Chapitre 5
Sans connaître ton prénom, je t'ai recroisée. Sans entendre ta voix, je t'ai écoutée.
Le vent souffle dans mes cheveux tandis que je rentre chez mon père. Le soleil commence doucement à taper et je regrette de ne pas avoir pris mes lunettes avant de partir. Les odeurs de fleurs compensent la chaleur qui brûle dans mes joues. Finalement, je sens que je vais me plaire ici. Quand j'aurais obtenu des réponses ou que j'aurais appris à oublier. Mais est-ce que je suis vraiment prête à effacer sept d'absence en quelques jours ? La rancune est poison, mais le pardon se mérite quand la naïveté est un piège. Mon père fait des efforts, ça je ne peux le nier, mais sont-ils réels et durables ? Cette situation me tourmente et me perturbe. Les signes sont contraires ; et les souvenirs heureux sont-ils plus forts que ceux douloureux ? Là, maintenant, je ne sais pas quoi en penser. Alors j'attrape ma patience et je laisse le temps faire son effet.
— Alors, cette balade ? me demande mon père en me voyant ranger son vélo devant le garage, ne sachant pas où je dois le déposer.
— Je suis juste allée chercher du pain.
Il s'approche de moi, et dépose un baiser sur mon front avant même que je ne puisse reculer. Un frisson parcourt mon échine, alors que des réminiscences s'emparent de mes pensées.
— Tout va bien ?
Je secoue la tête pour chasser les images de mon enfance où il m'embrassait avant que j'aille dormir.
— Je vais déposer le pain dans la cuisine.
Il arque un sourcil sans un mot et je me sauve avant de devoir faire face à des larmes ou de la colère. Je suis vraiment confuse. Si je peux pardonner à Helynnah et Maëlys leur innocence, que dois-je faire avec mon père ? Elles n'ont rien fait : elles demandent seulement à me connaître, et j'admets que ma curiosité veut le faire aussi. Mais il nous a abandonnées, du jour au lendemain, sans prévenir. Si au début j'avais des sms, ce n'est pas pour autant qu'il est venu me voir pour m'expliquer. Ma mère a dû le faire à sa place, alors que ce n'était pas son rôle de m'annoncer que mon père nous quittait pour une autre femme. Dans les messages qu'il m'envoyait, avant qu'il ne cesse de le faire, on parlait de moi, jamais de lui ou de son départ. Aujourd'hui encore, j'attends des explications, des réponses ou juste des excuses. Je pense qu'un simple « je suis désolé » suffirait à me faire changer d'avis. Si peu pour tant de temps, mais pourtant tellement d'importance. Je crois que ça me permettrait de faire la paix avec mon cœur. Bien sûr, un « pardon » sans plus est limite, mais une autre question se pose : est-ce que je suis prête à entendre sa version des faits ?
— Cassie ! s'exclame la petite voix de Maëlys quand je pénètre dans la cuisine. Tu m'aides à faire un gâteau pour midi ? Maman a dit que je pouvais en faire un si tu voulais bien.
Helynnah, qui arrive, me confirme les dires de sa fille d'un mouvement de tête. Je m'agenouille au niveau de ma demi-sœur et lui souris.
— Tu veux le faire à quoi ton gâteau ?
Plutôt que de me répondre par un nom de parfum, elle lâche un long « oui » qui nous fait rire, sa mère et moi. Sa joie de vivre et son innocence sont tellement touchantes qu'une nouvelle vague de souvenir me submerge. Je la retiens tant bien que mal et de justesse. Si au bout du deuxième jour je ne suis plus capable de gérer ce genre de choses, combien de temps vais-je tenir face à la force de ma nostalgie ? Par chance, Maëlys me sauve en m'annonçant qu'elle veut faire un gâteau au chocolat. Helynnah m'apporte une recette, celle de sa grand-mère apparemment, et pendant que je sors les ingrédients, grâce aux indications de ma demi-sœur, et les pèse, cette dernière me regarde faire en me demandant si elle pourra casser les œufs. Je lui explique qu'il faut déjà faire fondre le chocolat et le beurre, alors elle me tend une casserole.
Ce moment devient magique quand la complicité, qui commençait à naître entre nous, éclot. Il aura suffi de farine, de sucre et autres aliments pour nous lier. On se partage les restes de pâte chocolatée et je tartine le nez de Maëlys par la même occasion. Elle s'offusque et m'imite. Finalement, on met le moule au four et elle m'emmène dans le salon en attendant que la sonnerie résonne. Trente minutes plus tard, elle se précipite pour apercevoir notre gâteau. Elle affiche un large sourire lorsque je le sors et le pose sur le plan de travail.
— Il est trop beau, me dit-elle en me serrant dans ses bras.
— Je suis certaine qu'il est très bon.
— Moi aussi ! Mais, il faut attendre pour le manger. Maman dit que ce n'est pas bien de manger entre les repas.
— Et ta Maman a raison. En plus, là, il est brûlant. Il faut le laisser refroidir.
Maëlys acquiesce, puis me tire par le bras pour aller chercher Helynnah et lui montrer le fruit de notre travail. Fière du résultat, elle explique à sa mère qu'il est trop chaud et qu'on ne peut pas le goûter. J'échange un sourire avec ma belle-mère en regardant ma demi-sœur lui raconter ce qu'elle a fait. Finalement, mon père nous rejoint et serre Maëlys dans ses bras en lui assurant que ça sera délicieux.
Et il a raison. La recette de la grand-mère d'Helynnah donne un résultat succulent entre coulant et fondant. Après le déjeuner, Maëlys me propose d'aller dans le jardin pour cueillir des fraises. J'ai l'impression qu'elle fait tout pour me garder avec elle, pour compenser le temps que nous n'avons pas eu, ou pour me donner une raison de rester. Et je crois que ça fonctionne. Elle est tellement vivante et pleine de bonnes ondes que j'en viens à tout oublier. Peut-être avais-je seulement besoin de ça pour avancer ? Je ne saurais le dire à l'heure actuelle, mais pour le moment, je me contente de profiter du sourire de Maëlys avec ses lèvres rougies par les fruits qu'elle a piqués.
Au loin, j'aperçois mon père qui discute avec une jeune fille. En relevant mes lunettes de soleil pour mieux voir, je constate qu'il s'agit celle au ukulélé. Je m'inquiète : est-ce qu'il l'a surprise et est en train de lui passer un savon ? De loin, leur conversation semble calme, alors je me dis que tout va bien. Puis, ils repartent chacun de leur côté.
— Dis-moi Maëlys, tu connais la fille qui discutait avec ton père à l'instant ?
Je lui indique la silhouette, de dos, de la personne en question.
— Ché Machichou, me répond-t-elle la bouche pleine.
— Tu devrais arrêter de grignoter les fraises que l'on ramasse. Sinon tu n'auras plus faim pour le goûter et tu risques d'avoir mal au ventre.
Elle acquiesce, puis en avale une dernière.
— C'est Marilou la fille là-bas.
— Et qu'est-ce qu'elle fait ?
— C'est ma baby-sitter quand Papa et Maman sortent. Mais maintenant, elle aide Papa avec le jardin.
Ce qui explique sa présence hier. Du moins, celle de l'après-midi. Je jette un regard dans sa direction, et profite du fait qu'elle ne me voie pas pour observer sa gestuelle. On dirait qu'elle danse tout en travaillant. Comme si une mélodie n'appartenant qu'à elle l'emportait dans un autre monde. Elle semble si heureuse alors qu'elle ramasse des mauvaises herbes, ce qui me paraît étrange. Je me demande ce qui lui passe par la tête en ce moment même.
Finalement, Maëlys me sort de mes pensées en me montrant sa mère, qui nous fait signe de rentrer avec un regard doux et bienveillant, comme si elle était ravie de nous voir passer du temps ensemble.
— Tu viens ?
Je lance un dernier regard dans la direction de la dite Marilou, qui me repère, alors je détourne les yeux.
— J'arrive ! dis-je à ma demi-sœur qui a déjà pris un peu d'avance.
Helynnah ordonne à Maëlys de se préparer pour aller faire les courses, puis elle me demande si je veux venir. Sans réfléchir, j'accepte et monte donc récupérer mon portable et ma sacoche.
Alors que nous sommes sur le départ, mon père m'interpelle.
— Je suis content que tu t'entendes bien avec Maëlys et Helynnah. J'avais peur que tu leur en veuilles à elles aussi.
Je n'ai pas le temps de répondre, car sa nouvelle compagne arrive et lui vole un baiser. Je détourne le regard et aperçois, par la même occasion, la grimace de ma demi-sœur, qui est déjà installée dans son siège auto. Je souris, et m'assois à l'avant.
Le reste de l'après-midi passe assez vite. Je discute beaucoup avec Helynnah. De sa vie, j'apprends d'ailleurs qu'elle est avocate dans un grand cabinet qu'elle gère depuis quelques années, et de la mienne, même si j'évite de parler de ma mère et élude les questions sur la prépa. Je suis en vacances et je n'ai pas franchement envie de penser à la pression des cours qui va revenir faire surface dès septembre. Après les courses, on cuisine ensemble pendant que mon père fait prendre sa douche à Maëlys. Le dîner arrive et je souris. J'obtiens d'ailleurs une remarque à ce sujet, doublée d'une anecdote sur mon enfance, qui me fait rougir de honte. Je me demande s'il a des histoires encore pires, mais je ne fais pas vraiment d'illusions à ce sujet. Bien entendu qu'il en a, sauf qu'il ne me préviendra pas le jour où il les ressortira. Sinon, ce n'est pas drôle.
Au final, quand vient l'heure d'aller dormir, le sommeil m'échappe. Excitation ou autre chose, je ne saurais dire, mais en attendant ça m'éloigne des bras de Morphée. Comme hier, je me dirige vers ma fenêtre et, je suis surprise de retrouver la même lueur dans un arbre. Je devine qu'elle n'est pas là sans raison, alors, pour palier à mon insomnie, je retourne au pied du cerisier. Sans surprise, j'y trouve la musicienne, perdue dans ses mélodies. Sans me regarder, elle sourit. Sans lui parler, je l'écoute. Jusqu'à ce que la nuit ait raison de notre énergie et que nous nous endormions, elle sur sa branche, moi contre le tronc.
Ah la la, entre confusion et bourgeons d'amour, j'aime bien ce chapitre. Et quand je sais que je travaille l'éclosion douce et lente des petits bourgeons en ce moment, ça me rend joyeuse.
Enfin voilà, je vous donne rendez-vous dans le prochain chapitre où on va rencontrer deux nouveaux personnages, tout aussi attachants.
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