Je te vois
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Un bâillement fit entendre.
Ursule passa une main sur son visage et bâilla une deuxième fois. Elle était fatiguée. Pourtant, elle avait toute la matinée à dormir et avait même raté le repas de midi. Elle reposa son téléphone sur sa table de nuit et se rallongea. Elle s'étira et dégagea son corps du drap bleu qui le recouvrait. Le contact de l'air froid sur ses jambes nues lui donna quelques petits frissons, mais cela lui permis de se réveiller un peu plus vite. Elle fixa encore le plafond un instant, pensant vaguement à tous les articles que lui avait proposé son téléphone aujourd'hui. Elle n'en avait lu aucun, les titres lui avaient suffit à comprendre que les dernières actualités ne l'intéressaient pas le moins du monde.
La jeune adulte posa ses pieds au sol. Après un dernier bâillement, elle trouva la force de se lever de son lit et de quitter sa chambre. Ses pas la guidèrent à la salle de bain, où Ursule ôta le t-shirt violet qui lui servait de pyjama avant de tirer le rideau de douche. Elle prit une douche rapide, n'écoutant que d'une oreille la musique qu'elle avait lancé sur son téléphone. Une fois séchée, elle prit le pantalon bleu et le haut blanc qu'elle avait tiré de son armoire et s'en vêtit. Elle maquilla ses yeux de bleu, puis se retrouva face à un choix cornélien : ses cheveux. Est-ce qu'elle devait les laisser libres, comme à l'habitude ? Ou est-ce qu'elle tentait de les attacher ?
Alors que Ursule remettait toute son existence ainsi que sa capillarité en question, son téléphone vibra.
Deux fois.
L'adolescente soupira. Elle opta finalement pour la deuxième option et se fit une rapide queue de cheval en hauteur. Puis elle se saisit de se téléphone et regarda rapidement ses nouvelles notifications.
De : Gouv.com
Suite à la nouvelle avancée de l'épidémie sur le territoire, l'installation de l'application « stop covid » est, à compter de ce jour, obligatoire. Toute infraction à cette mesure sera sanctionnée.
De : Je suis un Dauphin
T'es où ?
Tout en s'empressant d'installer l'application gouvernementale, Ursule laissa un léger soupir s'échapper de ses lèvres. Il était seulement 14h10 et elle venait à peine de se réveiller. Elle ne comprenait en rien pourquoi son meilleur ami lui posait cette question.
De : Je suis un Dauphin
On avait RDV au café à 14h je te rappelle.
Ursule posa une main sur sa tête et sa mâchoire s'ouvrit en grand, au point presque de se décrocher. Elle avait complètement oublié !
De : Je suis un Dauphin
T'es sérieuse à m'ignorer là ? Ne me dit pas que t'as oublié !
À : Je suis un Dauphin
T'inquiète pas, j'ai pas oublié ! J'arrive dans une seconde !
De : Je suis un Dauphin
T'es vraiment pas possible. Le café est quasiment en face de ton immeuble et tu arrives quand même à être en retard. Enfin, viens le plus vite possible. C'est à propos des rumeurs de piratage, je crois que... je ne peux pas t'en parler par messages. Il faut que tu viennes !
Ursule enfila ses chaussures et quitta son appartement en quatrième vitesse. Puis elle sortit de son immeuble et courut à l'intérieur du café, où son meilleur ami avait déjà pris une table. Elle s'y assit avec un grand sourire.
- Et voilà, je suis là ! Tu vois, il y avait pas de raison de paniquer !
- Ursule, quand je te dis rendez vous au café en bas de chez toi à 14h, c'est rendez-vous à 14h ! Tu comprendras ça un jour ?
- Peut-être. Qui sait. Mais tu sais être en retard, ça fait un peu partie de ma personnalité. Enfin soit, de quoi voulais tu me parler ? Qu'est ce qui est confidentiel au point que tu ne pouvais pas l'aborder au téléphone ?
- Mais parle moins fort bon sang ! Tu veux que tout le café nous entende ?
- À croire que la CIA est en train de nous espionner.
- C'est presque ça.
- Hein ? Explique moi...
- T'es au courant pour les rumeurs de piratage ?
- Vaguement, j'ai vu quelques titres. Je pensais que c'était des fakes news.
- Et bien t'as tout faux. C'est plus seulement des stars, un de mes comptes a été piraté. C'est le cas de beaucoup de personnes autour de moi. Et ça augmente un peu plus chaque jour !
- Je suis sincèrement désolée pour ton compte sur je ne sais quel réseau social et tes précieuses photos de chat, mais bon, des piratages de données ça arrive tous les jours. Deux trois e-mails par ci par là et c'est tout. Si tu utilises le même mot de passe partout aussi... je ne comprends pas pourquoi tu te mets dans un tel état.
- Certaines personnes se font voler des adresses e-mails, des mots de passes, des adresses IP et pire encore, il y a même des vidéos en direct à partir de leur ordinateur ! J'ai entendu dire que c'était extrêmement simple à faire pour un hackeur qui s'y connaît un peu. La petite lumière qui te signale que ta caméra s'allume, comme elle est toujours sensée le faire, clignote, puis elle s'éteint. Et c'est là que commence la surveillance. La personne peut te regarder autant qu'elle veut et faire ce bon lui semble de cette vidéo. Mais le plus effrayant dans cette histoire, c'est que tout le monde y est exposé. Quasiment la France entière. Sauf que personne ne comprend comment cela a pu arriver.
Puis la serveuse leur apporta leurs boissons, Ursule essaya de calmer son ami paranoïaque, il enchaîna les théories farfelues et la chaîne info sur la télévision du café parla d'un possible reconfinement et les heures se mirent à défiler. Jusqu'à ce que la faim se fasse ressentir.
Ursule prit son téléphone et constata qu'il était déjà plus de vingt heures passé.
- Bon, c'est pas que je t'aime pas, mais il se fait tard et j'ai très faim. Ça te dérange pas si on reprend cette discussion demain ? Mais arrête de paniquer à ce point d'accord ? J'aime vraiment pas voir mon meilleur ami dans cet état. C'est sûrement que des bêtises.
Après avoir réglé la note et adressé un dernier signe de la main à son ami, Ursule sortit du café. Une fois chez elle, l'étudiante alla dans sa salle de bain. Il avait fait extrêmement chaud aujourd'hui et elle ressentait le besoin de se rafraîchir. Elle posa son téléphone et relança la même musique que ce matin-même.
Et alors qu'elle était sous la douche, qu'elle sifflotait sa chanson préférée, qu'elle s'habillait, qu'elle sortait de la nourriture du frigo, qu'elle mangeait tout en regardant la télé, qu'elle jetait un coup d'oeil une dernière fois les actualités sur internet, qu'elle se couchait, qu'elle fermait les yeux... le processus se mettait tout doucement en place.
Peut-être aurait-elle pu écouter son ami avec plus attention. Peut-être aurait-elle pu, vérifier comme tout le monde, que le message envoyé par le gouvernement se terminait bien par «.fr ». Peut-être aurait-elle pu s'attarder un peu plus sur les actualités qui lui semblaient sans importance à son réveil ... Elle aurait pu, mais elle ne l'avait pas fait.
Tandis qu'Ursule sombrait un peu plus profondément dans les limbes du sommeil et sans qu'elle ne rende compte de quoi ce soit... la webcam de son ordinateur s'activa soudain.
Une lumière verte s'alluma. Clignota. S'éteignit.
De l'autre côté, un sourire se dessina sur le visage d'un inconnu.
« Je te vois. »
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