Les Sorcières commencèrent à propager des flocons de poussière colorés dans toute la pièce. L'ambiance si sereine avait disparu en un éclair. L'Enchanteresse examina, tour à tour, chacun des Gardiens.

- Vous devez partir, annonça-t-elle.

- Nous n'allons pas vous abandonner, répliqua Blanche.

Son devoir était le même que celui de Lina. Elle protégerait ce monde, même si elle ignorait encore beaucoup de choses des Sorcières.

- Vous ne pouvez pas tous rester, continua l'Enchanteresse.

Dehors, plusieurs nuées de couleurs et de cris voltigeaient et retentissaient. Personne n'était en sécurité, nulle part. Blanche se dirigea à la fenêtre, près d'Edelyn. L'atmosphère tendue la mit mal à l'aise. Le soleil brume laissa place à une nuit noire. La jeune fille ne vit rien à l'horizon. Ce même sentiment de peur régnait de nouveau. 

- Enchanteresse, nous ne pouvons pas rester ici, renchérit Romyta.

L'intéressée s'avança avec grâce au milieu de toutes les bougies allumées, la seule lueur d'apaisement parmi ce chaos.

- Wzywam siły czarownic, dit la déesse levant ses fines mains dorées au ciel.

Une vague de chaleur émana d'elle, laissant échapper quelques flocons dorés. Blanche n'entendit plus l'agitation de l'extérieur. La flopée rassurante de magie l'empêchait de craindre le pire.

- Cette protection sera efficace pour quelques minutes, dit la reine, avant que les démons n'arrivent.

Elle avait crée un champ de force, leur permettant de rester cachés aux yeux des créatures malfaisantes, comprit Tristan. Ce dernier se demanda ce qui rôdait dehors cette fois. Personne n'osa bouger pendant quelques secondes. Falona revint, d'un coup, dans son fameux halo de lumière bordeaux. Elle lança un regard entendu aux Sorcières.

- Ils savent que vous êtes ici, déclara Edelyn.

- Qu'est-ce qu'on peut faire ? questionna Andrew sortant son épée.

Blanche le trouvait si courageux et si charmant à la fois. Pourtant, l'heure n'était pas aux sentiments. Elle songea plutôt au fait de : qui pouvait bien savoir qu'ils étaient là ? Leur adversaire semblait de taille et elle ne se sentit pas encore prête à livrer une nouvelle bataille sanguinaire.

- Ils vous cherchent, admit Romyta, nous pouvons vous emmener ailleurs.

Tristan peinait de penser qu'ils devaient déjà repartir. Ils étaient pourchassés par un ennemi invisible, comme en cavale.

- Alors battons nous, annonça-t-il caressant sa chevalière.

Il reçut le regard brillant d'Andrew, consentant à entrer dans la bataille, une nouvelle fois. Blanche approuva la déclaration de son jumeau. Ils étaient, après tout, des Gardiens. Même si leur rôle dans cette folie n'avait plus de sens. La jeune fille savait que son devoir, à cet instant, fut de sauver Heksen. Elle jeta un œil en direction de Brittany. Blanche fut ravie de constater que la jeune blonde sembla moins apeurée et sortit son Crystal blanc. Les jumeaux ne souhaitèrent pas salir la mémoire de leur père en abandonnant comme des lâches.

- Très bien, dit Edelyn, allons-y !

L'Enchanteresse éleva ses douces mains et fit tomber la bulle de protection. Le bruit de l'extérieur redevint audible et endiablé.

- Enchanteresse, vous ne pouvez pas vous joindre à nous, répliqua Falona, ils vont vous tuer.

- Je n'ai pas peur de la Mort, répondit l'intéressée, je suis une Sorcière avant tout et j'ai juré protection, devant Eux, ainsi que les autres chefs des mondes.

Devant Eux ? Qui étaient-ils ? Un nouveau doute parsema l'esprit de Blanche. Elle n'eut le temps de poser la question que les trois jeunes filles se dirigèrent vers l'immense porte en pierre. Blanche s'approcha d'elles, elle sentit la présence rassurante d'Andrew dans son dos. Elle s'avoua qu'elle ne voulut pas qu'il s'éloigne d'elle.

Tristan jeta un regard sur la scène. Plusieurs jeunes filles au sol, ensanglantées enfin il remarqua que leur sang brillait malgré la pénombre, jonchaient la place. Il distingua au loin, une armée de silhouettes tenant quelque chose de tranchant à la main. Elle s'avançait de plus en plus. Un nouveau cri retentit, cette fois-ci venant du ciel. Plusieurs espèces d'oiseaux, volants à toute allure, traversèrent les allées, crachant des flammes vertes. Ils n'avaient jamais encore vu ces créatures. Combien encore de démons, dans ce genre, regorgeait l'Oubli ?

- Ce sont des Krubeaux, déclara Edelyn, accompagnés de leurs fidèles gardes du corps : les Madwids.

Cela ne rassura pas Tristan d'entendre les noms de ces démons. Il distingua que les soi-disant Madwids possédaient une grande cape noire, de longs doigts squelettiques et des yeux rouges. Ils ressemblaient à cette même créature que lui et sa sœur avaient rencontré le soir de leur arrivée. Cependant, ces bêtes semblaient plus féroces avec leur épée aiguisée, distinctement élevée vers le ciel. Andrew empoigna l'Excalibur, prêt à entrer en action. Quelques piques ne lui faisaient pas peur.

- Ils sont attirés par le sang et le pouvoir, continua Romyta, les Krubeaux sont là pour atteindre leur but principal : massacrer toute forme de vie.

- J'ai confiance en vous, annonça l'Enchanteresse sortant de sa demeure.

Sa forte lumière dorée la suivit de près. Les trois Sorcières n'attendirent pas une seconde et disparurent. Il ne restait plus que les jumeaux, Andrew et Brittany.

- Je suis désolée, déclara Brittany se dirigeant vers la sortie.

Blanche vit la jeune fille disparaître dans le flot de magie se trouvant devant eux. Elle ne lui en voulait plus. Par moment, elle fût convaincue que quelque chose martyrisait son esprit pour lui faire agir contre sa volonté. Pourquoi en voudrait-elle à Brittany ? Elle n'avait rien d'une traîtresse.

- Blanche, interpella cette voix masculine qu'elle aimait tant entendre.

Elle se retourna pour faire face à Andrew. Son frère préféra les laisser seuls et indiqua d'un signe de tête, qu'il s'en allait. Il arriva à la hauteur d'une jeune fille rousse, terrifiée. En un éclair, il fit jaillir la puissance brûlante de sa chevalière. Il lança un sourire à sa sœur. Il savait qu'ils trouveraient la solution à toute cette histoire.

- Je voulais te dire, commença Andrew attrapant la main de Blanche.

Instinctivement, elle plaça la main sur sa bouche. Son contact chaud la fit frémir. Elle ne réfléchit plus. Parmi tout ce chaos, chaque minute de vie comptait. Elle se devait de profiter de chaque seconde que lui réservait encore son Destin. Elle serra la main d'Andrew et vint poser ses lèvres sur les siennes. Tout autour d'elle se mit à tanguer comme si plus rien n'avait d'importance qu'elle et lui. Elle repensa, cependant, à Corbyn. A ses yeux bleus la fixant intensément... Andrew resserra son étreinte en pressant la taille de Blanche. Il se dégagea d'elle, essoufflé. Il resta à mi-hauteur de son visage.

- Je pensais que tu ne voulais pas de moi, dit-il dans un souffle.

La réalité s'effaça petit-à-petit. La jeune fille se sentit bien dans ses bras. Comprenait-elle qu'elle avait déjà fait son choix ? Son cœur ne lui lança aucun signe. Pourtant, elle souhaitait juste embrasser Andrew et ressentir sa présence. Elle ne lui répondit rien et sourit à son contact si protecteur.

- Je t'aime, déclara le jeune homme caressant les lèvres de Blanche, je préfère que tu le saches si jamais il devait nous arriver...

Il ne termina pas sa phrase. Blanche comprit ce qu'il voulut dire. Ils ne devaient pas y penser, mais plutôt garder la chance d'être toujours en vie et de continuer à l'être. La jeune fille déposa un baiser furtif sur les lèvres d'Andrew avant de remettre une distance entre eux.

- Il faut y aller maintenant, dit-elle puisant toute son énergie enfouie.

Andrew n'eut le temps de lui répondre ou de lui sourire. Il reçut un violent coup qui le fit valdinguer à plus de cinq mètres de Blanche. La jeune fille voulut le rejoindre mais elle distingua que l'un de ses démons encapuchonné, un Madwid, s'avança vers elle. Andrew se releva avec peine en lançant un regard à Blanche lui signifiant qu'il allait bien. Il avait juste une entaille au sourcil droit. Elle ne vit plus le jeune homme après deux secondes. La bulle formée par leur moment de tendresse avait, soudainement, disparu. Elle recula, doucement, pour éviter de se faire foudroyer par l'épée tranchante de la créature face à elle. Elle entendit, également, une voix grinçante émanant du démon comme s'il voulait lui parler.

- Détruire, Tuer, Venger...

Encore ces mots destructeurs, Blanche attendit que le démon arrive à sa hauteur pour lâcher toute son énergie fulgurante. Elle aperçut l'épée de la bête venir frapper un de ses confrères. Et de deux ! pensa-t-elle fièrement. Elle alla se diriger sur le champ de bataille quand elle sentit son cœur partir en un mouvement. Devant elle, un autre Madwid se tenait. Une affreuse douleur la saisit avant de s'écrouler sur le sol. Elle se sentit partir peu-à-peu. Elle aperçut Brittany accourir vers elle en hurlant quelque chose mais elle ne l'entendit pas. Son esprit la laissait seule. Une odeur de sang attaqua ses narines. Elle repensa aux douces lèvres d'Andrew sur les siennes. Une once de bien-être vint s'emparer d'elle, malgré la forte douleur. Enfin, elle ne distingua que le néant.

Tristan ne sut pas ce qu'il attendait. Arrivé au niveau de la jeune rouquine, il remarqua qu'un de ses Krubeaux se dirigea, en colère, vers lui. Il commença une enjambée et écarta du mieux qu'il put les jeunes Sorcières, encore, novices. La dureté de leur funeste réalité le frappa et l'agaça au plus haut point. Il attira les foudres d'un Madwid qui se battait avec une jeune fille aux cheveux orangés, et celles d'un de ses oiseaux de l'enfer qui voulut attaquer Edelyn. La force de sa chevalière grandit de nouveau en lui et il envoya le plus loin possible ces créatures. Il voulut s'approcher de la Sorcière orange pour lui demander si elle allait bien.

Mais une fois à sa hauteur, il remarqua que la jeune fille ne fit pas attention à lui comme si elle s'en fichait qu'il l'ait sauvé. Sympa... se dit-il regardant le sol. Il remarqua qu'il ne voyait plus ses pieds. Il était redevenu un Invisible. Il oubliait parfois qu'il pouvait se rendre transparent aux yeux de tous. Cela allait devenir un avantage pour battre ses démons. Il s'avança sur le champ de bataille, face à l'armée de Madwids qui n'avait pas bougé d'un poil.

L'ambiance de l'agitation ne l'atteignit plus. Il essaya de se remémorer les conseils de Santiago. Ce dernier lui manquait un peu, même s'il ne l'avait pas réellement connu. En pensant au Loup roux, l'image de Lina lui revint en mémoire comme un coup de poignard. Il n'arrivait pas à l'oublier, elle était là dans un coin de sa tête et il ne voulut pas laisser son seul souvenir partir.

Tristan chercha un ancrage dans le sol, devenu boueux. Il ferma les yeux et entreprit de ne laisser que le simple souvenir de Catalina envahir son âme. Une aura de lumière se dégagea de lui, il aperçut d'un œil que les Madwids ne s'y attendirent pas. Tous furent aveuglés par la puissante force, ils émirent un hurlement strident. Tristan le connaissait bien, le même cri que cette créature des premiers soirs. Ils disparurent dans un épais nuage de fumée noire opaque. Le jeune homme se sentit vaciller quelques secondes. Il crut entendre au loin qu'on l'appelait. Il ne put répondre trop faible pour dire un mot. Il sentit une main rassurante, pressée son épaule.

- Tristan, debout mec ! entendit-il.

Il rouvrit les yeux, tout tournait autour de lui. Il se releva difficilement avec l'aide de cette main. Il reconnut Andrew, entaillé d'un peu partout. Le jeune homme ne distingua plus les Madwids. Il leva les yeux au ciel, une pluie fine tomba sur ses joues. Elle était chaude et lui brûlait la peau.

- Tu as fait fuir ces démons, acclama Andrew, par contre il reste toujours ces oiseaux de malheur !

Tristan jeta un regard sur la scène autour de lui. Il ne voyait plus sa sœur, ni les trois jeunes Sorcières, ni l'Enchanteresse. Il avait, soudainement, mal à la tête. Il se sentit vaciller de nouveau.

- Ça va ? s'inquiéta son ami.

- Je ne sais pas, avoua-t-il.

Les hésitations étaient devenues son fort depuis le début de leur périple. Il n'eut le temps de se reprendre pleinement. Un nouveau cri, sortit du ciel, vint interrompre le cours de ses pensées. Une envolée, d'une dizaine de Krubeaux, arriva dans leur direction.

Plusieurs jeunes sorcières émirent un cri de terreur et s'enfuirent en essayant de lancer des jets de lumières colorés sur leur ennemi. Les deux jeunes hommes se tinrent prêts à redonner une bonne leçon à ces corbeaux. Ils ne firent qu'un pas quand ils s'envolèrent dans le décor d'un gigantesque coup de pattes, de la part des créatures volantes. Tristan se sentit barbouillé. Il avait doublement mal à la tête. Ils se retrouvèrent le corps plaqué contre un gigantesque mur de briques qui avaient amortis leur chute.

Tristan crut discerner au loin deux silhouettes s'avançant vers eux. Il n'avait plus la force de lever le bras pour se battre, de nouveau. Andrew leva son épée, prêt à en découdre, une fois de plus. Les deux silhouettes, encore floues, s'abaissèrent à leur hauteur.

- Nous vous avons enfin trouvé, déclara une voix grave masculine.

Les deux garçons ne demandèrent rien. La force leur manquait. Tristan crut percevoir la voix de Brittany disant à leur soi-disant agresseur de les laisser. Un jet de lumière l'aveugla quelques secondes avant qu'il ne sombre totalement. Il distingua une poigne forte le porter légèrement. Il ferma les yeux.

Tristan se réveilla, il ne sut combien de temps après. Quelque chose de douillet l'accueillait. Il se sentit bien, extrêmement bien. Il ouvrit pleinement les yeux et se releva sur ce qui semblait être, un lit. Andrew, encore dans les vapes, se trouvait dans celui en face de lui. La chaleur des bougies éclairant la pièce vint l'apaiser. Quelque chose clochait, cependant. Il n'entendit plus un bruit dehors. Tout était fini ? Et sa sœur, où était-elle ? Il enleva les larges couvertures douces qui le recouvraient. Le sol glacé le fit retomber, comme une crêpe, sur l'épais matelas.

- Qu'est ce qu'il s'est passé ?

Il se retourna et vit Andrew qui massait ses tempes, perdu lui aussi.

- Je ne sais pas, il y avait ces créatures, j'ai entendu cette voix.

Serait-ce cet homme qui les aurait emmené ici ? Il préféra se rallonger dans la chaleur des couvertures. La porte, donnant sur un possible extérieur, grinça bruyamment et faisant sursauter les garçons. Un homme, habillé d'une chemise grise et d'un pantalon chic de la même couleur, apparut devant eux.

- Je pensais que vous ne réveillerez pas, annonça-t-il souriant.

Il n'avait pas l'aspect d'un être sanguinaire. Au contraire son visage fin et ses cheveux bruns très courts lui donnaient un air gentil, presque envoûtant. Tristan ne comprit pas ce que leur voulait ce jeune homme.

- Nous avons besoin de vous, dit-il plus sérieusement, nous ne pouvons pas demander de l'aide aux Sorcières.

Les Sorcières ? Mais que venaient-elles faire dans cette histoire ? Il repensa immédiatement à sa sœur, Brittany, toutes ces jeunes filles.

- Qu'est ce qu'il s'est passé ? s'inquiéta Tristan.

Andrew se leva à son tour de sa position pour faire face à l'inconnu. Le seul souvenir qui lui restait, fut d'avoir embrassé celle qu'il aimait profondément. Un sourire passa sur son visage, il se sentit rassuré pendant un court moment.

- Vous avez repoussé les Madwids et les Krubeaux, répondit le bel inconnu.

Il s'approcha plus près des garçons en lévitant dans une nuée de poussière grise. Serait-il magicien ? devina Tristan. Il était perturbé par tant de mystère.

- Qu'est ce qui se passe encore ? voulut savoir Andrew.

Les doutes s'installèrent en lui, aussi. Il peinait à croire que tout ces récents événements soient arrivés.

- Je suis un Sorcier, expliqua le jeune homme s'asseyant en tailleur dans les airs, nous n'avons pas le droit d'entrer en contact direct avec les Sorcières.

Tristan se souvint qu'Edelyn l'avait mentionné à leur arrivée. Ce qu'il ne comprit pas, c'était pourquoi il avait besoin d'eux.

- Nous pensons que vous pouvez nous aider à dénicher le mal qui détruit les mondes un par un, poursuivit-il l'air grave.

- Qui est-ce alors ? interrogea Andrew.

La solution, à toute cette folie, allait sortir de la bouche d'un Sorcier lévitant dans les airs et en apparence si calme.

- Ce sont ces monstres assoiffés de sang, répondit le jeune homme.

- Des monstres ? répéta Tristan.

La peur le saisit aux tripes. La réponse n'allait pas le satisfaire. Pour la énième fois, d'autres obstacles faisaient apparition dans leur quête. 

- Les Vampires, répliqua le jeune Sorcier, ce sont nos ennemis communs, il faut les abattre !

Il ne manquait plus que ça, des buveurs de sang ! selon la mythologie officielle. Tristan se croyait en plein cauchemar.