raisons principales m'en avaient empêcher bien rapidement : il prenait sûrement du poison régulièrement, donc son sang devait être fatal. Et il avait très certainement enchanté les pierres qu'il vendait au cas où il lui arriverait quelque chose. Et je refusais de mourir, d'où ma présence ici.
"- J'ai entendu les rumeurs, commençais-je d'un ton léger.
- Je sais pour quoi tu viens, fils de démon."
L'appellation m'allait droit au coeur. C'était si gentiment dit. Avec ses sourcils froncés et son air grave, il le pensait sincèrement.
"- Bien, je n'aurais donc pas à expliquer le pourquoi du comment, soupirais-je de soulagement."
Ce n'était pas ma partie préférée puis il m'avait vu venir. En fouillant dans la poche intérieur de ma veste en velours, j'avais remarqué son regard se poser sur mes mains et poignets. Il était attentif.
En sortant une bourse de soie étonnement plus blanche que ma peau, il avait émit un petit rire. Je ne l'écoutais tout de même pas et présentait mon offre :
"- Cent de sous, une fortune volée à une comtesse à la capitale, une émeraude de par delà la mer, obtenue d'un de mon espèce à qui j'avais échangé la vie d'une femme en pleine fleur de l'âge, et de la sauge de fée."
Rare de nos jours, j'avais vu son étonnement à la vue de la poudre ambrée. Il avait frôlé les offrandes avant que je ne les reprennent à la vitesse de l'éclair. Un marché était un marché que lorsque j'aurais vu le bijou en question. Il prit quelques secondes à se figer avant de se redresser pour mieux présenter. Le visage dur, il n'a manifestement pas aimé que je le tire de sa soudaine contemplation. Pourtant il savait que je ne pouvais pas mentir sur mes biens à offrir. Tout simplement parce que je ne pouvais pas toucher la sauge de fée sans en perdre ma main et sa fonction. D'où le fait qu'elle soit protégée dans un petit filet à long cordon, très pratique à attraper dans ce genre de situation.
Je ne m'avancerais de toute façon pas sur un terrain si glissant avec lui. Il avait vu mon visage et pouvait à tout moment me jeter un sort minable et encombrant parce que son égo avait été touché. Je voulais une vie de penard, en dehors de mon boulot à temps partiel d'armier, je désirais profiter de mon immortalité. Et pas en étant maudit par je ne sais quel ensorcellement.
Un sourire en coin, je me penche de nouveau, sûr de mon coup.
"- Je veux la voir."
Il semblait hésité. Après tout, je n'étais venu ici que sa la base de rumeur balancée par un de mes congénères. Mon créateur qui plus est, je ne remettais clairement pas en doute ses dires.
Résigné, fixant ma bourse en essayant d'être discret, il finit par fouillé dans une de ses caisses sous le table. Caisses que personne ne pouvait voir à cause du tissu.
Et moi je commençais à sentir les derniers effets protecteurs de ma pierre s'évaporer à mesure que les secondes passaient. Même à travers la bâche, les rayons lumineux du soleil chatouillait ma peau. J'étais certes protéger mais je ne tarderais pas dix minutes à devenir écrevisse.
Anatol ouvrit une petite boite de cuir on ne peut plus simple, simplement fermé d'un cordon de fil, trop foncé pour ne pas avoir été baigné dans je ne savais trop quoi. Il me fit donc découvrir une chevalière de son sceau, égo de sorcier, qui portait fièrement la pierre en son centre. Le sceau étant directement gravé dans la pierre vive du rubis, de l'or avait été coulé ça et là pour maintenir le joyaux sur la base d'or. À vue d'oeil, je savais qu'elle avait été créée pour mon doigt. Après tout, chaque immortel normalement constitué avait l'intelligence de se procurer du rubis au plus vite. Mais les rumeurs circulaient et je ne voulais prendre aucun risque.
Bien qu'ayant une vue impeccable, je me rapprochais doucement pour observer le précieux bijoux. Bien que je ne porte pas son espèce dans mon coeur, il fallait avouer qu'Anatol était doué. Le travail était de qualité. Et la couleur ne trompait pas, je le sentais. C'était un rubis, un vrai.
Voulant sembler détaché, je m'écartais en haussant les épaules.
"- Pas mal, c'est effectivement ce dont on m'a parlé.
- Vous semblez peu connaisseur en la matière, remarquait-il.
- Détrompez-vous, posant ma somme sur la table, gardant une main dessus, on m'a très bien renseigné."
Evidemment que je n'étais pas fin connaisseur, j'en entendais des vertes et des pas mûres depuis que j'étais né. Je ne voulais pas me faire arnaqué alors je suivais les conseils de mon créateur à la lettre. Il m'avait certes déconseillé la pierre de lune pour son essoufflement rapide mais s'était quand même précipité à me parler d'Anatol de retour au pays.
D'après mon informateur, la pierre proviendrait d'une île perdue dans le monde, au large de toutes côtes et que son obtention était dangereuse et presque impossible. Et je lui faisais confiance les yeux fermés.
"- Avons-nous un deal ?, parce que mon temps pressait.
- Hum, plissant les yeux, je veux la pierre en plus, désignant mon bijoux à bout de souffle sur mon annulaire.
- Ce vieux machin ? C'est aussi poussiéreux que les gens ici, perplexe qu'il me la demande tout de même, je me doutais qu'il sentait qu'elle était à vide."
Mais il ne dit rien de plus, attendant que je me décide. Or j'avais vraiment besoin de cette bague d'urgence. Et vu l'agitation soudaine qui commençait à naitre dehors, je préférais partir au plus vite avant que ce vieux sorcier ne se fasse attraper, avec moi en plus. Je n'avais pas enviée subir des questions bancales du commun des mortels qui m'agaceraient plus qu'elles ne m'amuseraient à ce moment précis.
Je roulais des yeux, enlevant mon précédent bijoux de mon doigt pour la poser sur la table et regarder bien droit dans les yeux du marchand.
"- Deal ?
- Deal, posant la boite du rubis devant moi."
Soulagé de ne plus avoir à me soucier de si j'allais prendre feu ou non dans les secondes qui viendraient, je récupérais la bague pour le passer à mon annulaire, place de la pierre de lune précédemment.
Quel bonheur de ne plus sentir les picotements désagréables sur ma peau, cette sensation désagréable de ma peau qui se désintégrait. Je me sentais enfin apaisé. Je souris de soulagement en regardant de nouveau le vendeur.
"- Ce fut un plaisir de marchander avec vous, Anatol.
- Vous connaissez les conditions."
Ne pas répéter son nom, se faire discret, ne pas énumérer la somme donnée. La routine d'un deal avec un sorcier quoi. J'avais de la parole, malgré mon âge.
"- Bien évidemment, le toisant quelques instants avant de me détourner."
Les cris dans la rue devenaient de plus en plus proche. Comme partout, ça criait au voleur. Encore un pauvre qui ne payait pas marchandise et qui courait jusqu'à où menait ses jambes. Quelles sont les sanctions ici ? La prison ? Se faire fouetter en place publique ? Une exécution au petit matin ? De toute façon je ne resterais pas la soirée même pour le savoir. Si je pouvais bénéficier du mouvement de foule afin de m'éclipsèrent vite fait, ça serait parfait.
"- Il y a du grabuge dehors, tonna la voix sourde du sorcier derrière moi."
Signifiant 'je ne veux qu'on nous voit ensemble ou qu'on ait a faire ensemble'. Je m'étais à peine arrêté pour tourner mon visage vers lui, lui servant mon meilleur sourire. Maintenant que j'avais ma protection à vie, je n'aurais plus besoin de me souvenir de qu'il était. Son nom était comme déjà effacé de ma mémoire.
"- On crie au voleur."
Avant de sortir du stand, les mains dans les poches, mon pouce touchant de manière rassurante mon nouveau bijou. En rencontrant le soleil, j'eus presque un soupire de plaisir de sentir sa chaleur sans avoir peur de son naturel meurtrier. Je dis bien presque puisqu'en entendant les cris sur ma droite, j'avais tourné la tête vers la voix désagréable d'une femme qui hurlait :
"- Au voleur ! Arrêtez-le ! Au voleur !"
A s'en détruire la voix. Quelle voix insupportable. Mais ce n'était pas ça qui m'avait coupé dans ma satisfaction de savoir que j'allais pouvoir profiter à 100% de mon immortalité. C'était bien mes yeux qui avaient croisé le profil surprenant d'un jeune homme, couvert de crasse sur ses joues, les habits déchirés et sales au possible. Il courait les cheveux aux vents, d'une longueur qu'on ne connaissait qu'aux nobles. Il avait l'air aussi désespéré que déterminé à courir jusqu'à plus de souffle afin de s'échapper et de profiter de son maigre butin de voleur : un pain de farine noir. Ignoble au gout mais la seule chose vraiment consistante dans tout ce que ces gens vendaient ici.
J'eus un trop plein d'émotions qui me fit reculer devant un humain, pour la première fois. Et même si je ne comprenais pas tout, je fus persuadé d'une chose : il ne fallait pas le laisser filer.
Je n'intervenais jamais dans ce genre de situation en général, ce n'était pas mes affaires. Et pourtant, c'était à lui que je faisais un croche-patte suspect pour les humains. C'était bien lui qui je voyais s'écrouler lourdement sur le sol, laissant s'échapper son bien sur les mètres qui suivaient.
J'étais fort intrigué au point où je m'étais légèrement avancé vers le garçon, surement blessé de sa chute sur les dalles.
"- Un voleur, je n'en ai jamais eu de ceux-là, chuchotais-je comme pour moi-même."
En temps normal, j'envoyais des nobles, de bons gênes, ou encore des pseudos héros à ce qu'on me commandait. Mais jamais de crasseux voleur qui courrait une rue miteuse.
"- Attrapez-le avant qu'il ne s'enfuit !, hurlait la même voix désagréable que tout à l'heure."
Effectivement, il avait prévu de prendre la fuite. Mais, comme mon instinct ne voulait définitivement pas le laisser partir, je lui écrasais la jambe gauche avant qu'il n'ait pu se relever. D'humeur courtoise, j'étais fort curieux, je ne mis pas toute ma force, mais assez pour qu'il se retourne et essaye d'enlever mon pied. Vu l'acharnement qu'il y mettait, il priait surement intérieurement pour que je le laisse filer.
"- Par pitié, lâchez-moi, tirant sur ma cheville de toutes ses forces."
La marchande n'était pas encore arrivée à notre hauteur et j'eus l'impression que le temps s'était figé. Je n'avais jamais vu pareil visage. Ô comme j'aurais pleuré de joie d'avoir une si bonne vue maintenant. Ce garçon, bien que pauvre, voleur, crasseux et sale sur lui, était d'une beauté infinie. Je ne voyais pas le couleur de ses yeux, mais je n'en avais pas besoin. Je n'avais jamais vu un si bel humain. Me voilà maintenant sous le charme de ma bouffe, quel étrange sentiment me parcourait, ce n'était pas normal.
Le fait qu'il se débatte autant me fit mal au coeur. Parce qu'il voulait vraiment s'enfuir avant se faire prendre et subir le châtiment des voleurs.
Et je me surpris à dire quelque chose qui ne me ressemble pas :
"- Désolé, mais je ne peux pas te voir disparaitre."
La prochaine fois, je tournerais sept fois ma langue dans ma bouche avant de dire tout haut ce qui me passe en pleine tête. Le regard mauvais qu'il me lançait me glaçait presque plus le sang que condition d'immortel actuel. Mais je n'arriverais pas à me résoudre à enlever mon pieds. Pas juste avant que la femme, arrivant en trombe, ne déboule en me bousculant à moitié. Je l'aurais bien regardé de travers mais je restais fixé sur le garçon qui n'abandonnait toujours pas la bataille.
"- Sale petit garnement, le réprimandait la femme en époussetant sa jupe couverte d'un tablier en piteux état, ton père ne sera pas fier de toi.
- Vous savez que je vous aurais remboursé plus tard, se justifiait-il en enfonçant ses ongles à travers mes chaussettes de laine."
Il devrait peut-être couper ses griffes, il me ferait presque mal. Et pourtant, ce simple geste me hurlait bien que c'était réel, que je n'étais pas en train de somnoler après avoir vidé de son sang une pauvre victime en fin de vie. Ce garçon était bien réel, sa voix était bien audible et sa lutte n'était pas le fruit de mon imagination.
"- Mais tu m'as volé, et tu vas payer pour avoir gâché un pain, le menaçait-elle en se baissant pour attraper avec force son bras."
Ce fut à ce moment-là que j'avais enlevé mon pieds, constatant avec dépit que j'avais marqué son vêtement déjà délabré. Allez savoir comment, je restais impassible extérieurement. Je le toisais toujours en me décalant alors que l'adulte s'excusait par mille mots du comportement importuneur du garçon et que ça ne se reproduirait plus. Lui, grimaçait de la poigne douloureuse de la dame qui se confondait en bredouillant. Je le regardais à peine, elle ne m'intéressait guère. Même son sang ne sentait pas bon. En revanche lui, avait une odeur divine et une visage d'ange. Quelle ironie de trouver un mortel si charismatique. Et quelle gâchie qu'il soit si salie et en piteux état.
Ce fut quand il relevait les yeux vers l'adulte que je vis enfin ses yeux. D'un marron des pins de sapins, ceux qui tombaient en plein automne et avec lesquels les enfants jouaient jusqu'à pas d'heure. Certains les collectionnaient, abordant toutes les teintes de brun qu'il trouvait, les cachant sous leurs lits de fortunes pour que leurs parents ne les jettent pas dehors. C'était de ce bistre qui nuançait les feuilles avant qu'elles ne tombent sur la poussière des chemins de terre, dans l'herbe verte foncé d'un manque de soleil crucial. La plus belle teinte de châtaigne qui puisse exister en ce bas monde.
Tant que j'en fus sans voix lorsqu'elle l'obligea, d'une tape derrière la tête, à s'excuser oralement à mon égard pour m'avoir importuné de ces bêtises. Il venait de tourner ses yeux vers moi, et je ne sus même plus comment penser. Où j'étais, qui j'étais, ce que je faisais, pourquoi il me regardait déjà ?
Au lieu de respecter les plus hauts placés de naissance, comme la courtoisie le ferait de s'excuser en amplifiant ses mots, il me dévisageait comme s'il avait vu la pire personne au monde avant de se reculer, un rictus de dégout sur le coin des lèvres et de cracher sur mes chaussures. Autant dire que l'aura de blanc merveilleux qui l'entourait avait vite disparu. Il venait de salir les précieuses chaussures que mon créateur m'avait offert le jour de mon réveil, un porte bonheur.
Choqué de son comportement irrespectueux, je ne pus que baisser la tête pour y voir la bave moche de sa salive dégouliner le long des coutures couteuses. Il pouvait certes me griffer, mal me regarder, mais je n'acceptais pas qu'il ruine les cadeaux de mon frère. Pris d'une colère démesurée et sortie de nulle part, je venais de leur sur lui. Frappant sa joue du revers de sa main alors que les réprimandes incessantes de la femme se faisait entendre depuis une bonne minute.
Le silence s'était fait autour de nous, mais le prie avait été le regret que j'avais instantanément eu juste après que ma main ait claqué son si beau visage. Je venais de le violenter sans aucune raison apparente. Dans l'histoire, c'était plutôt à lui de m'en vouloir. Je lui avais fait un croche-pieds, écrasé sa pauvre cuisse, obligé à se faire enguirlander par l'agaçante marchande de fortune, et c'était pourtant bien moins qui venait de le gifler. Mon ancien moi en aurait vomi pour sûr.
Il était resté quelques instants à regarder le sol, désabusé de mon action avant de tourner le regard le plus noir que je n'ai jamais vu. Je m'imaginais qu'il m'avait assassiné d'au moins trois manière douloureuse pour les humains, dans son esprit.
D'abord tous confus, personne n'avait réagi, dis quelque chose ou bien bougé. Même les nobles s'étaient stoppés pour observer la scène. Une femme avait pouffé, se disant que j'avais bien fait tandis qu'une autre s'était bloquée la bouche avant de hurler de choc. Mon action n'avait pas fait l'unanimité et pourtant la marchande de pain s'était baissé presque au sol pour s'excuser de son corps, courbant l'échine comme devant un seigneur puissant, ce que j'aurais pu être théoriquement, obligeant le garçon à faire de même. Si son corps était contraint à se baisser, pas sa tête. Il ne m'avait pas lâcher une seconde du regard au point où j'en frissonnais.
Et pourtant, je restais toujours aussi impassible. Parce qu'au fond, je ne savais pas comment réagir. Or lui, avait bien envie de me faire la peau.
"- Il sera sévèrement puni, vous avez ma parole, me promis bêtement la femme.
- Comme ?, demandais-je, le torse trop bombé parce que j'avais peu qu'il finisse décapité pour toutes ses bêtises."
Perplexe que je demande une chose qui ne me regardait pas. En temps normal, les nobles se préoccupaient guère du sort des misérables dans son genre, et pourtant j'avais quand même posé la question à voix haute.
J'avais tourné lentement mon regard vers elle, voulant lui faire du charme de souverain pour qu'elle n'ait pas à répondre tout de suite et que je continue. Je n'avais pas envie de le voir mourir maintenant, c'était un fait.
"- N'a-t'il pas déjà été assez humilié ?, haussant les sourcils alors que déjà certains quittait la scène pour reprendre leurs vies, ne le châtier par plus pour si peu."
Espérant que ça suffise, j'avais commencé à me détourner pour reprendre ma route. J'avais du chemin à fair avant de retourner enfin chez moi. Quoi que maintenant, les calèches ne m'étaient plus insupportables en journée.
"- Mais, il vous..., essayait-elle de contester."
Pour toute réponse j'avais lancé, par dessus mon épaule, une bourse de tissu comportant plus que le prix du pain, j'en était certain, mais qui représentait mes dernières économies pour venir et repartir.
"- Laissez-le apprendre de ses erreurs."
Les nobles qui me regardaient devaient me trouver beaucoup trop clément pour l'impolitesse et l'insolence dont il avait fait preuve. Certes je ne méritais pas de me faire cracher dessus, et qu'il ne recommence pas à l'avenir parce que les autres ne seront pas de si bonne humeur que moi. Mais lui ne méritait pas de perdre sa tête juste parce qu'il avait essayé de nourrir dans une période surement difficile.
Cette réflexion là aussi, je ne la comprenais pas. Et pourtant, c'était bien celle-ci que j'avais en tête en tournant dans la rue plus loin pour me rendre dans une taverne, afin de récolter des informations sur les prochains transports pour la capitale.
Je me sentais épié, surement que le jeune homme me dévisageait à m'en vouloir encore, mais je ne m'étais pas retourné, parce que je l'aurais certainement retiré des griffes de la femme. Ailleurs, je touchais distraitement ma nouvelle protection, repensant que j'aurais aimé gardé mes chaussures intactes.
Et dire que je venais de sauvé la peau de ma prochaine victime. Parce qu'à y réfléchir, oui j'aurais du le laisser mourir, on me l'avait dit. Le message était clair, c'était lui la prochaine âme à tuer.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro