Temps présent, 15 août 2022

La grande bâtisse est toujours la même. Ses grosses pierres grises et imposantes qui surplombent le paysage verdoyant et la lande au loin qui semble vouloir plonger vers l'océan. La terre de mon enfance, une partie de moi, une moitié.

Danny et Meghan viennent juste d'arriver et j'ai raccroché il y a moins d'une heure avec l'avocat de la famille. Je ne sais pas encore ce qu'il adviendra du domaine, mais j'ai ma petite idée... et je compte bien en parler à Darell une fois que mon frère sera au courant de mes projets.

— Salut petite sœur !

Je me tourne vers Dan qui me sourit tendrement avant de m'ouvrir ses bras. Dans la précipitation de leur arrivée, nous n'avons pas eu le temps de faire notre câlin habituel. Je ne me fais pas prier pour m'engouffrer contre son torse chaud et laisser ses bras recouvrir mes épaules. Mes cheveux sauvages s'emmêlent dans sa barbe plus fournie que dans mon souvenir. La maturité de ses traits me plaît et me rappelle avec mélancolie ceux de notre père. Il lui ressemble tellement aujourd'hui !

— Comment va Meghan ? Pas trop dur pour elle le voyage ?

Ma belle-sœur, enceinte de quatre mois, subit les affres des nausées, de la fatigue et n'est donc pas très en forme même si bébé se porte comme un charme. Elle qui avait vécu sa première maternité avec bonheur...

— Elle tenait absolument à m'accompagner. Elle chérit cet endroit et puis au fond je n'avais pas la force de m'opposer à sa venue. Ce n'aurait pas été plus reposant pour elle de rester seule avec Livio.

Mon neveu, ce petit monstre de bientôt deux ans lui en fait voir de toutes les couleurs, il est aussi adorable qu'il peut être un vrai démon.

— J'imagine. Du coup, qui le garde en ce moment ?

Mon frère se gratte l'arrière de la tête, comme quand il est mal à l'aise. Et j'en devine la raison instantanément.

— Tu n'as pas à être gêné Danny. Jack est son parrain, il a le droit de s'en occuper. J'ai dépassé ce stade, tu sais.

— Je sais, excuse-moi, mais j'ai toujours du mal. Tu es ma petite sœur et je ne veux pas te faire souffrir.

— Alors, mets-toi dans le crâne qu'entre Jack et moi y'a pas de malaise OK ? On a partagé une belle histoire, mais la vie ne nous a pas accordé le même happy end qu'à Meghan et toi, c'est tout. Et je suis chanceuse avec Darell, nous avons plein de projets professionnels. On est très complémentaires.

Je ne mitonne pas en exprimant le fond de ma pensée à mon frère. Je suis très heureuse pour eux et la tournure qu'a pris leur relation. Sans doute qu'avec Jack, nous n'étions pas destinés à en faire de même. C'est un fait, certaines histoires d'amour finissent mal, ce n'est pas une fatalité.

Ou alors c'est un concours de circonstances. Les disputes, comme les réconciliations, tiennent à peu de choses. Je me souviens bien de toutes celles qu'ont traversées Meghan et mon frère, dès le début, rien n'a été évident entre eux : l'éloignement, les divergences de point de vue, le refus de s'engager...

Au même moment 25 novembre 2015 à San Francisco

Lorsque je m'éveille, le jour semble être levé depuis longtemps. Les températures fraîches ont chassé le chant des oiseaux auquel je m'étais habituée. L'odeur de Jack m'entoure et instigue un sourire timide sur mes lèvres. J'enfile le sweat beaucoup trop grand pour moi et me dirige vers l'escalier. La rambarde grince légèrement et attire l'œil de Meghan, accoudée au plan de travail.

— Eh, salut ma belle !

— Meghan !

Je descends les marches rapidement et me jette presque dans ses bras. J'ai l'impression qu'il y a une éternité que je n'ai pas vu d'amies.

— Je t'ai un peu manquée ?

Je m'écarte et lui souris, évidemment, qu'elle m'a manquée.

— Beaucoup. Je n'ai plus vraiment d'amis à Portree...

— Tu rigoles ? Une fille adorable comme toi ?

— Disons que mes « adorables amies » n'ont pas vraiment compris comment je pouvais rejeter Richard... et je n'ai pas vraiment cherché à rester en contact.

— Je vois... comment tu te sens.

— Il est quelle heure ?

— Bientôt 14 h...

— Quoi ? Sérieux ?

Elle rit.

— Je te jure. Tu seras en forme pour aller au Scar ce soir !

— Oh... je ne suis pas sûre de...

— Hors de question de te défiler, tu viens avec nous ! Tu ne vas pas te morfondre.

— Je ne veux pas gâcher votre soirée.

— Arrête çà Rose, tu as besoin de t'éclater un peu...

Je reste un moment silencieuse, je sais qu'elle a raison, mais c'est bien plus facile à dire qu'à faire.

— OK, je vais venir.

— Parfait ! Un café ?

— Merci.

Je me délecte de ma boisson, essayant de me concentrer sur le positif. Je sens Meghan hésitante, partagée entre la résignation de me foutre la paix et l'envie de me poser tout un tas de questions.

C'est finalement la seconde option qui l'emporte.

— Ça va avec ta grand-mère ?

Je hausse les épaules, je n'ai pas très envie de parler de ça.

— Tu arrives à suivre tes cours ?

— J'essaie, mais le cœur n'y est pas. Entre Granny qui est si malade et grand-père qui est un peu paumé dans l'administratif, c'est très compliqué.

— Je suis désolée, ça ne doit vraiment pas être évident ;.

Elle pose sa main réconfortante sur mon épaule.

— Et avec Jack ? Tout va bien ?

Mon soupir vaut mille réponses.

— Si je fais abstraction de la distance, de nos horaires difficilement conciliables, de l'investissement personnel que lui demande son poste alors oui tout va bien. Et au moment où je te parle, cela fait trois jours que je ne l'ai pas eu au téléphone...

— Je suis certaine que les choses vont s'arranger, c'est juste une mauvaise période. Tes responsabilités et les siennes ne sont pas compatibles, mais je suis sûre que tout va vite rentrer dans l'ordre...

— De toute façon, je ne souhaite pas être un obstacle, il a mérité ce qui lui arrive.

— Il a de la chance de t'avoir trouvée.

— J'en ai tout autant. C'est lui qui m'a réveillée et qui m'a permis de découvrir celle que je voulais vraiment être, ce que je voulais faire de ma vie...

— Juste une chose Rose, sa réussite n'aura pas la même saveur si tu n'es pas à ses côtés.

— Je sais bien, c'est pour ça que je patiente et que je ne lui reproche rien, cet éloignement c'est seulement un mauvais concours de circonstances...

Meghan me sourit, rassurée par mes aveux. Même si c'est dur d'être séparé, je ne lâcherai rien, ni Jack ni mes désirs.

— Au fait, tu m'as parlé de projets... aurais-tu une théorie derrière la tête ?

— C'est encore flou, mais je ne veux plus pousser mes études indéfiniment juste pour rallonger la liste sur mon CV. Je vais continuer d'écrire parce que ça, c'est mon rêve depuis toujours, mais plus concrètement j'aimerais aider les populations défavorisées en enseignant dans une association.

— C'est une idée géniale ! Wahou, beau projet !

— Je comptais en parler à Darell, il aura certainement des contacts...

— Ça tombe bien, on le voit ce soir !

Je la prends dans mes bras et la remercie chaleureusement, cet échange m'a reboostée. Lorsque je m'écarte, j'ai moi aussi très envie de savoir comment se déroule sa relation avec mon frère.

— Comment ça se passe avec Dan ?

Meghan hausse les épaules à son tour et semble chercher les bons mots. Je tiens à mon frère comme à la prunelle de mes yeux, mais je sais à quel point notre expérience lui pèse. Je ne l'ai jamais vu entretenir une relation avec aucune fille donc même si Meghan est spéciale et qu'elle est la seule à avoir franchi ce cap, j'imagine que ce n'est pas facile tous les jours.

— Pour être honnête, je devais décoller début septembre pour New York afin de reprendre les cours alors j'ai cru que tout s'arrêterait à ce moment-là. Je n'arrivais pas à avoir de discussion avec lui. J'ai toujours été très compréhensive, je ne l'ai jamais forcé à rien, mais avant de repartir j'avais besoin de réponses précises, de savoir où nous en étions tous les deux...

— Et ?

— Et silence radio... la seule chose que me répliquais ton frère c'était on laisse venir, on verra bien où ça nous portera.

— Quel idiot !

Son rire adoucit mon agacement. Danny, je l'aime de tout mon cœur, mais il reste un homme avec tous ses défauts !

— J'ai eu une réaction légèrement plus violente.

— Ah ?

— J'aime ton frère, sincèrement. Mais je suis sortie d'une relation compliquée l'année dernière et je ne veux plus me perdre. S'il envisage de construire quelque chose avec moi, je veux qu'il s'investisse.

— Et qu'est-ce qu'il s'est passé ?

— J'ai organisé un dîner, au restaurant. En public je savais qu'il ne pourrait pas se défiler aussi facilement.

— Astucieux...

— Je lui ai dit le fond de ma pensée. Que je l'aimais, qu'il était un homme formidable et que je comprenais les freins qui pouvaient l'empêcher d'aller plus loin avec moi. Je lui ai annoncé mon départ pour New York et qu'il avait les cartes en main pour choisir s'il voulait quelque chose de sérieux ou pas. Il n'a pas réagi, il s'est contenté de hocher la tête, agacé d'être mis au pied du mur.

— Et tu es partie comme ça ?

— Oui, deux jours plus tard, sans aucune nouvelle de sa part.

— Mais quel idiot, vraiment !

Nouveau sourire, nouveau rire commun.

— Je me demande bien comment c'est possible que tu sois face à moi à cet instant !

— Disons que c'est comme apprendre à lire, ton frère assimile syllabe par syllabe...

J'aime assez cette image. Danny n'a pas eu de modèle heureux dans notre famille, il n'a jamais été serein et il ne sait pas vraiment comment s'y prendre... papillonner est tellement plus facile. Du plaisir sans l'embarras des compromis.

— Je suis ravie qu'il se soit décidé à apprendre...

— Une semaine après mon départ il n'arrêtait pas de m'appeler, mais je ne voulais pas lui répondre. J'ai fini par lui envoyer un SMS lui expliquant que j'avais besoin de prendre du recul et lui aussi pour savoir si ce qu'on voulait était compatible. Je ne lui faisais aucun reproche, juste que j'en étais à un stade où je ne voulais pas aller plus loin si nous n'étions pas sur la même longueur d'onde. Qu'il était nécessaire qu'aucun de nous ne perde son temps.

— Wahou, impressionnant. Je ne crois pas que quelqu'un en dehors de moi lui ait déjà tenue tête de cette manière...

— Je n'en doute pas !

— Et comment il a réagi ?

— Il m'a répondu que je le faisais chier...

— Sérieux ?

— Absolument ! Et je n'ai pas eu de nouvelles pendant trois semaines ! Honnêtement j'étais super mal et je pensais que c'était fini.

— Qu'est-ce qui s'est passé ?

— Il a débarqué à New York sans prévenir et a soudoyé ma camarade de chambre. Il a profité que tout le dortoir était parti faire la fête pour me surprendre.

— Oh mon frère a fait ça ?! C'est qu'il serait romantique finalement ?

— Oui... j'étais la première sidérée. J'ai ouvert la porte en pensant que mon amie avait oublié quelque chose et il était là, avec ses yeux brillants et son sourire de tombeur.

— J'espère que tu l'as un peu fait ramer...

Meghan me sourit et rougit.

— Même pas, c'était au-dessus de mes forces. Il a juste eu le temps de me dire qu'il était désolé, qu'il était con que je lui aie sauté au cou.

Je souris, ravie de savoir qu'il a retrouvé la raison. Meghan est magnifique et c'est une fille en or, une bosseuse acharnée qui se donne du mal pour atteindre ses objectifs. Sensible et douce, elle est juste parfaite pour lui, il était temps qu'il s'en rende compte.

— Je suis contente pour vous.

— Et dans la foulée... il m'a aussi avoué ses sentiments...

— Wahou... c'est merveilleux ! Mais tu fais comment pour tes études ?

— J'ai réussi à décrocher un stage de trois mois dans une agence d'archi à Berkeley donc je suis ici jusqu'à fin janvier et on avisera après. Et puis c'est une bonne expérience de vivre ensemble, c'est un genre de test...

— C'est trop cool !

— Qui sait, peut-être que tu arriveras à trouver une solution similaire avec Jack ?

Coucou mes brioches !

Je vous poste ce chapitre avec une journée de retard...sorry mais je suis en vacances et je compte bien en profiter pour me vider l'esprit. 

J'espère que ce chapitre féminin vous aura plu et je vous donne rendez-vous dans 15 jours pour le chapitre 6. En attendant, je profite aussi du calme pour avancer dans l'histoire.

Une petite dédicace pour les lectrices récentes qui ont dévoré le tome 1 à une vitesse incroyable et qui me laisse des petits commentaires très sympathiques. Merci !!!

Plus on est de folles plus on rit ! 

Sur ce...apéro !

A très bientôt !