Chapitre 31 : Jack
Coucou !
Il était temps ! Je suis sûre que vous le pensez...je n'ai aucune excuse si ce n'est celle d'avoir des enfants qui grandissent, qui ne font plus la sieste et qui monopolisent tout mon temps sans parler de mon énergie. Bref, bref, bref...je n'ai plus de quoi me faire pardonner si ce n'est de vous poster ce nouveau chapitre...
Bonne lecture !
Boston, 15 novembre 2022
La lourde grille du cimetière de Central Burying Ground grince. Je me concentre sur les indications de Charles pour retrouver l'endroit précis des tombes de la famille Colton. Nous n'étions pas mariés et Sam portait le nom de son père, un nom canadien à consonance française : Durance.
Lorsque je trouve enfin la section, il ne me faut pas longtemps pour repérer la pierre la plus claire, la moins abîmée par le temps.
Je devrais me sentir triste, laisser éclater mon chagrin, mais c'est au contraire un soulagement. Comme si ici, à cet endroit, je pouvais me laisser aller à me sentir proche d'elle. C'est idiot, je n'ai pas besoin d'être devant cette pierre pour penser à elle ou sentir notre connexion, mais à l'instant, c'est pourtant ce que je ressens. Là, à quelques mètres sous terre, son corps se décompose.
Comme avec ma sœur, j'ai besoin de lui parler, de me confier sur mes sentiments et cet endroit rend le moment concret.
— Je suis perdu sans toi. Je m'en veux tellement Sam, si tu savais.
Je l'imagine s'approcher de moi et sourire avec bienveillance. Elle ne savait pas être fâchée. La seule fois où vraiment elle m'a tenu tête c'est quand je ne voulais pas m'engager dans une relation alors qu'on couchait déjà ensemble depuis un moment. Elle était partie plusieurs semaines, histoire que je gamberge. Elle avait réussi son coup. En dehors de ce moment, elle avait le don d'obtenir ce qu'elle voulait en s'adaptant à mon caractère. Un vrai caméléon, un adorable caméléon.
— Je sais que tu dirais que ce n'est pas de ma faute, que c'est un accident, mais... ça ne changera rien à ce que je ressens là, tout au fond.
Je pose ma paume sur mon bide et mon cœur fait une embardée. J'ai l'impression que son parfum emplit mes narines, que son sourire apaisant me fait face.
— Tout me manque. Même l'odeur de ton thé au jasmin. J'avais encore tellement de choses à te dire...
Ma gorge s'assèche, me brûle... j'avais pensé demander à Sam de m'épouser lors de cette croisière. Je n'ai plus que mes larmes pour pleurer. Les épaules basses, je contemple les lettres d'or qui ornent la pierre blanche immaculée.
C'est à son doigt qu'aurait dû briller ce métal précieux...
— Camilia grandit de jour en jour ! Elle marche et se casse la figure, mais... c'est une petite fille très courageuse, tu sais... elle est si jolie. Elle te ressemble de plus en plus...
Je pense à tout ce qu'il s'est passé quand j'étais dans le coma, toutes les personnes de mon entourage qui ont pris le relais avec elle... Rose surtout. J'ai besoin de lui en parler, mais j'ai peur. Ma fille s'est rapprochée d'elle, Rose étant devenue sa principale figure maternelle depuis que j'ai réintégré le loft et même bien avant...
— Tu sais... je ne sais pas comment aborder le sujet, mais... je suis retourné vivre au loft. Et... il y a Rose. Quand nous avons eu l'accident, elle était en visite chez son frère et puis... elle n'est jamais repartie. Durant tout le temps que j'étais à l'hôpital, elle s'est occupée de Cam, elles étaient inséparables... et le sont toujours. Je suis désolé si ça te fait du mal.
Elle ne le dirait pas, je le sais, mais je pense aussi qu'il lui arrivait d'être peinée et de ne pas m'en parler. Elle en parlait à Mel, c'est pour ça qu'elle me déteste. Et moi je ne me rendais compte de rien, ça m'arrangeait, je ne voulais pas voir.
— Tu aurais le droit d'être blessée, tellement. Mais je veux que tu saches que j'ai cru devenir fou. Parce qu'il y avait mon état physique quand je me suis éveillé du coma. Mais il y avait surtout les crises de panique, l'angoisse, les cauchemars...
Je frotte mes paumes sur mon visage. Évoquer ces moments c'est comme vouloir faire preuve de tendresse en collant une baffe.
J'étouffe d'y penser, j'ai envie de dégobiller et je tombe accroupi par terre pour ne pas craquer. Ici, il n'y aura personne pour me calmer, personne pour aspirer ma noirceur et me ramener à la surface.
— Elle seule est capable de faire taire mes malaises. Elle ne cherche pas à me faire parler comme ses putains de psy. Elle dévie mon attention, elle noie mes angoisses et me laisse m'accrocher à elle comme une bouée. C'est le pouvoir qu'elle a sur moi. Elle l'a toujours eu, tu le sais. J'ai essayé de résister...
C'est difficile d'être aussi honnête. Habituellement, je voulais toujours la rassurer. Je ne lui mentais pas, mais je taisais des vérités. Comme quand elle m'affirmait qu'elle savait que j'aimerais toujours Rose, quoi que je dise ou quoi que je fasse. Finalement, elle avait certainement raison.
— Toi tu aurais dû être psy, tu voyais des choses évidentes avant tout le monde...
Oubliant un instant de fixer cette pierre froide, je lève mon visage vers le ciel d'où quelques gouttes s'échappent, remplaçant les larmes qui refusent de couler.
— Ça va trop vite. Ça me bouffe, mais je ne sais pas comment faire... j'ai besoin d'elle, je me sens vivant avec elle... et tu as raison, je crois... je l'aimerais toujours. Sa force, sa fragilité, sa détermination et ses failles...
Je m'interromps. Je me sens dégueulasse de déblatérer sur Rose devant ma petite amie défunte, ma fiancée éternelle...
— Je suis désolé. C'est idiot, je ne fais que m'excuser. Tu mérites la paix et je te parle de mes problèmes existentiels... je te fais une promesse Sam, mon amour. Je vais bien m'occuper de notre fille, je n'abandonnerais pas, jamais.
Je caresse l'herbe fraîche au pied de la tombe, espérant qu'elle ressentira ma caresse.
Au moment où je me relève, je sens une présence derrière moi.
— Jack. Je suis heureux de te voir ici.
Charles. J'imagine qu'il sort du bureau, car il a retrouvé son apparence d'homme d'affaires imperturbable. Celle du grand Charles Colton donnant des ordres au sommet de son empire. En dehors de sa tenue, je remarque pourtant ses traits tirés, sa fatigue intense et cette lassitude qui empiète sur son éternelle envie de se dépasser.
Devant mon silence il semble vouloir se justifier.
— Je ne voulais pas te surprendre, je viens ici chaque jour en semaine. C'est idiot, mais c'est le seul endroit où j'arrive à me sentir proche d'elle, lui parler...
— C'est pas idiot, la preuve je lui ai parlé moi aussi.
Il sourit à ma remarque avant de plonger ses yeux sur la pierre. Son air redevenu sérieux, il soupire et dépose à nos pieds, la rose blanche qu'il tenait dans sa main. Il garde le silence pendant deux ou trois minutes, semblant se plonger dans une transe, une communication silencieuse avec elle...
Quand il lève les yeux vers le ciel puis soupire, je sais qu'il est de nouveau avec moi.
— J'ai eu un coup de fil très intéressant... dit-il en me regardant de côté, son sourire énigmatique vissé aux lèvres.
— A quel sujet ?
— Au sujet de ton égocentrisme et du fait que tu voulais dilapider l'argent de ma nièce.
Je vois très bien de qui il parle, elle n'aura pas perdu de temps cette garce.
— Mel. Je ne suis pas étonné. On a eu...
— Une vive altercation, je sais.
— Je ne voulais pas être... enfin manqué de respect à Sam, mais je ne me vois pas garder cette maison...
— Pourquoi Jack ?
Il semble m'étudier avec circonspection, intéressé par mes motivations. Je ne lui ai jamais menti, c'est ce qu'il semble apprécier chez moi, il n'y a pas de raison que ça change. Nous ne sommes pas du même monde et pourtant, le respect mutuel c'est ce qui a toujours fait la différence avec Charles.
— Cette maison représente tout ce que nous rêvions d'avoir, tout ce que nous n'aurons jamais. Ni moi ni Camilia. Je ne veux pas me lever chaque matin et avoir ces pensées négatives qui m'encombrent l'esprit.
— Je comprends, tu as besoin d'avancer.
— Ça vous dérange ?
— Non, je trouve juste que tout cela est très rapide.
— Sans doute...
— C'est en lien avec Rose ?
— Rose ?
Je m'écarte, mal à l'aise. Que je discute ainsi avec Franck me paraîtrait déjà étrange, mais avec Charles...
— Je sais reconnaître un homme amoureux Jack.
— Charles, ce n'est pas...
Il pose sa main sur mon avant-bras pour m'interrompre. Au même moment, la fine bruine s'amplifie et le vent se lève nous informant que le temps ne semble pas près de s'améliorer.
— Te fatigue pas Jack. Je ne te juge pas. Je sais que là dedans...
Il tapote mon plexus en pointant son doigt en direction de mon cœur.
— Elle n'a jamais vraiment quitté cet endroit.
— Je ne veux pas que vous pensiez que je n'aime pas Sam. C'est faux.
Il secoue la tête, comme ennuyé.
— Ce n'est pas ce que je dis. Je sais que tu aimes, ma nièce... que tu l'aimais... bref, je ne l'aurais jamais laissé te fréquenter si je n'avais pas été sûr de ton honnêteté sur le sujet. Mais toi et moi Jack, nous savons que le lien qui t'unit à Rose est sans commune mesure...
Je ne sais pas quoi répondre à ça. Et puis c'est au-dessus de mes forces. Je me sens perdu et un peu honteux aussi de parler ouvertement de mes sentiments pour une autre...
— Je ne sais pas quoi vous dire...
— C'est déjà bien que tu n'essaies pas de me mentir.
***
Il n'est pas si tard, pourtant le soleil flirte déjà avec l'horizon. Je me sens épuisé. Aussi bien physiquement qu'émotionnellement. Je remonte la rue bourgeoise pavée qui me mène tout droit à notre ancienne adresse. Celle où j'ai bien plus de souvenirs, celle qui m'a accueilli fraîchement débarquée de Californie, celle qui m'a vu souffrir puis renaître de mes cendres.
Nous avons été heureux ici.
Dans le hall, je croise Miles, qui feint de ne pas être étonné de me voir en un seul morceau. Charles a dû le prévenir puisque cette résidence appartient à Colton Enterprise.
— Monsieur Dawson, je suis heureux de vous revoir.
— Merci Miles.
— Monsieur Colton a fait entretenir l'appartement durant votre absence, mais nous n'avons rien touché d'autre. Si vous avez besoin pour les affaires de Mademoiselle Durance, n'hésitez pas à demander, je pourrais faire intervenir une entreprise très sérieuse...
— C'est gentil Miles, j'y penserais.
— Monsieur Dawson ?
— Oui Miles ?
— Je suis heureux de vous revoir en forme je veux dire...
Il semble mal à l'aise, cherchant la manière de me dire ce qu'il a sur le cœur.
— Mes condoléances pour Mademoiselle Samantha, elle était beaucoup trop jeune pour mourir.
J'en ai marre qu'on me ressasse ça, mais ce n'est pas contre lui, je sais qu'il l'aimait beaucoup.
— Merci Miles.
— Vous voulez que je vous commande un repas pour ce soir ?
— C'est gentil, mais je vais certainement dîner avec mon père.
— Bonne soirée Monsieur.
— Bonne soirée Miles.
Le ding caractéristique de l'ascenseur m'annonce la solitude retrouvée. J'ai besoin de silence, de tranquillité pour retrouver cet endroit, mausolée de notre amour qui a été et ne sera jamais plus.
Je repense à ma discussion avec Charles. Cet homme est vraiment troublant. Il incarne la réussite, la force tranquille, la puissance et pourtant il est resté profondément humain, avec une âme noble qui ne juge pas, mais analyse, comprend.
Arrivé à notre étage, qui ne comporte que deux appartements, je poursuis mon chemin sans réfléchir. Je serais capable de faire demi-tour sinon.
Les clefs tintent entre elles, le clic de la porte s'enclenche, elle s'ouvre et l'odeur caractéristique emplit mes narines. Les huiles essentielles de Sam. Elle mettait des diffuseurs par capillarité un peu partout et malgré nos longues semaines d'absence, ça sent encore chez nous. Cette fichue odeur de pluie un soir d'été...
Je crois que je l'aime bien aujourd'hui. Même si c'est douloureux.
Une fois les lumières allumées, je scrute l'immense pièce, exactement, comme je l'ai fait, il y a deux jours dans notre maison. C'est à la fois épuré, moderne, mais aussi très cosy. Au loin, à travers les immenses baies vitrées, la ville s'étend, lumineuse, vibrante, animée. On adorait éteindre les lumières de l'appart et se délecter de cette vue imprenable.
Un soupir après, je grimpe les marches en porte à faux qui mènent aux chambres. Celle de Camilia d'abord puis la nôtre. Tout y est parfaitement rangé, et aucune affaire ne traîne, je me sens aussi à l'aise que dans un appartement témoin. Partant d'un bon sentiment, Charles a fait dégager tout ce qui aurait pu me rendre dingue en revenant ici. Un bouquin qui traîne, un foulard oublié sur le dossier d'un fauteuil, il n'y a rien qui pourrait suggérer qu'en partant à San Francisco, notre fille sous le bras, nous avions laissé une trace de vie dans cet appartement.
Je m'effondre sur le vieux rocking-chair recouvert de coussins qui trône dans la chambre de notre fille. Il jure tellement au milieu de toute cette déco parfaite. Je caresse le bois des accoudoirs usés et ferme les yeux, me laissant balancer doucement. Je revois Sam à cette place, notre minuscule fille dans les bras quand elle tentait en vain de lui donner le sein. Elle tombait de fatigue devant ce nouveau-né affamé qui semblait infatigable. Elle ne voulait rien lâcher. J'entends comme si c'était hier, les petites berceuses qu'elle chantonnait avec dans le fond des yeux tout cet amour pour ce petit être, parfait mélange de nous deux.
Je m'assoupis sans m'en rendre compte. Quelques minutes, une heure peut-être, avant que plusieurs vibrations émanant de mon portable ne me réveillent. L'écran s'allume sous la pression de mes doigts et mon cœur blessé fait la cavalcade dans ma poitrine.
« Je ne voulais pas te déranger. Je voulais juste que tu saches que je pense à toi et à Camilia. J'imagine à quel point cela doit être dur d'affronter cette réalité. Je suis là si tu as besoin de parler. Mon petit rayon de soleil me manque tellement...
Prends le temps dont tu as besoin.
Tu me manques toi aussi... »
Je n'ai pas le temps de sourire que cette fois-ci il sonne.
— Jack ? Tout va bien ?
Franck. Je jette un œil à l'heure et je me rends compte qu'il est déjà 20 h 30. Je m'étais engagé avec eux pour le dîner, mais je n'ai pas vu le temps passer.
— Oui, je suis à l'appartement.
— Oh... tu veux rester seul ? Tu veux annuler le dîner ? Que je vienne ?
Je pouffe. Ils s'inquiètent tous pour moi et je pourrais m'en agacer franchement alors qu'au contraire, ses mots, le ton de sa voix me touchent.
— Non, non, je viens, c'était convenu comme ça.
— Jack ne t'en fait pas, on comprendrait que ça n'aille pas.
— Justement, ça ira bien mieux auprès de vous, j'arrive.
— Nous t'attendons fils.
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