Chapitre 12
Et puis, sans m'en rendre compte, j'ai commencé à tomber amoureuse de toi. C'était invisible et je ne saurais dire si c'était les paillettes à l'aube de la nuit...
— Non, mais c'est surcoté ! se lamente Lorenzo.
Je crois que j'ai raté un morceau de la conversation lorsque j'ai envoyé un message à mon père pour lui dire de ne pas m'attendre, que je le préviendrai plus tard pour qu'il me récupère, à moins que les choses se goupillent autrement. Du coup, j'atterris dans une discussion dont je n'ai pas suivi la moitié. Je trouve un Ambroise qui soupire, Louison qui lève les yeux au ciel et Marilou qui sourit. Cette dernière me demande si tout va bien, en voyant mon air perdu.
— Oui, oui, j'ai juste perdu le fil.
— Pas très grave, affirme Ambroise. En plus, Lorenzo doit aller travailler.
Le concerné grimace en tirant la langue. Il se lève et nous propose de nous offrir un rafraîchissement avant qu'il n'y ait trop de monde. Personne ne refuse et Louison est le.a premier.e à courir pour obtenir la meilleure place. Marilou le.a suit en courant, tentant en vain de le.a rattraper. Ambroise me regarde avec une lueur dans les yeux en disant long sur sa pensée.
— Ils ne sont pas sortables, soupire-t-il en riant à moitié.
— De vrais enfants.
— Exactement. Mais bon, on ne les changera pas.
— C'est une part de leur charme, dis-je avec un sourire.
Il hausse les épaules, puis éclate de rire quand il aperçoit Marilou en train d'étaler des paillettes sur le front de Louison.
— C'est quoi ce bazar ? demande-t-il en s'installant en face de Loulou, en plein atelier tartinage de doré.
En cœur, ils répondent qu'il n'y a rien, avant d'exploser de rire à leur tour. Lorenzo arrive au même moment pour prendre notre commande, puis voyant qu'il a raté quelque chose, il préfère s'éclipser en marmonnant qu'on devra faire avec ce qu'il choisira.
— Vous êtes si prévisibles que ça ?
Ma question les ramène à la réalité, un peu comme un choc électrique.
— Pourquoi est-ce que tu demandes ça ? me demande Louison.
— Lorenzo semble vous connaître assez pour repartir sans avoir pris votre commande.
— Il faut croire que nous sommes prévisibles alors, commente Marilou.
Lorsque Lorenzo revient avec nos boissons, c'est elle qui se lance dans le descriptif alors qu'il nous sert.
— Sirop de violette et limonade pour Louison, qui a des goûts discutables.
Le.a concerné.e réplique qu'il y a pire et qu'elle devrait goûter au lieu de critiquer.
— Coca zéro pour Ambroise, qui a toujours besoin de caféine pour rester éveillé au-delà de minuit.
— Exagère encore un peu, soupire-t-il.
— En temps normal, Lorenzo s'installerait avec nous et prendrait un ice tea, mais là, c'est râpé.
— Comme les carottes, réplique le serveur en déposant un jus d'abricot devant moi.
— Logique qu'il ait choisi un jus d'abricot pour toi, continue-t-elle, puisqu'il nous a introduit ton existence ainsi.
Lorenzo se moque d'elle, ou de lui-même, puis la sert.
— Quant à moi, je suis friande de sirop à la vanille.
— Tu es trop douce et délicate pour nous Marilou, raille Lorenzo avant de repartir.
Elle lève les yeux au ciel, tout en commençant à siroter sa boisson.
La conversation suit son cours. J'apprends qu'Ambroise va entrer en deuxième année de prépa, et espère ne pas se foirer. Quand il fait mention de redoublement, je baisse les yeux et fais mine de m'être déconnectée. Louison suit un cursus de lettres modernes et Marilou est en musicologie, ce qui ne me surprend guère. Bien entendu, la question me revient et je manque de m'étouffer avec mon jus d'abricot. Les études... un sujet délicat dira-t-on. Finalement, mon état de santé est plus important que mon parcours, alors mon absence de réponse passe inaperçu. Enfin, je crois.
Le soleil commence à plonger dans la mer, et ses derniers rayons se reflètent à la surface de l'eau. Les paillettes sur le haut des joues de Marilou attrapent mon regard, et quand elle sourit, leurs mille et une facettes illuminent son visage. Quand la nuit commence à trouver son air frais, je décide de jeter un œil à mon portable pour trouver l'heure. Un message d'Helynnah m'attend et me propose de me récupérer quand je le voudrai et qu'elle m'attend. Il a été envoyé il y près d'une heure, alors, sans vraiment réfléchir, je lui réponds que je l'attends. Je ne voudrais pas m'imposer et l'empêcher de rentrer après sa journée de travail.
Je préviens le petit groupe, qui me salue joyeusement. Marilou se lève pour m'accompagner. On marche côte à côte pour retrouver la rue passante.
— Est-ce qu'il y a un problème avec tes études ? me demande-t-elle après une longue réflexion.
— Pas vraiment.
C'est un demi-mensonge.
— Disons que ma mère a moyennement apprécié mes notes catastrophiques, qui font que je redouble ma dernière année.
— Le confinement n'a aidé personne, tu sais. Ne t'en veux pas pour ça.
— Je ne m'en veux pas. Par contre, ma mère...
— J'imagine qu'elle veut le meilleur pour toi.
Elle hausse les épaules et semble triste.
— Est-ce que tout va bien ?
Elle se fabrique un sourire, qui ne tient pas longtemps.
— Je suis toujours un peu dans cet état quand on me parle de mère.
— Pourquoi ? Si ce n'est pas indiscret.
— J'ai perdu la mienne quand j'étais enfant.
— Je suis désolée.
— Ne le sois pas. C'était il y a longtemps et ça fait partie de mon histoire.
Au même moment, Helynnah arrive. Elle salue Marilou alors que je monte dans la voiture.
— Profite-en, me glisse la fille au ukulélé avec un sourire, tu as la chance d'avoir une seconde mère.
Je referme la portière et Helynnah démarre.
— Tout va bien ? me demande-t-elle.
— Oui, oui. Et toi ?
— Fatiguée, soupire-t-elle.
— Tu travailles souvent jusqu'aussi tard ?
— Plus que je ne le devrais.
— Pourquoi ?
Helynnah lâche un rire jaune, mais continue malgré tout.
— Je suis une femme noire qui gagne bien sa vie et qui dirige un cabinet d'avocat. Et pourtant, je dois continuellement faire mes preuves. Parce que certains considèrent que je ne suis pas légitime, que je suis une imposteuse et que je dois mon succès à d'autres choses moins respectables. Alors je me bats quotidiennement pour qu'on me respecte.
— Je ne pensais pas que c'était si difficile.
— Je ne te souhaite pas de le vivre. Peut-être que ta génération s'en sortira mieux. Mais la mienne reste injuste et cruelle. Et puis, si tu n'y pensais pas, c'est peut-être parce que tu es assez ouverte d'esprit pour ne pas considérer mon statut comme volé.
On reste silencieuses pendant un instant, alors que la nuit se fait de plus en plus épaisse.
— Pourquoi est-ce que tu m'as attendue ?
— Qu'entends-tu par là ?
— Tu n'avais aucune raison de le faire.
— Parce que je ne suis pas ta mère, c'est ça ?
Je réalise que ma remarque était débile et je m'en mords la langue.
— Désolée, je n'aurais pas dû...
— Il n'y a pas de mal, me coupe Helynnah. La situation est compliquée et l'une comme l'autre pouvons avoir des doutes et des peurs. Tu n'es pas ma fille et je ne suis pas ta mère. Mais, ce n'est qu'une question de biologie. Tu es importante pour Nat, et je me dois de tout faire pour t'accepter, car tu existes, quoi qu'il arrive. Alors je fais de mon mieux pour t'accueillir et ne pas avoir trop de ressentiment à ton égard parce que tu as été élevée par ta mère.
— Tu n'aimes pas ma mère ?
— Je ne me prononcerai pas sur ce sujet.
Mais ses mains crispées sur le volant en disent long. Je sais que Maman n'a pas que des amis, et il est logique que ma belle-mère ne l'apprécie pas des masses.
— Ce n'est pas à moi de juger. Je ne la connais pas personnellement.
Helynnah est une femme beaucoup trop intelligente pour que sa sagesse soit ignorée. Maman n'a fait que l'accuser d'être une voleuse, une garce et une sorcière, mais quand je la vois refuser de juger ma mère, je me rends compte que tout n'est pas aussi noir et blanc. Après tout, comme elle l'a dit si justement : qui est-elle pour juger quelqu'un qu'elle ne connaît pas ? Au fond, et si Maman avait faux sur toute la ligne, quelle serait la véritable histoire ?
La discussion s'arrête là, en même temps que le moteur de la voiture. Alors que ma belle-mère ouvre la porte, je suspends son geste avant d'entrer.
— Je suis désolée. Je t'ai jugée sans te connaître. Je n'aurais pas dû penser que jamais tu ne m'accueillerais jamais entièrement pour une question de parentalité. J'ai été stupide.
Elle me serre dans ses bras et, une fois la surprise passée, je me laisse faire.
— Tu n'es pas stupide, Cassiopée. Juste confuse et en colère. Mais crois-moi, on a tous nos raisons d'avoir certaines réactions. Un jour, tu comprendras, je te le promets.
Helynnah essuie une larme qui m'a échappé, puis elle ouvre la porte.
Je monte dans ma chambre, pour souffler et tenter de mettre un peu d'ordre dans ma tête. Sauf que je n'ai pas cette chance : mon père m'attend, assis sur mon lit, le regard perdu dans le vide.
— Salut...
— Cassiopée ! Ta soirée s'est bien passée ?
— Oui. C'était sympa.
— Tu n'as pas l'air convaincue.
— Si, si. Je suis juste un peu fatiguée.
— Dans ce cas, je ne vais pas te déranger plus longtemps, dit-il en se levant.
— Qu'est-ce que tu voulais ? l'interromps-je dans son mouvement.
Il attrape un sac, posé à côté de lui.
— J'ai repensé à ton dessin de ce matin, alors, je suis passé dans une boutique d'art créatif cette après-midi.
Il me le tend.
— Je t'ai acheté deux-trois trucs.
Dubitative, je l'attrape, puis regarde ce qu'il y a dedans. J'y trouve de l'aquarelle, des pinceaux de différentes tailles et du papier.
— J'espère que ça te plaît.
Une nouvelle larme roule sur ma joue, et je la mets sur le compte de l'épuisement et de la surcharge émotionnelle.
— Beaucoup. Merci !
Mon père me prend brièvement dans ses bras, puis m'embrasse sur le front. Je le laisse faire.
— Bonne nuit, Cassiopée.
Et il referme la porte derrière lui.
En relisant ce chapitre, je retrouve l'envie de scribouiller sur les aventures de Marilou et Cassiopée.
Pour ceux qui ne le savent pas, j'ai commencé Eupholia, un projet de longue date et de fantasy. Je corrige aussi La théorie de Francine. Et au milieu de tout ça il y a ma vie. Je vais très souvent au feeling en ce moment, ce qui fait que je n'avance plus trop ici.
Brefouille, je vous tiendrai au courant.
J'espère que ce chapitre vous a plu !
On se retrouve vendredi !
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