« Comme un goût amer dans ma bouche pâteuse, je me lève le cœur lourd et comateuse. Aucune raison particulière. Ah, si. C’est mon anniversaire.

Chaque année, comme une envie d’oublier. Mais oublier quoi ? Je ne comprends pas mon état pantois.

Ah, si.

Les souvenirs. Mon avenir. Un brassage d’incertain, un horizon indistinct. J’imaginais les éraflures pansées, c’est à croire que l’obscur est caché. »

***

Madison regardait l’océan, assise seule dans les rochers. Les embruns caressaient son visage et se mêlaient aux perles salées qui dévalaient ses joues. Impossible de les retenir, elle revivait le même martyre, année après année, dans le flou. Ses traumas refaisaient surface, tel du mazout dans lequel elle était enlisée. Tout revenait en angoisses, jusqu’à la tétaniser.

Assise seule face à l’étendue bleue, Madison ne voyait rien de prodigieux. Depuis quelque temps, il lui arrivait de belles rencontres. De celles qui comptent. Qui redonnent de l’espoir, quand tout semble probatoire. Un semblant d’espérance dans un monde sans tolérance. Pourtant, ce jour-là, le passé flottait, inlassable plaie.

Ses souvenirs voguaient en rythme avec la marée. La bile remontait dans sa trachée. Ce sentiment de ne rien valoir, quand rien aujourd’hui ne le lui faisait croire. Un mélange de bonheur avec un arrière-goût qui l’empêchait de tenir debout.

Amie, fille, sœur, femme, maman, conseillère, miracle, ange gardien, soigneuse et elle en passe… Autant de qualificatifs qui brisaient sa carapace. Celle forgée depuis des décades, celle qui la barricade. Protégée dans sa bulle, en dehors elle devenait funambule.

Naguère on la pointait du doigt, on se moquait d’elle, on la reléguait telle une hors-la-loi, on lui affirmait qu’elle n’était pas belle.

Mais quel était son crime ? Elle tomba dans la déprime. Impossible de comprendre ce pour quoi on voulait la pendre. Cloîtrée dans son monde, sa jeunesse fut vagabonde.

Les années passèrent, elle s’éloigna de la galère. Toujours craintive, elle prit des initiatives. Elle tenta de s’ouvrir et de faire confiance, tout en restant dans la bienveillance. Jamais revancharde, elle enlevait même les échardes. Pas celles de son âme, celles des autres, elle retirait les lames, expiait les fautes.

Elle semait des particules de lumière pour faire briller les êtres dans l’obscurité. Elle ne possédait aucune œillère, elle cherchait juste à aimer et être aimée.

Sa destinée semblait tracée : un futur radieux l’entraînerait dans le merveilleux. Un monde qu’elle n’osait concevoir s’ouvrait à elle dans la réalité. On la chérissait pour qui elle était, elle pouvait se permettre de rester elle-même sans gêne. On lui envoyait beaucoup d’amour, mais c’était parfois trop lourd. Elle s’imaginait ne pas le mériter, comme atteinte de cécité. Elle ne comprenait pas comment c’était possible, dans sa tête tout ça demeurait inaccessible. Elle, la risée de tous, elle, que l’on repousse, elle, qui se cachait, par peur de nouveaux rejets. Voilà qu’aujourd’hui, elle n’était plus dans l’oubli.

Pourtant, assise seule face à la mer, les vagues heurtaient ce qu’elle songeait éphémère. Elle se redressa et se tint droite sur son rocher, elle regarda l’horizon et fit taire ses pensées. À quoi bon ressasser ? Tout ceci n’était que le passé.

Alors, plutôt que d’avancer dans les flots pour se laisser submerger, elle rebroussa chemin et laissa voguer au loin sa mémoire éraflée.

Joyeux anniversaire Madison. Jette-toi à l’eau, oublie ce qui t’empoisonne et peint ton nouveau tableau. La vie est devant toi, et avec elle tout l’amour que l’on te doit.